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Dl'C de la SALLE de ROCHEMACRE
Majorai du Félibrige
Les
Troubadours
Cantaliens
i
IMPRIMERIE MODERNE
AURILLAC
1910
0 los poulidos ûooudotos
d'Ourlhat
0 los brabos Couaros
del Poïs Nal
En grond morcès
de m'obeire oploudi tôt omistousomen
loti tretchie de Noubembré
dozonaou cent det
24557
Aux gracieuses citadines
d'Aurillac
Aux aimables dames
du Haut-Pays
En remerciement
de leurs sympathiques applaudissements
du treize Novembre
dix ueui cent dix
Conférence
en. dialecte Cantalien
DONNÉE AU THÉÂTRE D'AURILLAC
le /? novembre içio
Al PROFIT DE L'ÉHECTION DU MONUMENT VERMENOUZE
Monsieur U Président (1),
Je reste confus et vous .suis bien reconnaissant des
termes flatteurs et trop bienveillants dans lesquels
vous m'nii : m// Vhonm ur <l< me présenter, à lilri1
<h conférencier, à nos compatriotes, de votre indul-
gente honni grâce à rapp( 1er mes casais en dialecte
cantalien. Veuilles, en agréer mon merci respectueux
et cordial.
Mesdames, Messieurs,
Le Comité Vermenouze m'a fait l'honneur de
demander à mou admirative amitié pour le poète que
nous venons <!<■ perdre, <l< risquer une tentative bien
téméraire de mu pari : vous dire dans l'idiome local
1 M. Charles Delzons, président honoraire du Tribunal civil
d'Aurillac, Chevalier de la Légion d'honneur, Président du Comité
Yermenouze, fils de l'ancien Représentant du peuple d'Aurillac en
1818. arrière-neveu du généra] baron Délions.
ce que fut l'œuvre Cantalienne de Vermenouze. Je
sollicite toute cotre indulgence pour un compatriote
</ui se sert pour la première fois en public de notre
dialecte, va feuler d'esquisser, à grands traits, l'his-
toire poétique du Haut-Pays d'Auvergne du dou-
zième au vingtième siècle, de Pierre de Vie à Ver-
menouze.
LES TROCBAIRES
DEL
Poïs ZZetl d'Oubernho
d'i) Pierre d'ù Bit à Bennenouso
LES TROUBADOURS
DU
Haut IPa^rs d'Auvergne
de Pierre de Vie h Verni enouze
Modamos e Mouosurs,
Ound'qu'onossias sur terro, quittoineii de laï 1
jn.ir. li troubores deïs Oubernhats, ço nous dis Bei
menouso :
Deis Oubernhats, pertout lou boun Dieou n'en semeno
(i
Es <1<" fel que, debos Rounio tôt plot que per toute
les caires d'Esponho, ô l'orlé del Pourtugal, din ma
«l'uno bilo de Belgico é de Honlando, méniomen dii
lo Robiéro é lou Tyrol, sons porla d'ô Poris, Lyoun
Bourdeou, Marseille é, sonsiprou, de cap ô Faoutr
de lo Fronço, ;ii oousi lou nostre potaï d'Ourlhat.
Lou poueto d'Itrat, que n'obio fa l'esprobo, non
o bé dit :
(i) BeniKiiouso : « Jous la Cluchado ». — Lo Terro, P. 7-
Mesdames, Messieurs,
Où que vous alliez de par le monde, voire même
au delà des mers, vous y trouverez des Auver-
gnats, affirme Vermenouze:
La terre, d'Auvergnats le bon Dieu l'ensemence (i).
Il est certain qu'a Rome aussi bien que dans
toutes les provinces d'Espagne, aux frontières du
Portugal, dans maintes villes de Belgique et de
Hollande, jusqu'en Bavière et en Tyrol, sans par-
ler de Paris, Lyon, Bordeaux, Marseille, et quasi,
d'un bout à l'antre de la France, j'ai entendu parler
notre dialecte d'Aurillac.
Le poète d'Ytrac a beau nous dire avec son
expérience personnelle :
(i) Vermenouze : « Sous le Chaume ». — La Terre, P. 72.
32
X3
li LES TROIBADOVR* CANTALIENS
Soubenet-bous que tal pouot pas demoura en uno
E bo courre lou mounde, é d'omoun é d'obal,
Que tchia guel, omb'de lo conduito é del trobal
Ourio troubado 1" Fourtuno (i).
Li foro pas rès! J » " « • n ; i fa recurun fouoro poïs,
naoutres z'obons din 1<>u song; plongions pas nostro
peino ni mai refoulons pas <» ozarda un picossel
d'ocouo nostre per ottrapa un inoudio d'ocouo deis
.-loutres. Pus long sons, naoutres, dol Ploumb del
Contaou, del courtieou ound'obons fodekhia en
d'estre efons, ma! nous corons de gorda, entre
naoutres, lou porlat de lo momo, lo lengo del bret.
Lo porlons S"US H fa fi. Peinions sons nous entrot-
(i) Bermenouso : <•<■ Jous la Chuchado ». — Ois Escouliès
d'o Mau.
LES TROUBADOURS CANTALIENS
Souvenez-vous que tel ne peut rester en place
Et, d'amont et d'aval, s'en va courir le monde,
Oui, chez lui, travaillant et se conduisant bien
Aurait rencontré la Fortune (i).
Il prêchera dans le désert! Il nous est instinctif,
à nous autres Cantaliens, d'aller butiner au delà
de nos montagnes; nous ne sommes pas avares de
notre peine, consentons volontiers à risquer une
minime partie de notre pécule pour tenter de
recueillir d'énormes profits! (2)
Plus nous nous sentons éloignés de notre Plomb
du Cantal, de l'enclos natal témoin de nos ébats
enfantins, plus nous goûtons le charme d'user entre
nous de la langue maternelle, du dialecte de notre
berceau. Nous l'employons d'instinct, l'aimons pro-
(i) Vermenouse : « Sous le Chaume ». — Aux Ecoliers de
Maurs, P. 329-330.
(2) L'Auvergnat émigré un peu partout, jusqu'en Amérique.
C'est vers l'Espagne que se dirige, depuis des siècles, le plus fort
contingent de Cantaliens qui sortent de France. La Hollande, la
Belgique, la Flandre Française en reçoivent bon nombre. Bor-
deaux, Lyon, Marseille comptent des Sociétés Amicales prospères
d'Emigrants Auvergnats ; mais l'émigration à Paris reste, de beau-
coup, la plus importante. On l'a beaucoup exagérée en supposant
son chiffre supérieur à cent mille. Louis Bonnet (Auvergnat ds
Paris, août iqio) le ramène à trente-deux mille d'après les plus,
récentes statistiques officielles
16 LES TROlBADOl RS CANTAI.IKNS
chia que l'opostelons un bouci mai cado jiour en i'i
ojusta petas sur petas molebats ô so cotetto : lou
Froncés! Se l'i caou pas fcronmpa, en effet ; 1<> nostro
lengo d'Oubernho os l'einado; guello ero fillo four-
mado, oniistousoiueu ogotchiado de toutes, bestido,
alero, de sedo e de bélous, lo preiuiero plaço li oppor-
tenio tôt plot o lo gleisio que peis costels. Ebesques
e copelots, noples e bourchiets, Jutchis, oboucats e
merchlona counessiou que guello, del temps que lou
porlat d'ô Poris sourtio en prou fa del bret. Lo lengo
Fronceso n'ero enquerro qu'un mesclodis de l'oncien
porlat d'ô l'oris é d'oquel de délai lou Rhin, que lo
nostro, crano coumo l'einado d'un couarou, s'espon-
dissio, eimado deis sobens, soro del Loti que li obio
oppourtat odutchio desenipiei que leis souldats d'ô
Roumo erou dintrats, pel Liouron, din lo nostre
pibieîro de Cero, mill'ons dobon que cat de fournel
d'Ourlhat funiesso!
LES TKOLBADOURS CANTALIENS 17
fondement, sans nous apercevoir que nous le défi-
gurons un peu plus chaque jour en lui imposant
ajout sur ajout empruntés à sa sœur cadette Fran-
çaise ! Ne nous y trompons pas, en effet, notre langue
d'Auvergne a pour elle le droit d'aînesse. Elle était
déjà en pleine adolescence, complètement formée,
courtisée de tous, somptueuse, alors, dans ses
soyeux atours; elle tenait le premier rang, aussi
bien dans les salons des manoirs que dans la
chaire des églises. Prêtres et évêques, nobles et
bourgeois, magistrats, avocats, marchands ne con-
naissaient qu'elle, alors que le français vagissait,
à peine, au berceau. La langue en usage à Paris
n'était encore qu'un informe mélange des anciens
dialectes Lutéciens et de ceux d'outre-Rhin que la
nôtre, déjà riche comme une héritière de grande
race, se répandait, appréciée des savants, sœur du
Latin dont elle avait tiré grand réconfort aux temps
où les Romains avaient débouché dans notre vallée
de Cère par le col du Lioran, mille ans avant que,
sur l'emplacement de la future ville d'Aurillac,
aucun foyer n'envoyât vers le ciel les spirales de sa
fumée.
18 lt^ mOUBADOURS cantalibns
E lou pouople Rouman, oléro, obio l'ompire (i)
nous fo entrotchia Bermenouso, toun nou fa soubeni
que :
Naoutres que sons lou Naou-Mietjiour
Contaou, Obeiroun c Louzéro
l'orlons tobe lo lengo fiéro
De Los <>nticcs Cours d'omour.
Lo lengo d'Oc, lo lengo maire (2)
Brutalo c groussièro un bouci
( )quele lengo ispro é ruffo
Connu 1 les mascles del pois (3).
Orribo, mai d*un couot, dins leis oustaous, qu'un
cotèl pus odret, que /.'<> Bal miel penre de biaï, passo
"1 dobon de Peinât, se f<» donna Ion quart é, de fieuu
«*n blesto, cesso soun fraire en rié. Otaou <> fa lou
porla d'o Poris omb'lo nostro lengo meiralo.
Paouco ô paouco, lî couguet quitta lo sallo deis
osteûs, los codieros de leis gleisios, dobola ô lo cou-
(1) Bermenouso : " Flour de Brousso ». — Un biel Nodau,
P. 224.
(2) Bermenouso : " Flour de Brousso », P. 198.
(3) Bermenouso : « Flour de Brousso ». — Porlicado del
Copiscol ol desporti d'o Bit, P. 326.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 19
Le peuple Romain avait alors l'Empire (i).
nous rappelle Vermenouze en nous affirmanl (|iie :
Nous autres, qui sommes le Haut Midi,
Cantal, Aveyron et Lozère,
Nous parlons aussi la langue fière
Des antiques Cours d'Amour.
La langue d'Oc, la langue-mère (2)
Hrutale et grossière quelque peu
... Cette langue âpre et rude
Comme les mâles du pays (3).
Il n\ si pas rare de voir dans les familles un
cadet mieux doué, plus prévenant que son aîné,
damer le pion à celui-ci, se faire avantager et, de
fil en aiguille, le ravaler au rang secondaire. Ainsi
en usa le dialecte parisien vis-à-vis de notre langue
maternelle.
Peu à peu elle dut se résigner à lui céder le pas
au château et à l'église, descendre aux cuisines, se
(1) Vermenouze : « Fleur de Bruyère ». — Un vieux Noël,
P. 224.
(2) Ibid. Un air de Cabrette, P. 198.
(3) Vermenouze : « Fleur de Bruyère ». — Causerie du Capis-
col an banquet de Vie, P. 27&-
20 LES TKOl HADOIRS CANTAL1ENS
sino, s'oruea ol eontou dois peisons é deis brossiès.
Mai d'un couop se li es eoniegiado ol croumal, lo
lensro d'Oubernho !
Beslo, enqnerre, si l'obiou deissado en uno,
jious lo cloujiado; mes 1<> poustetchierou de per
l'oustaou, 1<> paoubro drollo; en prou t'a si l'efon,
<*n tourna d'en class.>. Lo counessio! Li eouguet ona
domonda lo retirado <>* pastres, peis estaples,
ois botcliiès c boutiîKès pitehions, peis mozuts
de moutonhos! 0 comaessè q^oqueickiès mascles
uaïre roffinats, s'es désonado é cxpillonsado ô fa
bregoungio! Guello qu'ero, oneien temps, uno
démeisello lecodoto e minimouso, que counessio
toutes leis tours é reis-de-tours, s'es offonado, sons
clon é l'ouet court. Repapio, pécaïre! counio leis
momettos que sabou pas qu'uno consou e disou tou-
jours lo mémo! Treto, lo paoubr'armo, oqueleis
fennos bouliargos e maou-cotchiados que s'en boou
moleba ô lo bisino l'espletchio que lour monco ; otaou
fo guello omb'lou Fronces. Couosset lo poou Tottapo,
LES TROUBADOURS CAXTALIKNS 21
réfugier au foyer du paysan et de l'ouvrier. Maintes
fois elle y salit sa pauvre robe à la uoire erémail-
lère de Pâtre, la langue d'Auvergne !
Heureuse eut-elle été encore si on l'avait laissé
vivre en paix sous le chaume! On l'y pourchassa, la
pauvrette, l'obligeant à quitter la chaumière où les
enfants la reconnaissaient à peine au retour de
l'école. Elle dut aller demander refuge aux pâtres
dans les étables, aux vachers et à leurs aides dans
les burons de nos montagnes. A fréquenter ces êtres
primitifs, elle a pris une désinvolture, un laisser-
aller à faire honte! Elle, qui ressemblait jadis à
une noble damoiselle délicate et précieuse, experte
de toutes les finesses du langage, elle a abdiqué
toute coquetterie, désormais sans élan et vite à bout
de souffle. Elle radote, la pauvre délaissée, sem-
blable à ces aïeules qui ne se souviennent plus que
d'une unique chanson et ressassent toujours la
même! Elle fait songer, la malheureuse, à ces
ménagères désordonnées et imprévoyantes, sempi-
ternellement condamnées à emprunter à leur voisine
quelque ustensile de ménage qui leur manque! Elle
en est réduite vis-à-vis de la langue française à ce
rôle humiliant de quémandeuse! Elle prend peur,
oa
- SOUBADOUBS OANTALIENS
deinouoro bregoungiouso e muto si li caon quitta los
poraoulos occoustuinados * 1 « * cado jiour, <"> 1<> bouorio
per l'a coumplimen o] mounde grond! Es de boun
i.rii-c que, bî li»u louraïre que seî ieou n'es gaïre
bolion, maou odrel < | m- caou sut per eurega, l'olaïre
qu'aï empougnal es masso esquissai son gaïre de
tolion per embentra l<m rostoul !
N'es pas mouorto, <;<> que de laï, nostro lengo
offourtil Bermenouso :
Lengi i, destrounado bêle» >u ;
1 Use pas noun, mes lengo en bidi i
]". que, jious pès que l'aou trupido
Torno quilha lou frount lx>l ciéou (i).
s»- sein qui li fo peino <lc z'o dire; ço que de l'aï,
nostr'ome z'o coufesso :
Nostre pois n'es plus lou pois deïs troubaïres
Z'es estât, din lou temps proqouo; mes huei s'enduer
Fo coumo lo mormouoto c Tour, en plen hiber,
(i) Flour de Brousso : Un cr de cobreto.
LES TKOUBADOURS CANTALÎKNS 23
devient confuse et muette aussitôt qu'il lui faut
chercher d'autres mots que ceux dout elle fait usage
quotidien à la ferme, De sait plus tourner un com-
pliment aux gens du graud monde!
Il est facile de voir que si le laboureur que je suis
est malhabile à tracer son sillon, la charrue dont je
nie sers est, aussi, il faut le reconnaître, primitive
et fatiguée; son soc n'a plus guère de mordant pour
soulever le guéret.
Elle n'est pourtant pas entièrement morte, notre
langue, affirme Verînènouze :
Langue détrônée peut-être;
Je ne dis pas non, mais langue vivante,
Et qui sous les pieds qui l'ont foulée,
Relève le front vers le ciel (i).
On sent bien que notre homme ne l'avoue qu'à
grand'peine :
Notre pays n'es!: pas le pays des Troubadours
Il l'a été, jadis, pourtant; mais il s'endort aujourd'hui
Il fait comme la marmotte et l'ours en plein hiver
(i) Vermenouze : « Fleur de Bruyère ». — Un air de
Cabrette, P. 200.
2 t LES TROUBADOL'KS CAXTALIENS
E, per lou ribilha courriot des troumpetaïres (i).
Broyât, d'ô Bouisset, Beire d'ô Sont Semoun se li
essotehierou leis premièfi,
Ocoumencerou l<>u biaou que Bonchorel, lou paire,
l'Obbat Courchinoux, toutes maïtes, olorgiguerou
un picossel. J-ou 1- caou senti gra de nous obeire fat
entrotchia que lo oostre « Morianno » d'Oubernho
ero, enquerro, brobounello que eaou sa omb-soun
coutillou de combolot, soun boborel courdurat de
belou, soun moutchiodou bergoliat so coueiffo-longo
de dontello d'Ourlnat, (»1 ribon espondit, mai siasco
plus encodenado d'or, bestido de sedo coum'onton.
Demourado, ço de Laï comegiado lo « Marianno »
d'Oubernho jusqu'o tréton que Bermenouso lo pren-
guesso ô bello brossado, ço nous dis guel, dins un
eouonte que, son fa tort eis aoutres, es be un deis
pus crânes qu'asco escrit :
O LO MORIANNO D'OUBERNHO
I.o bouole, lo Morianno ;
Lo bouole, mai l'ouraï.
Coumo un forrat de couire esquissât un bouci,
(i i Fleur de Brousso : Oi Felibres, P. 286.
LES TROUBADOUKS CANTALIENS 25
Et pour l'éveiller il faudrait des sonneurs de trompes
(I).
Brayat, de Boisset, Veyre, de Saint-Simon l'ont
tenté les premiers. Ils ont commencé à curer le fossé
que Bancharel père, l'abbé Courchinoux, nombre
d'autres encore ont élargi un tantinet. Nous leur
devons réelle gratitude pour nous avoir découvert
notre « Marianne » d'Auvergne, gracieuse encore,
sous sa robe de futaine, son corselet à bavette, ourlé
de velours, son fichu multicolore, sa coiffe-longut
en point d'Aurillac au triomphant nœud de ruban,
bien qu'elle n'ait plus sa lourde chaîne d'or, ses
atours somptueux d'antan. Elle gardait néanmoins
encore trace de ses anciennes souillures, la « Ma-
rianne )) d'Auvergne, jusqu'au jour où Vermenouze
la prît à pleins bras, nous dit-il, dans une de ses poé-
sies qui, sans faire tort aux autres, est bien une
des plus jolies du recueil :
A LA MARIANNE D'AUVERGNE
Je veux la Marianne ;
Je la veux, je l'aurai !
De même qu'un (( ferrât )) (2) au cuivre usé s'altère
(1) Vermenouze : Ibid. — Aux Félibres, P. 286.
(2) Seau en cuivre poli d'usage général en Haute-Au-
vergne pour conserver l'eau.
26 LES TROl'BADOUHS CANTALIENS
E que perd tout soun lustre ol found d'uno soulhardo.
Tu, mo lengo obioi bel èstre gionto e golhardo,
Te colio plo quauqu'un per te fà sterlusi.
Ieu t'ai fretàdo : jious \o pousco é los rontielos,
Toun couire tôt poulit que se besio pas plus,
Torni) lusi, coumo lusis clin lou ciéou blus,
O boucàdo de nuet, l'or clàr de los estiélos.
Semblabès, — per te miel coumparat — Cenrossou :
Kàubo de combolot, mourrolhàdo, pè-nudo,
Quàu diantre que t'ourio cl oquel temps, counégudo,
Pouot dire qu'obios pas un er d'estrofouissou?
Mes un bel moti, ieu, coumo uno nobio eimado,
Te menere pel brat, ô la fouon jioui gorrits,
Ound lo brousso, lou tim e les ginets flourits
Porfumou Ter de lour soubatgio rebouimàdo.
Dins'aigo condo é que toco res de bernous
— Car regisclo del rot é sul sàple s'olondo,
E soûl, lou roussinhou li béu, — dins l'aigo condo,
Lobere tous piéus d'or, ma migo, é tous penous.
LES TROUBADOURS CANTALIENS
Et perd tout son éclat dans le fond d'un souillard,
O toi, ma langue, en vain étais-tu belle et drue,
Il te fallait quelqu'un pour te faire briller.
Je t'ai frottée et, sous les toiles d'araignées,
Sous la poussière, ainsi qu'un voit dans le ciel bleu,
A l'entrée de la nuit, luire l'or des étoiles,
J'ai vu luire à nouveau ton cuivre si joli.
Tu semblais, — pour te mieux comparer, — Cendrillon :
Figure barbouillée, robe pauvre, pieds nus ;
Oui diantre peut, t'ayant connue en ce temps-là,
Dire que t'on aspect n'était pas d'un souillon ?
Mais, par un beau matin, comme une fiancée,
Là-bas, je t'ai conduite à la source sous bois,
Où le thym, la bruyère et les genêts en fleurs
Répandent dans les airs leurs sauvages parfums.
Dans l'eau pure que rien de venimeux n'approche,
— Elle jaillit du roc, s'épanche sur le sable
Et seul, le rossignol y boit, — dans cette eau pure,
J'ai lavé tes cheveux, mie, et tes pieds mignons.
28 LES nOUBADODBS i AM.U.II \<
Lobere tous pesons, to càro é tos monotos
E, qu'ouro te béguére al copieu d'un toarrel
Prenguère tous ptéus d'or per dels rsâs de soulel,
E per un fres pore! de mojouflos tos pouotos.
I • culiguère olèro une guerbo de flours,
NToun pas de leis flours d'ort, mes de leis flours de
[londo,
01 boborel t'en estoquere uno guirlondo
E beguere tous uels tont blus confies de plours;
ufles de plours de jioyo — oquoi lo bertat, digo?
I" quond t'es mirolhàdo al mirai de lo fouont
Lo roso dd bounur o flou rit sus toun trou
E toun cur o botut per ieu, mo douço migo.
Aro omb tuun polhouguet pie de ribons, sul cap,
Tou< escloupous que tràulh'o peno lo coudeno,
E les quatre tours d'or de lo longo codeno
Que pindolo dins toun boborel flouricat,
Omb oquo, n'as pas plus l'er d'uno postouresso,
E lou mounde porpon, qu'àro te counei pas,
De te beire à nooun brat, sourei c dis tout bas;
Ouô's un nobi que passo obal omb' so mestresso
i.i S MKH BADCH l;s < WTaI.IK.ns 2!)
Oui, j'ai lavé tes pieds, tes mains et ton visage,
Et lorsque je t'ai vue après, sur la colline,
J'ai pris tes cheveux d'or pour des raies de soleil,
Et tes lèvres, ma mie, pour une double fraise.
Alors, je t'ai cueilli des rieurs en quantité.
— Non des fleurs de jardin, mais des fleurs de bruyère,
Pour ton corsage j'en ai fait une guirlande,
Et j'ai vu que tes yeux étaient gonflés de pleurs.
Gonflés de pleurs de joie et, — n'est-ce pas vrai, dis ?
Lorsque tu t'es mirée au miroir de la source, la rose
La rose du bonheur a fleuri sur ton front
Cependant que ton cœur battait pour moi, ma mie.
Et maintenant, avec ta coiffe enrubannée.
Tes deux petits sabots qui foulent l'herbe à peine,
Et tes quatre tours d'or de cette longue chaîne
Oui pend sur ton corsage agrémenté de fleurs,
Avec cela, tu n'as pas l'air d'une bergère,
Et le public jaseur qui ne te connaît plus,
De te voir à mon bras, sourit en chuchotant :
C'est un fiancé qui passe au bras de son aimée,
.'kj LES TR0UBAD01 BS I tNTALIENS
Migo, qu'au z'ouri.p dit, quond toutchis ô l'oustàu
Te contabou : Bai. Bai te Loba, comeisado!
Tu lo Morianno bàulho, è gourlo, è mourrolhado,
Quàu z'ourio dit qu'un jiour serios combiàdo otàu?
Lo Comeisado ohuèi n'es pas plus to bourrèio :
Quoi 1" Morianno, quoi lo bouole mai l'ourai!
Que d'àros en obon, migo, te contorai,
O Morianno d'Oubernln», <> tu, nostre Mireio!
ir lo fouon oun toun fron rose s'es otintât,
Toun fron roso coumo lo flour de 1" pobio,
Oquelo fouon oquoi lo fouon de Pouesio,
Quoi 1" fouon de [ioubenço è d'Immourtolitât (i).
D'oquel jiour, lou portai d'Ourlhal <>l>io soun
robiscouaire 1<> nostro Morianno << baoulho e gourd»»
e mourolhado », que disio guel, n'ero plus come-
giado, tournabo penre :
Les quatre tours d'or de lo longo codeno
Que pindolo din soun boborel flouricat. (2)
(1) Jous la Quchado : O la Morianno <l'Oubernho.
(2) j"\\- la Cluchado : O la Morianno d'Oubernho.
LES TROUBADOURS CANTALIKKS !îl
Amie, qui l'aurait dit, quand tous à la maison.
Te chantaient: Va, va donc te laver, barbouillée!
Toi, Marianne, laide et sale, et mal peignée,
Oui l'aurait dit, qu'un jour tu deviendrais si belle ?
La « Barbouillée », oh! non, ce n'est plus ta bourrée:
C'est << Marianne ». c'est (( je la veux, je l'aurai » !
Qu'à partir de ce jour, mie, je te chanterai,
Marianne d'Auvergne, ô toi, notre Mireille !
Car la source où ton front rose s'est incliné
Ton beau front rose s'est incliné ainsi que la fleur du
[pêcher,
Cette source, c'est la source de Poésie,
La source de Jouvence et d'Immortalité (i).
De ce jour, le dialecte d'Aurillac avait trouvé
sou « restaurateur », notre Marianne « laide, sale
et mal peignée », suivant ses propres expressions,
redevenait nette et propre; elle suspendait, de nou-
veau, à son cou :
Les quatre tours d'or de cette longue chaîne
Oui pend sur son corsage agrémenté de rieurs (2).
(1) Vermenouze : « Sous le Chaume ». — A la Marianne
d'Auvergne, P. 369-373.
(2) Vermenouze : A la Marianne d'Auvergne, P. 371.
LES TROl'BADOl'RS I &NXJUENS
De 1" beire crano é fiero, ol bras de Bermenouso,
CadUO ><• «iisio :
Qu'os un nobi qm- passo, i>bal. omb'so mestresso (i).
Entrotchias bous, 8e bous plai, que, deis Berme-
nouso, n'iu pas û bel tal! N'es pas de boun Bégrè
omb'lo Dostro Aforianno <>1 bras! Lou pouëto d'en
Biéouo, per fa Beis « Berbes », espigabo leis mouots.
lcis beutetabo <>1 pus ti bentodou, escompabo 1<»
curaillo per gorda que 1<>u pus raonfS semen. Ona ]i
fa omb'guel! l»'«»u que counesse l<> uostro lengo inei-
ralode l'obeire opreso, en souri il deî bret, tmin fodet-
chia, ombleis pastres, per lus prados dol Dont (2),
counesse que lou porla simple e rul'tV deis couarous
de eomponho «• deis I poboliairea de lo terro. Tôt niaou
pinginado que siasco \o mi<> lengo, m'en bouole serai,
<;•> que de laï, son <at <!«• mesclodie de Froncés, per
otchia <1<* bous dire de qu'ero, ol temps n'omit, lou
aostre porlal d'Ourlhat, bous fa soubeni deis Trou-
baïres d'oncien temps qu'oou deissat marco en lou
porla.
(i) Jous la Cluchado : O la Morianno d'Oubernhn.
(2) Lou co-tcl d'ol Dout, poroquio d'ô Biouet ol ras d'Ourlhat.
LES ntOUBlDOUKS ( '.wr.U.IKNS 'X]
A la voir passer tien» et pimpante au bras de
Vermenouze, on se disait :
C'est un fiancé qui va là-bas au bras de son aimée (i).
Remarquez, je vous prie, que les Vermenouze
sont rares! II est malaisé à suivre notre .Marianne
au bras! Tour les enchâsser dans ses vers, le poète
de Vielles choisissait soigneusemenl ses mots, en
faisait un tri minutieux, les tamisait au crible le
plus tin, rejetant, tous ceux qui lui paraissaient
douteux pour ne garder (pie les expressions de pre-
mier choix. Qui pourrait rivaliser avec lui! .Moi qui
ue possède notre langue maternelle que pour l'avoir
apprise, au sortir du berceau, en jouant avec les
pâtres, dans les prairies du Doux (2), je ne connais
que l'idiome simple et rude des paysans et des labou-
reurs. Tout hirsute que soit mon langage, je veux
tenter néanmoins de m'en servir sans aucun mé-
lange français pour vous dire ce qu'était jadis le
dialecte d'Aurillac, vous rappeler les noms de nos
anciens troubadours qui ont conquis leur réputa-
tion à s'en servir.
(i) Vermenouze : A la Marianne d'Auvergne, P. 371.
(2) Le château du Doux, commune d'Yolet, près Aurillac, où
le duc de la Salle a été élevé.
LES TROl BADOURS i ANTALIEN'S
Beirès tout clar, opresso, que Lou aostre Beruie-
DOUSO, D08CU1 Bel relis ons opi'ès guetcltiès, es de
mémo pieou, tiro rei de Dit'iim bouco, <> l'ouet tôt
long que cal d< îs onciena Troubaîres. Ombe mai de
cIod que lou pus raouffi, miel conto, miel que cat de
mascles z'o t;it dobonço, !•> terro meiralo, oquel Pois
N'ai <!'< tbernhe qu'uno consou <I<'1 temps de] rey Sent
Louis opello « lou oougal de lobenco e de rots for-
raous, terro de los poulidos drollos é deis mascles
liollioiis ii.
Xiu brabes quatre motis que lo probo n'es fatchio;
l'orne, e lo fenno enquerro dé mai, aimoU que leis
fo reire e quittomen ploura. Quetchies qu'ensétaboâ
if i<> du us mil'ons, leis trobers del Contaou que dolia-
liou los prados de Cero é de Jiourdono obiou gaou,
tôt plot que naoutrès d'entendre uno consou d'omour
LES TROUBADOURS I ANTALÎKXS .').">
Vous en conclurez, sans hésitation possible, que
notre Vermenouze, apparu sept siècles plus tard,
appartient bien à la même race, a, vrai ment, com-
mune origine avec nos anciens troubadours et que
son souffle est aussi puissant que le leur. Avec
autant d'énergie que le plus lyrique d'entre eux, il
«liante, mieux qu'aucun de ses prédécesseurs, la
terre natale, ce liant pays d'Auvergne qu'une
<( tenzon )> »lu temps du roi saint Louis appelle:
(( Le noyau de schiste et de basalte, patrie <lrs jolies
<< filles et »lcs mâles vaillants ».
On l'a reconnu depuis bien longtemps, l'homme
et, plus encore, la femme, aiment qui provoque
leur rire, voire même leurs larmes. Le laboureur qui
ensemençait, il y a deux mille ans, les pentes des
monts Cantaliens, qui fauchait les prairies rive-
raines de la Cère et de la Jordanne s'ébaudissait
autant que nous à un chant d'amour, frémissait au
36 LES TROUBADOURS CANTALEENS
d'eatrémégi end'escouta un couonte <lc trebos.
J » oousi brngi lo cobreto loin- escoufàbo lou song.
D'oquetchies pus anciens reia-de-bélets de Berme-
nouao, deis preraiès Troubaïres e1 Cobretaïres d'Ou-
bernho t<>ui (-s ogonit lîcni < >« »u t «>. ben nègre e beii
ploujiaïre oou dempourtal Jouis consous! S'ès dis
que, del temps (Ici aostre Papo Gerbert, <>1 d'obon
dcl pourtaou de] Moustié d'Ourlkat, se dounabo deis
pris, per Ben Guiral, ois Troubaïres qu'obiou coûta
1m pua poulido consou, jiouat, omb'lo cobretto, lo pus
crano bourreio, lou regret, lou pus pietodou. D'oquet-
chies, otopaou, n'en sobons pas mai siuouu que
liards, ordits, bloncs, déniés é soouos ifflabou lou
foussel deis i»us odrets.
() pigour de moudilla leis biels pergons, de tuni
peis groniès, de fa lo cerco pois founds d'ormaris,
s'es troubado lo rescouoto ound'erou escoundudos
leis bielhos cousons <lcis Troubaïres dcl Poïs-Nal
LES TROUBADOURS CANTALTK.VS
récii d'une histoire de revenants. Le son de la « ca-
brette » l'exaltait comme nous.
De ces plus lointains aïeux de Vennenonze, des
premiers troubadours et joueurs de « cabrette »
d'Auvergne, aucun souvenir n'a survécu. Vent du
Nord, vent d'Ouest, veut de neige ont emporté
leurs chansons! On raconte qu'au temps de notre
Tape Gerbert, au-devant du portail du Monastère
d'Aurïllac, on distribuait des récompenses Le jour
de la fête do Saint-Géraud, aux troubadours qui
avaient déclamé les plus belles poésies, joué sur la
<( cabrette » la plus entraînante « bourrée » il), le
plus émonvMiit « regret >> (2), I >e ces artistes d'an-
tan on ne sait rien de plus, sinon que « liards,
ardits, blancs, deniers >> (3) et sons gonflaient la
poelie des plus adroits.
A force d'inventorier les vieux parchemins, de
fureter dans les greniers, de fouiller les fonds d'ar-
moires, on a fini par découvrir la cachette où dor-
maient les œuvres poétiques des anciens trouba-
(i) La bourrée, danse spéciale à l'Auvergne, qui comporte une
série de pas et de figures assez complexes.
(2) Le « regret » est une mélopée aux accents tristes que le
joueur de « Cabrette » compose ou interprète avec un réel senti-
ment musical.
(3) Menue monnaie divisionnaire du sou, jadis usuelle en Haute-
Auvergne.
38 I.I.s TR0UBAD0UR8 CANTALIENS
d'Oubernho, sourtits mai < | u • * mai d'olontour d'Our-
lliat. Es, <'ii prout fat, <l<i creire l<> tenio qu'obio lou
mounde pès couontes e per los consous, penden bou-
nobel, dous cens mis, d'ô L100 <> L300. Oun es robis
de beiro 1<> f< sto que fosio l«>u pouople ois Troubaires
-• Cobrétaircs; otobe a'en sourtio de toutes l<is caires,
des costels toi plot que des cusous! D'oquel temps,
un'ome coumo Bermenouso, rès qu'on so i > 1 < >t ï 1 1 < > e
» un tolon, oui'io gognat mai <in«' *<> bendon los esti-
bados d'en <'<>li;it, d'ol Dont, d'ô Coumblal <'t d'ô
Croupeiros, ensemble! Tôt leou que se disio qu'un
Troubaire porlorio «lins ano bilo on un costel, toutes,
brossiès é couarous, bourtchiès e Binhours, les quittes
Moungis e Coppelota l"i goloupabon omasso.
Lou pus oncien beuio d'ô Bit cotet del sinhour que
Lebabo lo rento e prendio Ion deime sus oquello
hiloitn tont brobounello del Corlodez, Pierre d'ô
lïit. lou Moungi d'o Mountoudoun, coumo l'oppella-
bou <1<- soiiu caïre-noum. L'i nosquet o l'ontour de
1150. Coum'ero d'usatchi, d'oquel temps, pès cotets
LES TB01 BADOl RS CASTALIESS 39
dours de Haute-Auvergne, originaires, la plupart,
des environs d'Aurillac. La vogue universelle qu'ont
eue pendant près de deux siècles, de 1100 à 1300,
contes et chansons esl vraiment incroyable! On
reste stupéfait de l'engouement populaire pour les
troubadours el les jongleurs. Aussi étaient-ils
légion, surgissant de partout, aussi bien des châ-
teaux que des chaumières! Alors, un homme «le la
taille de Vermenouze, à la parole si ardente, au
talent si réel, eût reçu en récompense de ses poé-
sies plus que ne rapportent « l'est ivade » (1) des
vacheries de Caillac, dn Doux, de Comblât et de
Cropières! Dès que la nouvelle se répandait de l'ar-
rivée d'un troubadour dans une ville ou dans un
château, chacun y courait, artisans et paysans.
bourgeois et gentilshommes, les moines eux-mêmes
et les prêtres se mettaient de la partie!
Le premier en date des troubadours du Haut-
Pays était né à Vie, fils puîné du seigneur féodal de
la jolie capitale Carladézienne : Pierre de Vie, « le
Moine de Montaudon », surnom sous lequel il est îe
plus connu. Sa naissance remonte à 1150 environ.
(i) « L'estivade » se dit de la quantité de fromage qui se fait
l'été à la « Montagne ». Dan? une grande ferme Cantalienne,
1' « estivade » peut valoir de 4 à 8.000 francs.
10 LES TROUBADOURS CANTALIEXS
de couarous, l«»u foguerou Moungi ol Moustié d'Our-
that. De fa pregariofl e coma bespros cado jiour,
ensonrdet leou l<»u juen'ome que n'ero gaire debou-
tious! <> rigour de pretchia è de roundina, décide!
l'Obbal -i Ion nounma Prion d'o Moutoundouii, uno
crano porroquio, <;<> nous dis guel, ound lou mounde,
de toi déboutions qu'erou, demplissiouo lo cominado
de présens, de lo cabo «>l gronié.
Smi rès fa <le maou, ço que <lr laï, nostre Priou
deissabo seis Moungis bottetchia è confessa ô lonr
aise; uu<'l estîmabo miel goloupa les costels per li
fa trontusso. Coubidal de toutes, nostr'ome obio
toujiours, o ti de repas, nno consou noubello, un
couonte bertodîé ou noun, quaouqu'o couyounado
per fa reire lou mounde. Lo tengo plo pendtrdo, ber-
qouso «iik* qu'aou sat; qu'ond n'obio omb'quaou-
qu'un, li deissabo rès ô dire! T.ou mounde, d'oquel
temps, n'ero pas minimou coumo sous naoutres
ohuey! S'eglotchiabou pas tôt biste! Otobe, toun
secca paouco sur paouco, nostre Pierre se gienabo
gaire per n'en dire de frescos que toutos serioun pas
de boun tourna répéta! Mes, lou guzordas (Dobon
L£a TROUBADOURS CANTALIEHS 41
Selon L'usage, coutumier à cette époque pour les
cadets de grande race, od l'envoya comme moine au
monastère d'Aurillac. Prier et chanter vêpres
chaque jour fatigua vite le jeune homme qui n'était
guère dévot. A force de quémander et de revenir à
la clia rue, il décida l'Abbé à le nommer Prieur de
Montaudon, une magnifique paroisse, nous dit-il, où
les gens remplissaient la maison de cadeaux de
la cave au grenier, tant était grande leur dévotion.
Sans manquer, pourtant, à ses vœux monastiques,
notre Prieur laissait ses .Moines baptiser et confesser
tout à leur aise. Pour lui, il préférait courir les châ-
teaux des environs, y mener joyeuse vie. Accablé
d'invitations, notre homme avait toujours, au des-
sert, une chanson nouvelle, un récit ou un conte
attrayant, quelques gauloiseries qui déridaient les
convives. Fin diseur, il était abominablement
caustique! Avait-il pris quelqu'un en grippe, il
l'accablait de ses sarcasmes! La société de cette
époque était moins collet-monté que la nôtre; elle
s'effarouchait moins aisément! Aussi en vidant fla-
cons sur flacons, notre Pierre de Yic poussait le
sans-gène jusqu'à une crudité d'expressions qui rend
certaines de ses œuvres difficiles à citer. Le coquin
I i . LD01 RS I VNTALIENS
Dieou siasco, <-<. que de laï!) obio lou biai per z'o
dire! Se coumprend que lou rey d'Orogoun, que lo
sio beletto ero l'einado e l'héritiéro de! costel <1Y>
Corlat, l'asco monda béni e li asco douna ui-;iss<>
proubendo per lou gorda omb'guel. Mai pourtesso
soutono, Pierre <V<» Bil n'ero pas Coppelol e l'oine
ii'i» d'obis, desiston, que 1<>s poraoulos pudou j>as !
Me forio gaou, bous catchi pas, <l<- bous dire qu'aou-
que douu rès de uiit-1 : mes, l<»u sieou porlal es trop
soben. Per bous lou t'a entendre me lou courio rebira
<»1 potai d'ohuey. Li perdrio ^<» fouorço; <■. <mi plaço
de l»i biel goustous, Ihiiis forio t<>st;i qu'uno trasso de
binagre !
Pierre d'ô lîougiers, noscul <>1 costei d'oquel
bourg qu'oppelons liuey Rouzier®, <»| dejious d'ô
Maou, debol Caoussè, es bé un <l<as pus dolicats
Troubaïres que Sr siasco bit. Si m'ozordabe o bons
counta cossi guel fosio l'omour oinb'lo Coumtesso
d'ô Norbouno, l«>s poulidos consous que coutabo ô
LES TROUBADOURS < ANTALIENS
(I>icu ait néanmoins son âme) avait manière à lui
de dire les pires énormités! On s'explique que le roi
d'Aragon, dont L'aïeule était l'héritière de la Vicomte
de Cariât il), l'ait mandé à sa cour et lui ait donné
une grosse prébende pour l'y retenir. En dépit «le
l'habit ecclésiastique qu'il portait, Pierre de Vie
n'était pas prêtre; notre lioninie estimai! sans doute
< [lie les mots les plus épicés lùuil pas d'odeUT ! Je
résiste à la tentation de citer quelques passages. Sa
langue savante s'esl beaucoup modifiée depuis lors.
Pour la rendre facilement intelligible, il faudrait la
traduire eu notre dialecte. L'œuvre y perdrait toute
saveur; au lieu d'un vin capiteux, je ne vous offri-
rais qu'un aigre breuvage!
Pierre de Rougiers qui vit le jour dans le châ-
teau de ce nom, situé au chef-lien de la commune
<pie nous appelons aujourd'hui Kouziers, entre
Maurs et Le Quercy, est nu (\cs poètes les plus déli-
cats de son époque. Si je me risquais a vous raconter
comment il faisait sa cour à la Vicomtesse de Nar-
bonne, à vous citer les délicieuses chansons qu'il
(i) Douce de Millau-Carlat-Provence, héritière de la Vicomte
Carladézienne, épousa en un Raymond-Bérenger-le-Grand,
Comte de Barcelone. — Alphonse II, roi d'Aragon, qui appela à
sa Cour Pierre de Vie était son petit-fils.
ii les TRornv ma cantalbens
su mestresso, leia molburs que li orriberou, serions
enquerre eicî démo <» Bouel lébon, mai sciasco pas
obourious d'ôquesto bosou !
Porlossions pas de Guillaoume Mouissel sourtil
d'un des pus ritchiès oustaous d'Ourlhat, mestre de
lo bouorrio de 1<> Moussetio entre lou Boueï e Limo-
gno, o Lo pouorto de 1<> l>il<>. S'es res gorda de guel;
se Bal sou'lomen qu'ero cousit de Pierre dï> Bit;
oqueste parlo de guel e de Lo suo barbo esporfollado
as obeire L'er <!<• gaïre presa bouii t<>l<»n.
D'un aoutre Troubaïre de mémo temps : Eplès d'o
Sognoe B'ès counserba gaïre maï. Sinhour d'oquello
biloto d'o Sognos, debos Mouriat, nostr'ome obio, çq
dis. »u, lou biai per i-< » i » î Lou mouude <iU(' l'ourio ousi,
sons s'oflossa, d'aoubo <> souel trescound, que coun-
tesso leis guerros qu'obio fatchios <>n porlesso
d'omour.
N'ai ]»;is besoun, désistou, de bous openré oquello
bertal bertodiero que, qu'on n'en biro e qu'o lou cur
prêt, lo fenno s;ii miel eima que l'orne! Si lou Bonn
Dieou oproufito d'oquel omour, guello se fo Sur e
sobes. toutes, de qu'es copaplo uno fenno debouado
l.l S i ROUBADOI EtS CAKTAL1 45
composait en l'honneur de sa belle, à vous narrer
ses malheurs, je nous retiendrai jusqu'à demain, à
l'aube, si tardive qu'elle soit en cette saison!
Passons sous silence Guillaume Moisset, issu
d'une des plus riches familles d'Aurillac, possesseur
du domaine de la Moissetie, entre Le Puis et Lima-
gne, dans la banlieue de notre \ i 1 le. Ses œuvres sont
entièrement perdues; on sait seulement qu'il était
cousin de Pierre de Vie qui parle sans bienveillance
de lui et de sa longue barbe, en l'ait médiocre éloge.
Des œuvres de son contemporain, le troubadour
Ebles de Saignes, rien, autant dire, a'est venu
jusqu'à nous. Seigneur de la petite ville de Saignes,
au voisinage «le .Mauriac, notre chevalier avait un
talent tout particulier de séduction, au dire des
chroniqueurs. Son auditoire ne se lassait pas de
l'écouter de l'aube au crépuscule, soit qu'il narrât
ses exploits ou modulai un chant d'amour.
Je n'ai pas besoin, je crois, de vous apprendre
cette vérité maintes fois vérifiée que, quand elle le
veut, la femme sait mieux aimer que l'homme. Si elle
prend Dieu pour objectif de son amour, elle entre en
Peligion et l'on sait à quel degré d'abnégation peut
atteindre le dévouement féminin dans sa charité
un i boi sa rsa • imtalu ns
ol pèfi deia molaoudès peis houspitaous, en temps de
guerro, per ossista leis blossata ! Bouole be creire que
lo Bfodamo de! Costel d'Aouzo eimabo lou Boun
Dieou, mes bons pouode offourtit qu'eimabo, mai que
niai, lou sirnii golon, é que /."<» li sol>i<» escrioure de
biai !
Sourtido de per lo Costoniaou, de] costel d'Aouzo,
•lin i«» porroquio il"" Sénezergo, Qostro Modamo s'ero
moridado debos Brioudo, omb'lou signour de Mey-
ronno. Pores qu'oqueste o'ero pas des pus raouffis
omb'so bourro griso. D'obeiré l'a lo guerro un briou,
debos Jerusolen, li obio cuel e recuel lo pel e mémo-
men obio deissal obal bral ou combo. Suffit que
oostre fennoto prisabo gaïre lou sieou orne. Ebetchio
d'orgin c coubetat, mai qu'omour, Ion li obiou fat
esp -usa, lou cap dins un sat, que se dis:
Lou siuhour d'ô Mordougno, ol ras d'ô Nussargo,
tchibolié de grondo inino, fotchura ol mouollé, li
foguel lo cour. N'en couguet pas mai, n'i ouguei
LES 1 R0UBADO1 RS CANTALIENS M
auprès des malades de nos hôpitaux, son héroïsme
Bur les champs de bataille. Je veux bien croire que
la dame de Castel d'Oze ili aimait Dieu; je peux
vous affirmer, toul au moins, que son amour allait
surtout à son amant et qu'elle avait une façon bien
personnelle de le lui exprimer.
Née dans la Châtaigneraie, au château d'Oze,
dans la paroisse de Sènezergues, mure châtelaine
s'étail mariée aux environs de Brioude, au seigneur
de Meyronne. On prétend que celui-ci n'était plus
séduisant cavalier avec sa barbe grise. Il avait
guerroyé de Longues années dans le royaume de
Jérusalem; le soleil lui avait basané la peau; il
avait même laissé, dit-on, là-bas, bras ou jambe. Pour
une raison ou pour une antre, La Dame n'aimait
guère son mari. Tentation de fortune et cupidité,
beaucoup plus (pie l'attirance l'avaient aveuglément
décidée à cette union.
Le seigneur de Mardogne (2), au voisinage de
Neussargues, chevalier de haute mine, fait au tour,
lui conta fleurette. Il n'en fallut pas davantage; ce
(i) La Dame de Castel d'Oze, dont les chroniques médiévales
ont fait « Casteldoza » était née au château d*Oze, aujourd'hui
ci nimune de Senezergues, cant. de Montsalvy, arr. d'Aurillac.
(2) Mardogme. près Xeussargues, arrondissement de Murât.
48 LES TROUBADOURS CWTMUNS
prou que de resto, pécaïre! 0 estât «lit pès cou-
iifsMirs, les pus dolicats, mai //<> pondes creire,
que, desempiei doua mil'ons, se counessio rèa de tôt
opposiounat, de toi omistoue é douçorel que leia
.< Berbes a <I<' 1" damo de] costel d'Aouso. E Ion pua
i ; escouta oquesto, se bons plai, es que lou aieoii
ome n'en bolet pas de min e n'ouguet jiomaï cat de
reprochi <> l'i faire'. Baato toutes Leia fennos, desem-
piei, nVn j»<»umifss(»u «lin- iivimi!
Ea i»1i»i de creire qu'erb sourtil d'Ourlhat, noacut
ol Pourtaou d'Ourenquos <m pel Bari deis Tonura,
oquel couquinossou de < '« >i »;i i n-, porpondejiaire é
gueine que qu'aoo Bal '. End lou beire se penre de
lengo ombe aoun comborado Bounofouos, oun sat
pas Ion qu'ogne deis dous merito mai uno jueirado!
Leis fennos d'Ourlhat n'oou jiomai estai gaire d'on-
duro omb'leia ensoulens que leis bouolou espessuga.
Prenguerou dobon Bounofouos, lou coutîllounaire
o couopa de barro, e d'oti ou d'en ticouon niai
Cobaïiv n'en demouret gorrel !
Deissons lou courre debos Roumo, ound foguet
LES TROUBADOURS CANTALIEN? 49
fut même plus qu'il n'en fallait pour la pauvrette!
Les plus tins connaisseurs estiment, et on ne peut
que se ranger à leur avis, que depuis deux mille ans,
aucun cri aussi passionné, aucun gémissement
aussi amoureusement plaintif ne s'était fait
entendre comparable aux poésies enflammées de la
Dame de Casteldoze. Le plus singulier, retenez
bien l'histoire, est (pie l'honneur de son mari n'en
souffrit pas et que celui-ci n'eut jamais le moindre
reproche à formuler. Fasse le ciel (pie, depuis notre
énamourée, toutes les femmes puissent en dire
autant!
Tout porte a croire qu'il était enfant d'Aurillac,
né à la Porte d'Aurinques ou au Faubourg «les Tan-
neurs, ce freluquet de Cavaire, fieffé bavard et vraie
langue de vipère! A la lecture de sa dispute fameuse
avec son collègue Bonafos, on se demande auquel
des deux donner les étrivières! Les femmes d'Au-
rillac n'ont jamais été d'humeur à tolérer les fami-
liarités déplacées. Elles chassèrent à coups de
bâton le coureur de jupes qu'était Bonafos; de l'af-
faire ou pour tout autre raison qu'on ignore, Cavaire
lui-même en demeura boiteux.
Laissons-le aller chercher refuge en .Italie où il
l.l - iif-i BADOI KS « ANTALIENS
fourtuno, ço disou, per porla de Pierre d'ô Oouols
qu'hobitabo oquel costelel <»1 pus ras d'ô Bit, de
raidit d'ol Bellestat, uoscul <>1 ras d'ô Sent'Ollire,
«r< >stor d'o Segret, aourti de lo ribiero de] Booumiès,
deboa Bolers, <lc Bernai Omouroux, dobolat d'ô
Sonl Flour, que fouguerou toutes deis Troubaires de
marco, odrets de lo premiero e mascles berturious.
bei qu'oquetchiès drollès Q'obiou cal de pessomen,
nue 1.^ trocossesso; quond Lnfuscabou pas lou
mounde per 1rs décida <» ona en Ofrico ou en Jeru-
solem, esponsa leis Sorrozis, bilhabou pas que de l'a
l'omour, de n'en counta leis joins !
in aoutre, pas inifforel ottopaou, noscul beleou 6
Rondes, mes t|iie lo suo fomillo croumpet lou Costel
<IY> Bissouso, porroquio d'ô Pouminiat, Huguet d'A
lîrunet, es de plongi, per mo fe! Fouissat per
l'Oniour, uostre Tchibolié, repopiabo d'uno Modarno
• l'Ourlhat qu'oppelabou lo Golliouno. Tôt plot lo
fenno l'ourio ogotchia de boun uel si lou Couomté
LKS TROUBADOURS CANTALIENS 51
fit, dit-on, fortune; parlons plutôt de Pierre de Cols,
possesseur du petit château de ce nom ; aux portes de
Vie, de Faydit de Bellestat, né sur la paroisse de
Saint-Illide, d'Astorg de Segret, originaire de la
vallée du Vaulmiers, voisine de Salers, de Bernard
Amouroux, descendu des hauteurs Sanfloraines.
Tous furent Troubadours en renom, de valeur réelle
et de belle allure. Ces joyeux drilles paraissent avoir
ignoré les soucis, avoir toujours été exempts de
préoccupations. Lorsqu'ils ne poussaient pas, par
leurs brûlantes tirades, leurs contemporains à partir
pour l'Afrique ou la Palestine y massacrer les Sar-
razins, leur unique objectif était de célébrer l'amour,
d'en décrire les délices.
Un antre poète, non moins apprécié, venu peut-
être de Rodez, mais dont la famille avait acquis le
château de Yixouzes, paroisse de Polminhac, Hugues
de Bruneinc, eut un sort vraiment digne de pitié.
Blessé par Cupidon, notre chevalier avait conçu la
passion la plus folle pour une dame d'Aurillac, du
nom de G ai liane. Il est à croire que celle-ci n'eut pas
vu d'un mauvais œil cette recherche, si le comte de
52 !.!> ] ROI BADOI R8 I \s l"\l [ENS
• 1Y» Rondes '", pas beDÎ Ourlhal per Sont'Urbo. Toun
fa fiero, roncountrel I" Grolliouno, <•, de toi poulido
qu'ero guello, n'en beiiguet fouol d'oinour. Decidado
0 fa Pascos dobon Rompans, l«> Goulliono estimel
1 1 1 i • - 1 s'ozorda omb'lou Couomte. Nostre paoubre
Tronbaire, de toi mouque qu'ero, se foguel Moungi!
Si »l». »!i> que '< cad' oussel trobo soun i i i< » n< 1 bel »
que t'ebetchio •><'. en porla, de tira lo cuberto debos
Obio be proul temo, tira, d'omossa pillos é pil-
lons, bouole, ieu, dire, d'ottroupelo imites Iris Trou-
baires aoscuts, <;«» disiou, <>1 Poïs-Nal. Toun respeta
oquetchiès que z'offourtissou, m'es gaïre eisal « 1 « -
creire '|ii<' Buguel <lï> Peyrols n'en si;isc<>; oqueste
tire» i-<-i, de boun sigur, «!•• lo biloto <1<- Roquofouort-
Bioutonhos, ol Poïs-Bas.
8ei enborossal enquerre <1<- pire per Reyniound
LES TROUBADOURS CANTALIENS ôi!
Kodez n'était venu à Aurillac à la Saint-Urbain (1).
Dans ses promenai les à travers la foire, le comte
rencontre dame (lai liane dont la radieuse beauté le
frappe si fort qu'il en devient éperdûment amoureux.
Décidée a faire a Pâques avant Rameaux » (2),
Gaillane donne, pour ce taire, la préférence au
comte. Notre pauvre Troubadour «ai fut si marri
que de chagrin il se tit Chartreux!
C'esl vérité incontestée que « chaque oiseau trouve
son nid beau >> el qu'à faire l'historique de sa patrie,
on « tire, d'instinct, la couverture à soi »> ! J'étais
tout disposé à recueillir ses plus minces illustra-
tions, à n'omettre le nom d'aucun Troubadour du
ILiut l'ays. Malgré ma déférence pour les historiens
qui ont émis cette assertion (3), il m'est vraiment
difficile d'admettre qu'Hugues de Peyrols (4) soit
originaire du Cantal. Il est sûrement né dans la ville
de Bochefort-M on laines, en Basse-Auvergne.
Je suis plus perplexe encore en ce qui
(i) La plus grande foire d'Aurillac, le 25 mai, elle a motivé,
de toute ancienneté, grande affluence de jongleurs.
(2) Expression classique appliquée à toute jeune femme qui n'a
pas attendu les délais réglementaires pour devenir mère.
(3) Diction. Stat. du Cantal.
(4) On suppose gratuitement ce Troubadour originaire de la
tour de Pevrols, commune de Trizac.
.")i LES IAD0UR6 CANTALIKNS
liidal d'ô Bezoudu que, beleou, n'es pas maï de]
eostel <l"o Bezoudui) porroquio <lï> Tournomiro que
de 1<> l>il<> d'ô Bezoudun eD Proubenço. Li ouriouo
estroupial soun iiouin que serio Bezalu, un poïs de
('otolougno. I ><• que faire oti; n'en pouode pas maï!
Eu prou fat, si aouse porla de Goboudon lou Biel,
Troubaïre <!<■ grondo reputotiou. T<»t plot, l>eleou, <is
uoscui <»1 Poï-Nal; zro bouole be creire, mes n'en
tuettrio pas !<• mo ol li<»i , per mo fe! que n'ai < 1 1 1" n 1 1 « > !
N'ourio, enquerro, un pieu sat <» lions dire si <>l>i<>
pas poou <lc bous ensourda. .M<i caou penre 1<» cour-
siero, toun regreta de bira tôt soute. iVfe pouode pas
tene <lr m'orresta un picossel, <;<» que <l<* laï, <>l nostre
< >stour <IV> < Jounros, Austau <1'< >urlha1 counio l'oppe-
lou l(»s histoueros '!«• soun temps. Lou boroun d'o
Counros ero portil omb'lou rey Sent Louis <-n
Egypto; ottoperou ornasse l<»u tuste (1<* 1<> Monsou-
iali; ensemble fouguerou fai presouniës, talomeu
que nVn coulel <» Ostour uno crano bouorio omb'so
boccado e l<»n quitte seguen, que li couguet bendre,
per que loi* Sorrozis l'i dounessou lou bon. De beire
s'ogonî en fun <1<- robocaou oquelle Crousado, de
LES i 1101 mi«'i i:s CAKÏALIENS
concerne Raymond Vidal de Bezaudun qui n'es!
peut-être pas plus natif «lu château de Bezaudun,
paroisse de Tournemire, que de la ville de Bezaudun,
en Provence. Son nom véritable, massacré par les
copistes, sérail Bézalu qui «-si celui «l'un Comté de
Catalogne. Malgré l'ennui que j'en éprouve, je n'en
peux mais! A peine si j'ose parler de G-avaudan-le-
Vieux, Troubadour de grande marque. Il n'est pas
impossible qu'il soil Cantalien, je ne demande qu'à
en découvrir la preuve; mais Dieu me garde d'en
mettre la main au l'eu !
J'aurais grand désir d'en dire plus long sur ce
sujet, si je ne craignais d'abuser de votre indulgence.
de coupe ci uni, au regret de tourner bride! Il con-
vient pourtant de nous attarder une minute a notre
Astorg de Conros, que les chroniques médiévales
dénomment Astorg d'Aurillac. Le baron de Conros
avait t'ait voile pour l'Egypte avec le roi Saint Louis.
Auprès de ce monarque il essuya le désastre de la
Mansourah, fut fait prisonnier avec lui. Il dut même
vendre un de ses plus beaux domaines, vacherie et
jeunes bêtes comprises, pour obtenir des Sarrazins
sa liberté. A la vue de cette superbe armée de la
Croisade s'évanouissant en fumée, en voyant mou-
56 LES TKOUBADOURS CANTALIENS
coumpta loin »- tout de mouorts d'oquetcMes qu'erou
portis fpès e golhiards d'Aïgos-Mouortos, li foguet
talomen doou ol cur que nostre Boroun se pougel
pas ii-iic dé n'en fa ono conson ]>iotodouso e doulento
• Hic caon s;it. Quond 1<> contabo peis costels d'Ou-
bernhe, 1<» cobretto jiouabo douçomenol un er que,
desempiei, «.»> disou s'es oppelal << Lou Regrel >>.
D'obeire attopaf oquello fretado lou gordel pas <l<-
li tourna e de deissa obal seis osses.
Tôt iiiolen e ozordious fouguel l<>u sieou einal que
s'oppelabo, tobe, Ostour, talomen que maï d'un o
i';it mesclodis de! paire omb'lou fil. Nostre juen'ome,
t.ii Chibobié de los mo mémo de] rey Seul Louis.
occoumpognel oquesté «mi Ofrico <' ossistet. o so
mouort dobon Tunis. Scsi counserbal de guel ou del
Bieou paire, uno consou, ound s'en prend quittomen
Nostre Signe »l<'is molhurs qu'ossuquerou, d'oquel
temps, les paoubres Chrestios! il i
(i) Se di-. desempiei un porrel d'ons f|uc- qu'ouo n'es pas guel
mes lou sieou paire qu'o fat oquetchies berbes oprès lou tuste
qu'ottopet Sent Louis ô Monsourah e noun pas per lo suo mouort
ô Tunis.
LES TR01 BADOURS ( ANT tLTENS
rir de maladie tant de braves chevaliers qui s'étaient
embarqués, naguère, pleins d'espoir et de santé, à
Algues-Mortes, notre Troubadour eut le cœur si
sevré qu'il ne put B'empêcher de traduire son navre-
ment en une poésie poignante de désespoir au delà
de toute expression. Lorsqu'il la déclamait dans
les châteaux d'Auvergne, la << cabrette » l'accompa-
gnai! en sourdine d'une plainte triste à laquelle on
a donné, depuis lors, le nom <le « Regrel ». Le sou-
venir de sa défaite ne le tit pas reculer devant une
nouvelle expédition qui lui fui fatale. Ses ossements
sont restés en terre Africaine.
Son héritier eut même vaillance, même intrépidité;
il portait même nom, cause de confusion fréquente,
chez les chroniqueurs, entre le père et le fils. Ce
jeune homme armé chevalier de la main même de
saint Louis, accompagna ce monarque en Afrique et
assista à sa mort devant Tunis. Il nous reste de lui
ou de son père une chanson. Dans son navrement, il
s'en prend à Notre-Seigneur lui-même des malheurs
qui accablaient alors les pauvres chrétiens (1).
(i) On prétend, depuis peu, que ce n'est pas lui, mais son père
qui serait l'auteur de cette poésie qui se rapporterait au désastre
de la Mansourah et non à la mort de Saint Louis.
S LtOl liADOl US < \M\1.I1 \v
lu centenat «Tons, bounobel, pus tard un clou
d'Ourlhat, Guillaoume Bourzat, essatchio be d'ifla
l'ouïre <!<• lo cobretto, uns Ion clon li es plus! Mai
ottape doua ]»ris ol councoura dï> Toulouso, sus
consous souii bufforelloa que caou sat. N'o plus
mémo biaï, se senl que l'ome mai lo leiigo soun
offonats.
Oprès guel, lou Dostre potaï dobalo o lo cousino,
s'orruco pei8 estaples, que bous ai dit ieou. En prou
fa si < 'unis .• < !oppelota lou parlou en codiero per lo
f'ostoniaou e deboa Solera. Creirias qu'escouorgo los
[xiuotos de] mounde grond quond s'en serl omb'bour
riarès <• messatckis! Très cens ons se paasou sona
<|iit" daisse, censa, traço «lin cal de libre ni de jiour-
naou, eaaetal qu'aouques aoun-rès, de çai de laï,
qu'aouqu'os cousons counserbados de meinouorio e
niio consounello fino •• lecodoto d'un soben noseut
ô l'.it : i.onis d'ô Boissy, qu'ero, si lions plaï un des
< îrontos o Ocodomiciens », ô Poris, ô lo bespro de lo
Reboulut ion.
ol temps «le l'Enipérur, un Médécî d'ô lîouisset,
i|u<- poutignabo pas mai que Pierre d'ô Iîit, <;o m'o
estai <lii, o estuni uno paouco, s'ozardo, toun courre
per lo Oostoniaou o lo pisto <l<-is molaondes, o
u S 'l KOUBADOUHS » VN t ILIKKS •"•'■'
Moins «l'un siècle plus tard, un enfant d'Aurillac,
Guillaume Bourzat, tente encore d'entier loutre de
sa « cabrette », mais il manque de souffle. En dépit
des deux récompenses qu'il obtient au concours litté-
raire de Toulouse, L'énergie lui fait défaut. 11 n'a
pins le lyrisme de ses prédécesseurs; on s.-nt que !e
poète et la Langue elle-même sont à boni !
Après lui, notre idiome deseeud aux cuisines, va se
cacher aux étables, ainsi (pie je l'ai observé déjà.
A peine si curés et chapelains en usent encore en
chaire clans la Châtaigneraie ou dans les montagnes
de Salers. Il semble vraiment qu'il déchire les lèvres
des grands seigneurs qui L'utilisent avec leurs fer-
miers et leurs serviteurs : Trois sièeles s'écoulent
sans (pi'il laisse, pour ainsi dire, trace dans aucun
livre ou recueil périodique. A peine recueille-t-on,
d'ici de la, quelques pièces fugitives, de rares chan-
sonnettes, dont une vraiment fine et délicate, œuvre
d'un Vicois, Louis de Boissy, un des Quarante de
l'Académie Française, à la veille de la Révolution.
Sous Napoléon Ier, un médecin de Boisset qui
n'éprouvait, m'a-t-on dit, pas plus d'embarras que
Pierre de Vie à vider un flacon, se risque, tout en
faisant ses visites de malades, à rimailler quelque
00 Lh!j TROUBADOURS l ITALIENS
i [ouïe qu'aouques noun rès en potaï. Del Curât
Bouquièr é de Frédérit d'ô Grondbal, qu'érou, censa.
<I<-1 temps de Broyât, <'ii prou fa, si obous ticouou.
in picossel oprès, Beyré dounet ses « Pioulats d'un
rei- petit », an crané librou, qu'oquel que 1*<> escrit
îi'o pas ponat l'ounour que li bouolon faire 1 1 1. Bon-
chorel, l<»u paire, toun founda soun jiournaou,
po seis ■• Bilhados d'Oubernho o ound's'orru-
niii un Mut de coousottos brobounellos que caon sut.
D'oquetchiès que soun en l>i<lo, leis Greraud, Boncho-
rel lou fil, nu troupelou maisse, bouole rès dire <|U<'
lour jitta Ion copel toun possa e fa uno copeissado »>
despari "I mieou I î i * ; 1 1- ï d'Ayrens d'oncien temps.
Toun fa lo classe eis efons, ù Pleou e Ourlhat, oquel
Coppelot qu'obio boun cap, s'es ensignal guel tobe.
L'Obbai Reymoun Four es bengul soben «pic caou
sat per escrioure l<»u aostre potaï e si lou dorrie
libre <!<■ Bermenouso o i<>t boun biaï omb'soun our-
ougrafo sobento, l'hounour nVn rebel on'oquel Cop-
pelot. Serio pus juste, otopaou <lc pas cita lou Cura
Faou, <!'<> Sognos, dobon «le porla <le l'Obbat Cour-
Ci) Se trobailho, d'oiuest'houro ô quilha un mounumen o Beire,
Semoun, ol ras <1'< hirlhat.
LES I R0UBAD01 RS I ITALIENS 61
peu en aotre dialecte. I>e ses deux contemporains, le
curé Bouquier et Frédéric de Ghrandval, nous ne pos-
sédons autanl dire rien. Peu après, Veyre donna ses
H Pépiements d'un roitelel », livre délicieux dont
l'auteur mérite pleinement l'hommage qu'on lui pré-
pare 1 1 i. Bancharel, le père, trouva le temps, malgré
la fondation de son journal, de publier ses << Veillées
Auvergnates »>. toutes remplies de récits plus inté-
ressants les uns que les autres. Des écrivains Canta-
liens, encore en vie grâce ;i Dieu: les Géraud, Ban-
charel, le tils, toute une pléiade encore, je lie veux
lien dire que les saluer au passage. •!<• tiens à adres-
ser un salut particulier à mon ancien Vicaire d'Ay-
rens. Tout en professant à Pleaux et a Aurillac, ce
Prêtre, à l'intelligence vive, a accru son érudition.
L'abbé Raymond Four a acquis une réelle compé-
tence de linguiste, écrit rationnellement notre dia-
lecte; si le dernier livre de Vermenouze se présente
si bien avec sa graphie savante, l'honneur en revient
à ce Prêtre.
Il serait injuste d'oublier le nom du curé Fan,
doyen de Saignes, avant d'évoquer celui de l'abbé
(i) Un comité s*e.?t constitué pour élever un monument au poète
Veyre, à Saint-Simon, près Aurillac.
LES 1 ROI BAIJOI RS > VNTALIENS
chinoux. Oqueste, que se pouol nonnma Loti mestré
de Bermenouso, prend clon, escolnpillo peis jiour-
naous un moudioou «le couontes, <le ûoubellos finos
et dolicatos, fo pstompa en L884 seifl fuels de
.1 P0U8CO 'l'or >>.
Per bonta Courehinoux, coumo li omerito, li o car
de besonn d'ona courre; suffit de cita oquesto
Bouetto :
Lou cur es les très quarts de l'orne.
Iyon brah Oourcliinoux dounei )>;is soun cur os
très quarts mes tout entier ol poueto d'en Bieouo;
otaou, gracios on'oquel Coppelot, coumo n'en qu'ou-
i-i.ti tretchiès <» lo doutchiéno, s'oloncel Ion Trou-
bairé de « Flora de brousso », Ion mascle qu'oronco
lou sal o l'endobon de toutes, Ion pus opposiounal e
lou milliour contaïre <lel aostre Poïs-Nal: Orseno
Bermenouso.
Del pus long que me soubene, ieou, dobon d'obeire
LES TR0UBAD01 «S I ITALIENS 63
Courchinoux. Ce poète, qu'on peut vraiment appeler
le maître de Vermenouze, débute en éparpillant dans
les journaux quantité de nouvelles et contes aussi
tins que délicats et publie en 1884 ses feuilles impré-
gnées de (( Poussière d'or ».
Ce livre renferme le meilleur éloge qu'on en puisse
faire; il suffit d'en détacher ce vers :
Le cœur est les trois quarts de l'homme.
I. 'excellent Courchinoux u'avaii pas donné aux
trois quarts, mais bien toul eut ier sou cœur au poète
de Vielle. C'est grâce a ce prêtre éminent, qui reste
un modèle, que l'auteur «le << Fleur de Bruyère ■>
entra dans la lire et que l'Auvergne put se glorifier
de l'écrivain qui s'est plue*' en tête de tous les autres.
le plus lyrique et le plus grand des poètes du Haut
Pays : Arsène Yernienouze.
Je vois encore, dans mes plus lointains souvenirs,
bien antérieurs à ma première communion, Garrie,
' ! LES TK- M BAD01 RS CANTALIENS
fat l«> Cuminiou, bésè Gorrit, lou couarou d'en
Bieouo, essigaire renounmat, béni <> Clobiero omb'-
soun pitchiou lil Orséno Bermenouso, un droullas
de doso-huetcn'ons que portio per Esponho. Tout que
lou sicnii belel eepiabo lo boccado (1), mettio
d'ocouordi leifl «Ions bouriarès, dintroo é sourton (2),
lou juen'ome bisitabo lou costel. Counessès baoutres,
1-» aostro mouodo debos [trat, Eyrens è Crondellos,
Icis mascles jioubee li grattou gaire l«'is cenros ol
contou : Fris de couaros <>u d<- brossiès, dobon <iU(>
l<» premiero bourro lour pousse jioul nas, prendou
lniii fouoro poïsj otaou foguet Bermenouso.
L'obiou replegal diii soun premié pillou en Biéouo
d'Itrat, lou binl de Settembre L850; pel l'estiou de
L868 bendio detchia estoffos e espiços ô Illescas, debo
Modrid. <> ta] deis quinz'ons i|ii<' demourel guel
Esponbo, s'oposturet, ço nous dit Fargio (3), deis
' ' > ( ado bouorio o d'ocoustu-iado un cobaou de 30 ô 100 baccos.
(2) O cado mudado de bourriare, caou fa un « essit » per z'o
mettre juste entre lou dintron é lou sourton.
(3) Fargio " Consul Général de France à Bâle » noscut Ourlhat
qu'o présentai ol mounde 0 Jous la Cluchado » de Bermenouso.
Il s l ROI BADOl l:s I ANTALI1 \s 65
le riche propriétaire de Vielle-d'Ytrac, Expert agri-
cole en grand renom, venir à Clavières avec son
petit-fils, Arsène Vermenonze, jeune garçon de dix-
huit ans, qui était à la veille de son départ pour
l'Espagne. Tandis que son aïeul examinait la vache-
rie (li. faisait l'accord entre les deux fermiers
entrant et sortant (2), le jeune homme visita le
château. On connaît la coutume de la région d'Ytrac,
d'Ayrens, de Crandelles; les jeunes hommes ne s'y
attardent guère au foyer paternel. Fils de riches
propriétaires ou d'ouvriers émigrenl avant que le
premier poil follet ne leur ait poussé à la lèvre. Ainsi
tit Vermenouze.
On l'avait enveloppé dans son premier lange, à
Vielle-d'Ytrac, le 20 septembre 1850; an cours de
l'été L868, il vendait déjà étoffes et épiées à Illescas,
au delà de Madrid. An cours des quinze années qu'il
passe en Espagne, il nourrit son esprit, nous dit
Farges (3), des auteurs français, principalement de
(i) Chaque domaine de Haute-Auvergne possède un troupeau
de trente à cent vaches laitières qui constitue la vacherie attachée
au domaine.
(2) A tout changement de fermier une estimation des cheptels
vifs et morts est nécessaire, pour régler la situation respective du
fermier entrant et du fermier sortant.
(3) M. Farges, Consul Général de France à Bâle, originaire
d'Aurillac, préfacier de « Sous le chaume », de Vermenouze.
(ifi : ROI BADOl KS i \M VLIEXS
libres Fronces, mai «pic mai »l«'is pouetos <!■' renoum,
B'essotchiel inemomen <> t'a deis « berbes ». Cossi li
proufitet, guel, <1<- qu'es soun obro Fronceso, poude-
rouso i- superbo, d'aoutres z'o diroon finonien ; qu'on
iv ol délai do l<» uiio bougo.
Baoutres d'Ourlhal qu'obès ougul 1<» premiero
tasto «!«• seis « berbes >> en potaï, sobès que, toun fa
coumberce ô 1<» corriero d'Ourenco, Bermenouso
fugio 1<» l»il«» tont que ]><»ii(lin per espossetchia puets
i- plonos, treba i»«-is bouos, u« »!<>n j »;« Lssai'ts et brous-
sics. courre ô trobers mouutonhos «' per lo Costo-
iiiaon tosta sur plaço Ion l»i d'Ontraïgos, leis moro-
n os d'ô Maou, leis porobels d'ô Solers.
Cossaïre opossiounat, ô courre, de souel lebon ô
i<»i<'lii;nl<> <!<■ uuet, l'oine demplissio pas que l'habro-
s;m ! BounomeE guel nous offourtil qu'o fa maïtes
de «« berbes »» ô trober pois qu'ossitat, ni contou, sus
lu codeiro de lo saou! N'obio detchia un moudioou
per los pouotchios quond li dounerou, en 18ï»r>, Ion
titré, que li omeritabo tôt i >1 « *, de « Copiscol <1<'
l'Escolo Oubernhato ». Lou jiournolet <|ne prenguet
bon, olero, o Do Cobretto » n'oproufitet. L'on d'oprès
] ES TR01 H\l>"l i;s i \\ i \i.ii.\s
nos grands poètes, se risque même à « commettre »
quelques vers. Avec < 1 1 1 < * 1 1 « - prodigieuse facilité il
s'assimila notre prosodie, combien magnifique et sin-
cère esl son œuvre poétique française, d'autres le
diront avec autorité; cette étude dépasse lés limites
que je me suis tracées.
Vous autres, citadins d'Aurillac, qui avez eu
les prémices <le ses poésies Cantaliennes, n'ignorez
pas que tout en gérant son uégoce de la rue d'Au-
rinques, Vermenouze fuyait la ville aussi souvent
qu'il lui était permis, allait arpenter monts et val-
lées, errer scus bois, courir à travers landes et
champs, escalader nos sommets, parcourait la châ-
taigneraie, allait goûter sur place le lion vin d'En-
traygues, savourer les marrons de Maurs, les déli-
cats fromages de Salers.
Chasseur intrépide, a courir de l'aube à la nuit
tombante, notre poète n'emplissait pas que sa gibe-
cière! Lui-même avoue franchement avoir assemblé
plus de vers au cours de ses randonnées qu'au coin
de Pâtre, sur le siège familial. Ses poches en étaient
déjà gonflées lorsqu'il reçut, en 1805, le titre, si
justifié, de « Chef de l'Ecole Auvergnate ». La
petite Revue Littéraire, « La Cabrette », qu'il lança
i SOI BAD01 RS ( A* IAI.1I.n-
nosquel boue premiès libre: « Flour de Brousso ».
N'obio pas tor! Ajalberl de dire d'oquel'obro : « Tou-
i" l'Oubernho té dins oquel libre. Lou ] m >t :i ï. Ion
Dostre potaï, lou cresions cofournitj ii L'obes que se
qnilho golhard e berturious, toi bourru e, ço que <1<-
lai, toi li. isprc < j u ( • caou s:ii e douçore] pourtont. »
Mistral e 1 « • i >• Felibres del Mietcbour n'en diguerou
tréton e aoummerou Bermenouso Mojouraou. Lo
fouon ero olondado aro; quittel plus de tira. X'i ■»
doua ««il-, en prou fa, dounabo boue segound libre en
potaï, «< -l<»us la Cluchado ». dorrié-noscul é catcbio-
uioud, que c'en loi" pasd'aoutre, pécaïré.
Flour «le Brousso >> «» sentour de flourettos
omossados, toun cossa, <» trober puets é camps,
" Jous la Cluchad i »j es blal uiodur, IV- bulit <> lo
feniou <!<• lo grongio. L'orne s'es omodurat", guel lobe.
l.i S TR01 BADOURS CANTALIENS 69
alors, bénéficia de ses productions. L'année suivante
parut son premier livre, << Fleur de Bruyère ».
Ajalbert (1) avait pleinemenl raison de dire de ce
volume : « L'auteur sut y l'aire tenir L'Auvergne tout
entière. Le dialecte Cantalien, noire dialecte, que
nous croyons mort, s'\ révèle énergique el vigoureux,
nule au possible e1 pourtanl plein de finesse, âpre
au delà de toute expression, et, néanmoins, infini-
ment doux. )>
Mistral et les félibres du Midi partagèrent cette
appréciation et élurent Vermenouze .Majorai. La
source poétique avait, des lors, pris cours, elle ne
cessa plus, désormais, de couler abondamment. Jl j
a deux ans, à peine, il publiait un nouveau recueil
de poésies Cantaliennes, son dernier né qui ne sera
suivi, hélas! d'aucun autre.
Si << Fleur de Bruyère .> fleure l'arôme capiteux
du bouquet sauvage cueilli au cours de ses chasses, à
travers landes et montagnes, « Sous le Chaume » es!
moisson mûrie, foiu délicat qui a concentré son par-
fum dans la meule soigneusement tassée. L'auteur
(1) Conservateur du Musée de La Malmaison, originaire de
Pierrefort, connu par de nombreuses publications littéraires fort
appréciées. Son livre « Mon Auvergne » prime toutes ses autres
œuvres, aux yeux de ses compatriotes reconnaissants.
KOI lt\i "i «g i AXTALIEXS
in plouresi, otopal desiston ô lo casso, lou tet, aro,
l'estiou pel courtieou, orucat, Phiber, <>l contou.
Z'o prend pins tout dobon, met pins siil popié ioutos
los ideios <p"' li passou pel cap, tôt frescos, brobou-
aellos é fodétchiairos que li tretou. Los espigo, uno
per uno, los passo «»| cril é <>1 bentodou. Se pouot
offourti, kordi, que dina seis <l«»ns libres, de] premié
fuel «»1 dorrié, Bermenouso n'o qu'uno temo, mai lou
tel soute: conta l<» terro meiralo, glourifia l'Ouber-
oho, nVii l'a aima los quittes borruios, "pic <lisi<>
raoutre! Que que disco, «pic que uoun, toujiours li
torno ô lo mestresso eimado; escouta cossi n'en
parlo :
Lou cur, en béni biel, s'otenresis; ohuéi
sente <l:n lou micou naisse e creisse uno ici
Que m'estaco toujiours, pus fouorto é pus soulido
<> nostro Oubernho benesido (i).
(il Flour de Brousso: Oundoun c cossi fo sous bers lou
Copiscol, P. 12.
I.i v i !,,,( BADOURS I ^N l U.TKN'S 71
s'est mûri, lui aussi. Une pleurésie, prise, sans
doute, ;i la chasse u<- lui permel ]>lus. maintenant,
de dépasser, de tout l'été, l'enclos de sa demeure,
le rive, toul L'hiver, devant l'âtre. Il n'a ]>lus même
fougue, ne recueille plus sans discernement toutes
les idées de premier jet, si fraîches, jolies et gaies
qu'elles lui paraissent. 11 en fait un tri méticuleux,
les passe et repasse au crible h au van. On peut
affirmer hardiment que, dans ces deux volumes, de
la première page à la dernière, Vermenouze n'a qu'un
objectif pleinemenl exclusif chez lui : chanter la
terre natale, magnifier l'Auvergne, eu faire aimer,
selon le dicton, jusqu'à ses verrues!
Quel que soit le sujet qu'il traite, il revient tou-
jours à l'aimée; écoutez-le parler d'elle:
Le cœur en devenant vieux s'attendrit ; aujourd'hui
Je sens dans le mien naître et croître une racine
Oui m'attache, toujours plus forte et plus solide,
A notre Auvergne bénie (i).
(i) Fleur de Bruyère. — Où et comment fait ses vers le « Lapis-
col », ,P. 13.
72 II S I ROI BADOUBS CANTALIENS
Oquel poïs que bei sous fils, grands é pitchious
J. .mu..- i !, coumo s'entornou boi bourgnous
L'obilho trobolhairo omb'so cargo de bresco (i).
Lou caou entendre bonta :
Lou couol de Cabra é 1<>u rude Liouron
roujiours embirounat de brumos é d'ouratchis
. Ploumb, rei del Contaou, (juillio soun largi froun
(2)
Per dire de qu'es oquel lion qu'estaco l'Oubernhat
ol terrodou, cal de mascle n*<» trouba 1<> poriero
■ I oquesto :
umo dins un crot se counserbo un nmigal
L'omour dc-1 poïs din moun cur se counserbabo (3).
Oousissea lou pourta lo sontat de l'Oubernho,
bioure <> lo terro meiralo, 0 lo glorio :
De lo terra d'Oubernho ound'Diéou nous o plontat
Omb'deis soulideis reis coum'oquellois deis aoubres,
(1) Flour de Brousso : « Ois Oubernhats d'o Poris », P. 182.
(2) Flour de Brousso : « Ois Felibres », P. 288.
(3) Jous la Cluchado : « Lo Terro », P. 68.
A. VERMENOUZE
1850-1910
il - N.-"i BAD01 RS I ANTALIENS ~i'A
Ce pays qui voit ses fils, grands et petits,
Revenir comme s'en retourne vers les ruches
L'abeille laborieuse avec sa charge de miel (i).
Il faut l'entendre vanter :
Le Col de Cabre et le rude Lioran
Toujours environné de brumes et d'orages
Et, plus haut, an dessus de ces puys sauvages,
Le Plomb, roi du Cantal, dresse son large front (2).
Nul n'a trouvé expression plus imagée pour
dépeindre la force du lien qui attache l'Auvergnat
à son terroir :
Comme, sous l'écale, un noyau se conserve,
L'amour de mon pays subsistait dans mon cœur (3).
Il faut l'entendre porter la santé de son Auvergne,
boire à la terre natale, à la gloire :
De la terre d'Auvergne où Dieu nous a plantés
Enracinés solidement comme ses arbres,
(1) Fleur de Bruyère : « Aux Auvergnats de Paris », P. 183.
(2) Fleur de Bruyère : « Aux Félibres », P. 68.
(3) Sous le Chaume : « La Terre », P. 68.
74 LKS 1K"I BADODRS CANTALIENS
De lo terro ound, jiomaï, si boulons serens paoubres.
;,et é glorin ol soou que, per n'aoutres, se duer
Coum'un liet omistous, quond lo tnouort nous enduer
( )1 soou que nous nouiris, nous bailo e nous proudigo
Lou lat de! troupel, l'or nourricié de l'espigo
, terro d'Oubernho, o tu tout moun omour
ur de fil, omour de nobi, omour de fraïre
. tout ensemble, é mo sorre é mo maire
1 bio glouriouso, o terro oun soui noscut (i).
Oquello terro meïralo, n'eu counei l'histouero de!
pus long; lou caou beire, intehiprou, lo cilho escuro,
porla deis estrongiès que l'offrobérou :
L'ECLE ET LOU GAL
Orribet eu Oubernho, un moti
César, lou counquistaïre Loti
In moti
(i) Jous la Cluchado : « Lo Terro », P. 86-87.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 7.".
De la terre où jamais personne n'a pâti.
Respect et gloire au sol, qui pour nous autres, s'ouvre
Comme un lit amical, quand la mort nous endort,
Au sol qui nous nourrit, nous donne et nous prodigue
Le lait du troupeau, l'or nourricier de l'épi.
A toi terre d'Auvergne, à toi tout mon amour,
Amour de rils, amour d'époux, amour de frère,
Car tu es, tout ensemble, et ma sœur et ma mère,
Et mon épouse fiere, ô terre où je suis né (i).
1 ><• sa terre natale il connaît la plus lointaine
histoire; il faut le voir, hargneux, le sourcil froncé.
maudire l'étranger qui Ta dévastée:
L'AIGLE ET LE COQ
Il arriva en Auvergne un matin
César, le conquérant Latin
Un matin
(i) Ibid : « La Terre », P. 86-87.
LES TBOUBADOI i:s « àNTALZEKS
En plen cur de l'Oubernho
Orribet lou Loti.
Tout plego dobon guel ; tout fusis
Quand so terriplo espaso lusis
Tout fusis
Quond cl i n so rudo pmigno
L'espaso esterlusis
oumo un senglar qu'o prêt bon
soun traou, lou mourre en obon
1 l'un fier bond
L'immourtaJ conquistaïre
Lompo é crido: En obon!
En obonl En obon! O trober
Toute lo terro e tout l'uniber
O trober
Lei.s nocious eglosiados
De l'immense uniber!
Soun tchiobal om del song jusqu'ol couol
Orniquo en plen pois mountognol
Jusqu'ol couol
LES THOl'BMiol BS CANTALIEN8
En plein cœur de l'Auvergne
Arriva le Latin
Tout plie devant lui, tout fuit
Quand sa terrible épée étincelle
Tout fuit
Quand dans sa rude poigne
Etincelle l'épée
Il passe comme un sanglier qui a pris élan
Il fait son trou, la hure en avant
D'un fier élan
L'immortel conquérant
Passe rapide et crie : en avant
En avant ! en avant ! à travers
Toute la terre et tout l'univers
A travers
Les nations glacées d'épouvante
De l'immense Univers
Son cheval a du sang jusqu'au col
Il hennit en plein pays montagnard
Jusqu'au cou
78 1 1 - TROl BADOl RS « WT \i.ii \v
Soun tchiobal ornicaire
i > de] s< mij; mountognol
Quau lou pouot orrestal Quogni gai
Pouot dire ô l'ecle : Soui toun égal .'
j . ■ I ; .'
N 'en lui rcs un tout ar< i
< hn ser< i -' »un égal
i r es en ( >ubernho. rrupis
I i • car bibi i e 1* >u s» mg de! p< >ïs
Nous trupis
Mes l< »u i ur d'un grond pou< »ple
Bat din nostn poïs
Un ome din lou cieou estiolat
U lo cimo des puets s'es quilhat
Estiolat
Lou cieou courouno d'astres
I ,'( ime qu< s'es quilhat.
Mespresso l'ormoduro; uno pel
D'our fouretchi li sert de montel
Uno pel
l.l.s TBOl BADOURS ( INTALIENS 79
Si»n cheval qui hennit
A du sang montagnard.
Qui le peut arrêter.' Quel coq
Peut dire à l'aigle : je suis ton égal
Quel coq .'
Vous en verrez un, tout à l'heure
Qui sera son < g
César est en Auvergne ; il foule la chair
La chair vive et le sang du pays
Il nous foule
Hais le cœur d'un grand peuple
Bat dans notre pa) 5.
Dans le ciel étoile, un homme
A la cime des Puys, s'est dressé
Etoile
Le ciel couronne d'astres
L'homme qui s'est dressé.
Il méprise l'armure : une peau
D'ours sauvage lui sert de manteau.
Une pi
BAD01 RS CANTi
50 cueisso bourrudo
lego en monte!
u de lioun rousse e dur
Semblo uno guerbo de blat modur,
Buflu dins une bono de braou
I retuni t>n\t lou Contaou
O los armos! So boues din Lot nuet
O rebilhat lo coumbo e lou puet
Din lo nuet
O rebilhat K i- mascles
Di lo coumbo è des puets.
Cal de Tronbaires d'oncien temps n'o ouet pus
clar, clon pus fouretchi, foufo pus oposiounado que
n'en met Bermenouso <> nous fa heire Bercengétoris
e seis Oubernhate qu'oppostelou leis Lotis. Lou caou
entendre broma so joio del trioumphé deis nostres :
LES IKULHADOIKS CASTALIEKS 81
Sur sa cuisse velue
Se déploie en manteau.
Et sa chevelure de lion rousse et dure
Ressemble à une gerbe de Me mûr
Il souffle dans une corne de taureau
Et fait retentir tout le Cantal
Aux armes ! sa voix dans la nuit
A réveillé le vallon et le puy
Dans la nuit
Elle a réveillé les mâles
Du vallon et des puys.
Aucun de nos anciens Troubadours n'a souffle plus
lyrique, élan plus sauvage, fougue plus entraînante,
que n'en met Verni enouze à dépeindre Vercingétorix
et ses Arvernes écrasant les Latins! Il faut l'en-
tendre crier sa joie du triomphe des nôtres :
LES TB01 BADO! S8 » LNTALDÏNS
( )1 pé deis rots gigonts, lou Loti
desplego ol souel de] moti
aguo obaJ soun brat, lou César
Bol puet que semblo un niou de gusar
Et l'autre, lou fier mascle Oubergnat
Se te dut. omoun, coumo un bergnat
<_>ti"i lou ser ; lou soûle] tout sonnons
rrescound ol found d'un cièu ourotchious
Deis Lotis ofrobats, mouorts ou bious
i lou sui n its e pei ri( »us.
1 I !esa r breg< iungi< >us l< »mpi i obal
E ( ml, son ormado
Plouro sur soun tchiobal
','. leis mountognols fiers e bourruts
Tornou mounta l><>- puets é boi suts
As plo fat toun deber, moun pois.
Glorio o toun fil Bercengétoris (i).
(i) Flour de Brousso " L'Ecle e lou Gai ».. P. 352 et suiv.
il S l ROI BADOURS < 1NTALIEXS
Au pied des rochers géants, le Latin
Se déploie au soleil du matin.
II allonge, là-bas, son bras, le César
Vers le puy qui ressemble à un nid de busard
Et l'autre, le lier mâle Auvergnat
Se tient droit, là-haut, comme un vergne
C'est le soir : le soleil tout sanglant
Disparaît, au fond d'un ciel orageux
Des latins balafrés, morts ou vifs,
S'amoncellent sur les rochers et dans les ruisseaux
Et César, honteux, détale là-bas
César, seul, sans armée
Pleure sur son cheval
Et les montagnards, tiers et velus,
Remontent vers les puys et vers les sommets.
fu as bien fait ton devoir, mon pays
Gloire à ton Mis Vercingétorix (i).
i i > Fleur de Bruyère : ■ L'Aigle et le Coq », P. 353-365.
LES TROUBAPo! lis i \MAI.ll \s
Deeempiei que lei nostree bolcans se souu escou-
tite, deeempiei que 1<> ooetro terro efregido li fo
broulha Ion blat, cal «le mascle d'Oubernho n'o
contai otaou! Caou creiro «nie lou nostre potaï deso-
n;it. oostro lengo miet-mouorto pouol enqnerro porla
toi plo! Quond Bermenouso L'empougno, lo brondis
coum'un'eepaso •• li fo jitta fioc! Bscoutons lou nous
dire de que besio, guel, «lins un paibe, possa dobon
seie aela cucats, «>! roi de] Lut, de Laroquobielho.
— « [eu Bei tôt biel coumo lo creociou ». li dit lou
POt : ai bit :
... Mci^ unies blounds, " leis Longos moustachu >>
Bestits (li- pels dt Loups, ormats de grondos atchios
<_»uc trojious d'un pougnet odret e pouderous
I l'ai iutr< -. deis ornes bruns, différents de longatchi
.Miel bistits, miel ormats, mes omb'min de couratchi
Serou poustats obal. Et qu'où es obal, l'efon
Que de tous fiers belets " regiscla lou song!
Belcouop pus tard, ai bit tourna de los Crousados
Leis débris glou rions de noumbrousos ormados
Deis omes qu'erou pas toujiours toutes entiès
Om de lei gnafros per dobon, noun per dorguiès
Obiou, moougrès oquouo lo grondo e noplo mino
LES TROUBADOURS CANTALIENS 85
Depuis que nos volcans se sont éteints, depuis que
notre terre refroidie fait germer les moissons dans
son sein, aucun barde arverne n'avait poussé d'aussi
mâles clameurs! Qui aurait cru que notre dialecte
appauvri, que notre langue agonisante était encore
capable de tels accents! Quand Vermenouze la prend
corps à corps, il la brandit comme un glaive, en fait
jaillir des étincelles! Entendons-le nous raconter
son rêve lyrique, les yeux mi-clos, au pied du
« Rocher de lait » de Laroquevieille :
— (( Je suis aussi vieux que la création », lui dit
le roc; j'ai vu:
... Des hommes blonds à la longue moustache,
Vêtus de peaux de loup, armés de grandes haches
Qu'ils lançaient d'un poignet adroit et puissant.
D'autres, des hommes bruns, différents de langage
Mieux vêtus, mieux armés, mais avec moins de courage,
S'étaient dressés là-bas, et c'est là-bas, enfant
Que de tes fiers aïeux le sang a jailli.
Beaucoup plus tard, j'ai vu revenir des Croisades
Les débris glorieux de nombreuses armées
Des hommes qui n'étaient pas toujours tout entiers
Avec des blessures béantes par devant, non par derrière
Ils avaient malgré cela la grande et bonne mine
S6 i.i a i ROI BAD01 RS I ITALIENS
Del souldat qu'o toujiours pourtat nal soun dropeou
m lour qou'ero oque] de lo Fronço e de Die
lou doun qu'en neissent te foguet uno feio,
Fronço, oquoi d'eima miel luta per uno ideio
per un i ut
Pus tard,enquerro,ai bit,qou'ero en quatrebint-doutche,
Deis mourbous de bint'ons, coueifats A'uw bounet routchi
ti per lo frountiéro omb'deis (.-tint- os pès.
I.eis Prussiens s'en risiou. Mai d'aoutres; mes oprès
S'en estre pl<> trufat, n'obeire pl<> fa festo,
nd rOllemand bouguet lour tusta sus lo besto
Lou e combiet en grimaço de poou,
I. leis Prussiens, d'obon des catchio-niou, fusioouo (i).
Là o din l'obro de Bermenouso,cinquonto8 tolhous,
é mai, pus ogrodibous, pus grocious qu'oquesto; n'i o
pus un ound'lou poueto de nostre temps se Biasco
mai ottural fronc-o-fronc deis pus fomus Troubaires
<lel temps n'onat. « !aoa que Biasco p<>u<>r peure toutos
- consens, toutos lus obn s deis Oubernhats les pus
odrets que hons ai <it:ii : pas un mouonto à lo cenjio
de Bermenouao!
i I Flour de Brousso : « Lou rot del Lat », P. 74-76.
I I S TROUBADOURS CANTALIKNS 87
Du soldat qui a porté toujours haut son drapeau
Et le leur, c'était celui de la France et de Dieu
Car le don, qu'en naissant, te fit une fée
Francéj c'est de mieux aimer lutter pour une idée
One pour un intérêt.
Plus tard, encore, j'ai vu (c'était eu quatre-vingt-douze)
Des morveux de vingt ans coiffés d'un bonnet rouge,
Partir pour la frontière chaussés de sabots.
Les Prussiens s'en moquaient; et bien d'autres aussi,
[mais après
S'en être bien amusés, en avoir fait gorges chaudes,
Quand l'Allemand voulut leur taper sur la veste
Les railleries se changèrent en grimace de peur
Et les Prussiens devant des blanc-becs prenaient la
[fuite! (i)
L'œuvre de Yermenouze est faite de cinquante
poésies plus séduisantes que celles-ci; il n'en est pas
une où le poète du vingtième siècle ait égalé mieux
le plus fameux Troubadour Médiéval. Qu'on prenne
toutes les « tenzons », tous les « sirventés » des plus
fameux Ecrivains Auvergnats que j'ai cités, pas un
seul n'atteint la hauteur de Vermenouze.
(i) Fleur de Bruyère : « Le Rocher du Lait », P. 75-77.
B8 II- I ROI BADOUBS I ANTA1 11 KS
Bous ai dit que leis onciens Troubairea n'oou gaïre
conta que lo guerro é L'omour; mai es bé raie, qu'en
porla d'oqueste, darcou j»as lo bougo <!•' mai d'uno
combado. Lou reprotcbi «» estai t'ai <\ Bermenouso
d'obeire, ni mai un Copelol on un Moungi, bouloun
[omen ignoura l'omour. S'ès caou entendre
sus <>ti.
Bermenouso, Ion pouëto, n'ero pas un coutillou-
oaire e «lin touto Bonn obro, trouborès pas uno
poraonlo que pndio, que fasco escurcî lo cilho ô
digus. Mes, dises-me si n'o pas l<>u respel omistous
de 1" fenno, si gai pas Ion biai de Lo penre e de culi,
quond bouro, lou poutou, renie qu'o escril :
E, qu'os oti qu'un jiour
Seguere fouissat per l'omour.
Uno droulloto jioubénélo
Que s'opelabo Lisounelo
Me jiouguet oquel meisson tour.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 89
J'ai «lit que les anciens Troubadours n'ont guère
chanté que la guerre et l'amour; il est même bien
rare qu'en parlant de celui-ci ils ne franchissent pas
très largement les bornes de la bienséance! On a fait
a Vermenouze 1«- reproche d'avoir, tel un Prêtre ou
un .Moine, volontairement [gnoré l'amour (1). Il faut
s'entendre sur cette allégation. Notre poète n'a pas
été un « coureur de jupon ». Son œuvre ne contient
pas un mot malsonnant, une expression choquante.
Convenez avec moi qu'il avait un tendre respect de
la femme, savait le lui témoigner, était eu bonne
posture pour obtenir la récompense d'un baiser,
celui qui a écrit :
Et c'est là qu'un jour
Je fus piqué par l'amour.
Une fillette, une jouvencelle
Oui s'appelait Lisette
Me joua ce mauvais tour!
(i) Au lendemain de la mort de Vermenouze, H. Bonnet écrivait
dans l'Indépendant du Cantal : « L'amour source de vie, ne l'a
jamais possédé. Cette corde a manqué à son luth. Il semble que:
» Nulle robe n'ait passé dans sa vie ».
» Tant pis ! nous le regrettons, car nous y perdons sûrement
quelques enchantements ».
- i INT.VLIKN8
(linim rg ndo
Remorquabe soua uels bious, so pel fino é condo
i»;it.
moti m'ogotchiet ; <)"ii(> seguet ocobat! ( i )
si ii'd bougul eH)xMiKa « .ii. <|u'i»iii> n'es pas <|iir leis
mespivsRwmo los Oulx^riihatos, <i loutos nu lillos
de a >ii;ir. ni
V sti Oubernho «> de giontoï l'ilh;-
1 1< (li ( de pieou roussel
itou (lin l"ii boborel
1 s ourilhos (2)
Mes surtout, quoml beires nostroi drolios golhardos
() t>r;it tendut, corga leis gronds carris de te,
Pou fa de- min que de dire ombe te :
ni rude pougnel n'c»ou pas leis mountagnartlos I (3)
Nostr'ome n'es pas de mémo bourro que 1<ui
in FIout de Brous; 1 >n Sobal ". P. jj.
1 _■ 1 Flour de Brou — • Lo Consou del IV] », P, 378.
1 li Felibi es », P j<u.
l.i S l ROI BADOI BS i WUH 1)1
I c I dimanche à la grand'mess
Je remarquais ses yeux vifs au fine et nette
Et son !> i\ olet bombé.
L'n matin elle me regarda, ce fut fini! (i)
s'il ne s'rsi pas marié, ce nVsi pas par mépris des
Auvergnates, jennes citadines d'Aurillac on filles
de riches propriétaires ruraux :
\«»tre Auvergne a de belles jeunes filles
De teint clair et de cheveux blonds
Sans coton dans le corsage.
Et qui n'ont pas froid aux yeux (2).
Mais surtout quand vous verrez nos gaillardes jeunes
[filles
A liras tendus charger les grands chars de foin
Vous ne pourrez pas taire moins que de dire avec
[conviction :
Quel rude poignet ont Je- montagnardes! (3)
Notre poète ignore le libertinage du .Moine de
(1) Fleur de Bruyère : « Le Sabbat \ P. 22.
2) Heur de Bruyère : « La chanson du vin de Fel », P. 378
(3) Pleur de Bruyère : « Aux Félibres », P. 292.
- Ilot BAI
Bfoungi <iv. Bdountoudoun, oquel rei-de-belet del
Curai <r<> Meudon; es pus « L« ► i i « ; 1 1 en omour, iriu'l
ro doua dire cosai :
Se foou lo cour
b* de lei> boues de tourtoui •
Lo postourelo e [ou postour
• 'ii- que sentou l'omour
l< tu counessou pas enquerro ! ( i )
I.ou oostre potai a'ero jiomai offronquit, toi omis-
toua «• douçorel, per porla <r m- coumo dins :
/ 7 nado d * /' /'/" / \ aou », uno <1<' los obros 1<>s
pas li« hi-ti ■! i-< ■- de Bermenouso. Cal <1»' Troubaïre
Oubernhal n'<» conta i«>i sutilomen l<> beltal <lr s<>
migo, d'o trouba reis-de-toura pus golonts per fa
counesse l<>s «nialiiuts de lo si., mestresso, sons'uno
poraonlo de i i«>i» :
So caro jionto e poulido
l'un tin plus blonc que lou lat.
Es fresco coum'un ginouflat.
1 1 | Flour de Brousso : « Un er de cobretto », P. 204.
LES TKOL'BADOLKS i \ MALIENS
Montaudon, ce lointain ancêtre du joyeux Curé de
Meudon; il laisse à d'autres les grivoiseries, préfère
nous dire comment :
Se font la cour
Avec des voix de tourterelles
La pastourelle et le pastoureau
Deux enfants qui n— entent l'amour
Mais ne le connaissent pas encore (i).
Notre dialecte n'avait jamais connu pareille sou-
plesse, tenu langage si galant, parlé d'amour avec
l'enthousiasme de 1' « Aînée du Haut Puech », une
des œuvres les plus savoureuses de Vermenouze.
Aucun poète d'Auvergne n'a célébré plus délica-
tement les charmes de sa mie, n'a trouvé périphrases
plus énamourées pour magnifier les qualités rares
de sa maîtresse, sans pourtant dépasser jamais les
limites du bon goût :
Son visage gracieux
Et d'un teint plus blanc que le lait
Est frais comme une giroflée.
(i) Fleur de Bruyère : <• Un air de Cabrette », P. 205.
ROI B LDOUBS CANTALIKNfl
Qu'aou !" l>i-t<>. jiomai l'ouplido
uel o lo coulour del cieou
bouco qu'os uno ciriegio.
Lou pieou fi de mo mig< i
;'or Lusen e pur
Ou lou fromen modur.
un cur
Lou pieou lï de mo mij
Qui : o soun uel blus
pas ô res plus !
^el noum de moun eimado
fumado
!oumo uno flour d'Obricnii
I '. gard< i un g< ml de mie< »u
que d'obeire noummado
i _, e moun eimado
Quond mo mi^.> es omb'iéou
• lin lou ci cou ! ( I )
< Huit dire, oppresso, si oousai, que loi' pouëto d'en
hado: L'Einado d'en Puet-Nau. P. 33, 49. 50-
I i - i KOI BADOI US i AN l \l.li NS
Qui l'a vue, jamais ne l'oublie
Son œil a la couleur du ciel
Sa bouche est une cerise.
Les cheveux de ma mie
Sont d'or luisant et pur
Plus blond que n'est le seigle
( )ue n'est le froment pur.
C'est d'or comme son cœur,
Que sont -es fins cheveux.
Songeant à sou œil bleu
Je ne songe a rien plus.
Du nom de mon aimée
Ma bouche est parfumée
Comme une fleur d'avril
Et garde un goût de miel
Rien que d'avoir nommé
Ma mie et mon aimée.
Quand elle est avec moi
Je me crois dans le cie1 (i).
Osera-t-OD dire encore que le poète de Vielle igno-
(i) Sous le Chaume. — « L'aiuée du Haut Puech ». P. 33-
49, 50.
LES TROURAIV.I RS < AKTALBENS
Bieouo sat pas porla de 1'oinour! D'entendre bonta
otaou ]«» Lisounello d'en Puet-Naou, donno ebetchio,
permouito, de fa hounestouien un poutou on'oquello
drollo !
Opposiounal de l'Oubernao, coum'es guel, poudès
lions omogina si /.*«> sat penre 'le biai per bouta
Los duos capusos que nous donnou lou mai gaou:
cobretto <'t bourreio! Oquello eobretto que:
Sat d'une crano moniero
Esprima lou plosé, lou pessomen, l'omour (i).
Serio cranomen lebat lou donsaire qu'end'enten-
dre « Paroo] loup Bélotto >>. a Lo bouole lo Morian-
no », « Per los camps d'en Douno », « Ieou n'ai
cinq sos. nu» migo d'o <iue quatre », s'osordorio de
premié bond ô lo nostro bourreio!
Fillo de boun oustaou, sat pas
Trépégia ni fa de grimaço
E soûl, un donsaire de raço
Orribo ô counesse soun pas
(i) Flour de Brousso : Os cobretaires, P. 300.
LES TROUBADOURS CANTALÏENS !)T
mit le langage de l'amour! A lire le portrait de la
Lisette du Haut-Puech, on a, ma foi, envie de dépose i
un honnête baiser sur la joue de cette jolie fille!
Admirateur passionné de l'Auvergne, on imagine
les trésors d'ingéniosité que prodigue Vermenouze
pour chanter nos deux joies les meilleures : la
Courette et la Bourrée. Cette Cabrette qui
Sait de crâne façon
Exprimer le plaisir, le chagrin, l'amour (i).
Il s'exposerait à une déception quasi-certaine, le
danseur qui, au chant de nos bourrées fameuses :
« Prends garde au loup, la belle; Je la veux, la
Marianne, je la veux et je l'aurai; Dans les landes
de Doue; J'ai cinq sous, ma mie n'en a que quatre »,
se risquerait, de prime-saut, à vouloir danser notre
« Bourrée » :
Fille de bonne maison elle ne sait pas
Trépigner ni faire de grimace
Et seul un danseur de race
Arrive à connaître son pas.
(i) Fleur de Bruyère : « Aux Museteurs », P. 301. N.
"JS lis TROUBADOURS CANTALIENS
Tout oqueJ qu'è fouort e qu'è leste
Jioube, nerbous e dégourdit
Crei plo donsa; mes n'es pas dit
Qu'o guel lo bourreio se preste.
Nostro mountagnardo
Deperdicio pas soun omour
Se daisse lountemps fa lo cour
E peis Oubernhats &ouls se gardw.
Per i'Oubernhe, Diou te foguet
Gionto donso deis nostres paires
Et q'ouo fouguet un cobretaïre
< )(|uel que, premié, te jiouguet.
( )mai tu, cobretto, pécaire
Per l'Oubernho, Dieou te foguet.
E lo bourreio é lo cobretto
Tenroou toujiours lou mémo rong
Car soun fillos d'un mémo song
E, coumo din lo mémo onetto
Duermou dous bessous, tronc o tronc
Otaou foou bourreio e cobretto (i).
^i) Flour de Brousso : Os cobretaires. P. 306-308.
LES THOUBADOUIiS CANTALIENS 99
Quiconque est fort et leste
Jeune, nerveux et dégourdi
Croit bien danser; mais il n'est pas démontré
Qu'à lui la bourrée se prête.
Notre Montagnarde
Ne gaspille pas son amour
Elle se laisse faire la cour longtemps
Et pour les seuls Auvergnats se réserve.
Pour l'Auvergne Dieu te fit
Gente danse de nos pères
Et ce fut un museteur
Celui qui le premier te joua.
Toi aussi, Cabrette. pauvre
Pour l'Auvergne Dieu te fit.
Et la (( Bourrée )) et la (( Cabrette >>
Tiendront toujours le même rang
Car elles sont filles d'un même sang
Et, comme dans les mêmes langes,
Dorment deux jumeaux côte à côte,
Ainsi font (( Bourrée )> et (( Cabrette )) (i).
(i) Fleur de Bruyère « Aux Museteurs ». P. 307-309.
I»1" LES TROI BADOl US CANTALIENS
Si, per conta leis guerros d'onton, porla d'oniour,
garda eu memouorio coustumos e usatchis del pois,
Bermenouso n'en crigno cat, es, mai que mai bouié-
grond e Lou mestre de toutes, digus li passo ol dobon,
quond nmis fo bisita, caire per caire, tout lou Poïs-
Nal, d'ô Solers <*> Ontraiguos, d'Orgintat ol Liouron.
Puets nais, ribieros oumbrousos, los quittos camps
piouados, mouodos onciennos, quolitats e défaous de
nosti'o raço, mascles escorbilliats é flllouuos bregoun-
giousos, leis bestios, memomen, que guel fo porla
couiiio ciirestios : Boccados ol pargue e bedels
escompillats per los cstoullos, braous berturious e
bioous odoundats ol jioug, ouillos douçottos otroupe-
Lados o l'orle d'un couminaou, cabros obrocados peis
termes, lébrea e perdigals eglotchias pel cossaire, les
quittes tessous, sous bouostro gracio, tout li passo,
de tout fo recurun !
Ogotchias, se bous plai, lou fiéraou deis pouors
gras, ol Pourtaou d'Ourenco, un jiour de Sent Morti:
Jious lo neplo pesado é fregio del moti
Un moudiou dé pouors gras bufou, roundinou, gisclou,
E s'estorissou ol miet deis goouliats que regisclou.
LES TROUBADOURS OANTALIENS 101
Pour chanter nos luttes d'antan, parler le langage
de l'amour, faire revivre antiques coutumes et vieux
usages du Haut Pays, Vermenouze ne craint, certes,
aucun rival. Mais il est, surtout, passé maître,
excelle à nous entraîner, à sa suite, dans tous les
coins et recoins de notre province, de Salers à
Entraygues, d'Argentat au Lioran. Hautes cimes,
vallées ombreuses, jusqu'aux landes stériles; habi-
tudes ancestrales, qualités et défauts de la race, gars
hardis et timides jouvencelles, animaux, eux-mêmes,
qu'il fait parler comme Chrétiens; vacheries au parc
et jeunes veaux éparpillés au pacage, fiers taureaux
et placides bœufs sous le joug, tendres agnelles
tassées à l'angle d'une prairie communale, chèvres
grimpant aux haies, lièvres et perdreaux fuyant
épouvantés devant le chasseur, les « cochons » eux-
mêmes, ne vous en déplaise, défilent dans ses vers,
lui sont thèmes à poétiques récits.
Etudions avec lui, si vous le voulez bien, le marché
aux « cochons gras », à la porte d'Aurinques, un
jour de foire de la Saint-Martin :
Sous le brouillard intense et glacé du matin
Nombre de cochons gras soufflent, grognent, criaillent
Et se vautrent dans les flaques éclaboussantes.
102 LES TROUBADOURS CANTALIENS
Rousino. Lou fieraou n'es qu'un largi fongat.
Eici, qou'ès un Tounki de mourre rebregat
Redoun coum'un pounçou, court de combos et d'oou-
[rilhos
Que mou fi o lou jxibat greissou e lou moudillo.
< )Iki1, un biel tessou nègre coum'un songlar,
Bourrut, p belcouop mai de bourro que de lard,
Espingo de soun miel, penno coum'uno bacco
I. cerco o fa pela lo beto que l'estaco.
Deis Rouquets (i). mourré-prin, trigissou en paou pus
[long
Quaouques pougnats de bren mesclats omb'de l'oglori
E pel miel del fieraou, tout'uno pourcelado
Této uno truéjio morrelado (2).
Oounei toutos lei roundinos del nostre poïs, lou
Copiscol, n'o fui'ga toutes leis gospolias. Lou courrio
poueire segrè, troouqua omb guel, (( Ol souel lebon »,
« Per lo Costoniaou », ona mongia omb'guel « Lou
Combojiou », escouta (( Un er de cobreto » ou a Un
l)iel Nodaou », fa uno paouso ol rot d'o Corlat :
Ou'o pourtat sons flotchi tout lou pès d'uno bilo.
(1) Pouorcs d'o Loroco qu'appelons deis « Rouquets ».
(2) .Tous la Chichado. — « Lo Fiero », P. 24-25.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 10(5
Il bruine. Le foirail n'est qu'un large bourbier
Ici c'est un « Tonkin )) au museau retroussé,
Aussi rond qu'un tonneau, court de jambe et d'oreille
Oui flaire le pavé graisseux et le fouit.
Là-bas, c'est un vieux porc, noir comme un sanglier,
Bourru, il a bien plus de bourre que de lard,
Oui se démène, joue du pied comme une vache
Et cherche à rompre ainsi le cordeau qui l'attache.
Des (( Roquets )) (i), nez pointus, mangent un peu plus
[loin
Quelques poignées de son mêlées avec des glands.
Au centre du forail, tout une cochonnée
Tête une truie noire de boue. (2).
Notre « capisool » connaît tous les dictons, cent
fois rabâchés, du pays, en a fouillé tous les halliers.
Il serait délicieux de le suivre, de courir avec lui,
Au Soleil levant, A tmvers la châtaigneraie; d'aller
manger, en tête à tête avec lui, Le jambon; écouter
lli air de musette ou Un vieux Noël; faire halte au
rocher fameux de Cariât :
Qui a porté, sans fléchir, tout le poids d'une ville.
(1) Porcs de Laroquebrou (Cantal) dits « Roquets ».
(2) Sous le Chaume : « La Foire », P. 25.
104 LES TROUBADOURS CAXTALTENS
Li escouta « Un biol do lo bielho », uno de sos
obros los pus eranos, « Lo Tota », oquel couonte tôt
goustous qu'eseaouffo lu cur pire qu'un beire de bi
bielj fa roncouontre de « L'Efon dTtrat », de « Leis
dueis Menettos », del « Segaire Guiuot », del
« Bourrut » et de « Pont in '1 ». Segons lou un briou
«lin lo Costoniaou ound' :
Tais que deis souldat- en guerro
En bothollous corrats, poumats coumo des caous
Beiren leis costoniès golhards sourti de terro
]'. poussa quittomen ol miet deis rots foraous.
Bers, d'un ber lusen de fo)-onço bernissado
Ocatou tout lou soou : trobers, coumbo et tourrel.
Desplegou largiomen lour cimo esporfolhado
E quilhats sus lour rei, dur e soulidè ortel
Les costoniès orciats s'obeurou de soulel (i).
Basto, en tourna o l'oustaou, li pougossions la
t<jutes <( Lou raibe del belet » qu'espero f^on pes-
somen :
... Ouond l'houro del grond mysteri
Tout d'un couop sounoro per guel
(i) Jous la Cluchado. — « Lou Pois-Bas », P. 364-365-
I.l.s TROUBADOURS CANTALIENS 105
l'écouter nous déclamer : « Un vieux de la vieille »,
une de ses plus jolies poésies; « La Tante », cette
nouvelle si délicate, qui donne aussi chaud au cœur
qu'un verre de vin vieux; faire la rencontre de
« L'Enfant d'Ytrac », des « Deux Menettes », du
(( Faucheur Ouinot », du « Bourrut » et de « Pan-
tuel ». Suivons-le dans cette châtaigneraie où :
Tels que des soldats en guerre
En bataillons carres, pommés comme des choux,
Vous verrez s'élever les châtaigners vivaces;
Vous les verrez poussant sur les rocs les plus durs
Verts, d'un vert éclatant de faïence émaillée
Ils couvrent tout le sol, pentes, buttes et combes
Ils déploient largement leur tête ébouriffée
Et, droits sur leurs racines, orteils solides et durs,
Cependant qu'à leur pied la terre est assoupie
Ces arbres altérés s'abreuvent de soleil (i).
Puissions-nous, de retour à notre foyer, y faire
tous : « Le rêve de V aïeul », qui attend sans
crainte :
Quand l'heure du grand mystère
Tout à coup sonnera pour lui
(i) Sous le Chaume : « Le Bas-Pays », P. 36s.
106 LES TROUBADOURS GAUTALIENS
N'ouro pas poou del cemeteri
Tout plet de flours e de souel
S'endurmiro jioul terme berd
Din lo bouno terro de Fronço
Omb'lo fe bibo e l'esperonço
Del Chrestio qu'o fa soun deber (i).
Otaou o fa Bernieuouso que, Chrestio, z'ero coumo
n'i o gaire! Imlulgen e serbiaple «» toutes, serio pos-
tât pel fiot per rondre serbice ou fa plose. Intcki-
prous, inquiet coum'un cordaire, cucabo lo cilho e
z'o prendrio ô lo reber omb'oquetcliiès que li coun-
tcsiabou so religion e li fosiou couontre. « Souei
Chrestio », ço disio guel :
(( Souei Chrestio )),
... Peccodou mes Chestio. Tout lou mounde
Sat que dobon leis jioporels qu'obons huei,
Quond s'ogis d'opora l'Ebongilo é so lei
Qou'ès pas ieou que cale e que m'escounde !
(i) Flour de Brousso. — « Lou raibe del belet ». P. 400.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 107
Il n'aura pas peur du cimetière
Tout plein de fleurs et de soleil
Il s'endormira sous le tertre vert
Dans la bonne terre de France
Avec la foi vive et l'espérance
Du Chrétien qui a fait son devoir (i).
Vermenouze a pleinement fait sien ce Chrétien
exemple et ;> mis dans son accomplissement une fidé-
lité peu commune. Indulgent à tous, d'une servia-
bilité que rien ne lassait, il ne prenait de l'humeur
et ne se révélait combatif que contre les adversaires
de ses convictions religieuses. « Je suis Chrétien ».
affirmait-il :
Pécheur, mais Chrétien, tout le monde
Sait que, devant les aboyeurs des temps présents
Quand il s'agit de l'Evangile et de sa loi
Je ne me tais ni ne me cache.
(i) Fleur de Bruyère. « Le Rêve de l'aïeul ». P.
108 LES TROUBADOURS CANTALIENS
E, qou'ès pas lou Chrestio souet, qou'ès l'orne libre
Qou'ès l'Oubernhat, qou'ès lou Fronces que parlo
[eici (i).
< )1 jiour d'ohuei, cadun o sos idéios e lo Poulitico,
lo robestio, nous dibiso que trop ! Toun deissa lou
culte libre, respecta lou biai de cadun, toutes, ço me
pense, disons omb'Bermenouso :
Boulons d'estré d'un poïs libre
E qou'ès sus un puet Oubernhat
Que berrias lou dorrié Felibre
Se quilha per lo Libertat (2).
Se pouot dire sons oboiondado que, dobon Berme-
nouso, cat de mascle n'obio porlat otaou de l'Oubcr-
(1) Jous la Cluchado. — « Ois Escouliès d'o Mau », P. 324-325.
(2) Flour de Brousse — Porlicado del Copiscol ol desporti d'o
Bit. P. 332.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 109
Et ce n'est pas le Chrétien seul, c'est l'homme libre
C'est l'Auvergnat, c'est le Français qui parle ici ( i ) .
A notre époque, chacun est ancré dans ses convic-
tions et l'affreuse politique ne sème que trop la divi-
sion parmi nous. Avec un profond respect pour les
idées d'autrui et sans chercher, en rien, à faire du
prosélytisme inopportun, nous pouvons dire tous
avec notre poète :
Nous voulons être d'un pays libre
Et c'est sur une cime Auvergnate
Que vous verriez le dernier Félibre
Se dresser pour la liberté (2).
On peut l'affirmer, sans craindre aucune exa-
gération, aucun poète avant Vermenouze n'avait
trouvé de tels accents pour chanter l'Auvergne.
(1) Sous le chaume : « Aux écoliers de Maurs », P. 325.
(2) Fleur de Bruyère : « Causerie du Capiscol au Banquet de
Vie ». P. 333.
1 10 I ES TROUBADOl RS CAS! U.ll'.Ns
nho! Digus, toi de Laï-long que se serque, s'es serbi
d'uno lengo tôt raoufi, tôt pinginado, tôt lecodoto,
sons mesclodis de Froncés, sons cat de pieou de robo-
nello deis porlats estrongiès, «lin 1<>u pur froumen
del noste potaï. Gtorletchio p;is 1.» suo lengo, n'es pas
gooudotto, topaon, porlat noturel e fronc de coua-
rous e de bouriaïrès, de bouié e de brossié, lengo des
troboliairee de Lo terro, deis mascles que laourou,
ensettou, dailhou, e, dimmergues on per festos, birou
uno bourreio donnou l<>u couop de togon, soute, ô t'a
fcrombla lo poustado, porlat de fennos d'oustaous que
sabou mena lou bure, empresura lois encolats, borga
lo combi, presti un sedat, fa bourriouos e pescojious.
D'oquello lengo qu'o offronquido, fa crano coum'-
uno nobio, nirbouso couffi'un niascle de bint'ons,
Bermenouso s'en sert que per glourifia lo terro niei-
ralo, n'en porla omb'eime, sossicat é oniour. Jiomaï
LES TROUBADOURS CANTALIENS III
Personne, aussi loin qu'on remonte, ne s'était servi
d'une langue aussi belle, aussi châtiée, aussi cares-
sante, sans ombre d'importation française, sans
mêler jamais l'ivraie des langues étrangères au pur
froment de notre dialecte. Elle n'est ni boiteuse ni
surchargée d'expressions citadines, la langue de Ver-
menouze; pur et naturel idiome du paysan et du
fermier, du bouvier et de l'ouvrier, vrai langage des
travailleurs de la terre, des rudes gars qui labourent,
sèment, fauchent, et, dimanches ou jours de fêtes,
(( virent » une « Bourrée », la martellent de l'éner-
gique coup de talon à faire trembler les travées,
langue usuelle des ménagères expertes à la fabri-
cation du beurre, bain' les à la confection du fro-
mage blanc, excellentes à rouir le chanvre, à pétrir
une fine miche, à préparer crêpes et « bouriols » (1 1.
De cette langue qu'il a assouplie, rendue sédui-
sante comme une jolie mariée, musclée comme un
mâle de vingt ans, Vermenouze se sert merveilleu-
sement, pour glorifier la terre natale, parler d'elle
avec science, expérience et amour. Jamais, il est bon
(i) Mince-; galette? de sarrazin très appréciées des agriculteur;
Cantahens.
112 LES TROUBADOURS CAXTALIENS
n'o escrit uno liguo que fasco fasti, dit uno poraoulo
bernouso. Digus n'<> mai fat que guel per empotcbia
leis nostres drouplida, de lai long, lou terrodou, de
perdre ebetchio de li tourna per estira lou prat de
dobon 1«> pouorto, obouna lo bouigo de dorrié l'ous-
taou. Escompillats o toutes les caires del mounde,
aegats «lin Poris, trescounduts ol pus found d'Es-
ponho, leis nostres émigrons seriou leou, coumo
tontes maites, deis dérocinats, demourorio isoulats
coumo cobonels per an cosaou, si n'obiou ]>as lou lion
del porla meiral. Pertoul se pouot dire, d'ô Poris ô
Modrid, ound'leis Qostres parlou potaï, Bermenouso
es counegut, so « Flour de Brousso » flourit, e mai
d'un, o tal de bilhado, s'orucoro ombe gaou jious lo
cloujiado del Mestre Oubernhat.
Ti o cossi soun obro, tont estimado deis sobens
Mietjouraous, oploudido dé toutes, n'es pas soulo-
ïiim obro glouriouso de Troubaire, pus sutilo
qu'oquellos d'oncien temps, mes obro sonitouso, gine-
rouso è fouorto de fil omistous de l'Oubernho.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 113
de le redire, il n'a écrit une ligne qui puisse faire
loucher le lecteur, prononcé une parole caustique.
Personne n'a plus puissamment contribué que lui à
empêcher nos émigrants épars sous toutes les lati-
tudes, d'oublier la terre natale ; à accroître chez eux
le désir d'y revenir jouir de leur labeur, à grandir la
prairie qui s'étend devant la porte de la maison
ancestrale, amender le champ qui la borde. Epar-
pillés à tous les coins du monde, noyés dans l'im-
mense Paris, perdus au tin fond de l'Espagne, nos
émigrants deviendraient vite des déracinés, comme
tant d'autres, se sentiraient isolés comme chats-
huants dans une ruine, s'ils n'avaient pas entre eux
le lien puissant de la langue maternelle. Partout,
peut-on dire, de Paris jusqu'à Madrid, partout où
nos compatriotes parlent notre idiome, Vermenouze
est goûté, sa « Fleur de Bruyère » répand son acre
parfum et plus d'un Auvergnat, au cours des longues
veillées d'hiver, se blottit avec délices « Sous Je
chaume » de notre poète.
C'est par là que ses poèmes, hautement appréciés
de ses confrères du Midi, trouvent partout chaleu-
reux accueil, que son œuvre n'est pas seulement celle
d'un Troubadour supérieur à tous ses devanciers,
mais surtout l'œuvre saine, généreuse et forte d'un
114 LES rROI B IDOl US CAN ILIESS
Lou mounumeB que li boulons quilha aaoutres i'i
omerito; Bero <> si» plaço ol pès de! nostre l'apo
Gerbert, <>1 ras de! Ginéral Delzouii. Fil de paoubres
brossiès dï> Belliat, Gerbert mountet ô lo pus ciiho
ô rigour de trobal, on'un temps oun ringnourenço
ero toi espesso que l»-is funs sus leis mountonhos un
sci- de plejio. Sourt it d'une bielho rare» d'Ourlhat,
ound'leis ornes de tolon se couomptou per dout-
chiéno, lou Ginéral Delzoun, mascle fier et bertu-
rious, foguel esterlusi soun espaso <> tpober cent
botalhos jious aelsde Nopouleoun. 01 ras d'oquelleis
çlorios moundiales, lous nostre liermenouso diro ol
possonl que si guel fougue! min soben (jue Gerbert,
si û'ouguel pas oueosiou de donna so bido per lo
Fronço coumo Delzoun, o t'a. ci» que de laï, ticouon
d'un aoutre biai. De toutes los caousos onciennos
qu'ocobabou de s'ogoni, n'<> omossa les trots escom-
pillats, lour o donna lo retirado din dous libres
ound'o omoga< e bressa l'Oubernho tout entière.
D'oti, so memouorio demouroro en ounour ol Poïs-
Nal. Tout que lo neou ocotoro, cad'hiber, leis ciinos
del Contaou, que bromoro l'eeir, ol eontou deis
LtS TKOUBADOUUS CANTALIENS 115
fils passionné de l'Auvergne. Vermenouze mérite
pleinement l'hommage que nous voulons lui rendre;
le monument que nous désirons lui dresser sera bien
à sa place ;ih voisinage de la statue du notre Pape
Gerbert et de celle du général Delzons. Fils de
pauvres mercenaires du village de Belliac, Gerbert
atteignit, par la science, aux plus hautes cimes en
un temps où l'ignorance était aussi opaque que les
brumes de nos montagnes par une soirée pluvieuse.
Issu d'une vieille race d'Aurillac, chez laquelle les
hommes de mérite sont légion, le général Delzons,
soldat intrépide, brandit son épée dans cent batailles,
sous les yeux de Napoléon. Auprès de ces gloires
mondiales, Vermenouze dira au passant que, s'il
fut moins savant que Gerbert, si l'occasion lui
manqua de s'immoler pour la France, comme Del-
zons, il a réalisé, néanmoins, sous une autre forme,
oeuvre de patriote. Il a réuni les débris épars
de notre patrimoine ancestral, les a empêchés de
s'abolir, en les recueillant dans deux livres où il a su
faire passer l'âme même de l'Auvergne.
C'est à ce titre que sa mémoire restera en honneur
au Haut Pays. Aussi longtemps que la neige jettera
chaque hiver son linceul sur le Cantal et que la
110 LES TROUBADOURS CANTALTENS
Qostres oustaous, leis efons deis nostres efons ligi-
pouo Jous I" Cluchado de! ]\Iesti*e d'eu Bieouo.
Tont que, per primo, berdejioroou les puets d'o
Solers, que lo brousso de leis nostros camps flou-
pirooiij Flour de Brousso ne se froustiro.
Ensignal pel rei-de-belei <> l'efontou, lou noum de
Bermenouso possoro, de generociou en generociou,
ourgul e ounour de POubernho recounessento ol pus
grond <1<- ses Troubaires, on'oquel que lo tont eimado
e toi plo contado.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 117
tempête hivernale fera rage, au coin de l'âtre de nos
demeures, les enfants de nos petits-enfants liront
« Sous le ('Juin me », du maître de Vielle.
Aussi longtemps que la saison printanière fera
reverdir les pacages de Salers et fleurir nos landes,
la « Fleur de Bruyère » ne se fanera pas.
Répété par l'aïeul à l'enfantelet, le nom de Vernie-
nouze se répercutera, de génération en génération,
conservé avec orgueil par l'Auvergne reconnaissante
au plus grand de ses poètes, de tout l'amour qu'il
lui a porté, du génie qu'il a exclusivement consacré
à la chanter.
La Presse Cantalienne, qui avait prêté son
concours avec cordiale unanimité au Comité Ver-
înenouze, organisateur de cette conférence, en a
rendu cunpte en termes infiniment bienveillants
pour le conférencier. Plusieurs journalistes ont
voulu employer, eux aussi, le dialecte d'Aurillac et
ont prouvé qu'ils le maniaient avec un rare
bonheur d'expressions :
15 novembre 11140
Jj6 Journal du Cantal, républicain quotidien :
LA SOIREE VERMENOUZE
Il ne faut pas abuser des mots, mais je crois que la
qualification de petit triomphe, est la seule qui
convienne à la soirée d'hier.
D'abord une salle superbe, de grande première. La
ville avait donné, la province aussi. Les forains, ces
120 LES TROUBADOURS CANTALIENS
forains que la mercuriale des fromages est seule capable
en hiver d'arracher à leur gentilhommière, avaient
envahi l'orchestre et le balcon. Le parterre lui-même
était au complet, résultat un peu inespéré pour un
conférencier qui annonce au programme une Etude sur
les Troubadours depuis Pierre de Vie.
Pourtant il n'aurait pas fallu croire que le théâtre
ne fut rempli que d'auditeurs enthousiastes et délirants,
décidés à étouffer l'étoile sous les rappels et les fleurs.
Certes le souvenir de Vermenouze planait dans la salle
et prédisposait à la bienveillance d'une façon générale,
ce qui n'empêche pas que M. le duc de la Salle était
attendu comme au coin d'un bois par deux sortes de
gens, aussi terribles les uns que les autres : les Félibres
et les Patoisants.
Les Félibres, c'est-à-dire les lettrés, les mandarins
de langue d'oc, se demandaient comment M. de la Salle,
avec un vocabulaire aussi réduit, avec une langue si
desséchée par le malheur des temps et l'hostilité des
siècles, qu'on lui voit les os, pourrait, pendant une
heure, longueur ordinaire d'une conférence, parler sans
faiblir, d'art, d'histoire et de poésie.
Les Patoisants étaient, peut-être, plus sceptiques
LES TfiOUBADOURS CANTALIENS 121
encore. Malgré le renom de l'orateur, son titre de
Majorai, c'étaient tous des Saints Thomas.
— Voyons, il parle patois, le vrai patois?
— Mieux que vous.
— Mais le patois de Piarrou de Yolet, de Juon
d'Ytrac!
— Mais oui, mon ami, mais oui !
— Ta, ta, ta, ça doit être quelque langue de savant,
ou du français patoisé, où quelques mots de patois
surnageront de ci de là, comme des yeux sur du potage
maigre.
Et il n'y avait pas moyen d'en tirer autre chose.
Aussi, quand M. le Président Delzons ouvrit la
séance par une allocution d'une sobriété élégante, ou
chaque mot évoquait une idée, le silence s'établit
instantanément, mais il semblait venir d'un peu partout
un murmure assourdi, celui de la critique fourbissant
ses armes.
M. de la Salle ne parlait pas depuis deux minutes
que le murmure — oh ! un bruissement de cigales —
s'était évanoui et cinq minutes ne s'étaient pas écoulées,
qu'un tumulte véritable éclatait dans la salle, un
tumulte d'applaudissements.
Nous ne donnerons pas ici, malgré l'envie que nous
122 LES THOl B IDOl BS I INTALIKN8
en avons, l'analyse de cette conférence, de tous points
remarquable dans le fond et dans la forme, mais le
Journal du ( antal va taire mieux : il va la donner en
feuilleton.
La seconde partie de la soirée a continué l'enchan-
tement. M Monteil, accompagne brillamment par le
maestro Permann, a chanté avec la magnifique voix que
tous lui connaissent et une émotion et une âme de cir-
constance, un petit morceau délicieux. Les Pièus de Mo
Migo, paroles de Vermenouze et musique du compo-
siteur Versepuy, puis le Quai Mouri, de Jasmin.
.M. Gandilhon Gens-d'Armes, venu tout exprès de
Paris pour apporter à Vermenouze un témoignage
d'admiration qui chez lui est un culte, a dit avec une
conviction, une fougue, un talent qui ont électrisé la
salle Un Biel de ïo Bièlho. Quand il a dit le vers :
<< En obon, en obon ! », vraiment on entendait déboucher
la Vieille Garde elle-même.
Que dirons-nous de M. Establie? C'est qu'il a dit
Les Peux MenetteSj cette pièce populaire, comme il a
été rarement donné de l'entendre à Aurillac. C'est une
pièce dans la première manière de Vermenouze, un peu
haute en couleur, qui ne redoute pas un peu de trucu-
lence dans le geste et dans la voix. M. Establie nous a
lis TR0UBAD01 Us ( ANT.U.IENS 12.'!
donné au contraire le paysan madré, finaud et un peu
craintif de la châtaigneraie, qui raconte avec une grande
joie intérieure le mauvais tour qu'il a joué à ces
Dunettes, qu'il n'aime pas au fond, mais sans oser trop
s'en vanter, comme n'aurait pas manqué de le faire le
paysan le plus indépendant et le plus exubérant dc>
environs d'Aurillac.
Un trait donnera une idée de la joie ressentie par
l'auditoire. M. le duc de la Salle était en train d'en
raconter une bien bonne sur Pierre de Vie et une gente
grande dame d'Aurillac. Et il y avait dans un coin du
parterre un brave homme qui écoutait oreilles et bouche
bées. Le récit fait dans sa langue par ce beau Monsieur
sur la scène l'avait tellement étonné qu'il en pleurait
d'un œil et en riait de l'autre. Oui, parfaitement. Et, se
tapant sur la cuisse, il ne trouvait, en regardant l'ora-
teur, que ces mots pour exprimer l'admiration qui
débordait en lui... Mais au fait, ce n'est pas très conve-
nable. Tant pis, ce l'est encore plus que le Mot du
Vieux de la Vieille et c'est aussi éloquent.
— Quogni bougre, quogni foutu bougre!
Armand DELMAS.
1 li t LES 1 BOl H\ tS ( \M \! il NS
Lu Liberté du Cantal, journal quotidien indé-
pendant :
►NFER] NCE DU DUC DE LA SALLE
DK R.OCHEMAURE
La soirée littéraire organisée par le Comité du
monument Vermenouze et cjui a été donnée hier au
théâtre, a obtenu le pins vif succès. Un public aussi
nombreux que distingué emplissait la salle. Parents,
amis, admirateurs de notre poète s'étaient donné rendez-
vous pour rendre encore hommage à son talent et pour
iter le conférencier.
Rarement, même aux plus grandes soirées théâtrales,
on vit public aussi élégant. Les dames s'étaient pan
de leurs plus beaux atours. L'éclat des diamants et des
ors, joint à celui des robes, produisait le plus gracieux
effet.
Le rideau se lève à 8 h. 30. Sur la scène avaient pris
place les membres du Comité : MM. Delzons, président
honoraire du tribunal, président du Comité; Delmas,
avocat; Delteil, notaire; Appert, avocat; Gandilhon
Gens-d'Armes, secrétaire de la Veillée d'Auvergne ;
de Parieu ; Bouygues de Lamartinie, maire d'Ytrac;
Dr Cazals, conseiller général ; Volmerange, inspecteur
LES TROUBADOURS OANTALIENS \1T>
des eaux et forêts; colonel Candèze; Tourdes, artiste
peintre; Theil ; Alfred Douëtj Pichot; Meyniel, avocat.
M. le président Delzons, président du Comité, ouvre
la séance et présente l'orateur avec le charme et la
distinction que tout le monde lui connaît. Il fait l'éloge
du duc de la Salle qui, partout où ses nombreuses rela-
tions l'attirent, sait faire aimer la France et, aussi, la
petite patrie, l'Auvergne.
— Votre amour pour le pays natal, dit M. Delzons,
s'étend à tout ce qui l'intéresse : son histoire, ses
légendes, son idiome. Vous avez fait revivre la langue
du pays.
(( Nul mieux que vous, ajoute M. Delzons, qui avez
été l'ami et le collègue de Vermenouze, n'était mieux
qualifié pour prononcer l'éloge de notre grand poète
cantalien. ))
M. le président termine en remerciant tous ceux qui
ont contribué à rehausser l'éclat de cette soirée, les
artistes, le public et la presse.
M. le duc de la Salle, après avoir, à son tour, remer-
cié M. Delzons, s'excuse de vouloir prononcer en patois
l'éloge de Vermenouze. C'était, certainement, le premier
essai tenté d'une conférence faite en notre dialecte can-
talien. Et ce coup d'essai fut un coup de maître.
r2l! LES TROUBADOLKS CANÏALIENS
M. le duc de la Salle a émerveillé — le mot est juste
— son auditoire. Sa causerie tut un vrai régal pour
tous ceux qui connaissent et parlent le patois. Et cette
angue-mère qui, connue le disait justement l'orateur,
-était réfugiée et conservée dans les étables et au coin
du feu, combien elle était suave sortant de la bouche
nême du conférencier qui en connaît toutes les expres-
sions, même vieillies, et la manie avec autant d'aisance
que n'importe quel fermier ou maître bouvier.
M. le duc de la Salle a fait l'historique des trouba-
lours qui, depuis Pierre de Vie, ont écrit en patois et
contribué au succès de notre dialecte. Le conférencier
s'est surtout attaché à démontrer le talent du (( capiscol ))
Vermenouze. Tous ceux qui l'ont précédé, réunis, ne
l'atteignent pas à la ceinture. M. de la Salle a fait
l'éloge de Vermenouze comme patriote, comme auver-
gnat et comme chrétien. Vermenouze n'a point écrit
une seule ligne qui ne puisse se mettre sous les yeux
de la petite fille la plus innocente. Son seul et unique
amour fut la terre. Et il employa toutes les ressources
de son talent à la chanter et à la célébrer. >>
(( Pour chanter, dit M. de la Salle, nos luttes d'antan,
parler le langage de l'amour, faire revivre antiques
coutumes et vieux usages du Haut-Pays, Vermenouze
LES TROUBADOURS CANTALJENS 127
ne craint, certes, aucun rival. Mais il est, surtout, passé
maître, excelle à nous entraîner, à sa suite, clans tous
les coins et recoins de notre province, de Salers à
Entraygues, d'Argentat au Lioran. Hautes cimes,
vallées ombreuses, jusqu'aux landes stériles habitudes
ancestrales, qualités et défauts de la race; gars hardis
et timides jouvencelles, animaux eux-mêmes, qu'il fait
parler comme chrétiens; vacheries au parc et jeunes
veaux éparpillés au pacage; fiers taureaux et placides
bœufs sous le joug, tendres agnelles tassées à l'angle
d'une prairie communale, chèvres grimpantes aux haies,
lièvres et perdreaux fuyant épouvantés devant le chas-
seur, les (( cochons )) eux-mêmes, ne vous en déplaise,
défilent dans ses vers; lui sont thèmes à poétiques récits.
Je n'aurai pas la prétention d'analyser la conférence
du duc de la Salle. Ceux qui l'ont entendue aimeront à
la relire car, certainement, le conférencier la fera éditer.
Et les autres, tous ceux qui, pour des raisons diverses,
n'ont pu venir écouter le duc de la Salle, liront avec
plaisir cette page d'histoire locale.
De fréquents applaudissements ont maintes fois inter-
rompu l'orateur et la péroraison a été saluée par une
salve de bravos.
123 LtS TBOUBADOl l;s I 4NTALIENS
Le public était unanime à louer et à féliciter le
duc de la Salle.
Nos vieilles grand 'mères auraient été heureuses de
l'entendre parler la langue qu'elles ont toujours parlée
et tracer d'elles ce si beau portrait où toutes se seraient
reconnues. M, le duc de la Salle est un conférencier
consommé et ce rare talent a puissamment contribué au
succès de sa causerie.
Après une courte suspension, la séance reprend.
M. Gandilhon Gens-d'Armes a débité avec âme et
expression un sonnet qu'il avait composé pour Verme-
nouze quelques jours axant sa mort, et une poésie en
patois du poète.
M. Monteil, dont tous les amateurs de musique
connaissent et apprécient la voix aussi chaude que puis-
sante, a chanté les Cheveux de ma Mie, une poésie de
Vermenouze, mise en musique par notre distingué
compatriote, M. Marius Versepuy. M. Monteil a aussi
interprété une poésie de Jasmins, Me cal mouri (il me
faut mourir). M. Permann, le distingué organiste de
Notre-Dame-aux-Neiges, accompagnait M. Monteil au
piano.
M. Kstablie a mis la note gaie. Son apparition sur la
LES TROUBADOURS CANTALIENS i 29
scène a soulevé une tempête de rires et d'applaudis-
sements. C'est le type de l'Auvergnat pur sang. Il a
dit Les deux Menettes, La Foire, Pierre d'Ytrac,
poésies patoises de Vermenouze.
Il est à peine besoin d'ajouter que tous les artistes
ont été frénétiquement applaudis et bissés.
La conférence d'hier a donc pleinement réussi. Et le
but que se proposait le Comité est atteint et dépassé.
L'idée du monument Vermenouze est lancée. Les sous-
criptions deviendront de plus en plus nombreuses.
Bientôt nous verrons la fine silhouette d'Arverne de
notre grand poète se dresser sur une de nos places, à
côté des statues du pape Gerbert et du général Delzons.
Tous ceux qui aiment la petite patrie — et quel est
celui, parmi les Auvergnats, qui ne la chérit d'une façon
toute particulière — seront reconnaissants au duc de
la Salle d'occuper ses loisirs à faire revivre, à garder
et conserver, pur de tout mélange, notre patois, la
langue de nos aïeux depuis des siècles et qui sera encore
longtemps l'idiome de nos arrière-petits-enfants. Grâce
aux efforts de quelques personnalités, notre langue-
mère remonte de l'étable au château et reconquiert par-
tout son droit de cité qu'elle n'aurait dû jamais perdre.
Jean GREGOIRE.
\'.\Q Ils TROUBADOURS CANTALIENS
\.< Progrès du CantaZ} organe d'union radicale
et socialiste :
LA CONFERENCE SUR VERMENOUZE
Le Comité du monument Yermenouzc peut être fier
de son initiative, car la soirée littéraire qu'il a orga-
nisée dimanche, au théâtre municipal, a obtenu un
succès des plus brillants.
Un public nombreux autant qu'élégant était accouru,
envahissant de bonne heure toutes les places pour rendre
hommage à notre cher poète disparu et pour écouter le
talentueux conférencier qu'est M. le duc de la Salle de
Rochemaure.
Ce lut donc devant une salle archi-comble, que le
rideau s'est levé à 8 heures et demie. Sur la scène
avaient pris place les membres du Comité :
.M M. Delzons, président honoraire du tribunal, pré-
sident du Comité; Delmas, avocat; Delteil, notaire;
Appert, avocat; Gandilhon Gens-d'Armes, secrétaire
de la Veillée d'Auvergne; de Parieu ; Bouygues de
Lamartinie, maire d'Ytrac; Dr Cazals, conseiller géné-
ral; Volmerange, inspecteur des eaux et forêts; colonel
Candèze; Tourdes, artiste peintre; Theil ; Alfred
Douët; Pichot; Meyniel, avocat.
LES TK01 BADOl RS (AMAI.1I..NS J;i|
La séance est ouverte par M. le président du Comité,
qui présente au public le distingué orateur dont il
fait l'éloge mérité. Il dit tout l'amour de ce dernier
pour le pays natal et il rappelle que M. le duc de la
Salle fut l'ami et le collègue de Yermenouze. Nul n'était
donc mieux qualifié que lui, ajoute M. Delzons, pour
prononcer l'éloge de notre grand poète cantalien.
En terminant, M. le président adresse ses chaleureux
remerciements aux artistes, au public et à la presse qui
ont tous contribué à rehausser l'éclat de cette soirée
littéraire.
Avant de commencer sa conférence, M. le duc de la
Salle remercie M. Delzons des paroles aimables qu'il
vient de prononcer et s'excuse auprès du public de
vouloir faire sa conférence en notre dialecte cantalien.
M. le duc de la Salle fait alors, en patois, l'historique
des troubadours depuis Pierre de Vie. L'orateur
s'attache surtout à démontrer le talent d'Arsène Verme-
nouze qui sut si bien, dit-il, faire revivre les antiques
coutumes et vieux usages du Haut-Pays et dont le seul
et unique amour fut la terre, cette terre d'Auvergne qu'il
chanta et célébra avec un talent sans égal.
Littéralement émerveillé, l'auditoire souligne fré-
quemment les paroles de l'excellent conférencier qui
132 lis TROUBADOURS CANTALIENS
manie avec une aisance parfaite notre dialecte cantalien,
cette (( langue-mère » dont il connaît jusqu'aux expres-
sions les plus suranni
Le Progrès du Cantal se propose de publier inces-
samment cette conférence, magnifique page d'histoire
locale que nos lecteurs liront avec le plus vif intérêt et
le plus grand plaisir.
Pendant la seconde partie du programme de la soirée,
M. Gandilhon Gens-d'Armes a débité avec talent une
poésie patoise île Vermenouze.
.M. Monteil, accompagné au piano par M. Permann,
a fait apprécier une fois de plus sa magnifique et puis-
sante voix dans Les Pièous de mo Migo, poésie de Ver-
menouze mise en musique par M. Marius Yerscpuy.
La note gaie fut apportée par M. Establie qui a
soulevé les rires et applaudissements de l'auditoire dans
les poésies patoises de Vermenouze : Les deux Menettes,
La Foire, et Pierre d'Ytrac.
En résumé, soirée bien réussie qui a dépassé bien
au delà les espérances du Comité.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 133
16 novembre 1910
L'Avenir du Cantal, journal républicain dépar-
temental :
LES TROUBAIRES CONTOLIENS
Counferenço per moussu lou duc de lo Sallo de Roche-
maure ol tiatre d'Ourlhat, lou 13 de noubembre 1910.
Lo lengo d'oc, lo lengo maire
Que les froncimans boudrioù tua
Lo bielho lengo des troubaires
Es en tren de rebiscoula.
Cado couop que lo mouor dimpouorto
U11 pouèto del Poïs-Naut,
Diriaï qu'un ongi lou trous pouorto
Dessus los ci m os del Contait.
Dimpieï qu'Orsèno Bermenouso
Es portit dins l'Etcrnitat
Nostro lengo pus bertodiouso
Se quilho ombe mai de fiertat,
i ; v rBOl BADOl RS l AN l'Ai. II. Ns
N'on dirio qu'o leissat soun atno
Vins lei bouos e dessus les pucts
D'oquelo terra font aimado
One font povlidomcn contet.
L'obes qu'es tournado o lo mouodo
Lo lengo ruffo des peisons
Dimpieï que pertout l'on s'omouodo
Per ounoura l'un des pus grands
E des pus glourious contaires
Que jiotnaï beguèrou lou jiaur,
( ) porti deis anciens troubaires
Vins l'Oubernho et dins lou Mièt-jiour
Sur uua plaea de lo bilc>
Pas ph> Ion del papo Gerbert
Que dins lou brounze se proufilo
En lebont lo nia dreteho en Ver.
01 ras de l'outnbro glouriouso
Del boilhont gineral Delzoun
Les biels omis de Bermenouso
Oit jurât de groba soun uoum.
LES TR01 BADOURS CANTALIENS 135
Tio cossi lou duc de lo Sallo,
Dimmcrgue, ol tiatre d'Ourlhat
Dobont uno superbo sallo
Ound lou poplc s'èro omossat
Sous tenguet un poulit longatge
Dius lo puro lengo del bret.
Rondeguet cranoment oumatge
0 Vejont d' Virât qu'illustret
Lo tcvro que l'obio bit naisse
Coumo cat pusses de sobents
De ginerals, coumo cat /naisse
D' oq u esses que noummons soubent.
Lou no pie couarrou d'o Clobieiro
— Coumo un nobi touji'our frisât —
Es orne de groiidos nionieiros
Tout confit de cibilitat.
Mes dius lou porla de coiupouho
L'orne li se couuei to plo
Que cat de pastre de mountonho
Que se trontusso om seis esclops
136 - rilOUBADOl RS CANTALIENS
Otobe codun se corrabo
Cou 1110 dins uno (( Cour d'omour »
De Voncien foms renoubelado
Pois troubaires dol Naut Mièt jiour.
Disioù que lo lengo meiralo
S'oro escoundudo bol c ont ou:
Graço o bous moussu de lo Sallo
Démo lo porloroù pertout
E sous faire de poulitico
Oùren belèu /ou grond ploser
De proucloma lo Republico
Pois jelibres, del << gai sober ».
Emile BANCHAREL.
< Mirlliiit, 15 de noubembre 1910.
Le temps et la place nous manquent pour faire un
compte rendu détaillé de la soirée littéraire donnée au
profit du monument Vermenouze.
Le rideau s'est levé à 8 h. 30. Sur la scène avaient
pris place les membres du Comité : MM. Delzons,
président honoraire du tribunal, président du Comité;
LKS TR01 BADOURS CANTALIENS 137
Delmas, avocat; Delteil, notaire; Appert, avocat;
Gandilhon Gens- d'Armes, secrétaire de la Veillée
d'Auvergne; de Parieu ; Bouygues de Lamartinie,
maire d'Vtrac; Dr Cazals, conseiller général; Volme-
range, inspecteur des eaux et forêts; colonel Candèze;
Tourdes, artiste peintre; Theil ; Alfred Douët; Pichot;
Meyniel, avocat.
M. le président Delzons, président du Comité, a, en
termes choisis et pleins d'à propos, présenté le distingué
conférencier M. de duc de la Salle de Rochemaure,
majorai du Félibrige, qui a porté plusieurs fois hors
des frontières de la France, le bon renom de l'Auvergne,
soit à Madrid, soit à Lisbonne, soit devant l'université
de Cologne. Il a ensuite remercié chaleureusement et
individuellement tous ceux qui ont prêté leur concours
à cette fête du Félibrige Cantalien. MM. Gandilhon
Gens-d'Armes, venu tout exprès de Paris pour rendre
hommage à la mémoire de l'illustre défunt ; M. Establie,
fidèle interprète des œuvres cantaliennes de Verme-
nouze; M. Monteil, le ténor à la voix si souple et si
chaude; M. Permann, le distingué professeur de piano
qui a bien voulu compléter la séance par l'inappréciable
ressource de son talent d'artiste accompagnateur.
La salle était comble et, à toutes les travées, on
138 LES TROUBADOURS CANTALIENS
pouvait admirer, dans leurs plus riches atours, les
plus gracieuses de nos concitoyennes. Ce fut une déli-
cieuse soirée, d'un charme original et nouveau dont
tous les assistants garderont précieusement le souvenir.
.M. le duc de la Salle fut un conférencier de (( primo
cartello », un patoisant-félibre consommé dans l'art de
bien sentir le verbe et de bien dire. Aussi ne lui
ménagea-t-on pas les encouragements et les ovations les
plus spontanées. Passant tour à tour des précurseurs
du Félibrige au regretté Vermenouze, il sut envelopper
dans son étude, intelligemment conçue et savamment
écrite, les noms de tous ceux qui ont collaboré peu ou
prou à la (( maintenance » de la langue d'Oc en Haute-
Auvergne.
M. Gandilhon Gens-d'Armes débita avec beaucoup
d'expression et de brio un sonnet de sa composition
dédié à Vermenouze et le fameux poème de Vermenouze
(( Un Bièl de la Bièlho ».
M. Establie fut on ne peut plus amusant, dans son
costume montagnard, et son interprétation des (( Deux
Menettes, La Foire et Piorrou d'Ytrat )), les poésies si
pittoresquement écrites par Vermenouze.
Quant à M. Monteil, il chanta à la perfection les
(( Cheveux de ma Mie )), par Vermenouze, avec musique
LES TROUBADOURS CAXTALIKNS 139
de notre jeune et distingué compositeur, M. Marius
Versepuy ; puis (( Me cal mouri )), poésie languedocienne
de Jasmin, d'un rythme pathétique, supérieurement
accompagnée par le maître Permann.
A tous, organisateurs, conférencier et interprètes,
merci !
La Démocratie Ctuitalicnnc, journal républicain
radical :
POUR LE MONUMENT VERMENOUZE
Intéressante Coniérence de M. le duc de La Salle
Sur les Poètes patois du Cantal
(Lou Poïs nal)
La coquette salle du théâtre d'Aurillac était dimanche
beaucoup trop petite pour contenir l'affluence énorme
de compatriotes accourus pour applaudir le Conféren-
cier, M. le Duc de la Salle de Rochemaure. C'était bien
le cas de dire que le public impatient assistait à une
première représentation d'une pièce inédite. Jamais
encore la salle de la rue de Lacoste n'avait entendu notre
dialecte patois se dérouler en phrases élégantes tt
sonores comme il nous a été donné d'en savourer l'essai
1 40 LES TROUBADOURS CANTALIENS
heureux. C'est que M. de la Salle est un merveilleux
conférencier, et le public était d'autant plus émerveillé
que chacun se demandait où et comment l'orateur disert,
qui vit dans un milieu où le dialecte patois est à peu
près inconnu, avait pu apprendre la tournure spéciale
de cette syntaxe inédite, les mots savoureux, intradui-
sible- dans la langue française, la poésie toute locale
qu'en faisaient jaillir les menestriers et les troubadours
du moyen Age. Quelle étude complète a dû faire des
troubadours cantaliens le savant Conférencier! Comme
il nous l'a dit lui-même, il avait appris les rudiments du
dialecte de nos montagnes avec les pastres dol Dont, pro -
priété de sa famille, mais les finesses de ce dialecte, les
mots concis du patois, où avait-il pu les trouver? Soyons
reconnaissants à notre éminent compatriote d'avoir
délaissé pendant quelques mois le langage français, qu'il
manie, du reste, avec élégance et facilité, pour nourrir sa
pensée des pensées et des expressions des fabliaux du
moyen âge. De Pierre de Vie, en passant par l'abbé
Courchinoux, les Bancharel, Veyre, de Saint-Simon, jus-
qu'au poète patoisant qui les domine tous, Vermenouze,
le Conférencier nous fait assister et par son érudition et
par son patois sonore et élégant, à la période d'éclat
LES TROUBADOURS CANTALIENS 141
de ce dialecte spécial, qui n'est ni la langue d'oc, ni la
langue d'oil, mais qui tient des deux, à son éclipse, pen-
dant près de cinq cents ans, à sa résurrection avec les
derniers poètes cantaliens que je viens de citer, et
d'autres que j'oublie, et à son apogée avec Vermenouze.
Avant ces derniers patoisants, nous dit le Conféren-
cier, le dialecte cantalien était descendu des églises et
des châteaux aux cuisines et dans les étables. Avec
Flours de Brousso et Jons la cluchado, il escalade le
Parnasse, prend une modeste place à côté de la langue
de Théocrite, Homère, Aristophane, de sa marraine la
langue de Virgile et d'Horace, et vient se ranger der-
rière la langue incomparable des Racine, des Voltaire,
Lamartine, Victor Hugo, pour ne citer que quelques
noms! Il fait mieux encore. Avec M. le duc de la Salle
il paraît sur l'arène où brille le Conférencier et y
prend une place enviée et inoubliable !
Dr GRANIER.
FOMUSO PORPONDIJIADO
Les ornes que se sou otroupelats per faire un mou-
numen ol brabe Bermenouso, d'obon Dièou sio, obioou
ourgonisad, per dimmergue possa, uno fomuso porpon-
1 i- LES TROUBADOURS OANTALIENS
dijîado. Oquetchis ornes sous gaou è témous. E quond
se foutou une idéio dins lo cruquo, couès (( coumo un
cun de fer dins lo rei d'un soucal ». Noou poou de rès,
r rès pouot les empotchia d'orriba o lour offaïre.
jias ouo culit, un bouci pertout, de biaï ou de
biasso, un porilhat de millo froncs, maï passo. Mes n'en
bouolo enquèro maï ! Bouolo faire ticouon de crâne,
de fomus : ticouon que fouguesso o l'ouossado de l'orne
qu'n semenad sur nostre poïs glorio è ounour. E quond
sous omis l'ouroou quilhad sus un roucal, diroou otaou :
« Bàoutres que possaï ogotchia oquelo caro ! Lo cou-
oissès! C<»ncs l'orne qu'o robiscouat lou bouostre porla.
01 mièt de toutos leis lenguos, s'éro perdut, pécaire !
E sobès que Bermenouso l'onet querre pel lo rao è que
lou ménet ol mièt de n'aoutres. Mes èro maou pentehina,
tout mourolhat, è salle o fa déféci.
(< Bermenouso l'eimabo quond mémo. E sobès toutes
que quond'oqueste orne eimabo ticouon couère per tout
de bou. Lou pouèto que dubio, pus tard, se faire porla
de guel os quatre coins de lo Fronço, rebiret leis mar-
gos è s'ocronquet o rondre nostre potai min ruffé et
pus prope.
(( Lou rébréguet dins l'aio condo de souon cerbel, li
conjiet lo comisio è li corguet un obilhomen noubiaou.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 143
Dins oquesto tingudo poudio, ogaro, se présenta per-
tout. Otobé, Bermenouso, tordet pas o imbitad oquitchis
que parlou leis lenguos sores, o béni li faire uno bisito
d'omista. Ço lour diguèt :
Troubaïres del Mietchiour, cigoliès è félibres/
Bouostro lengu'è lo nostr'oou téta mémo lat
Arles è Montauban pouodou coumprcndre Ourlhat
Ourlhat, de souu constat, sat lisi bouostres libres.
Coumo dons rions freirat mesclou lour pur cristal,
Dins les conncours é dins les joutos ponétiquos,
Mescloren piousomen nostrey lenguos ontiquos,
Et sérès bien benguts, jrayres, dins lou Contai.
(( Leis troubaïres, leis cigoliès è leis félibres del Miet-
jiour benguèrou uno bondo è leis cobrettaïres lour
foguérou uno crano festo. E, per remercia leis musiciens
del Poïs-Nal, Bermenouso lour porlet otaou :
... Musiciens que dins nostroïs Muralhos
De l'ouire notiounal benès ifla lo pel,
Toutes leis Oubergnats bous quittou lou copel
E bous cridou . Brabo! d'o Maou o Mondalho!
1-i-i CES rROUBADOURS ( ITALIENS
(( Baoutres que possaï bous roppclaï tout ocouot ! Mes
leis boustres pitchious éfonts pourriouo l'ignoura.
Olèro, boulon, naoutres, que l'Oubernhe è leis Ouber-
nhats pourtessou toutchiour dins lour cur lou soubenir
de l'orne qu'o ressucitad lour lengo! »
Dounc, dimmergue lou ser lou théâtre de lo billo èro
borrigia de mounde. Leis modamos, jiontos è cranos, è
leis moussurs ombé lou poporel blonc, érou benguts de
pies è de long, de tout caïre, per ouosi oquel que dubio
faire esturlusi dobon nostres ueils escorcolhats, Berme-
tiouso è soun trobal. Les pendents et les onellos de leis
madamos lonçabous de temps en temps de leis luciados
è fosiouo toutchiour espornussouo. Digus, poutignet.
Mai' que fouguesso lo bestro de Sen-Morti, digus esto-
quet lou pouli.
Oquetchis qu'obiouo douna lou branlé risiouo coumo
deis escoaufolièts. Erou countents coumo deis rats on
très nouses. Es tobé bertad de dire qu'ouo lou nas
enquèro pus fis que lo besto. Bous érou estât quère lou
couarrou d'o Clobieiro son cat de bregouongio. Ah! de
sigur que se moutchiou pas ombe lou ped, coumo les
ogniels.
Moussu lou Duc de Lo Salo lour foguèt pas lo
LES TROUBADOURS CANTALIENS 1 15
pouoto. Benguet ol golop. Aimo, guel tobe, lou potaï è
les que lou parlou. Lou couarrou d'ol Dout n'o pas lo
leuguo o lo pouotchio. L'o plo peududo, per mo f e !
Oquel ou oquello que li posset les ciséoux jious lo pièlo
per li coupa lou fièou, l'ocertet cranomen bien. Porlo-
rio tout un jiour son ober lo seccado. Sério copable de
fiouoga un quintaou de lone son mettre un ouriouo o lo
bouco per li donna lou cupit. Los poraoulos li benou
coumo l'aio o lo fouont. Porlet mai' d'uno ouro. Toun
possa, n'en diguèt be caouqu'unos, mais couero talome fi,
tolomen plo emboîta, que leis sentias pas possa !
Debouoseguèt un fomus groumel sons embouolhat lou
fiéou. E, de (( fiéouo en betto », nous diguèt de qu'éro
(( ol temps n'onat lou nostre porlat d'Ourlhat é nous
foguèt soubéni deis troubaïres d'oncien temps. »
)) Beirès tout clar, opresso, ço diguèt, que lou nostre
Bermenouso, noscut sinq cens ons oprès guetchis es de
mémo pieou, tiro rei de mémo souco, o l'ouet to long
que cat deis onciens troubaïres. Ombe mai" de clon que
lou pus raouffi, guel conto miel que cat de mascle z'o
fat dobonço, lo terro meiralo, oquel Poïs Nal d'Our-
bernhe, qu'uno consou del temps del rey Sent-Louis
oppello : (( Lou nougal de lobenco e de rots forraous,
terro de los poulidos drollos è deis mascles bollions. ))
146 LES TKOl BADOUKS * WTAI.ii.nn
('pics Pierre d'o Bit, un lopin que n'obio j)as fret oïs
ueils; de Faydit d'ol Bollestat, noscut ol ras d'o Sent-
Olire; d'Ostor d'o Segret, sourtit de bos Solers; de
Guillauome Bourzat, de Bernât Omourous, efons d'o
Sent-Flour, è d'un aoutre porilhat (( que n'érou pas
bufforel, lou nostre potaï dobalo o lo cousino, s'orruco
peis estables, è sieis cens ans se passou son que daisse
traço din.- cal de libre ni de jiournaou. » Ol temps de
l'Emperur, lou potaï tourno opporaïtre ombe les Broyât
d'o Bouisset; Beyro, d'o Sont-Simoun è Bonchorel,
d'< >urlhat. ( >n'oquetchis que sou en bido, Bonchorel lou
fil, Géraud, lou cura Faou d'o Sogno, lou Mojoural lour
<< jietto un couop de copel )), passo en s'orresta un picou-
dou pel l'obba Courchinoux, oquel coppelot, (( coumo
n'en qnoiiriot tretchis o lo doutchino », è orribo ol trou-
baïre de Flour de Brousso, (( lou mascle qu'orronco lou
sal o l'en dobon de toutes, lou pus opposiounat é lou
milliour contaïre del nostre Poïs-Nal : Orsèno Berme-
nouso. »
Olèro, Moussu lou duc de Lo Salo empougno o bello
brossado lou trobal de Bermenouso, lou boulègo, l'espes-
sugo de tout biaï, lou biro dessus, lou biro dijious, gléno
pertout, è saouclot, de çaï de laï, los pus jiontos flours
espondidus dins leis escrits del Copiscol, los ossemblo
LES TROUBADOURS CANTALIENS \ 47
omb'un crâne tolon, n'en fo un bouquet jionte è porfu-
mat è nous dis :
(( Ti 0 l'obro de Bermenouso, tont estimado deis
sobens Mietjouraouos, opploudido de toutes. N'es pas
soulomen obro glouriouso de troubaïre, mes obro soni-
touso, ginerouso è fouorto de fil omistou de l'Oubernhe.
(( Lou monumen que li boulons quilha naoutres, l'i
omerito ; sero o so plaço ol pès del nostre Papo Gerbert,
ol ras del ginéral Delzouns. Fil de paoubres brossiès d'o
Belliat, Gerbert mountet o lo pus cimo, o rigour de tro-
bal ; on'un temps oun l'ignourenço ero tôt espesso que leis
funs sus leis mountonhos un ser de pleijio. Sourtit d'uno
bielho raço d'Ourlhat ound'leis ornes de tolon se cou-
omptou per doutchiéno, lou ginéral Delzouns, mascle
fier e berturious, foguet esterlusi soun espasso o trober
cen botalhos jious uels de Nopouleoun. 01 ras d'oquel-
leis glorios moundialos, lous nostre Bermenouso diro
ol possont que si guel fouguet min soben que Gerbert,
si n'ouguet pas oucosiou de douna so bido per lo Fronço
coumo Delzouns; o fa, ço que de laï, ticouon d'un aoutre
biaï. De toutes los caouses onciennes qu'occobabou de
s'ogoni, n'o omossa les trots escompillats, lour o douna
lo retirado din dous libres ound'o omogat e bressa
l'Oubernhe tout entièro.
148 LES TROUBADOURS CANTALIENS
'< D'oti, so memouorio demouroro en ounour ol Poïs-
Xal. l'ont que lo neou ocotoro, cad'hiber, leis cimos del
Contaou, que bromoro l'ecir, ol contou leis nostres efons
ligirouo (( fous la Cluchado )) del Mestre d'en
Bieouo. Tout que, per primo, berdejioroou les puets d'o
Solers, que lo brousso de leis nostros camps flourioou
h Flout </<■ Brousso >> ne se froustiro.
(( Ensignat pel rei de belet o l'efontou, lou noum de
Bermenouso possoro de generociou en generociou, orgul
è ounour de l'Oubernhe recounessento ol pus grond de
troubaires, on'oquel que lo tont aimado e tont plo
contado. >>
Quond .Moussu de lo Sallo borèt lo bouco, ieou ouo-
guère uno poou torriplo. Créguère que lo trobado del
théâtre onabo s'esclofa sul lo poustado et qu'onosion
toutes mourri, escrossats coumo deis olimats, n'en ben-
guère fret coumo uno bouobo. Fouguère léou tourna de
moun pessomen. Ocouèro lou public que fosio ço qu'op-
pelou, crèse plo, en fronces, (( une formidable ovation »
o Moussu de lo Sallo.
Ah ! se lou couarrou d'o Clobièro ogourmondit otàou
soun mounde, n'o pas enquèro ocobat ! Mes crigné pas
per guel. Tenro couop, bous en respouonde !
Oprès qu'ougorion entendut deis ortistos conta è débi-
LES TROUBADOURS CANTALIENS 149
ta, onorions ol lièt, tronquilles è countents, coumo del
moundé qu'oou possat un sèr que n'oblidoroou jiomaï.
JIOSET.
L'Indépendant du Gantai, journal du parti radi-
cal et radical-socialiste :
LA CONFERENCE SUR VERMENOUZE
Devant une salle comble — le public des grands jours
— a eu lieu dimanche soir, au théâtre, la conférence
organisée par le comité du monument Yermenouze.
Disons tout de suite qu'elle a eu un énorme succès.
M. le président Delzons, en une allocution pleine de
finesse, d'élégance et d'à-propos, a ouvert la séance et
présenté le conférencier, M. le duc de la Salle de Roche-
maure, majorai du félibrige.
Celui-ci, au milieu d'un silence augmenté d'une curio-
sité bien compréhensible a ensuite pris la parole.
D'une voix forte mais harmonieuse qui porte dans
toute la salle et devient peu à peu vibrante d'enthou-
siasme et d'amour, il dit en un patois très pur qui est
cependant le vrai patois du terroir, l'ancienneté de notre
langue, fille de la langue d'Oc.
150 LES TROUBADOURS CANTAUENS
:e, il la fait revivre, il la symbolise il lui prête une
e'ime, la sienne.
Au temps où le français vagit encore entre les latinis-
mes et les germanismes qui l'étouffent, on parle partout
notre dialecte, dans les castels comme dans les chau-
mières, dans les églises et dans les cours d'amour.
Et si elle est
Brutalo e grossiero un bouci
Oquelo lengo ispro e ruffo
Coumo leis muscles del poïs
parfois elle s'adoucit, dan- ces antiques laies, qu'on
nomme en Auvergne les << regrets »
Ontb' de leïs boucs de tourtourelo
Lo pastourelo et lou pastour
Doits ejons que sentait l'amour
Mes lou eounesso pas eu querro.
Puis le conférencier évoque au milieu de rires discrets,
le souvenir moyen-âgeux (j'allais ajouter par anachro-
nisme et rabelaisien) de Pierre de Vie, le joyeux prieur
de Montaudon, gaie paroisse du Carladès. La guerre et
LES TROUBADOURS CANTALIENS 151
l'amour, tels sont les éternels sujets des sirventés et des
causons que les Troubadours, dans les sombres et larges
salles des manoirs, récitent aux rêveuses châtelaines et
aux héros chevaleresques, qui iront mourir sous les murs
d'Antioche ou de Jérusalem. C'est la Dame du castel
d'Auze, Sapho passionnée de notre vieux pays, le baron
de Conros, d'autres encore, qui défilent sous nos yeux.
Mais après la guerre des Albigeois, le midi asservi
n'eut plus de littérature, et notre idiome, proscrit des
châteaux et des villes, se réfugia au fond des châtaigne-
raies, et dans les hautes montagnes. Et ce fut ce (( sque-
lette )) de langue qu'employèrent Yeyre et Courchinoux,
et qu'ils surent nous faire aimer. Après eux, Vermenouze
dans Flour de Brousso fut, suivant le mot d'Ajalbert,
la personnification même de cette Auvergne qu'il a si
bien chantée.
Là, en plein cœur de son sujet, M. de la Salle enleva
littéralement son auditoire. Son amitié pour le grand
évocateur de la patrie auvergnate donnait à ses accents
une chaleur communicative qui aurait enthousiasmé les
plus froids si la salle entière n'avait déjà vibré a
l'unisson .
Des applaudissements fréquents et chaleureux ont
J52 LES TBOI BADOURS < W I M M \-
ponctué cette belle harangue dont la péroraison a été
accueillie par une triple salve de bravos.
La seconde partie de la soirée fut aussi très goûtée du
public. .M. Monteil, accompagné par M. Permann, chan-
ta de se belle voix de ténor, un petit morceau délicieux,
Les pièus de >no Migo, paroles de Vermenouze, musique
du compositeur Versepuy.
l.ou pie ou fi de mo migo
Es d'or lu se 11 et pur
Pus roussel que lo si go
On 1(>h froumen modur
Puis cette chanson si triste de Jasmin, Quai moiiri.
M. GandilhoTJ Gens-d'Armes, venu tout exprès de
Pari»; dit avec émotion et grand talent Un Biel de lo
Bielhi . un des plus beaux morceaux de l'œuvre poétique
de Vermenouze. Sa diction colorée fait revivre les char-
ges épiques et légendaires des bonnets à poils qui mou-
raient en criant : Vive l'Empereur ! M. Gandilhon
Gens-d'Armes a obtenu un franc et légitime succès.
Après lui M. Establie — un jeune — a dit et mimé
à la perfection plusieurs poésies populaires : Les deux
Menottes, La foire, Pierrounel d'Ytra.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 153
Il a récolté à son tour de vigoureux applaudissements.
En somme, soirée délicieuse pour tout le monde et —
ce qui ne gâte rien — joli profit pour l'œuvre entreprise.
Henri PAREL.
10 novembre 1910
L'Auvergnat de Paris :
LE MONUMENT VERMENOUZE
La soirée littéraire organisée par le Comité du Monu-
ment Vermenouze, au théâtre d'Aurillac, a obtenu le
plus vif succès. Rarement, même aux plus grandes soi-
rées théâtrales, on vit public aussi élégant. M. Delzons
présidait. M. le duc de la Salle prononça en patois l'élo-
ge de Vermenouze. C'était le premier essai d'une confé-
rence faite en notre dialecte cantalien et les auditeurs
n'eurent pas à le regretter. M. Gandilhon Gens-d'Armes
a débité avec âme et expression un sonnet qu'il avait
composé pour Vermenouze. M. Monteil a chanté les
(( Cheveux de ma Mie )). La conférence a pleinement
réussi. L'idée du monument Vermenouze a fait du che-
min. Les souscriptions sont déjà nombreuses et le
deviendront de plus en plus, car tous ceux qui aiment
154 LKS TROUBADOUBS CANTALIKNS
l'Auvergne auront à cœur de glorifier son poète. Le
total des sommes recueillies s'élève déjà à 2.999 francs.
20 novembre 1910
La Croix du Cantal. — Son « reporter » n'a pus
vu avec les ni «'mes yeux que tous ses confrères can-
taliens public et conférencier :
SUR ARSENE VERMENOUZE
M. le duc de la Salle de Rochcmaurc avait été invité
à faire une conférence sur Yermenouze. On sait que
M. de la Salle est majorai du fc'librige. A la vérité, son
bagage littéraire, en dialecte d'Oc, est léger. Mais ses
Récits Carladeziens ont de la couleur, et même, par
endroits, un relief assez intense.
Nous savions que M. le duc de la Salle connaît notre
vieille langue mieux qu'aucun paysan d'Ytrac ou de
Yolet. Mais le public Aurillacois était peut-être moins
bien informé. La conférence qui eut lieu, dimanche
dernier, au théâtre d'Aurillac, jeta un auditoire de
belles dames et de messieurs chics dans une véritable
stupéfaction. Qui ne connaît de ces gens qui prennent
la sottise pour de la distinction, tiennent pour vulgaire
LES TROUBADOURS CANTAL1 KXS 155
le parler de nos aïeules, et croiraient déchoir en usant
de cette langue qui exprima, dans le passé, tant de beaux
et généreux sentiments ?
M. le duc de la Salle a rendu sélect le patois d'Au-
vergne. Il fallait, pour cela, un grand seigneur. Puisse-
t-il avoir donné au beau monde qui l'applaudissait le
goût de parler notre vieux dialecte. C'est la première
fois qu'un orateur usait, en public, de la langue mater-
nelle. Le succès fut éclatant. Il y avait, dans tout
l'auditoire, une vraie joie d'entendre ces bonnes, et
vieilles, et savoureuses expressions. M. le duc de la
Salle a appris le patois, au sortir du berceau, en jouant
avec les pâtres, dans les prairies du Doux. Il ne l'a
jamais oublié. Il ne suffit pas de le lire. Il faut fermer
les yeux et l'écouter. On s'imagine alors quelque fer-
mier jovial, ami de la bonne chère et des gais propos,
cossu d'ailleurs et coiffé d'un opulent chapeau aux
larges bords.
Je ne vous ai pas dit encore le sujet que M. le duc
de la Salle a traité. Cela importe peu. Le charme de sa
conférence, c'était la saveur de notre dialecte, le ton,
la gaieté, la verve cordiale du conférencier. Disons
cependant que M. le duc de la Salle a parlé des trou-
badours cantaliens, depuis Pierre de Vie jusqu'à
156 LES TBOUBADOUBS CASTALIENS
Vermenouzc. Pas de découvertes d'érudition. Comme
nous aimons le passé littéraire de l'Auvergne, et que
l'abbé R. Four, le bon félibre, est notre collabo-
rateur, nos lecteurs connaissent le Moine de Montau-
don, et Cavairc, et Bonafos, et tous nos troubadours.
Nous leur en parlerons encore.
Citons un fragment du discours de M. de la Salle.
Il y est question de M. l'abbé Courchinoux, qui dirigea
longtemps ce journal : (( L'abbé Courchinoux, qu'on
peut vraiment appeler le maître de Vermenouze,
débuta en éparpillant dans les journaux quantité de
nouvelles et contes aussi fins que délicats et publia en
1884 ses feuilles imprégnées de (( Poussière d'Or )>.
Ce livre renferme le meilleur éloge qu'on en puisse
faire : il suffit d'en détacher ce vers :
Le (-(fur est les trois quarts d'un homme
(( L'excellent Courchinoux n'avait pas donné aux
trois quarts, mais bien tout entier son cœur au poèie
de Vielles. C'est grâce à ce prêtre éminent, qui reste
un modèle, que l'auteur de Fleur de Bruyère entra
dans la vie et que l'Auvergne peut se glorifier de
l'écrivain qui s'est placé en tête de tous les autres, le
LES TROUBADOURS CANTALIENS 157
plus lyrique et le plus grand des poètes du Haut-Pays :
Arsène Vermenouze. ))
*
• *
La conférence fut présidée par M. le président Del-
zons, qui prononça, pour présenter l'orateur, une
allocution d'une sobriété et d'une distinction classiques.
Elle s'acheva par de la musique. M. Monteil chanta
Les Pièus de Mo Mio, dont les paroles sont de Verme-
nouze et l'air de Versepuy. M. Gandilhon Gens-
d'Armes, venu tout exprès de Paris, électrisa la salle
en débitant : Un biel de la Biclho. M. Establie a
déchaîné la gaieté bruyante de l'auditoire avec Les
Deux Meneites. Ce fut, pour notre cher Vermenouze,
un triomphe.
Adresser les souscriptions, pour le monument le
Vermenouze, à M. Delteil, notaire à Aurillac.
LAIK.
Le Journal du Travailleur, publié hebdomadai-
rement par La Liberté du Cantal;, reproduit textuel-
lement le compte rendu de ce journal.
La Semaine Auvergnate, jeune Revue Parisienne
région a liste, a publié, la première, le 17 novembre,
158 LES TROl BADOl RS ' W IA1.1I \s
le texte intégral de la conférence qu'elle a fait
suivre «le cet te liicii vci 1 lan t e appréciation :
Nous devons ici des remerciements chaleureux au
duc de la Salle de Rochemaure; nos amis, abonnés et
lecteurs se joignent à nous pour les lui présenter sincè-
rement, cordialement. L'éminent félibre, en confiant le
texte de sa conférence à La Semaine Auvergnate a
fait un de ces gestes dont il est coutumier et qui lui
attirent la respectueuse sympathie de tous les gens
intelligents. Nous voudrions que notre grand Verme-
nouze y trouvât, en définitive, quelque profit et nous
faisons un appel chaleureux à ceux que le texte de la
conférence du duc de la Salle de Rochemaure, publié
par La Semaine Auvergnate, a enthousiasmés : qu'ils
envoient le tribut de leur admiration au comité du
monument Vermenouze. C'est à Vermenouze, plus
qu'à nous-mêmes, que nous avons songé en publiant
la conférence du majorai du Félibrige, que ce soit
Vermenouze qui retire les bénéfices de nos efforts :
nous nous contenterons volontiers de la gloire, pour
cette fois !
POUR VERMENOUZE
La soirée organisée au Théâtre d'Aurillac, au profit
LES TROUBADOURS CANTALIEXS 159
du monument Vermenouze, a eu lieu dimanche soir, à
8 heures. Disons de suite qu'elle a eu un succès
complet.
M. Delzons, ancien président du Tribunal, prési-
dait cette fête. Remarqué autour de lui, sur la scène :
MM. Armand Delmas, avocat; Delteil, notaire; le
docteur Cazals; Gandilhon Gens-d'Armes, etc.
En quelques mots très heureux, le président a ouvert
la séance. Il a parlé en admirateur de l'œuvre de Ver-
menouze et adressé ses remerciements à tous ceux qui
ont prêté leur concours à l'organisation de cette soirée.
Il a ensuite donné la parole à M. le duc de la Salle de
Rochemaure, majorai du Félibrige, pour traiter — en
dialecte cantalien — le sujet suivant : (( Les Trouba-
dours cantaliens de Pierre de Vie à Vermenouze. ))
Traiter un sujet littéraire dans notre pauvre vieil
idiome, n'est pas chose aisée, comme bien on pense.
Aussi la tâche qu'avait assumée le distingué majorai
était-elle particulièrement difficile. Bien des audi-
teurs, surtout parmi ceux qui ont essayé d'écrire notre
langue locale, se demandaient si le conférencier n'allait
pas être souvent obligé de (( patoiser )) du français.
Eh bien, ceux-là furent vite détrompés.
Avec la plus grande aisance, M. de la Salle attaque
1G0 LKS TROUBADOURS CANTALIENS
son sujet. 11 parle d'abord de notre langue qui, dit-il,
est la sœur aînée de la (( langue de Paris )). Il rappelle
qu'elle a été formée et cultivée bien avant la langue
du Nord; il parle des anciennes (( cours d'amour »,
des c troubaïres » du Cantal et de ce que l'on a pu
savoir de chacun d'eux. C'est une revue complète de
ceux qui ont cultivé la langue d'Oc en notre haute
Auvergne.
Enfin l'éloquent majorai en arrive à Vermenouze —
le plus grand de tous et de beaucoup. Il examine son
œuvre cantalienne et, à l'aide de citations nombreuses
et bien choisies, sait faire partager à l'auditoire son
admiration pour le grand poète du terroir.
Entrer dans une analyse de cette partie de la
conférence nous mènerait beaucoup trop loin et ne
pourrait que donner une idée très insuffisante de ce
qu'elle fut.
« Lou Couarrou d'ô Clobiéiro » possède à fond
notre langue locale; il en sait toutes les finesses et la
manie en virtuose. C'est sans doute pour cela qu'il
connaît si bien et admire si fort l'auteur de Flour de
Brousso.
Les applaudissements nombreux et nourris qui l'ont
LKS TROUBADOURS CANTALIENS 161
souvent interrompu dans sa causerie ont dû lui prouver
qu'il avait su, au plus haut point, intéresser son audi-
toire.
Après lui, M. Gandilhon Gens-d'Armes, venu tout
exprès de Paris pour apporter son tribut d'admiration
à Vermenouze, a dit de fort belles poésies de sa compo-
sition, dédiées au (( Capiscol » ; il a ensuite débité,
d'une manière impeccable, la poésie du Maître : Un
Bicl de lo Biélho. Il a été très applaudi.
M. Monteil, un toulousain possesseur d'une très belle
voix, a chanté divinement, accompagné par M. Per-
mann : les piéus de mo mio (poésie de Vermenouze,
musique de M. Marius Versepuy) et Me cal monri!
de Jasmin.
M. Establie, habillé en (( costogneirèl )), a récité
avec verve et humour : Lei duos Menetos, Piorrou
l'efont d'Ytrat et lo Fiéyro.
La séance a été levée à il heures.
Je ne connais pas encore le chiffre net de la recette,
mais le Comité Vermenouze doit être content, car la
salle était comble.
H. -M. DOMMERGUES.
Le Journal du Cantal, La Liberté du Cantal, Le
L62 LES TROUBADOURS CANTALIENS
Progrès du Cantal, L'Avenir du Cantal , L'huh'pcn-
pendant du Cantal ont publié en feuilleton le texte
entier de cette conférence.
27 novembre 1910
La Vois des Montagnes (Mauriac), journal indé-
pendant :
VERMENOUZE A-T-IL IGNORE L'AMOUR!
L'abondance des matières ne nous a pas permis,
dimanche dernier, de noter l'intéressante conférence
que M. le Duc de la Salle de Rochcmaure, un fin lettré
aussi habile à bien dire en patois qu'en français, don-
nait la semaine dernière à Aurillac (( sur les Trouba-
dours Cantaliens, de Pierre de Vie à Vermenouze )).
Nos confrères d' Aurillac publient cette conférence
ru extenso : et ils ont raison, car elle est un vrai régal
littéraire. Qu'on en juge par ce court extrait :
Bous ai dit que leis onciens Troubdires n' ou gaire
conta que la guerre et V omour ; mai es bé raie qu'en
porla d'oqueste, darcou pas lo bougo de mai d'uno
LES TROUBADOURS CANTALIENS 163
combado! Lou reprotchi o estât fat o Bermenouzo
d'obeire, ni mai un copelot ou un moungi, boulounta-
riomen ignoura l'amour! S'es eau entendre sus oti.
Bermenouzo, lou pouéto, u'ero pas un cautillounaire,
e din touto soun obro, troubares pas une poraulo que
pudio, que fasco eseurci lo cilho o digus. Mes, dises-me
si u'<> pas lou respei omistaus de lo jenno, si sat pas
lou biaï de lo penre et de euli, quant bouro, lou poutou
l'orne qu'a escrit :
E, qu'os (>ti qu'un jiaur
Segucre fouis sat per l'amour.
Uno droulloto jioubénélo
Que s'appelaba Lisaunelo
Me jiouguet aquel meissau tour.
Lou dimergue, o la messo grondo,
Remorquabo sous uels biaus, so pel fino e condo
E soun borel relebat.
Un moti m' e gotchict ; qouo seguet ocobat!
Lou u astre potai s'ero jiomai ofjronquit, tôt omistons
e douçorelj per parla d'omour, eaumo dins /'Einado
d'en Puet-Nau, uno de los obros las pus goustousos de
Bermenouzo. Cat de Troubaïre n'o conta tôt sutillomen
lo bcltat de so uiigo, n'o trauba reis-de-tours pus
164 LES TROUBADOURS CANTALIEKS
golonts per fa counesse los quolitats de lo suo mes-
tresso, sous une poraulo de trop :
... So caro jionto e poulido
Es d'un tin pas bloue que lou lat.
Es fresco coum'un ginouflat.
Qu'au /'<< bisto jiomaï l'ouplido
Soun ne/ (> lo coulour del eieu,
So bouco qu'os uuo eiriégio.
Lou pieu il de mo mi go
Es d'en- luseu e pin-
Pus roussel que lo sigo
Que lou froumen modur
Es d'or eouiuo son eur
L(>u pieu fi de mo migo
Quond pense o soun uel blus
Pense pas o res plus.'
Del 11011m de moiiu eimodo
Mo boueo es porfumado
Coumo uuo flour d'Obrieu
li gardo un goût de mien
Rès que d'obeire noummado
Mo migo et mouu eimado,
LKS TROUBADOURS CAXTALIENS 165
Quand via migo es omb ieu
Me crese din lou ciêu!
Onat dire, opresso, si ousaï, que lou poueto d'en
Bieuo sat.pas porla de l'omour! D'entendre bouta otau
la Lisounello d'eu Puet-Nau, donno etbetcliio, per-
mouito, de fa ounestomen un ponton un' oquello drollo!
D'autres conférences seront données. Le comité du
monument Vermenouze, réuni à Paris le 22 octobre,
sous la présidence de M. Francis Charmes, a pris,
nous dit la Veillée d'Auvergne, d'importantes mesures
pour assurer le succès de son œuvre. Déjà, les sous-
criptions s'élèvent à 3.000 francs. Les lecteurs de la
Voix, dont Vermenouze fut l'ami et le collaborateur,
se feront un honneur de s'associer à l'hommage que
l'Auvergne va rendre à son poète. Ils pourront adres-
ser leurs souscriptions à M. Delteil, notaire à Aurillac.
La Veillée d'Auvergne, Revue parisienne, artis-
tique, littéraire et régionalist<\
LES TROUBADOURS CANTALIENS
de Pierre de Vie à Vermenouze
Sur ce sujet, le Duc de La Salle de Rochemaure,
Majorai du Félibrige, a fait le 13 novembre, au
166 LES TROUBADOURS CANTALIENS
Théâtre d'Aurillac, sous les auspices du Comité Ver-
menouze, une conférence qui a eu un juste retentis-
sement. Prononcée toute entière en patois, elle avait
plus rare encore, pensée en patois. Elle a
rempli d'aise les aurillacois en général et les félibres en
particulier. Elle produira le même effet sur tous ceux
de nos lecteurs qui parlent ou du moins entendent, si
peu que ce soit, un de nos dialectes de langue d'oc. C'est
pourquoi nous nous faisons un plaisir et d'ailleurs un
devoir d'en donner le texte in extenso.
.Mais il y a des lecteurs qui n'entendent rien et ne
prennent aucun intérêt aux patois méridionaux. Ne
faut-il pas leur offrir une traduction? Aucune ne sau-
rait, à notre avis, leur rendre suffisamment sensibles la
saveur originale, le parfum de terroir, l'humour rus-
tique, l'âpre verdeur du langage de ce pâtre lettré qu'est
le Duc de La Salle. A quoi bon, dès lors, leur présenter
un texte français? Peut-être — et ce serait chose regret-
table — à les détourner tout à fait de regarder le
texte patois! Quelques-uns, sans doute, se serviraient
de la traduction pour, en la comparant au texte, s'ini-
tier à la connaissance du dialecte. A ceux-là nous
dirons : si vous avez ce louable désir, achetez, lisez et
étudiez Jous lo Cluchado de Vermenouze et les Récits
LES TROUBADOURS CANTALIENS 167
carladéziens du Duc de La Salle (i). Vous trouverez
dans ces deux livres texte patois et traduction, notions
de grammaire et de prononciation.
Et puis — il faut bien le dire en passant — est-ce
que la Veillée, revue régionaliste, est faite pour donner
aux sceptiques l'impression que les dialectes d'oc sont
des dialectes étrangers qu'il faut traduire? Certes, nous
voulons bien, à titre de curiosité pour certains de nos
lecteurs, donner de temps en temps la traduction d'un
poème patois (il en est d'un peu difficiles) ; mais ce doit
être l'exception et non la règle. Il faut considérer que
pour nous, Auvergnats aimant tout de l'Auvergne, le
français et le patois sont nos langues maternelles. Le
patois, dira quelqu'un, mais il se meurt! — Allons
donc! Ecoutez le Majorai d'Auvergne.
{Suit le texte de la conférence en dialecte Cantalieu.)
(i) Aurillac. — Imprimerie Moderne, 1905.
II
Les Troubadours
Leurs origines — Leur développement — Leur apo-
gée — Leur décadence — L'Ecole d'Auvergne.
— Ses ramifications — Troubadours de Basse
Auvergne et Troubadours du Velay.
Un journal Cantalien publiait récemment cette
humoristique réflexion :
L'Auvergne... à Berlin.
(( Voulez-vous étudier les œuvres des Troubadours
(( Auvergnats? Ne questionnez pas nos compatriotes;
(( ne cherchez pas dans les revues locales d'érudition ;
(( ce serait peine perdue. Les Auvergnats ignorent, ou
(( à peu près, leurs vieilles gloires littéraires. Consultez
(( pour les textes de nos vieux poètes : C. A. F. Mahn :
<( Die Werke der Troubadours (Berlin, 1846-53), ou
(( Cari Oppel : Provenzalische Chestomathic (Leipzig,
(( 1907)... etc.
(( Pierre d'Auvergne, Pierre Rogier et le Moine de
(( Montaudon ont eu les honneurs d'une édition com-
(( plètes de leurs œuvres... en Allemagne. M. l'abbé
« Four, le bon Félibre, renseignera là-dessus tous les
(( lettrés curieux de nos vieux auteurs...
(( Pour les autres, attendez qu'un étudiant de l'Uni-
172 LES TB0UBAD0UR8 CANTALIENS
<< versité de Halle ou de Berlin ait accouché de sa
(( thèse de doctorat ( I ) ! ))
Il convient, certes, de rendre hommage à la
science Allemande, de reconnaître L'aptitude parti-
culière d<-s érudita d'< hitre-Rhin à déchiffrer et colla-
tâonner on manuscrit, leur habileté à restituer, au
milieu de Leçons diverses, Le texte Le meilleur et à
L'épurer des scories dont les copistes l'ont altéré à
travers les âges, Leur compétence à fouiller minutieu-
sement une époque ou La vie d'un écrivain et à en
reconstituer les moindres phases. Dans La seconde
moitié du XIX6 siècle, les savants Allemands ont
apporté nu.- pari contributive des plus précieuses
à L'étude de notre littérature médiévale. Les uns
ont fouillé les origines mêmes et les transformations
successives de nos idiomes méridionaux, tandis que
d'autres, s'at tachant à des travaux d'ensemble, ou
se spécialisant a une Ecole, à une région, à un per-
sonnage, ont appliqué à ce labeur, leur patience
de recherches, leur ténacité de travail, leur ferme
logique de déduction, caractéristiques de leur mé-
thode et de leur tempérament. La longue liste,
(t) La Croix du Cantal — 28 août 1910.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 173
probablement incomplète encore, qu'on trouvera à
la fin de ces pages témoigne de la multiplicité de
leurs efforts (1). Ces œuvres sont belles et bonnes,
jettent une lumière pénétrante et nouvelle sur nos
célébrités poétiques médiévales et Ton se prend à
regretter, en effet, qu'elles n'aient pas été écrites en
terre Occitanienne par les érudits issus de la même
race que les Troubadours. Mais ces travaux, aux-
quels il est de toute équité de rendre justice, aussi
bien qu'à ceux des Italiens (2), ne sauraient faire
oublier les magistrales études de nos historiens, de
nos littérateurs et de nos critiques. Avec autant de
science et une délicatesse d'esprit plus affinée, les
Gaston Paris, les Chabanneau, les Paul Meyer, les
Thomas, les Jeanroy, pour ne citer que les plus
récents, ont fourni les plus belles assises à ce monu-
ment de critique et d'érudition dont Hugues de
Saint-Cire jetait déjà les bases dès le XIIIe siècle,
(i) Voir à la fin du volume la bibliographie des ouvrages Alle-
mands sur les Troubadours. — On ne saurait trop rendre hom-
mage aux savants travaux des Kuner, Roerner, Mos, Stimming,
Schultz, Diez, Keller, Beck, Pillet, Wechssler, Zeker, Appel, Kol-
sen, Mahn, Zenker, Hirschfeld. Pratsch, Lévy, Lowinski, Patzold,
Vossler, Lang, Scherer, Liideritz, Pannier, etc.
(2) Voir la bibliographie à la fin du volume.
174 LES TROUBADOUK.-. I \\l.\l.ll\s
par ses précieuses biographies des Troubadours (1)
i't auquel travaillent encore nombre d'érudits Fran-
çais, Les professeurs ( Sonstans ei Anglade, des Facul-
tés «l'.\i\ ei de Toulouse, entre antres (2).
«.r.irc aux uns ci aux autres, nos Troubadours
sorteni < l<- la pénombre accumulée sur eux par les
:les. Bu même temps que L'enthousiasme irréflé-
chi, que Leur avaient voué Les romantiques <le 1830,
itompe, Leur valeur réelle apparaît plus exacte;
une pari leur est faite, moins exagérée, sans doute,
mais plus solidement motivée, dans la formation
(i) Il est certain que le Troubadour Hugues de Saint-Cire n'est
pas l'auteur de toutes les biographies, bien qu'il écrive : « Et sachez
que moi, Hugues de Saint-Cire, qui ai écrit ces raisons — « razos »,
etc. ». — Chabaneau donne, aux premières pages de son précieux
ouvrage : Biographies des Troubadours, Toulouse, 1885, l'histoire
et la critique de ces biographies du XIIIe siècle.
(2) M. Constans, Professeur de Littérature Romane à la Fa-
culté d'Aix-Marseille, Majorai du Félibrige, a donné de remarqua-
bles travaux sur des textes du moyen âge et a encore en cours
de publication un travail de haute érudition sur Jean de Troyes.
M. J. Anglade, Professeur à la Faculté des Lettres de Toulouse:
« Les Troubadours, leurs vies, leurs œuvres, leur influence ».
Paris 1908. Nous ferons de fréquents emprunts à cette étude de
haute érudition qui résume pleinement, sous une forme des plus
accessibles, les plus récentes découvertes. A maintes reprises, le
distingué Professeur Toulousain, que nous rencontrons dans les
réunions Félibréennes, a bien voulu nous faire bénéficier de sa
haute compétence en Littérature médiévale.
LES TROUBADOURS GAKTALIENS 175
de notre langue et l'amélioration de notre caractère.
La société qui leur donna naissance et leur permit
de se développer se révèle aujourd'hui à nous, sons
son jour vrai, avec sa sensualité et ses aspirations
d'idéal, son afféterie et ses besoins artificiels, ses
goûts de magnificence parfois extravagante et sa
rudesse de mœurs moins corrompues qu'exacerbées.
Les Troubadours furent les reflets de leur époque
autant qu'ils l'éclairèrent; ils contribuèrent, certes,
pour une large part à répandre et à accroître cette
déviation du cœur qui conduisit à une malsaine exa-
gération des sentiments les plus instinctifs. Mais ils
n'eussent pas glissé si vite sur la pente du conven-
tionnel et du faux, si la société tout entière, où et
dont ils vivaient, ne les y avait poussés. A évoquer
sommairement leur histoire on sera porté à « beau-
coup leur pardonner parce qu'ils ont beaucoup
aimé » et on oubliera certaines de leurs faiblesses
pour se souvenir, avec leur plus récent historien
français, que c'est grâce à eux que « la France du
« Midi a enseigné aux littératures naissantes à
« exprimer sous une forme artistique les sentiments
I .''• LES i ROI BADOl 'lis OANTALIENS
a les plus doux, les affections 1rs plus chères qui
« aient fail battre le coeur des hommes » (1).
Tout ea faisant La part large a l'exagération de
certains de leurs apologistes, il est indiscutable que
les provinces des Gaules comprises entre La Loire
et la Méditerranée, étaient Infiniment supérieures,
dès le XI" siècle, ans pays septentrionaux, comme
degré de culture intellectuelle et de civilisation. La
pensée 3 était plus hardie, s'exprimait plus Libre-
ment, en une Langue mieux fixée que sur les bords
de la Seine; la Langue d'Oc avait pris une incon-
testable avance sur la Langue d'Oïl. Il faut cher-
cher, disait -on volontiers, la raison de la préémi-
aence méridionale dans le fait que les pays d'Oc
c'étaient autre chose que les sept provinces de la
Gaule romaine, mieux compénétrées par le génie
Latin et où s'étaient conservés les germes encore
( 1 ) Anglade, P. 301-302.
J.KS TROUBADOURS OANTALIENS 177
vivaces de la culture antique. Si, en même temps
qu'on admire le raffinement littéraire des Trouba-
dours, on leur reproche un genre trop maniéré, une
lascivité extrême, c'est qu'ils ont hérité des quali-
tés et des défauts de la décadence romaine dont ils
procèdent et sont, en réalité, les héritiers directs.
La critique moderne, dont le savant professeur
Anglade s'est fait l'interprète autorisé (1), voit
ailleurs l'origine de Fefflorescence poétique du
XIIe siècle. Dans le Midi médiéval, qui allait de la
Loire aux extrémités de la Catalogne, de l'Océan au
delà des Alpes, la différence entre les dialectes
divers était infiniment moins sensible qu'aujour-
d'hui. Une langue prédomina, exclusive à tous les
Troubadours, dont le Dante lui-même, aurait songé,
dit-on, à se servir, la langue Romane (2) ou, plus
(f) Anglade: Les Troubadours.
(2) Nous nous conformons à l'usage généralement admis jus-
qu'ici en employant les dénominatifs de « Langue Romane », mais
nous reconnaissons avec la Critique moderne qu'il n'y a jamais eu,
en réalité, une langue spéciale dénommée « Romane ». La langue
des Troubadours était appelée par eux « Limousine, Auvergnate,
Proivençale ». Bile était incontestablement dérivée du Latin, mais
avait gardé, comme le veulent de savants linguistes, nombre de
mots Celtes, Grecs et même de la langue d'Oil, conservés des dia-
lectes parlés de la Loire à la Méditerranée avant la conquête
17s l 1 ROI BADCH BS CAMTALIENS
exactement, la Langue Limousine, qui ae portait pas
d'autre aom au XII" siècle e1 n<' s'est appelée qu'au
XIII" : (< langue Provençale » (1). Le Troubadour
< ';int;ilicn ou Provençal, Languedocien ou Avignon-
aais ne chantait ni ne composait en son dialecte
uatal, mais exclusivement en cette langue Romane.
m Elle unissait, «lit un écrivain Cantalien, de
h l'époque Romantique (2), la douceur à l'énergie.
.« Dérivée do Latin, comme le Français, l'Italien et
<< l'Espagnol, fil»' l'emportait sur ses rivales, eu
o conservant beaucoup plus de mots Celtes et eu
« participant aux beautés du Grec qu'on avait
« longtemps parlé a Marseille. Elle était en usage,
« non seulement dans les contrées méridionales de
m la France, mais (die était encore entendue et
Romaine, ou importés par les conquérants qui l'avaient, tour à
• ir, foulée : Goths et Francs. F.n réalité, le Français, l'Italien,
Hîspagnol m, nt, au même titre que la langue des Troubadours,
« Langues Romaines ». — Lorsqu'au XIVe siècle les sept
Troubadours Toulousains voudront empêcher la disparition de
eur langu<- ancestrale, ils déclareront que la violette, l'églantine,
le souci d'or ou d'argent ne seront décernés qu'à des poésies en
langue « Romaine ».
(i) Anglade : Les Troubadours. P. 7 à 10 et 306. Note 4.
(2) Probablement le Baron de Sartiges d'Angles. — Annuaire
du Cantal, année 1830.
LES TROUBADOURS CAKTALIEXS 179
(( cultivée en Italie, eu Espagne, en Angleterre et
« jusqu'en Allemagne. »
En parlant de la langue qu'ils emploient, à
L'exclusion de tout autre dialecte, les Troubadours
l'appellent toujours « Lengua Romana » et par
abréviation « Romans ». « Les critiques Italiens,
« Espagnols, Portugais, dit uu des meilleurs histo-
(( riens modernes des Troubadours ne qualifient
« jamais cette langue ou cette poésie par l'épithète
« de Provençale; ils l'appellent ordinairement lan-
ce gue ou poésie du Limousin: « Lemosina », quel-
ce quefois d'Auvergne, désignant évidemment l'une
(( et l'autre par la patrie des plus renommés entre
(( les Troubadours qui représentaient le mieux la
« nouvelle poésie » (1).
Constatons avec quelque orgueil que la langue
poétique du Moyen Age a porté le nom d'Auvergne,
concurremment avec celui du Limousin, bien avant
d'être appelée Provençale. C'était, en effet, de ces
deux provinces centrales que venaient les premiers
et plus fameux Troubadours ainsi que le constate
(i) Baret: « Les Troubadours et leur influence sur la Littéra-
ture du Midi de l'Europe ».
lv" rHOl BADOI RS i W I \l II N*S
dans sa chronique 1«- Portugais Nunes de Liâo: « Le
«. roi don 1 )»'iiis (de Port agal |, écrit-il, fut bon Trou-
• badour et, pour ainsi dire, le premier qui ait écrit
a des \ ers, ce que ' "" commença à faire de son
temps à l'imitation <1<- ceux d'Auvergne et de
<< Limousin ».
Le troubadour fameux Pierre Vidal (1) tient
même langage, Lorsque, dans son traité de gram-
maire et de versification romanes, il dit:
<■ T<>tz hom que \<>1 trobar ni entendre deu pri-
(( meramenl Baber que aeguna parladura no es na-
« turals ni drecha de] nostre lingage, mais aquella
« de Lemosi el de Prœnza e d'Alvernha et de Caer-
<• siin. m
e Tout homme «i ui veut s'adonner à la poésie doit
« premièrement savoir qu'aucun idiome n'est notre
droit et naturel langage hormis celui qu'on parle
en Limousin et en Provence, «m Auvergne et eu
« Quercy. »
<v n'est donc pas de Catalogne, comme auraient
voulu le supposer les historiens Bastero, Ainat, etc.,
(ii Troubadour Toulousain dont H. de Saint-Cire donne la
longue biographie. \'< >ir Chabaneau. P. 64 et suiv.
LES TR0UBAD01 US CANTALIENS lsl
que la poésie Romane serait remontée en Provence
pour continuer son expansion en Aquitaine, Langue-
doc, Auvergne et Limousin, mais de ces dernières
provinces, son vrai berceau, qu'elle est descendue
vers le sud. Sans remonter aux «< Sons » on mélo-
dies du Poitou, c'est dans cette province qu'appa-
raît le premier Troubadour, Guillaume VI, comte
de Poitiers (1087-1127) et ce serait aux limites
du Poitou et du Limousin qu'il faudrait placer le
berceau de la poésie des Troubadours il). Simple
chanson populaire à l'origine, elle a évolué, peu à
peu, vers la chanson « courtoise » (2) s'adressant
à une élite plus raffinée. Il est certain que, dès les
premières années du XIIe, la langue des Trouba-
dours est fixée, des règles poétiques existent, toute
une technique est constituée qui ira grandissant
jusqu'à l'infinie diversité de la métrique, puisqu'on
comptera, au XI 11% plus de mille formes de la
strophe, dans la lyrique Provençale.
Le caractère du Méridional, plus gai, plus léger,
son esprit plus vif, ses mœurs plus faciles, son
(i) Anglade. P. 8.
(2) « Chanson courtoise », digne d'être chantée dans les Cours
d'Amour et à la Cour des monarques protecteurs des Troubadours.
L89 If- '1K"1 BAD01 RS I AMAI.II ass
existence plus Large dans un paya plus fertile,
firent, sans doute, que de son berceau, quasi au
centre des Gaules, la Poésie descendit vers le Sud.
\ pénétra \ii«- dans Les mœurs, au Lieu de remonter
vers le Nord qui Lui fui toujours plus réfractaire.
Elle y reste épique <-i satirique, mais Burtout
Lyrique <u La distinctive des Troubadours Méridio-
oaux, «ii opposition avec Les Trouvères du Nord,
a, jusqu'à La fin, la grâce, la m< blesse et la flat-
terie. Le souci <1<- la gloire n'apparaît souvent, chez
eux qu'après Le culte d<- la femme. Encore en parlent-
ils avec une insouciance et une Légèreté qui jureat
avec Les serments répétés de fidélité, de constance,
d'éternelle passion qui emplissent leurs chansons
d'amour. Les femmes, la religion ei la guerre soni
Leurs trois grandes sources d'inspiration; mais il
faut reconnaître que suas L'influence chrétienne,
l'amour idéal ei chevaleresque qu'ils préconisent,
relève la femme, si abaissée par L'antiquité, en l'ait la
souveraine maîtresse des actions et des pensées. Il
faut, sur ce terrain, saluer en eux les précurseurs du
Dante et de Pétrarque. En idéalisant la femme,
alors même qu'une certaine dose de sensualité se
mêlerait parfois à leur culte pour elle, en célébrant
LES TROUBADOURS CANTALJENS 183
cette passion épurée et respectueuse dont ils fai-
saient profession, ils ont contribué puissamment à
introduire dans les mœurs ces habitudes chevale-
resques, cette propension à la déférence et à la cour-
toisie (jiii constituent une des pins précieuses qua-
lités françaises.
C'est, au reste, avec la Chevalerie que les Trou-
badours se développent et les deux institutions ont
simultané déclin. L'une et l'autre surgissent, à peu
près ensemble, vers le milieu du XI" siècle, agonisent
vers la lin du XIVe; il ne restera plus au XVe que de
misérables jongleurs et, à l'aurore du XVIe, Fran-
çois Ier sera le dernier roi-chevalier. Comme le
Chevalier, le Troubadour a une dame vers laquelle
il élève toutes ses pensées, pour qui il fait parade
de son talent poétique comme le Chevalier de sa
valeur. Religion, Guerre, Amour, sont la trinité,
objets sacrés de leur culte, à laquelle ils demandent
inspiration pour leurs poèmes aussi bien que pour
leurs actions d'éclat.
Jusqu'à 4eur disparition, les Troubadours reste-
ront forcément esclaves, plus que tous autres écri-
vains, du public auquel ils s'adressaient, de ses
goûts et de ses passions, de l'ambiance dans laquelle
184 II - i ROI BADOI RS < \M'\I H SS
ils vivaient. Tour plaire et arriver à la célébrité, ils
devaient refléter les amours et les haines des sei-
gneurs qui les faisaient vivre, obtenir, à tout prix,
1rs suffrages d'un auditoire dont ils étaient aussi
directement tributaires que nos artistes dramatiques
et lyriques contemporains. Avant de rêver célébrité
el honneurs, le plus grand nombre demandait à la
carrière poétique le bien-être de la vie et la fortune.
Aussitôt qu'il avait émergé <le la foule, le Trouba-
dour embauchait à sa solde un ou plusieurs « jon-
glcurs >> pour l'accompagner sur la citole (1) et le
rebec (2), tandis qu'il déclamait ses poésies. Il
allait ainsi de château en château, de ville en ville,
boute-en-train indispensable de toute fête, prétexte
recherché de ces grandes réunions, de ces Cours
d'amour, de ces assemblées littéraires dont la
noblesse féodale, claustrée dans ses manoirs, se moll-
ira ii particulièrement friande. Parvenait-il à la
célébrité, il devenait dispensateur de gloire et de
renommée, comblé de largesses par les barons dont
il chantait les bauts faits, magnifiquement récom-
pensé par les princes et les souverains dans les
(i) Sorte de luth.
(2) Violon à. trois cordes.
LES TROUBADOUKS CANTALIENS 185
Cours d'amour où il avait été proclamé « le mieux
disant et le mieux chantant ».
Tous n'étaient pourtant pas des professionnels
faisant métier de poète pour gagner leur vie; les
seigneurs les plus qualifiés et les plus nobles dames,
elles-mêmes, les princes les plus puissants et jus-
qu'aux plus grands monarques ne se bornaient pas
au rôle de protecteurs. Beaucoup descendirent dans
la lice, disputer, en Cour d'amour, le prix de poésie
à leurs humbles rivaux. Les empereurs Othon II et
Frédéric Barberousse, les rois Richard-Cœur-de-
Lion, d'Angleterre, Alphonse II et Pierre III
d'Aragon, Frédéric II de Sicile, le comte Guil-
laume IX de Poitiers, le Dauphin d'Auvergne,
Robert, les comtes de Foix et de Rodez, le prince
d'Orange, le marquis de Montferrat, le vicomte de
Turenne, Robert, évêque de Clermont, Bertrand, le
puissant sire de la Tour-d'Auvergne, bien d'autres
encore, conquirent la palme en maints tournois litté-
raires, furent les émules, souvent victorieux, des
Troubadours officiels les plus réputés. Dans le Haut
Pays d'Auvergne, auquel nous limitons cette étude,
Pierre de Vie, rejeton d'une illustre lignée féodale,
Astorg d'Aurillac, baron de Conros, Ebles, Corn-
186 LES TROUBADOURS CANTALIENS
tour «le Saignes, le daine de Castel-d'Oae, Pierre de
Rogier, Vstorg de Segret, Faydit du Bellestat,
Pierre de Cols, Hugues de Bruueinc rivalisent avec
les «'avaire, Les Amouroux, Les Borzats, fils de leurs
œuvres. Il faut même reconnaître, qu'au moins en
Haute-Auvergne, ce fut dans les hautes classes de la
que la Poésie recruta ses plus nombreux et
ses plus fervente adepl
Les Troubadours sortis dp peuple débutaient
généralement par Le métier de jongleurs où ils déve?
Loppaienl Leurs talents poétiques. Bien antérieurs
aux Troubadours, Les Jongleurs étaient un héritage
d- La société Romaine, aussi vieux, peut-on dire, que
le monde qui, dès ses origines, aima à être amusé.
J.o poètes, grands seigneurs, leur confiaient volon-
tiers Le soin de débiter Les chansons qu'ils avaient
composées ou se faisaient accompagner par eux sur
les instruments à cordes pendant qu'ils les chan-
taient ou les déclamaient. « Ce contact continuel
entre Troubadours et Jongleurs favorisait la confu-
sion des deux classes » (1). Nombre de Troubadours
furent en même temps Jongleurs et quantité de ces
(i) Stimming, clans le « Grandriss » de Grœber II B, P. 16,
cité par Anglade. P. 45.
LES TKOUBADOURS CANTALIEXS 18V
derniers sentirent seveiller en eux, au contact des
poètes, le goût du « bien dire », s'élevèrent au rang
des Troubadours. Plusieurs parmi les plus réputés
ont eu ces modestes débuts.
A l'égal de celles des autres provinces d'Oc, les
salles des châteaux Cantaliens ont vu se presser
d'aristocratiques réunions pour écouter les Trouba-
dours. A -Cariât, à Scorailles, à Mardogne, à Conros,
à Murât, à Apchon, à Madic, dans toutes les
demeures féodales de quelque importance, Trouba-
dours et Jongleurs étaient choyés. Les parvis de
l'Abbaye d'Aurillac, des Monastères de Mauriac et
de Saint-Flour ont vu se grouper des foules joyeuses
pour entendre « causons » et « sirventés » dont la
liberté de langage et la causticité n'effarouchaient
pas les moines d'alors. Tandis qu'au Bas-Pays, 3e
Dauphin tenait cour ouverte à Yodables, l'évêque
Robert, à Clermont, que la célèbre « Cour de l'Eper-
vier » attirait annuellement au Puy-en-Velay poètes
de Provence et de Languedoc, d'Aquitaine et de
Limousin, qu'aux frontières même du Haut-Pays,
le comte de Eodez, les vicomtes de Turenne, de
Canillac, de Ventadour entretenaient sous leurs
toits des Troubadours en assez grand nombre pour
ISS LES TROUBADOUliS I \\l \1 11 \s
constituer autant d'écoles distinctes de poésie, les
vallées Cantaliennes bénéficiaienl du va-et-vient de
ces bardes nomades et le Haut -Pays fournissait à
leurs troupes un important contingent de Trouba-
dours qui s'illustrèrent dans tous les genres poé-
tiques en honneur au moyeu âge.
Ils étaient, en effet, des plus variés les genres
multiples, toujours infiniment compliqués, dans
lesquels devaient s'exercer, tonr à tour, l'ingéniosité
et la verve des Troubadours. Pour être vraiment
réputés Maîtres en Gai-Savoir, ils devaient pou-
voir rimer avec une égale facilité une « Canson »,
un « Sirventés », un « Chant de Croisade », un
« Planh », une « Tenson », une « Pastourelle »,
une « Romance », ou une « Aube », à ne citer que
les variétés poétiques les plus usuelles.
La « Canson » — Chanson — , exclusivement
consacrée à l'amour, était le thème préféré, essen-
LES TROUBADOURS CANTALIENS 189
tiel même, de la poésie médiévale. Composée ordi-
nairement de six h sept strophes ou couplets, —
<( coblas » — elle se terminait volontiers par un
envoi — « tornada » — et n'avait jamais de refrain.
Souvent badine et parfois d'un libertinage éhonté,
elle pousse, d'autres fois, la passion au paroxysme
comme dans cette affirmation d'Arnaud de Marveil:
(( Si je perdais celle que j'aime. Dieu, lui-même,
« n'aurait pas de quoi me consoler ! » Volontiers,
elle se fait satirique et railleuse : « Faites l'amour
<( aux plus laides, montrez de l'indifférence aux
« belles c'est le moyen de réussir », affirme Thi-
baut, comte d'Orange.
Le plus souvent, le ton de flatterie, d'adulation,
est si outré qu'il serait difficile de croire à la sincé-
rité des sentiments exprimés si d'indéniables
exemples ne prouvaient à quel degré les Trouba-
dours poussaient l'exaltation sentimentale, telle
l'histoire ou la légende de Geoffroy Rudel, prince
de Blaye. Devenu éperdûment amoureux de la
comtesse de Tripoli, sur la seule vue de son portrait,
il part pour la Croisade dans l'unique but de con-
templer l'adorée. Tombé malade en mer, il était
mourant quand le navire aborda Tripoli. La corn-
Il S TR01 B \l'«'l BS < wr M [ENt
tesse, avertie de la passion du poète qu'elle n'avait
jamais vu. se rend à bord, donne une bague au
Troubadour qui u'a que Le temps de la porter à ses
lèvres avant d'expirer! Ou mourait d'amour, au
moyen âge, affirment les fervents de la Chevalerie,
«ai de pneumonie prise à soupirer dans le brouillard,
aêtres de sa daine, prétendent les scep-
tiqui
L'étymologie du mot << Sirventés >> (1) — récit,
satire — , peste douteuse. Taudis que certains voient
son origine dans le l'ait d'être composé pour des
serviteurs «ai par «les serviteurs, c'est-à-dire des
poètes de Cour, d'autres, plus nombreux, estiment
que li- nom donné à cette poésie viendrait de ee que
le (, simiit' s ,. était agencé sur la forme et sur
l'air d'une chanson, simple composition « au ser-
vice » d'une autre plus noble qu'elle imitait (( servi-
lement ». Convenons que Tune et l'autre explica-
tions sont fort alambiquées et constatons que, si
le (( Sirventés » moral ou religieux, pratiqué sur-
tout à l'époque de la décadence, reste presque tou-
jours simplement banal, le « Sirventés » politique a
(i) Les Trouvères l'appelaient « Serventois ».
LES TROUBADOURS CANTALIENS 191
pour nous un beaucoup plus grand intérêt. Il nous
initie, en effet, aux mœurs, aux usages vrais d'uoe
société dont la chanson ne nous dépeint que les
sentiments par trop fictifs. Les Troubadours s'iden-
tifient aux événements dont ils sont spectateurs, ils
t doivent épouser, pour être applaudis, les haines et
les enthousiasmes de leurs protecteurs leurs récits,
pour amplifiés qu'ils soient, n'en représentent pas
moins l'opinion, au jour le jour, une sorte de Presse
embryonnaire, bien peu indépendante, il est vrai,
puisque, à vouloir émettre des idées personnelles,
porter des jugements impartiaux, ils risqueraient ïa
suppression de la solde qui les fait vivre.
Au « Sirventés » se rattachent aussi les « Chants
de Croisades », poèmes d'allure plus vigoureuse, que
Troubadours et Jongleurs allaient déclamer de Cour
en Cour, de manoir en manoir pour décider les Che-
valiers au départ, les exciter à aller, outre-mer, pour-
fendre les Infidèles. Plus littéraires que celles de
Pierre L'Hermite, ces exhortations enflammées pro-
duisaient mêmes effets et déterminèrent bien des
volontés hésitantes.
Au même genre se rattache encore le & Planh »
192 LES TROUBADOURS I ITALIENS
— la plainte, — triste élégie qui devient un cri de
douleur rode, Lorsqu'elle pleure la mort d'un être
cher, s'encolère contre le sort aveugle, gémit sur les
deuils de La patrie Romane. Le a Planh » le plus
émouvant, sorti d'une plume Cantalienne est, sans
conteste, Le poèi L'Astorg d'Aurillac-Conros déplo-
rant La captivité «le Saint Louis sur la terre Afri-
caine 1 1 >.
Tout autre et nécessitant chez son auteur des qua-
lités bien différentes est la aTenson», sorte de polé-
mique dialoguée dont les sujets les plus divers four-
nissent le thème. Son origine paraît remonter au vieil
usage des Cours d'i >ur où la reine proposait aux
jouteurs quelque point délicat, quelque question dos
plus quintessenciés sur Laquelle les deux rivaux
devaient émettre une opinion et la défendre contre
l'adversaire jusqu'au triomphe <>u à la défaite. A la
Cour d'amour tenue à Pierrefeu, deux Troubadours
célèbres prirent pour thème de leur « Tenson » cette
question épineuse : « Qui est plus digne d'être aimé,
(i) Nous verrons qu'on avait cru jusqu'ici ce « planh » composé
en 1270 à l'occasion de la mort de Saint Louis. Il est aujourd'hui
démontré qu'il se réfère à La Mansourah.
LES TROUBADOURS CANTALIEN8 198
(( de celui qui donne libéralement ou de celui qui
« donne malgré soi, afin de passer pour libéral ».
Ou encore : « Quel est l'homme le plus amou-
(v reux : celui qui ne peut résister au désir de parler
« constamment de la dame qu'il aime ou celui qui y
<( pense en silence.» Ailleurs on étudia ce grave pro-
blème : << Un amoureux qui est heureux dans son
<< amour doit-il préférer être l'amant ou le mari de
«< sa dame ». Si les arguties byzantines auxquelles
les deux partenaires ont recours, n'offrent plus que
médiocre intérêt, leurs réflexions et arguments tires
de la vie usuelle sont une précieuse source de docu-
mentation, montrent souvent ce libertinage, au
moins imaginatif, assez coutumier aux Trou-
badours.
La (( Pastourelle » et la « Romance » nous font
voir, sous un tout autre aspect, la poétique médié-
vale. Dans la première, le poète imagine une ren-
contre fortuite avec une bergère. Après quelques
compliments, notre homme offre son amour. Dia-
logue plus ou moins prolongé mais qui ne finit
généralement pas à l'honneur de la vertu champêtre!
La « Romance », difficile parfois à distinguer de la
« Pastourelle », est également le récit d'une aven-
104 LR8 TROUBADOURS OANTALIENS
turc d'amour fait sous forme dialoguée, plus en
faveur chez les Trouvères que chez les Troubadours
qui lui préfèrenl toujours la « Pastourelle ».
La i»lus mièvre, peut-être, mais si gracieuse pro-
ductioo des poètes Méridionaux, certainement la
moins connue, est V « Alba », — l'aube — qui tire
son nom de ce que le mot « aube » doit revenir à
chaque couplet, Le plus récent et le plus complet des
historiens de la poésie Méridionale fait entendre en
termes aussi exacts que voilés la nature de ce poème :
«« Il suffit de rappeler la situation de Roméo et de
« Juliette quand le chant mélodieux du rossignol
<< vicni leur annoncer le jour. Seulement, dans
u l'aube », le chant du rossignol est remplacé par la
« voix d'un ami fidèle qui a poussé le dévouement
« jusqu'à veiller toute la nuit à la sécurité de son
« compagnon » (1).
Pour apprécier a toute sa valeur l'œuvre si
curieuse «les Troubadours, son influence exacte, il
faudrait l'étudier en détail avec le savant Professeur
Anglade, passer en revue « jeux-partis », « coblas »,
u sixtines », <( descorts », « complaintes », « con-
(i) Anglade. P. 68.
LES TROUBADOURS CANTALIICNS 195
gés », « énigmes », <( justifications », (( ballade »,
« lai », « virelai », « triolet », « rondeau » où la
recherche des formes et des rythmes lutte avec les
difficultés de rime et de versification. Ils s'ingénient
à varier les mètres, à codifier une prosodie complexe
et ardue, à multiplier les difficultés inouïes de
la rime et l'entrecroisement des vers « mâles et
femelles » :
Lo vers deg far en tal rima
Mascl'e femel que ben rim
Le vers je dois faire en telle rime
Mâle et femelle qui bien rime
enseigne un des plus célèbres Troubadours Auver-
gnats, Cantalien peut-être : Gavaudan-le- Vieux. —
« L'agencement des rimes est l'objet d'un soin tout
« particulier; il existe toute une terminologie pour
« désigner ces combinaisons » (1).
Parfois, plus subtils qu'éloquents, les Trouba-
dours ont fatalement versé dans l'exagération, ont
limé et poli outre mesure, donné souvent la prédomi-
nance à la forme sur le fond, délayé sans raison des
pensées sans originalité et sans grandeur, trop cir-
(i) Anglade. P. 68.
l.l - i ROI BADOl Bfl < Wl Al.ll.NS
conscrit au seul amour le thème de leurs oeuvres. Il
esi évidemmenl exagéré de traiter les Trouvères de
vulgaires plagiaires, de concréter uniquement dans
Les Troubadours toute cette efflorescence épique du
moyeu âge el de ne rien admettre, en dehors d'eux,
de digne du moindre intérêt; mais il serait plus
injuste encore de ne pas reconnaître leur salutaire
influence, de leur dénier la Large part qu'ont eue
leurs efforts e1 jusqu'à leurs défauts, dans L'œuvre
progressive d'émancipation de l'esprit huinain.
La civilisation méridionale du XIIe siècle était-elle
vraiment trop hâtive, comme L'insinuent avec
quelque malicieux dédain, les « Françimam » et
cette société raffinée portait-elle fatalement en elle
les germes d'une corruption précoce qui l'eut bientôt
dissoute el anéantie? L'affirmation semble des plus
risquées: A chaque point culminant de l'Histoire, il
-i trouvé des esprits chagrins et des vertus farou-
LES TROUBADOURS CANTALIENS M»,
ches pour affirmer que le comble de l'abomination
était atteint et que le monde allait être englouti sous
le poids de ses forfaits. Lorsqu'aux IXe et Xe siècles
Kome était le théâtre de scandales sans nom qui vont
du pontificat de Jean VIII à celui de l'austère et
génial Cantalien Silvestre II (1), certains « milléna-
ristes », mais non pas la généralité des peuples,
comme se sont complu à l'affirmer les historiens anti-
catholiques, ne prédisaient-ils pas la tin du monde
pour Tan 1000? Au temps même où le Capétien
tenait sous sa rude poigne le Midi pantelant, la
France septentrionale, si orthodoxe pourtant, et si
vertueuse, à en croire les annalistes aux gages de
Montfort. était si peu exempte des humaines fai-
blesses que le pieux évêque de Chartres déclarait au
(i) C'est cette période lamentable dont le savant Cardinal Ba-
ronius, l'annaliste quasi-officiel de l'Eglise dit : « C'est ici que se
place le commencement de ce siècle qui a mérité par ses cruautés
et l'absence de toute vertu le nom de siècle de fer. Partout triom-
phe le génie du mal et la décadence intellectuelle est si complète
que cette époque est appelée à bon droit le siècle des ténèbres...
Le Christ dormait dans sa barque et les flots déchaînés menaçaient
d'engloutir ce frêle esquif. Tout était mort et pas une voix ne
s'élevait pour implorer son secours. Ceux qui devaient veiller au
salut de l'Eglise faisaient cause commune avec ses ennemis et dans
leurs vœux sacrilèges ils cherchaient à s'assurer l'impunité en
souhaitant que le Christ ne se réveillât plus ! » — (Card. Baro-
nius, Annal. T. X., P. 685).
198 LES TROUBADOURS CANTAL1LNS
saint roi Louis IX que jamais pareille corruption
/l'avait existé Cûes les laïques et les clercs (1). Sous
les Valois, les huguenots se voilaient la face des into-
lérables scandales dont ils étaient témoins; la Ré-
forme, qui devait tonl épnrer, connut, à son tour, les
défaillances de la chair. A la fin du XVIIIe siècle,
l'insouciasl scepticisme des classes dirigeantes
amena un effroyable cataclysme où sombrèrent un
état de choses suranné, des abus trop réels, mais non
(i) Au XIII' siècle, sous le règne même de Saint Louis, les
désordre- et les scandales étaient aussi grands dans l'Eglise.
Ainsi Philippe de Savoie, excellent Capitaine, sans cesse guer-
royant, n'ayant pas la plus légère attache à l'Eglise fut fort
canoniquement préconisé par le Pape Evêque de Valence,
« Faisant preuve de mœurs plus militaires que sacerdotales »,
il ne se préoccupa jamais de son Evêché que pour en toucher
les revenus ! Le grand Archevêché de Lyon étant devenu
vacant, il fut élu fort légitimement à ce Siège et, sans
renoncer à celui de Valence, préconisé Archevêque de
Lyon en janvier 1245 par Innocent IV. Cet Archevêque
et Evêque laïque, chef d'armée, jouit paisiblement de ces Sièges
pendant vingt-trois ans! Clément IV, juriste strict, fut scandalisé
du cumul! Il obtint à grand'peine, le 7 juillet 1266 que Philippe
de Savoie renonçât au mo»ns à Valence. Quand Clément IV le
pressa, le 5 mai 1267, de recevoir les Ordres Sacrés, « Philippe,
« Comte de Savoie, obéit cette fois, maij ce fut pour épouser, le
« il juin, Alix de Méranie, Comtesse de Bourgogne! » — (Cha-
noine Nicolas, Vie de Clément IV, P. 214-218. — Martène, II,
col. 462, n° 458. — Abbé Martin : Conciles et Bullaires de Lyon,
P. 245.)
LES TROUBADOURS CANTALIENS 199
pas la Nation, qui se régénéra sur les champs de
bataille napoléoniens et prit,à travers le XIXe siècle,
conscience de ses droits. Il est permis de supposer
que de l'excès même de civilisation, de cette licence
de mœurs si fort reprochée au Midi du XIIe siècle,
serait né, à travers quelque crise passagère, un état
autre, plus conforme aux immanentes règles de la
morale et de la raison, « ce nouvel ordre de choses »
auquel aspirait déjà Virgile (1). Un réformateur
pacifique, quelque François d'Assise eut surgi, réali-
sant, par son entraînante parole et son ardente
charité, la réforme des mœurs, quelque prince, éner-
gique pétrisseur de peuples, eut peut-être mené à
bien, pour le Midi, l'œuvre épuratrice nécessaire.
Mais il était écrit que Provence et Bretagne, Langue-
doc et Lorraine devaient avoir communauté d'insti-
tutions politiques. La sauvage ruée des aventuriers
du Nord, sous masque religieux, l'irruption, sous
couleur de guerre sainte, des faméliques vassaux des
Capétiens, noyèrent dans le sang la civilisation méri-
dionale et ses abus, couvrirent de leurs clameurs la
voix des Troubadours, ensevelirent sous les ruines
(i) « Virgile : Eglogues ».
200 LES TROUBADOURS OANTALIENS
tout ce qui avait l'ait la force et la faiblesse du Midi,
tout ce qui était bob orgueil et sa joie, tout ce qui
faisait bob charme preneur et le différenciait du
Nord. Avec la liberté de penser et d'écrire fut enle-
vée à ses plus valeureux fils jusqu'à la liberté de
vivre!
A travers les massacres de Béziers et de Carcas-
sonne, le désastre de Muret, la prise de Toulouse,
la chute de Montségur, le temps n'était plus aux
amoureuses « cansons », aux idylliques « pastou-
relles » : la douleur de la défaite ne pouvait inspirer
aux pauvres Troubadours endeuillés que « sir-
tés » vengeurs et lugubres << planhs >>. Quelques-
uns uous ont laissé le récit, tout palpitant d'horreur,
des longues luttes sanglantes où sombra définiti-
vement l'indépendance Romane, tel Guillaume de
Tudelle. La poésie méridionale n'est pas morte,
certes ; mais, pendant de longs siècles, elle va rester
muette. En vain quand renaît un calme relatif,
quand le mariage de l'héritière de Toulouse avec le
frère de saint Louis a fait du Languedoc une pro-
vince française, les Troubadours qui ont survécu à
la tourmente tentent-ils de se refaire une place dans
l'ordre soeial nouveau. Le goût n'est plus aux chan-
LES TROUBADOURS CAXTALIENS C« >1
sons; chacun pleure sa famille décimée, sa richesse
perdue. « La plupart des grandes maisons s'étaient
« appauvries, observent très justement les auteurs
« de l'Histoire littéraire de la France; plusieurs
« d'entre elles avaient péri totalement, les fortunes
<< avaient passé en d'autres mains. Le besoin s'étant
« fait sentir là où régnaient auparavant l'abondance
<( et la joie, les Cours d'amour étaient devenues
<< muettes. Les portes des châteaux se fermaient et
« les Troubadours, les voyant closes, ne voyagèrent
(( plus. Ils accusèrent alors les seigneurs d'avarice;
« ceux-ci n'étaient que ruinés. L'économie, devenue
« nécessaire, avait remplacé les folles dépenses.
« Chacun songeait à soi et au moyen de réparer ses
(( pertes. Les mœurs changèrent, l'hypocrisie régna
« où l'effronterie marchait à découvert. La dévotion
« apparente s'accrut, les Confréries de la Vierge
« se propagèrent. On chanta au lutrin au lieu de
•« chanter dans les Cours et aux banquets des sei-
« gneurs. Les Troubadours voyageurs qui sont les
« Troubadours véritables disparurent. Désormais
<( sédentaires, ceux qui restaient prirent tous les
« défauts qu'ils devaient contracter en cessant de
<( voir le monde. Ils se firent un jeu de la rime et
202 LES TROUBADOURS CANTALIENS
« multiplièrenl les difficultés croyant augmenter
ci par Là Leur mérite. Ils devinrent satiriques, médi-
« eants... . Les encouragements furent rares et l'ou-
(( l.li a peu près général » (1). Mais, le plus puis-
sant facteur de La disparition des Troubadours fut
encore L'Inquisition.
« Les sentiments de L'Eglise vis-à-vis de la poésie
irs Troubadours paraissenl avoir varié avec le
<i temps el peu ! ri re ;iussi avec les hommes )) (2).
(>n a compté jusqu'à seize ecclésiastiques parmi les
Troubadours, donl deux évêques el un pape, nombre
de chanoines el de dignitaires réguliers. Le fanatique
é\ êque de Toulouse, Folquet, était Troubadour avant
d'obtenir La mitre, Le pape Clément IV (Guy Fol-
queys) accordail cent jours d'indulgence à qui réci-
tai! se- poésies (2), Guy d'Ussel, le grand Trouba-
(i) Hist. Littér. de la France. T. XX. Art. d'E. David.
(2) Anglade, P. 29.
(2) Ibid. 11 est bon de dire que ces poésies étaient en l'honneur
de la Vierge. ClémentIV, Gui Folqueys (Folquet, Foulques)).
Guido Fulcodi (1195-1268), né à Saint-Gilles (Gard), d'abord
guerrier, puis juriste éminent, membre du Conseil du roi Saint
Loufs. Hvèque du Puy après son veuvage, Archevêque de Nar-
bonne, Cardinal, élu Pape en 1265, sous le nom de Clément IV.
Juriste très savant, Prêtre très pieux, il fut un puissant agent des
Capéitens dans la soumission du Midi, donna aux Inquisiteurs
une consultation approbative célèbre, sans être jamais person-
LES TROUBADOURS CANTALIEXS 203
dour Limousin, était chanoine, comte de Brioude et
de Montferrand (3), le Rouergat Daude de Prades,
chanoine de Maguelone, les Cantaliens Pierre de Vie,
Prieur de Montaudon et de Villefranche, Pierre de
Rogiers, chanoine de Clermont, etc. Mais, en réalité
les Troubadours n'étaient pus gens pieux et leurs
tellement un fanatique persécuteur. Le Chano'.ne Nicolas, curé
de Saint-Gilles, qui vient d'écrire sa vie (in vol. in-8, Nîmes
iqio), paraît avoir eu pour principal objectif de faire ressortir
surtout sa sainteté et de rendre officiel le culte dont il est honoré
à titre de Bienheureux. Cette étude laisse entièrement dans
l'olmbre les talents poétiques de Folquyes, se contentant de le
louer d'avoir été « bien chantant ». On sait que les historiens
accusent Clément IV d'avoir répondu à Charles d'Anjou, frère
de Saint Louis, qu'il avait fa»:it roi de Sicile et qui le consultait
sur le sort du jeune Conradin de Hohenstauffen, son compétiteur
vaincu, qu'il fit décapiter : « La vie de Conradin c'est la mort de
Charles d'Anjou, la mort de Conradin c'est la vie de Charles. »
(3) Guy d'Ussel, ses deux frères, Ebles et Pierre, et leur cousin
Elie, étaient tous quatre Troubadours et se prêtaient mutuel ap-
pui. Guy ou plutôt Guillot a laissé son nom au château de La
Garde-Guillotin qu'il habitait (commune de Merlines, canton
d'Eygurandes, arr. d'Ussel (Corrèze). L'héritière de ces Trouba-
dours fut Claudine d'Ussel, fille de Claude, seig. de La Garde-
Guillotin, etc., et de Françoise de Tournemire de Marzes. Elle
épousa Robert de Lignerac, Lieutenant-Général du Roi en Haute-
Auvergne, Capitaine de Cariât, en faveur duquel Henri IV érigea
la terre de Marze (cant. de St-Cernin, arr. d'Aurillac) en Mar-
quisat. La fille unique de ces époux, Claudine de Lignerac-Marzes,
dame héritière de La Garde-Guillotin, Marzes, etc.. épousa Jean,
Comte de la Salle, baron de Larodde-Aulhac, etc., qui devint ainsi
Marquis de Marzes et possesseur des biens de cette branche de la
maison d'Ussel.
204 LES TROUBADOURS CAKTALIEXS
conceptions de l'an delà étaient plus voisines du
Paganisme que du Catholicisme. Le sentiment reli-
gieux tenait peu de place dans leurs œuvres, de
même qu'il étail relégué a. un rang fort secondaire
dans la société méridionale du XIIe siècle. Nombre
de Troubadours, même parmi les ecclésiastiques,
étaient violemment anticléricaux, censuraient avec
la dernière causticité les nioMirs de Rome aussi bieu
que celles du clergé local. En général, gens de
conduite légère, ils n'avaient pas de la vie le concept
catholique, ne la considéraient pas du tout comme
une <( vallée de larmes », mais bien plutôt comme
un lieu de délices et de joie. Familiers avec la Divi-
nité, ils adressaient à Dieu une poétique prière pour
lui demander de protéger un rendez-vous amou-
reux (1).
()n conçoit que l'Inquisition ait tenu de tels gens
pour suspects, leur ait fait comprendre, à maintes
reprises, qu'ils « sentaient fortement le fagot » ! Les
Troubadours, chez qui la fermeté de caractère n'était
pas préeisément la note dominante, se le tinrent pour
dit. Etroitement surveillés par les Dominicains, les
Franciscains, les Jacobins et tous les autres Ordres
(i) L'invocation à Dieu de Giraut de Bornelh, dans ce but tout
profane est une de ses plus belles œuvres.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 205
qui s'étaient implantés nombreux dans chaque viller
les quelques poètes qui trouvaient encore à vivre
après les désastres de la Croisade, en Languedoc ou
Provence, se hâtèrent d'adresser à la Vierge, chan-
sons, aubes et romances. A lire cette poésie religieuse
on s'aperçoit vite que les formules ont à peine varié
et qu'habitués à de plus profanes sujets, les poètes
désorientés chantent l'amour céleste en termes
équivoques, adressent à la benoîte Vierge les mêmes
compliments que jadis à leur dame, vont jusqu'à se
déclarer « les amants parfaits » de la mère de Jésus !
C'est surtout parce qu'elle est devenue, ainsi, trop
conventionnelle, que la poésie des Troubadours a
lentement agonisé et finalement disparu; car « la
« convention et l'artifice peuvent donner l'illusion
« de la vie; ils ne la rempliront pas » (1).
L'Auvergnat, dit-on volontiers, est doué d'apti-
(i) Anglade
206 LES TROUBADOURS CANTALIENS
tudes commerciales hors pair. Econome, laborieux,
prudent en affaires, « débrouillard », acceptant sans
rechigner, au début, les plus ingrates besognes, il se
hisse, à force «le poignet, à l'échelon supérieur, tm
franchit, même, parfois, bon nombre avec une sur-
prenante énergie. Affiné par l'instruction, il sera
naturellement porté vers les sciences exactes, l'étude
«lu Droit, l'Economie politique, les combinaisons
financières, s'assimilera de préférence les connais-
sances positives donl le but lui apparaîtra pratique
et rémunérateur. Ses deux plus fiers génies, le Oan-
tiilien Gerbert et le Olermontois Pascal sont des ma-
thématiciens, des philosophes, des esprits éminem-
ment positifs. Ne cherchez en Auvergne, ajoute-t-on,
ni poètes, ni peintres, ni musiciens; la mentalité am-
biante y est réfractaire à l'Idéal. Gerbert n'a produit
que quelques détestables vers latins et l'on imagine
facilement Pascal rimant un bouquet à Chloris!
Sans être fausse de tous points, l'affirmation est
quelque peu outrée. Convenons que l'Auvergnat est
plus naturellement porté à voir dans les pentes her-
beuses de ses montagnes de gras pâturages pour les
vacheries cantaliennes qu'il n'est enclin à célébrer
poétiquement leur vert d'émeraude, à chanter les
LES TROUBADOURS I ANTALIENS 207
cimes altières de ses puys. Le torrent qui en dévalle
pour s'épandre librement dans la vallée, le charmera
moins par l'harmonieuse musique de ses cascatelles
qu'il ne lui suggérera la fructueuse pensée d'un profi-
table endiguement, permettant d'arroser une plus
vaste étendue. Les jeux d'ombre et de lumière le lais-
seront indifférent et les chevauchées de nuages l'inté-
resseront, surtout, à titre de pronostics de Forage
prochain !
Est-ce à dire que l'Auvergnat soit insensible aux
charmes alpestres de sa terre natale, incapable d'en
traduire, sous une forme idéalisée, les grandioses ou
sauvages beautés? Son émotivité, pour être un peu
confuse, peut-être, n'en est pas moins réelle et sin-
cère. Mais, outre que le sens poétique ou musical, la
perception de la magie des couleurs restent, en tous
temps et en tous pays, l'apanage d'une élite, l'Auver-
gnat est moins disposé que bien d'autres par la
pente naturelle de son esprit, à développer le germe
artistique que des préoccupations d'ordre plus terre
à terre lui feront trop souvent laisser s'anémier,
improductif.
Elle est, néanmoins, des plus honorables la longue
liste de nos artistes, de tous nos pionniers de l'Idéal
208 LES TBOUBADOURS CANTALIENS
;i travers les siècles. J'en ai feuilleté ailleurs les
<1\ pi i<|iies (1) dont pourrail s'enorgueillir plus d'une
province. Le voisinage du Limousin, qu'on regarde
comme le berceau de la Poésie médiévale, facilita,
sans doute, son infiltration dans nos momtagnes. Si
I<- premier des Troubadours Cantaliens qu'on con-
naisse surgit dès la fin du X II'' siècle, il y a tout lieu
<1<* supposer que d'autres, avanl lui, avaient déjà
abordé la « canson » et le << sirventés >> puisque les
règles de cette prosodie nouvelle étaienl connues,
professées, même, peut-être nu Monastère d'Aurillac
ou Pierre de Vie paraît bien les avoir apprises.
Presque simultanément, aux extrémités les plus
opposées «In liant -Pays d'Auvergne (2), des Trou-
badours apparaissent en pleine possession d'un
talent qui avait nécessité des maîtres experts pour
!<• former et l'assouplir aux règles complexes de
l'art de « bien dire ».
(i) « Régionalisme Auvergnat ». Conférence donnée à la Fa-
culté des Lettres de l'Académie de Clermont-Ferrand, le 23 jan-
vier J909.
(2) Ebles de Saignes réside aux limites de l'Auvergne et du
Limousin (arrondissement actuel de Mauriac), la dame du Castel
d'Auze vient des frontières du Haut-Pays et du Quercy, va habiter
sur la lisière du Gévaudan et du Velay. Astorg de Segret est des
environs de Salers, Bemart Amoureux de Saint-Flour. Pierre de
Vie, Pierre de Cols, L'avaire, L'orzatz d'Aurillac ou des environs.
LES TROUBADOURS CANTAL IKN> 209
Il n'y eut jamais d'écoles de Poésie, au sens strict
du mot, où le Troubadour put aller apprendre son
art. Le contact de ses aînés, les leçons de l'expé-
rience lui servaient de formation. Jaufre Rudel,
prince de Blaye, celui-là même qui s'en fut mourir
d'amour à Tripoli, nous révèle quelle fut la grande
et véritable école des Troubadours:
Maîtres, maîtresses de chansons
Assez autour de moi foisonnent.
Mille oiselets sur les buissons
Célèbrent les fleurs qui couronnent
Nos gazons déjà renaissants (i).
Pourtant, en dehors de la Nature qui reste leur
grande inspiratrice, les Troubadours employaient
la saison d'hiver, où les voyages étaient plus diffi-
ciles, à s'instruire, « à aller à l'école », nous dit
Giraud de Bornelh. Chaque seigneur assez riche et
assez féru de poésie pour grouper autour de lui une
pléiade de Troubadours, tels, pour ne parler que de
l'Auvergne et de ses frontières, le Dauphin Robert, à
(i) Rudel. Traduction do l'Abbé Papon : « Parnasse Occitanien».
P. 21.
210 - TBODBADOl EtS 0ÀNTALIBN8
Vodables, le marquis de Canillac, les vicomtes de
Turenne el de Ventadour dans leurs châteaux,
constituait, par le fait même, une école. Ces
groupes se différenciaient l'un de l'autre par des
procédés, nu genre spécial à chacun qui ont permis
•le classer les Troubadours en cinq grandes écoles
nettement délimitées : Ecole d'Aquitaine se subdi-
visant en Limousine, Gasconne el Saintongeoise. —
île d'Auvergne comprenant le Haut et le Bas-
Pays, ainsi que 1*' Velay. ■ — Ecole de Rodez. —
Ecole de Languedoc comprenant celles de Toulouse,
Narbonne et Béziers. — Ecole dé Provence grou-
pant les Provençaux proprement dits, les Proven-
çaux-Catalans, les sous-écoles de Vienne <m Dau-
phiné ei de Montferrat 1 1).
L'Ecole d'Auvergne a ses distinctives propres,
nettement accusées; chez elle, mieux et plus que dans
bien d'autres, la grâce et l'éclat prédominèrent.
« Certaines provinces, dit Baret, paraissent avoir
« été dans de meilleures conditions que d'autres,
« puisqu'il est Incontestable qu'elles ont produit les
(i) E. Barret : « Les Troubadours », 1867. D'autres historiens
n'admettent que partiellement cette classification nécessairement un
peu arbitraire.
LES TROUBADOURS CANTALIENS £'il
(( premiers e1 les meilleurs Troubadours. Ces pro-
« vinces, il faut L'établir hautement et définitive-
<( ment, furent l'Aquitaine, l'Auvergne, et surtout
d le Limousin. Cela est démontré directement par
« l'étude attentive de l'histoire et des productions
a des Troubadours, indirectement par le témoi-
« gnage des étrangers » (1).
(( Aucun manuel, nous écrivait récemment le pro-
« fesseur Anglade, n'a songé à classer nos Trouba-
« dours par province... Nous méconnaissons nos
« gloires méridionales et il faut que l'Etranger s'en
(( occupe !... Chalumeau a classé les Troubadours par
(( provinces; mais je sais que cette classification est
« trop générale... » Si admirable, en effet, que soit
l'œuvre de Chabaneau, elle est, sur certains points,
incomplète, et l'auteur pose souvent de prudents
points interrogatifs sur le lieu d'origine de plusieurs
Troubadours. La liste qu'il a dressée pour l'Au-
vergne reproduit, en l'améliorant, celle de Baret,
mais sans distinguer entre la Limagne, le Haut-
Pays et le Yelay. Il rejette, à juste titre, certains
noms incontestablement étrangers à la province que
(i) Ibid.
212 11 S TROUBADOURS CANTALIENS
le Dictionnaire Btatistiqne du Cantal y avait admis,
tel Raymond- Vidal de Bézaudun <>u plus exactement
de Bézalu 1 1 1. ignore L'origine Cantalienne de Faydil
du Belleetat, reste hésitant devant d'autres. Prenant
exemple sur ce maître dont la critique, pourtant si
avertie, et la science incomparable n'ont d'égales
que sa prudence, mais n'avons revendiqué pour le
Haut-Pays que les Troubadours donl l'origine Can-
talienne est appuyée de documents probants, nous
préférons l'écueil de négliger quelqu'une de nos
célébrités de second ordre plutôt que de courir le
risque de prendre à d'autres provinces celles qu'elles
pourront peut-être réclamer, un jour, comme leurs.
Notre modeste ambition ne dépasse pas les limites
du Haut-Pays et nous n'avons tenté de rechercher
que les poètes Cantal iens du moyen âge, laissant à
d'autres le laborieux honneur d'un travail d'en-
semble sur l'Ecole d'Auvergne et Velay, tout entière.
.Mais il paraît indispensable de donner, en les accom-
pagnant d'une biographie sommaire, les noms des
Troubadours de Basse-Auvergne et de ceux du
(i) Voir à l'article des Troubadours Cantaliens d'origine incer-
taine les raisons qui font écarter ce Troubadour comme Cantalien.
LES TROUBADOURS OANTALIENS 213
Velay avec lesquels nos poètes Cantaliena faisaient
corps, pour ainsi dire, étaient en rapport constants.
Dans l'état actuel de la critique, la Basse- Auvergne
peut sûrement revendiquer comme siens:
Guillaume-Robert /". Dauphin d'Auvergne (1169-
1234). — Ce prince, légitime héritier du ( îomté d'Au-
vergne, aurait dû posséder en entier les domaines
de ses aïeux au lieu de celui fort restreint auquel il
était réduit. Il était fils de Guillaume VU, le Grand
ou le Jeune, qui n'avait pu lui laisser que des Etats
amoindris, au lieu de la totalité de l'héritage de son
père Guillaume VI comprenant l'entière Comté
d'Auvergne qui aurait dû lui advenir. Tandis que
Guillaume YII accompagnait le roi de France
Louis VII en Palestine, son oncle paternel, qu'on
appela depuis Guillaume VIII, s'empara de la Comté
d'Auvergne. La querelle entre les rois de France ci
d'Angleterre envenima les choses tant et si bien,
qu'à son retour de la Croisade, le seigneur légitime
ne put déloger l'usurpateur et dut se contenter d'une
faible partie de ses anciens domaines avec le titre
de Comte de Clermont. Il ne put laisser que ce
territoire fort amoindri à son fils Guillaume-Robert.
Celui-ci transigea avec Philippe Auguste en 1199 et
21 1 LES TROl BADOI RS < w i U.IENS
en Il'l'ii avec saint Louis, adopta le titre de Dauphin
d'Auvergne, peut-être eu mémoire de son bisaïeul
maternel, Guignes II, Dauphin du Viennois. Ce
qu'on appela, «1rs lors, le Dauphiné d'Auvergne, ne
comprenait qu'une pari le «le la Limagne et du Velay.
Robert, << le gentil Dauphin », choisit pour rési-
dence le château «le Vodables près d'Issoire, et ne
songea, pendant la première partie de sa vie, qu'à y
tenir cour fastueuse, à y grouper autour de lui les
Troubadours dont il partageai! les poétiques tra-
vaux. Ses œuvres témoignaient d'un goût réel et le
classent en bon rang parmi ses rivaux les plus répu-
tés. Sa querelle avec son cousin, l'évêque de Cler-
niont, sa dispute avec le riche bourgeois Pellissier,
bailly de la Vicomte de Turenne, donnent une
curieuse peinture des mœurs du temps dans les
« si m ntés >> de la dernière violence où le Dauphin
exhalait sa colère. Il mourut en 1234, peu regretté
des Troubadours qu'il avait congédiés le jour où il
s'était aperçu qu'il avait mangé, à les fêter, plus de
la moitié de sa fortune (1).
(i) Chabaneau: P. 54 à 57 et 174. Gr. n° 119. Barbreri P. 121.
Hist. Litt, T. XVIII, P. 607. Etien. de Bourbon : An. Hist. publ.
par Lecoy de la Marche.
LES TROUBADOURS CANTAL UN- 215
Robert d'Auvergne, évêque (Je Glermont (1). — Ce
cousin germain du Dauphin fut un triste évêque, si
la moitié seulement de ce que nous dit Robert Ier
de sa révoltante avarice e1 de ses mœurs dépravées
est exact. Il n'hésitait pas plus à faire assassiner le
mari de sa maîtresse (2) qu'à exiger mille sous d'or
de ses riches diocésains pour leur accorder les hon-
neurs de la sépulture ecclésiastique. Aux invectives
du Dauphin, l'Evêque répondit par des <( sirvent s »
d'égale violence. C'est à lui que nous devons de
savoir, notamment, que le Dauphin, ayant fait
agréer ses hommages par la belle Maurine, une des
suivantes de sa femme, cette dame ayant un jour
fantaisie de manger des ceufs au lard, s'en alla
demander un quartier de porc frais à l'intendant de
Vodables. Celui-ci, sur l'ordre du Dauphin, ne con-
sentit à lui bailler qu'une tranche de jambon. Ladre-
rie immonde, s'écrie l'évêque, indigne du dernier des
vilains! Les accusations de son cousin n'ernpêchè-
rent pas l'évêque Clermontois d'être nommé arche-
vêque de Lyon en 1227. Il ne jouit que sept ans de
(i) Il fut évêque de Clermont de 1 195 à 1227, puis arche-
vêque de Lyon jusqu'en 1234.
(2) Ce malheureux époux était Chatard de Caulet, seigneur de
Peschadoires, cant. de Lezoux, arr. de Thiers (Puy-de-Dôme-).
Chsbaneau, P. 55.
216 LES TROUBADOURS CANTALIENS
son titre primatial el s'en alla continuer en Purga-
toire, sans doute, sa dispute avec le Dauphin mort
a la même époque (1).
l'Uru d'Auvergne. — Ce lils d'un bourgeois de
Clermont, né Fers 1130, nourri, dans son enfance,
des auteurs latins, tut vraiment le chef de L'Ecole
d'Auvergne à Laquelle ses poèmes et jusqu'à ses
satires particulièrement méchantes ajoutèrent un
grand éclat Fêté, adulé à la rour de Castille, comme
;i celles du Comte de Provence, des Vicomtes de
Narbonne et de Melgueil, et du Duc de Normandie,
ses Longs voyages ne L'empêchèrent pas d'atteindre à
h ut- extrême vieillesse. Les trente poèmes qui restent
de Lui justifient largement sa réputation de « pre-
mier Troubadour du monde » qu'il conserva jusqu'à
L'apparition de Giraud de Borneil (2). L'application
très heurt-usé qu'il fit de la musique à ses chansons
fut un des grands facteurs de son incroyable
vogue; il faut reconnaître que ses réformes en pro-
sodie, la belle inspiration de ses œuvres eurent une
aussi large part à ses succès. Amoureux de la méta-
(i) Chabaneau, P. 55 et 174. Gr. n° 119. Hist. Litt. T. XVIII,
P. 607. Baluze, T. I, P. 71-
(2) Célèbre Troubadour Limousin né à Exideuil (Dordogne),
LES TROUBADOURS lAMAl.IINS 217
phore, visant à la prétention et à la science, il
manque d'imagination et de sensibilité. Plus sati-
rique qu'élégiaque ou idyllique, son meilleur vers
sur l'amour est peut-être celui où il dit que
(( l'homme sans amour ne vaut pas mieux que l'épi
(( sans grain » (1).
Pierre de Manzat, qu'on orthographiait Maensac
au XIIe siècle. — Pierre et son frère Astorg, égale-
ment Troubadour, mais dont aucune œuvre ne nous
est parvenue, étaient deux Chevaliers peu fortunés
dont les terres relevai* nt du Dauphin. Les deux
frères convinrent qu'Astorg garderait pour sa part
héréditaire le manoir paternel, mais abandonnerait à
Pierre le produit de ses œuvres poétiques. Notre
Troubadour fut-il, en réalité, bien loti? On ignore
ce que lui rapportèrent les droits d'auteur de son
frère! Très épris de la femme de Bernard de Thiers,
probablement puîné dans cette maison vicomtale, il
l'enleva et remmena dans un des châteaux du Dau-
phin. En vain le pauvre mari recourut aux foudres
de l'Eglise ; une expédition militaire organisée pour
reprendre la dame n'eut pas meilleur résultat, le
(i) Chabaneau: P. 53 (Biogr.) et 163. Gr. n° 323. Barbieri, P. 95.
Hist. Litt. T. XXV, P. 114. Fauriel, T. II, P. 9. P. Meyer, P. 98.
218 us TROUBADOURS OANTALIENS
Dauphin avant soutenu de ses armes le ravisseur,
s. .h vassal, Pierre de Manzal était, nous dit la chro-
nique, un beau el éléganl cavalier dont les chansons
étaienl aussi divertissantes par les airs que par les
paroles. Deux seulemenl nous ont été conservées (1).
Jlin/ms <h /', 'unis. — Dans un but de piété filiale
envers la terre natale dont on n'a guère le courage de
les blâmer, les divers écrivains qui ont concouru, au
milieu du X I X' siècle. à la rédaction du Dictionnaire
statistique du Cantal, ont voulu rattacher ce Trou-
badour au Baut-Pays en le faisant naître dans la
vieille tour en ruines de Pérols, commune de Trizac,
dans l'arrondissemenl de Mauriac (2). Il est surabon-
damment établi que notre poète appartenait à la
très ancienne maison de Peyrols qui doit son nom
a un château voisin «le Rochefort-Montagnes, en
Basse-Auvergne (3), fils ou frère de Pierre de Pey-
rols qui vivait en lis:1, et de Guillaume qui figure
dans divers actes de 1196 à 1199.
(i) Chabaneau: P. 58 (Biogr.) et 165. Gr. n° 348. Hist. Litt
T. XVIII, P. 618. Fauriel, T. 1, P. 491. Teulet : Layettes, T. II,
P. 383, a. Annuaire du Cantal, an. 1830.
(2) Dict. Stat. du Cantal, T. II, P. 155. Trizac, commune du
cant. de Riom-ès-Montagnes, arr. de Mauriac.
(3) Bouillet : Nobil. d'Auvergne, T. V. P. 104. Rochefort-Mon-
tagnes, chef-lieu de cant. de l'arr. de Clennont-Ferrand.
LES TROUBADOURS OANTALIENS 219
Vassal du Dauphin, Hugues fut un commensal de
la Cour de Vodables où il se perfectionna dans l'art
de bien dire ("est là qu'il s'éprit de la sœur du
Dauphin, Assainie d'Auvergne, femme de Béraud de
Mercœur, qui lui fut d'abord bienveillante, puis
cruelle. De désespoir, notre Chevalier partit pour la
Palestine, mais avant de s'embarquer composa cette
chanson connue, délicieux dialogue entre lui et
l'Amour. Présent à la prise de Damiette par les
Chrétiens, lorsqu'il vit cette place retomber, l'année
suivante, au pouvoir du Sultan d'Egypte, notre
Troubadour composa sur la terre Syrienne, vers
1222, un poème qui reste une des plus belles et des
plus curieuses productions de la littérature médié-
vale. Débarqué à Marseille, il s'en fut à Montpellier,
moins éprouvé que le reste du Midi par l'invasion de
Montfort, y rencontra une belle et honueste dame qui
agréa ses hommages. Il l'épousa et vécut heureux
dans la docte cité jusqu'à sa mort, au dire de cer-
tains historiens, tandis que d'autres veulent qu'il
ait pieusement fini chanoine de Clermont (1).
(i) Chabaneau, P. 58 (Biogr.) et 167. Gr„ n° 365. Barbieri,
P. 125. Hist. Litt. T. XV, P. 454, T. XVII, P. 419. Fauriel, T. II,
P. 44, 117, 131. Thomas, P. 115.
220 LES TROUBADOURS CANTALIEXS
/»'« rtrand II. sire de ht Tour, chef de cette illustre
race auvergnate, à Laquelle adviendra, au XVe siècle,
Le Comté d'Auvergne, était fils de Bertrand Ier et
de Mat lieline de lîéziers. Plus puissant que bien des
princes souverains, Bertrand vivait, paraît-il, fort
sol. renient dans son château de la Tour-d'Au-
rergne 1 1 », au cœur des montagnes, sans verser dans
le travers «les folles prodigalités si coutumières aux
seigneurs de son temps. Dans un couplet des plus
mordants, Le fastueux Dauphin lui reproche sa ma-
nière mesquine <!<• vivre, lui disant qu'étant riche,
puissant, généreux, il se renferme l>icn à tort dans
son château avec ses autours et ses faucons, et que
Lorsqu'il réunit vingt personnes à sa table, il croit
célébrer la fête «le Noël ou celle de Pâques. Il est à
croire que Le Dauphin avait déjà réformé sa Cour
et réduit son train lorsqu'il parlait ainsi à son riche
et puissant voisin, puisque le sire de la Tour lui
répond avec grand à propos qu'il aurait mauvaise
grâce a vivre autrement puisque, lui, Dauphin, lui
donne l'exemple d'une vie encore plus retirée et que
(i) Chef-lieu de canton de l'arrondissement d'Issoire.
LES TROUBADOURS CAXTALIENS 221
(( tel maître, tel valet ». Ce couplet est la seule poé-
sie de Bertrand de la Tour qui ait été conservée (1).
Michel de ht Tour. — Ce Troubadour, originaire
de Glermont, senible-t-il, et sans attaches à la Mai-
son de La Tour-d'Auvergne, est surtout connu par
un recueil qu'il composa vers 1300, de poésies de
Troubadours et de biographies de plusieurs (rentre
eux, Pierre ( 'ardénal entre autres. — Le même
recueil qui existait encore au XVIIe siècle, contenait
plusieurs poésies de lui. A cela se borne tout ce que
Ton en peut dire (2).
Il est de toute évidence que la Basse- Auvergne
a dû fournir de plus nombreux Troubadours. Le
centre intellectuel qu'était Vodables avait dû susci-
ter, dans la province, de nombreuses vocations et
plus d'un Jongleur, sans doute, entré à ce titre chez
le Dauphin, y sentit se développer son talent poé-
tique au contact des Lettrés qui y fréquentaient assi-
dûment. Il est à souhaiter que cette recherche tentât
quelque érudit de l'envergure du conseiller Bou-
(i) Chabaneau, P. 134. Gr. n° 92. Barbieri, P. 121. Hist. Litt.,
T. XVIII, P. 615 Annuaire du Cantal, année 1830.
(2) Chabaneau, P. 4 et 159-160. Barbieri, P. 120.
LES TIUU'BADOURS CANTALIENS
det 1 1 1 à qui sa connaissance profonde de l'histoire
médiévale faciliterait singulièrement ce travail. La
liste des pensionnés du « gentil Dauphin » en serait
probablement grossie.
Les poètes Velaisiens n'ont jamais été séparés de
l'Ecole auvergnate donl ils faisaient partie. Ce qu'on
appelait au moyen âge << l'Evêché du Puy — Aves-
cai del Puoi >> — était moins étendu que le départe-
ment actuel de la Hante- Loire, puisque tonte une
partie de l'arrondissement de Brioude faisait alors
part le de l'Auvergne.
Le Velay avec lequel nos Troubadours du Haut-
Pays étaient en relations continues (2) compte pour
ses plus célèbres Troubadours :
/'oii.s de Chapteuil, né au château de ce nom, en
l'Evêché i\n Puy (3), est le prototype du grand sei-
gneur terrien et du parfait Chevalier. De superbe
( i ) M. le Conseiller Boudet, Président de la Société de « La
Haute-Auvergne », est l'auteur de nombreux ouvrages de haute
érudition sur la Haute et la Basse-Auvergne. Ses vastes et méti-
culeuses recherches ont rendu d'immenses services à l'histoire mé-
diévale de l'Auvergne.
(2) Nous verrons Pierre de Vie nommé « Seigneur de la Cour
de l'Epervier du Puy », Ebles de Saignes collaborer avec des Trou-
badours du Velay.
(3) Saint-Juhen-Chapteuil, chef-lieu de canton, de l'arrondisse-
ment du Puy (Hte-Loire).
LES TROUBADOURS CANTALIENS 223
stature, d'une élévation de sentiments et d'une
dignité de vie rares en son siècle, le l»<>n Chevalier
s'était donné tout entier à son amour pour Alazaïs
d'Anduze, femme d'Ozil de Mercoeur. Mais cel amour
était si respectueux et si pur que jamais le mari
n'en prit ombrage. Pons s'ingéniait à donner fête
sur fête en l'honneur de sa belle qui y prenait grand
plaisir. Il s'avisa un jour de craindre que ce ne fut
que pour ees divertissements qu'il lui offrait, qu' Ala-
zaïs lui témoignait de la bonté; désireux de l'éprou-
ver, il passa en Provence où il affecta de s'attacher
à la vicomtesse de Marseille. Silence dédaigneux de
la baronne de Merçœur qui défendit de prononcer
devant elle le nom du perfide. N'y pouvant tenir,
notre Chevalier retourne en Velay où il tente par
les plus touchantes chansons d'apaiser sa belle.
Désespéré de la ténacité de sa rancune, Chapteuil
prend la croix et prêche la guerre sainte en d'enflam-
més u sir ventés ». Joignant l'exemple aux exhorta-
tions il part pour la Palestine où il trouve une mort
glorieuse (1). Les trente poèmes lyriques que nous
(i) Pons de Chapteuil est d'une violence extrême dans ses
« Chants de Croisade » : il promet le Paradis à ceux qui partent,
menace de l'enfer ceux qui restent ! Il n'y a pour lui que deux
moyens de se laver de ses fautes : se croiser ou se faire Moine !
2&i LES TROUBADOURS CAXTALIEKS
possédons de lui sont tous de belle allure; son
a planh n sur l;i mort d'Alazaïs, d'une émotionnante
Bincérité, est, <lc beaucoup, le plus touchant (1).
Pierre Gardénal, fils d'un seigneur du Velay,
appartenait a une drs familles de Chevalerie «les
plus considérables du pays. Ses parents, rêvant pour
lui les dignités ecclésiastiques, l'avaient placé tout
• •niant à l'école des Chanoines de la Cathédrale du
Puy, espérant bien qu'il occuperait plus tard une
des stalles de la basilique. L'enfant y prit surtout le
goût de la poésie «-t dès qu'il eut donné, probable-
ment à la Cour de l'Epervier du Puy, ses premières
productions, << se sentant, dit Michel de la Tour, son
Les vieillard.- et les femmes qui ne peuvent partir sont obligés,
d'après lui, de se dépouiller de leurs biens en faveur de l'expédi-
tion ! Cette outrance fait dire à l'Abbé Millot, dans son Histoire
Littéraire des Troubadours. « Jusqu'où allaient donc les préjugés
« superstitieux de ce siècle ! Marcher contre les Turcs ou se faire
« Moine ! Il faut courir en Asie les armes à la main pour éviter
« l'Enfer et les vieillards sont seuls dispensés d'une obligation qui
« tend au malheur des familles, à la ruine des royaumes. On les
« oblige encore d'acheter cette dispense à prix d'argent ! C'est
« ainsi qu'une aveugle crédulité entraînait les hommes dans toutes
« sortes d'abîmes ! »
(i) Chabaneau, P. 60 (Biogr.) et 168. Edit. écrit, dans « Lebett
und Werke des Trobadors Ponz de Capduoil, von Max von Na-
polsky, Halle 1880. Gr. n° 325. Barbeiri, P. 67, 124. Hist. Litt.,
T. XV. P. 22, T. XVII, P. 420.
LES TROUBADOURS CANTALIEKS
biographe, beau, jeune et gai » s'en alla courir le
monde. Le roi Jacques d'Aragon, les grands sei-
gneurs du Midi firent l'accueil le plus flatteur au
jeune Troubadour qui occupa peut-être même le
poste de Secrétaire du Comte de Toulouse (1). « Il
« fut, nous dit Fauriel, un de ces Troubadours de
(( haut rang qui formaient, pour ainsi dire, la no-
ie blesse, l'aristocratie de l'ordre et qui avaient à
« leurs gages des jongleurs qu'ils menaient partout
<( pour chanter leurs vers et qui se faisaient
<( entendre dans toutes les ('ours >> (2).
Pierre Cardénal est un des rares Troubadours qui
ne connut pas l'amour ou, du moins, ne le chanta
pas. Il existe même de lui une pièce fort piquante
dans laquelle il se félicite de faire, sur ce point,
exception à ses confrères et d'avoir su conserver tou-
jours sa liberté. Naturellement moraliste et sati-
rique, le poète Vellave est une nature généreuse et
fière qui ne peut voir le mal sans en être courroucé
et qui se donne mission, dans les soixante-dix poèmes
que nous avons de lui, de le signaler et le flétrir par-
Ci) Teulet, T. I, P. 268, b.
(2) Fauriel : Hist. de la poésie Provençale, T. II.
296 LES TROUBADOl RS CANTALIENS
tout. Il mourut presque centenaire à la fin du trei-
zième siècle (1).
Qarin-U -Uni h . gentilhomme «lu Velay, né dans
l'Evêché du Puy, paraît être le même personnage
que Garinus Bruni qui fut garant vers 1174, avec
Raymond des Baux, Bermond d'Uzès et d'autres sei-
gneurs, d'un serment de fidélité prêté par Bernard-
Aitnn VII, vicomte de Nîmes, au comte de Tou-
louse (2). 11 s'acquil une réelle célébrité dans la
<< teri8on >>, genre de poésie auquel il se consacra
exclusivement.
<( Garins l<> Bruns si fo un gentils castellans de
« Neillac, de PEvesqual de] Puoi-Santa .Maria. E fo
c lions trobaïre, e fo a maltraire de las dompnas
<( coin deguesson captener. Non fo trobaire de vers
(( ni de chansos, nias de tenipsos. »
Garin-le-Brun était un gentil châtelain du Velay,
dans l'Evêché du Puy Sainte-Marie. Il fut bon Trou-
badour et maltraita les dames qui le laissèrent
(i) Chabaneau, P. 62 (Biogr.) et 163. Gr. n° 335, ?• 47- Mila
Poètes lyriques Catalans, P. II. Barbieri, P. 127. Hist. Litt. T. XX,
P. 569. Fauriel, T. II, P. 174, 217.
(2) Teulet, T. I. P. 108, a.
LES TROUBADOl lis CANTALIENS 227
captif. Il ne composa ni vers ni chansons, mais uni-
quement des tensons.
Celle qu'il dédia à un Troubadour cantalien don-
nera occasion de reparler de lui, à propos d'Ebles
de Saignes (1).
EUe-Guillaume Grimoard-Gausmar } plus habituel-
lement appelé Gausmar, a été dédoublé par quelques
historiens qui ont vu en lui deux personnages dis-
tincts. Il était un puîné de l'illustre et puissant»'
maison des Grimoard (parfois Grimard), seigneurs
de Grizac en Gévaudan, de laquelle sortira, au
XIVe siècle, le pape Urbain Y (1362-1370) (2). Ce
cadet, probablement sans fortune, paraît avoir con-
quis jeune les honneurs de la Chevalerie; mais attiré
vers la libre existence des adeptes du Gay Savoir, il
avait abandonné l'éperon d'or du Chevalier pour la
(i) Chabaneau, P. ^3- (Biogr.) et 143. Gr. n° 153, P. 50-1.
Hist. Litt, T. XV. P. 463, T. XVII, P. 419- Bartsch-Gundrin,
n° 218.
(2) Les Grimoard, seigneurs de Grizac, où ils résidaient, de
Bellegarde, Verfeuil, etc., se sont éteints en Urbaine de Grimoard-
Grizac qui épousa vers 1490 Guillaume de Beauvoir, baron du
Roure, Castillon, Saint-Florent, dont la descendance a toujours
fait précéder le nom de Beauvoir de celui de Grimoard.
-'-'" LES NIOUBADOURS CAXTALIENS
citole et le rebee du Jongleur 1 1 1. Son intimité avec
un Troubadour Cantalien, sa collaboration avec lui
donnera occasion (rentrer dans pins de détails sur
sa vie (2).
Guilhi m '/' Saint-Didier était chef de cette vieille
Lignée auvergnate, possessionnée aux environs de
Brioude, éteinte dans les Chalençon-Kochebaron et
finalement dans les La Salle-Val-le-Chastel qui ont
conservé la terre «le Saint-Didier jusqu'à la dévo-
lution (3). Guilhem était un riche baron de l'Evêché
(i) On a vu que nombre de Troubadours firent l'apprentissage
de leur carrière comme Jongleurs, apprirent en déclamant, les
poésies d'autrui. les règles complexes de la prosodie d'alors. Il
arrivait aussi que des Troubadours en étaient réduits par leur in-
conduite à retomber à l'état de Jongleur, tel Gaucelm Faydit,
Troubadour célèbre, qui, ayant tout perdu aux dés, dut se faire
jongleur et subit l'humiliation de n'être plus reçu qu'à titre ano-
nyme dans la troupe des jongleurs, chez les seigneurs qui l'avaient
fêté jadis comme poète.
(2) Chabaneau, P. 149-150. Gr. n° 218. Hist. Litt. T. XVIII,
P. 643.
(3) La terre de Saint-Didier-sur-Doulon, arr. de Brioude, passa,
à l'extinction de la famille qui en portait le nom, dans celle de
Chalençon-Rochcbaron. Au XVIe siècle, Anne de Chalençon-
Rochebaron, dame héritière de Val-le-Chastel, Saint-Didier, etc.,
porta tous les biens de sa maison à son mari Damien de la Salle.
Ce rameau, puîné, de la maison de la Salle, connu sous le nom
de La Salle-Val-le-Chastel, a possédé Saint-Didier jusqu'à la
Révolution et s'est éteint, alors, dans les Bouille.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 229
du Puy, Chevalier de grand mérite, aussi vaillant à
la guerre qu'habile et heureux à composer « sirrcn-
tés » et chansons, nous dit son biographe. D'aspect
séduisant, infiniment aimable et gracieux, ses hom-
mages étaient convoités de toutes les grandes dames;
il les offrit à Marquise de Polignac, femme du
Vicomte Héracle III, et belle-sœur du Dauphin
d'Auvergne. Mais cette grande dame que la suite
nous montrera terriblement excentrique, pour ne
rien dire de plus, déclara au soupirant qu'elle ne
l'agréerait comme Chevalier que si le Vicomte, son
mari, l'en priait expressément. Guilhem se soumit à
cette originale épreuve, composa une chanson si
attendrissante que le Vicomte, flatté de voir sa
femme recherchée par un seigneur d'un si grand
mérite, joignit ses instances à celles du Chevalier-
Troubadour; La belle Marquise, comme on appelait
d'habitude la Vicomtesse de Polignac, se laissa flé-
chir, et, après avoir entendu la chanson de Guilhem
chantée par son propre mari, accorda ses faveurs à
son auteur et le prit pour Chevalier.
Ces amours restèrent-elles simplement plato-
niques? Nul ne le sait au juste, tant la Vicomtesse
y apporta de prudence et Guilhem de discrétion,.
230 LES TROUBADOURS CANTALIENS
n'ayant d'autre confident que son ami Hugues Ma-
reschal. l'ans ses chansons, qu'il consacra toutes
désormais à célébrer sa belle, il se désignait lui-
même su us le nom de Bertrand el disait d'Hugues
Maréchal qu'il était un autre lui-même, un autre
Bertrand. Longtemps, ce trio fut heureux, notre
pauvre G-uilhem devait en éprouver amère désillu-
sion qu'il semble, du reste, avoir quelque peu pré-
parée.
Il v avait an pays de Vienne, en Dauphiné, uni
noble dame, la Comtesse de Roussillon (1), si belU
et si parfaite que les Chevaliers et Barons l'ace;
blaient d'hommages. Gnilhem de Saint-Didier était-
il inconstant de nature ou trop facilement inflam-
mable? l.a Vicomtesse de Polignac lui avait-elle
donné quelque chagrin et voulut-il affecter de porter
ailleurs ses hommages et ses chansons ou reçut-il le
coup de foudre, invinciblement séduit par la belle
Comtesse Dauphinoise? Toujours est-il qu'il s'atta-
cha n son char et dans sa joie de voir ses soins
agréés, en négligea totalement sa dame, paraissant
oublier le lien qu'il avait trouvé si doux.
(i) Roussillon, chef-lieu de cant. de l'arr. de Vienne (Isère).
LES TROUBADOURS CANTALIENS 231
Fureur de Marquise de Polignac qui nous appa-
raît d'une jalousie féroce, incapable de supporter
l'humiliation d'un dédain, allant par les voies les
plus expéditives au parti le plus extrême de la ven-
geance? Elle fait appeler Hugues Mareschal et lui
tient sans ambages ce très net et très clair discours
que les chroniques nous ont soigneusement conservé:
« Hugues, je vous choisis désormais pour mon Che-
<( valier; aucun ne me plaît davantage et vous êtes
« celui que le traître Guilhem pourra, à bon droit,
(( être le plus mortifié de me voir prendre pour le
u remplacer. Or, je vous déclare que l'envie m'a
« prise d'aller en Dauphiné, en pèlerinage à Saint-
(( Antoine (1) ; nous ferons étape à Saint-Didier, et
<( là, dans le propre château de Guilhem, dans sa
« propre chambre, dans son propre lit, vous couche-
« rez avec moi ». Le chevalier Hugues, quelque peu
interloqué de cette brutale déclaration, sans préam-
bule aucun, s'empressa de répondre : « Vous me
(( comblez vraiment, Madame; qu'il soit fait selon
(( votre bon plaisir, je suis tout à vos ordres ». Et la
Vicomtesse, montant à cheval, suivie de ses demoi-
(i) Canton et arrondissement de Saint-Marcellin (Isère).
LES TROUBADOURS OAKTALIENS
Belles d'honneur et de ses Chevaliers, emmenant
Hugues, piqua droit au château de Saint-Didier.
Elle v mit pied à terre el demanda l'hospitalité.
Guilhem était absent; mais son intendant, ses servi-
teurs s'empressèrenl autour de la dame de Polignac
el se mirent entièrement à ses ordres. Quand vint le
soir, continue sans sourciller le chroniqueur, elle se
fit conduire à la chambre de Guilhem, coucha dans
Le lit habituel de ce seigneur et lit très ostensible-
ment coucher Hugues avec elle. La nouvelle d'un
pareil esclandre se répandit avec la rapidité de
l'éclair dans tout le pays. Guilhem de Saint-Didier
en fut profondémenl marrij mais n'en laissa jamais
rien paraître. 11 affecta toujours, au contraire, igno-
rer la chose, ne permit jamais qu'on en parlât devant
lui; mais s'attachant, de plus en plus, à la Comtesse
de Roussillon, il arracha de son cœur son amour
pour Marquise de Polignac, se bornant à composer
sur ce triste épisode une des plus touchantes poésies
qui soit sort Le de sa plume (1).
" (i) Chabaneau, P. 58 (Biogr.) et 151. Hist du Languedoc,
T VI P 37- Gr., n° 234. Meyer, P. 26. Barbieri, P. 61 et 116.
Hist. Lin. T. XV, P. 449, P- XVII, P. 419
LES TK01 BADOl RS * ANTALIENS
Gausseran de St~Didier} petit-fils de G-uilhem (1),
nous a laissé une ou deux chansons où il célèbre sa
passion pour la fille de Guillaume IV, marquis de
Montferrat, troisième femme de Guignes VI, comte
de Vienne en Dauphiné. Le Comte viennois était
déjà âgé quand il contracta celte troisième union;
Gausseran était un jeune et élégant cavalier qui
avait hérité de la bonne mine de son aïeul. Celui-ci
avait trouvé jadis le bonheur dans la vieille Tille
où mourut, dit-on, Ponce-Pilate (2); le petit-fils y
fut tout aussi heureux, affirme le chroniqueur; ("est
tout ce que nous savons de lui (3) !
Nous avons esquissé à grands traits l'histoire de
cette efflorescence de poésie qui atteignit son point
culminant au XIIIe siècle, évoqué les noms des
Troubadours de lîasse-Auvergne et du Velay, de
ceux, au moins, dont l'origine est incontestable; ten-
(i) Une substitution avait dû avoir eu lieu dans la maison de Saint-
Didier. Il est certain que Gausseran était le fils de la fille et non du
fils de Guilhem. Cette fille unique héritière de sa maison avait du
imposer à son mari les nom et armes des baint-Didier, fait assez fré-
quent jadis.
(2) Selon une tradition, Ponce-Pilate, Proconsul de Judée, aurait
été nommé en Gaule et serait mort à Vienne où une pyramide a été
élevée sur son tombeau. Rien n'est moins prouvé.
(3) Chabaneau, P. 63, (Biogr.) et IJ | Gr. n° 16S, 231, 10.
■s\\
l.i s ! 1101 BADOI R5 « VNTALIEKS
tons de restituer au Haut-Pays d'Auvergue ceux de
ses fils ipii tirent partie <le la poétique phalange,
chantèrent Dieu, la guerre el l'amour dans cette
langue Romane donl notre dialecte cantalien du
\ \ siècle est l'incontestable héritier.
III
Les
Troubadours
Cantaliens
Biographies
Â7/-A7P Siècles
m
« Les documents sur les Troubadours de Haute-
Auvergne «.ut manqué » (1), constatait mélancoli-
quement, en 1853, Paul de Chazelles, l'un des
auteurs du dictionnaire statistique du Cantal. Cet
ouvrage ne donne, en effet, que cinq noms de Trou-
badours réputés appartenir à la Haute-Auvergne (2),
dont un lui est manifestement étranger, issu d'nne
race féodale du Bas-Pays, L'autre peut-être Cata-
lan (3). Dans l'Annuaire du Cantal de 1830, le
(i) DicL Stat. du Cantal. T. II. P i&
(2) Ibid. P. 155.
(3) Hugues de Peyrols n'est pas né dans la tour de PeroN
commune de Txizac, arr. de Mauriac, mais au château de Peyrols'
près Rochefort-Montagnes, arr. de Clermont.
Pierre Vïdal de Bézaudun est né. selon les uns, au château de
Bézaudun-Tournemire, arr. d'Aurillac, tandis que d'autres le font
originaire de Bézaudun en Provence et qu'une troisième opinion
veut qu'il s'appelle Vidai de Bézalu, originaire de Bézalu en
Catalogne. Nous d'rons plus amplement à sa biographie l'état
actuel de ce problème.
233 LBfi TROUBADOURS I àRTALIENS
baron <le Sartiges d'Angles donne comme Auver-
gnat ce poète peut-être Pyrénéen et tente d'esquisser
les biographies de quelques Troubadours Auver-
gnats Bans distinguer entre 1»' Haut et 1<' Bas-Pays.
Cette étude n'avait intéressé, depuis, aucun érudit
ci ]c Cantal restait ignorant «1rs gloires poétiques
médiévales qu'il pouvail légitimement revendiquer.
Lee récents travaux des Bavants Français et Alle-
mands venant en aide à aos recherches personnelles,
Continuées longues années durant, nous ont l'ait
croire pouvoir tenter sans trop de témérité «le dres-
m i •. an moins, une première liste des Troubadours
Cantaliens qui s.- grossira peut-être encore à la
Longue.
Il est déjà malaisé de rechercher, parmi les quatre
cents Troubadours, environ, dout les noms sont
venus jusqu'à nous, ceux qui appartiennent à l'Ecole
Auvergnate. La difficulté s'accroît singulièrement
pour démêler, dans cette sélection première, les
poètes que peut revendiquer sûrement le Haut-Pays
d'Auvergne. Bien loin de former un tout homogène,
le département actuel du Cantal est fractionné par
la chaîne de ses montagnes en régions d'affinités
LES TBOUBADOURS < A MA LIENS 239
différentes. Cette ligue de démarcation est si nette,
subordonnée au partage des eaux, qu'elle apparaît
d'une manière sensible dans le langage qui s'y frac-
tionne en plusieurs dialectes franchement distincts.
Les arrondissements de .Murât et de Saint-Flour,
cette région d'outre-Lioran, se rattachent à la Lima-
gne et au Velay et les Troubadours issus d'elle
subissaient nécessairement l'irradiation des deux
centres poétiques qu'étaient, au XIIe siècle, la cour
du Dauphin d'Auvergne siégeant au château de
Vodables, près d'Issoire et celle, si fameuse par ses
assises littéraires, de PEpervier, au Puy-en-Velay.
L'arrondissement d'Aurillac côtoie les frontières du
Rouergue, du Quercy et du Limousin, sans grandes
attirances vers Clerniont mais bien plutôt vers le
midi Toulousain. Les Troubadours nés sur son sol
durent naturellement aller rechercher l'art de bien
dire à ces centres intellectuels, d'accès facile pour
eux, qu'étaient les groupements poétiques patron-
nés dans leurs demeures par les comtes de Rodez,
les vicomtes de Turenne et de Ventadour. L'arron-
dissement de Mauriac participe à la fois à la
Limagne et au Limousin ; les poètes qu'il a fournis
devant subir, presqu'à part égale, l'influence de
LES TROl'BAl"! Bfi «AMAI.IENS
l'Ecolfi Limousine ri «le celle île < Mermont. Mais il
faut tenir compte aussi de ce que tel Troubadour
comme la daim- de OasteJ d'Oie, née .1 la lisière du
Haut-Pays et «lu Rouergue, n'a chanté son amour
que lorsqu'elle a été transplantée par son mariage
aux eoniins <iu < ic\;iu«l;in et du Yelav, rattachée par
la îiM-nic a L'Ecole <lu Puy. Pierre de Rogiers, dont
la première enfance ë'étaii écoulée aux frontières -de
l'Auvergne el du Quercç^ à proximité de Turenne,
ou affluaient les [loetes Limousins et Méridionaux,
;i été Osé (le bonne heure a Olesmonl par son Oano-
nicit. Puis, le Troubadour était essentiellement
sifleau migrateur; il allait gaiement d'étape en
étape, comme Pierre de \ le, d'Aurillac a Saragosse,
en passant par Ventadour ed Le Puy, comme I 'as-aire
ou le baron de Oonros, des bords de la Jordanne aux
rivages de la Venetie ott a ceux de Tunis, plus loin
encore, jusqu'en Palestine et en Egypte. Il serait
donc presque toujours téméraire de vouloir recher-
cher daus leurs poèmes, dans leur manière de faire
ou leurs préférences pour tel ou tel genre, une indi-
cation de leur origine. Retrouver leur lieu de nais-
sance, découvrir leurs attaches certaines à une
LES TROUBADOURS CANTALTENS 241
famille Cantalienne est l'unique point de repère, la
seule preuve indubitable qui permette au Haut-
J'ays de revendiquer comme siens oes gai« enfants
à rhumeur vagabonde.
A feuilleter le recueil de biographies des Trouba-
dours, composé au treizième siècle par le Querci-
nois Hugues de Saint-Cire, au moins pour une
bonne part, deux poètes seulement y figurent appar-
tenant au Haut-Pays dont un seul avec indication
certaine de son origine Cantalienne. Grâce aux
récents travaux des savants, tant étrangers que
français, les ténèbres se sont peu à peu dissipées,
au moins partiellement; ceux-là mêmes qui ne se
sont pas occupés spécialement du lieu d'origine des
Troubadours, ont souvent apporté, néanmoins, leur
part contributive à la solution du problème en
révélant tel détail de leur vie.
Au cours de trente années de recherches sur l'Au-
vergne et ses anciennes familles, nécessitées par
diverses publications, nous avions fait, maintes fois,
d'intéressantes découvertes sur les poètes du Moyen
Age et les liens qui les rattachaient à telle race de
la province. Oes documents amassés nous ont per-
242 LES TROUBADOURS OANTALIENS
ni is de dresser une liste certaine, sinon complète,
des Troubadours Cantaliens. Nous avons cru devoir
n'y faire figurer que les poètes dont le lieu de nais-
sance et l'ascendance connue ne laissent subsister
aucun doute, groupant en un chapitre spécial ceux
dont l'origine reste encore nébuleuse. D'autres vien-
dront qui compléteront cette liste, restitueront peut-
être Me nouveaux noms a leur province natale.
Le Troubadour ne vaut que par ses œuvres; elles
seules ont sauvé son nom de l'oubli, nous permettent
de pénétrer quelque peu dans l'intimité de ce curieux
inonde du douzième et du treizième siècles, d'esprit
Léger, de mœurs faciles, tout débordant de la joie de
vivre. .Mais le quart, a peine, de l'ensemble des poé-
sies médiévales nous est parvenu et, encore, le plus
grand nombre sans la musique qui les mettait en
valeur. Or, c'est précisément l'union étroite des
paroles et de la musique qui donne à. cette poésie sa
physionomie particulière. Le désir de ne pas détour-
ner l'attention de la musique fit abandonner très
vite aux Troubadours la poésie narrative pour se
cantonner dans le genre lyrique et sentimental. Sans
ce puissant réconfort, qui leur manque aujourd'hui,
LES TROUBADOURS CAMTALIENS
243
beaucoup de chansons, jadis en vogue, nous parais-
sent insipides et la réputation de leur auteur sur-
faite. Le plus grand nombre de nos Troubadours
Cantaliens a été particulièrement maltraité par le
temps; de plusieurs il ne nous reste que d'insigni-
fiants fragments; encore, à qui serait curieux de
les lire, est-il à peu près impossible de se les pro-
curer. Publiés partiellement dans quelques livres
spéciaux, devenus rares, réédités plus complets et
plus corrects, dans les ouvrages Allemands, leur
recherche difficile rebute vite les plus intrépides.
On serait, au reste, mal récompensé de sa peine en
se trouvant en présence d'un texte inintelligible au
plus grand nombre, édité toujours sans traduction.
Même parmi les lettrés les plus cultivés, bien rares
sont, aujourd'hui, ceux dont la curiosité littéraire
s'est aiguillée vers la langue Romane et qui la pos-
sèdent assez pour pouvoir goûte]' nos Troubadours
dans le texte original.
Il nous a paru intéressant de réunir la totalité des
œuvres connues de nos poètes Cantaliens du Moyen
Age en recherchant pour chacune d'elles, chez les
244 1.1 S TROUBADOURS CANTALIEXS
Français ou les Allemands, la leçon la meilleure
dont nous indiquons toujours la provenance.
Un prêtre Cantalien érudit, M. l'abbé Four, a eu
la pieuse pensée de consacrer les rares loisirs que
lui laissait jadis l'enseignement et aujourd'hui le
ministère paroissial, à traduire et publier quelques-
unes des poésies de nos Troubadours Cantaliens (1).
Sa valeur réelle de linguiste, sa connaissance de
la langue Romane, qui décèle une étude approfon-
die, nous font vivement regretter que ses traduc-
tions ne soient pas plus nombreuses. Nous aurions
sollicité de lui l'autorisation de les reproduire ici.
Faire nons-même ces traductions, nous n'y avons
pas songé. Outre que le temps matériel nous eut
fait défaut, notre incompétence nous l'interdisait.
Autre chose est de lire assez couramment les textes
Romans pour n'avoir pas besoin de recourir à un
traducteur, au cours des recherches qu'a nécessitées
ce travail, autre chose est de rendre fidèlement en
Français l'œuvre, parfois volontairement obscure
de forme de nos anciens poètes. M. R. Lavaud,
(i) Dans La Croix du Cantal, notamment, dans les numéros
des 4 sept., o oct., 4 déc. 1910.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 245
Agrégé des Lettres, Mainteueur du « Bournat » du
Périgord, Professeur au Lycée de Laon, auteur
d'une édition critique ayec traduction Française du
fameux Troubadour Arnaut Daniel (2) a bien voulu
se charger du travail délicat de traduction des poé-
sies de nos Troubadours. Nous le remercions cordia-
lement de nous avoir ainsi permis d'offrir à nos
compatriotes, avec le fruit de nos recherches sur
nos poètes Cantaliens du Moyen Age, une traduc-
tion qui rende accessible à tous ce que le temps a
épargné de leur œuvre. Nous adressons pareil merci
à M. E. Eohiner, archiviste-paléographe, ancien
élève de l'Ecole des Chartes, attaché à la Biblio-
thèque Nationale. Sa parfaite connaissance de l'alle-
mand nous avait fait lui demander la traduction de
nombre de travaux des savants d'outre-Ehin sur nos
Troubadours.
Ainsi, même au delà de la tombe, le poète Canta-
lien du vingtième siècle, Arsène Yermenouze, aura
contribué à la vulgarisation des oeuvres de ses
devanciers puisqu'il est la cause occasionnelle de
(2) R. Lavaud : « Les poés;es d'Arnaut Daniel, — 1 180-1220 ».
Toulouse, Privât 191 1. .
240 LES TROUBADOURS CANTALIEXS
cette publication. Nous souhaitons que ceux de nos
compatriotes qui prendront quelque intérêt à la
feuilleter, veuillent bien y voir un hommage recon-
naissant des encouragements sympathiques qu'ils
nous ont prodigués avec une bonne grâce si spon-
tanée pendant notre causerie sur les Troubadours
Cantaliens d<- Pierre de Vie à Vermenouze.
U>0)ows & radiaubûïi
Pierre de Vie
Prieur de Montaudon
Tenant sur le poing l'épervief
de la Cour du Pin-
Miniature extraite du manuscrit fr. 854
de la Bibliothèque Nationale
Pierre de Vie
<Lo Monges de Montodo)
Le Moine de Montaudon
Moine de l'Abbaye d'Aurillac
Prieur de Montaudon et de Yilleiranche
xir-xiir
Vic-sur-Cère, aujourd'hui coquette station ther-
male et climatérique, avait été déjà appréciée des
Romains (1) avant de devenir la capitale judiciaire
du Carladtea. Des le haut Moyen Age, deux familles,
qui avaient très probablement commune origine, s'en
partageaient le domaine féodal sous la suzeraineté
des Vicomtes de Cariât. L'une avait pris le nom du
bourg lui-même, « viens », l'autre avait tiré le sien
de la rivière de Gère qui baigne le pied de l'an-
tique cité. Ces deux races de Vie et de Cère ont
fourni une brillante lignée de paladins et de prête
chevaliers, dont plusieurs ont laissé trace glorieuse
dans nos annales. Elles possédaient en indivis, ei
<( pariage », le château de Vie, appelé le « Gasteî
(i) Les fouilles opérées en 1829 à la fontaine minérale mirent
à jour des vestiges de villas Gallo-Romaines, des fragments de
vases, des monnaies à l'effigie d'Auguste, Claude, Vespasien, Dio-
ctétien, Liccinius. — Cf. Dict. Stat. du Cantal, T. V, P. 549.
LES TROUBADOURS CANTALIKNS 249'
Vièl », qu'elles habitaient l'une et l'antre et qu'elles
devaient entretenir à frais communs (1). Il domi-
nait la ville, englobait sa partie haute dans la triple
enceinte de ses remparts dout on pouvait suivre,
naguère encore, les traces fort apparentes.
De la cime du roc qu'occupait le château où
naquit, vers 1145 ou 1150, notre Troubadour (2), de
la plate-forme de son donjon où le futur Prieur dut
(i) Autant les documents abondent à partir du XIIIe sur la
famille de Vie et celle de Cère, autant ils sont rares au XIIe.
On connaît pourtant, grâce à deux acte? d'hommages rendus par
les sires de Vie aux Vicomtes de Cariât, en 1265 et 1283, Guil-
laume de Vie, probablement neveu de nertre Troubadour et
Alix sa femme, Bertrand de Vie, son neveu, et sa femme Elve.
On sait aussi, que, du temps de Pierre de Vie, son château natal
changea de suzerain lorsqu'en 1219 Henri Ier, Vicomte de Cariât,
attribua, avec d'autres châteaux, celui de Vie à son fils cadet
Guibert. Une branche de la maison de Vie s'éteignit, au XIVe, en
Huguette de Vie mariée à Renaud de Boissonis et l'autre rameau
n'avait plus, à la même époque, pour unique héritière que Mira-
bellic de Vie qui épousa Jacques de la Roque, seigneur de la Mois-
setie, Requiran, Montai, etc., lequel devenu ainsi co-seigneur de
Vie, rendit hommage pour cette terre au Vicomte de Cariât en
1355. Cette maison de la Roque-Montal, rameau puîné des sires
de Roquenatou, près Aurillac, une de nos plus grandes races
médiévales, a subsisté, au moins, jusqu'en 1789.
(2) Le savant Ant. Thomas dit, dans son Etude sur la Litté-
rature Provençale en Italie au Moyen-Age, 1883 : « Le Moine de
Montaudon... né à Vic-sur-Cère, d'une famille noble dont on
ignore le nom » ! Assez de titres et de chartes révèlent pourtant
l'existence de la maison de Vie, jusqu'à son extinction au XFVe.
-50 LKS TKOL'BADOl'RS CANTALIENS
faire ses premiers pas, l'œil embrasse un des plus
somptueux panoramas du Plateau Central. — « Do-
<< minant la rivière qui se déroule en large ruban
<< devant lui réfléchissant le ciel dans ses eaux et
« portant leur fraîcheur au sein des fécondes cam-
o pagnes, des bosquets et des jardins... la vue jouit
h des plus attrayantes perspectives et des contrastes
<< les plus heureux. Tandis qu'à droite, la vallée
<« semble fuir comme un fleuve de verdure ou
« comme un de ces paysages d'Ionie aux contours si
« doux, à l'opposite... Vie, l'antique cité judiciaire
« du Carladez, s'étage au pied des groupes de
ci rochers abrupts et bizarres, colosses grimaçants
«< comme des idoles Hindoues; puis, les yeux reposés
« par l'ombre des massifs sont tout à coup
« éblouis par la magnificence de la haute vallée de
« Cère et, parcourant avec ravissement la suave
« mosaïque de cet admirable bassin, s'élèvent de
(( chaînons en chaînons vers les lignes sévères et
« sublimes des monts Cantaliens qui terminent
« l'horizon » (1).
(i) H. de Lalaubie et P. de Chazelles : Dict. Stat. du Cantal,
T. V, P. 50.
LES TBOUBADOURS CANTALIENS 251
La plus belle des vallées de Haute- Auvergne
s'étale luxuriante aux pieds de Vie, sertie de riantes
collines que décore la plus vigoureuse végétation. —
« La Cère y décrit mille méandres au milieu de
« champs et de prairies d'une extrême fertilité. Par-
« tout s'élèvent des châteaux, de belles maisons de
« campagne, de belles fermes, des hameaux, des
« villages. De nombreux troupeaux paissent dans
(( les prairies coupées d'une multitude de canaux
« d'irrigation. En arrière s'élève le Plomb du Can-
« tal, ordinairement chargé de neige de novembre
« à la mi-mai ou battu par les orages pendant
« l'été » (1).
Si l'enfant qui devait devenir le plus ancien de
nos poètes Cantaliens dont l'œuvre nous soit parve-
nue, détachant ses regards de ce vaste et riant
tableau, les reportait eu arrière vers les montagnes,
il pouvait admirer un paysage tout différent mais
non moins majestueux. Au pied même du roc qui
supportait « Gastel-Viel », une étroite gorge se
creuse où FIraliot, torrent vagabond descendu des
(i) Hugo: « La France pittoresque ».
252 LES TROUBADOURS I ANTALIENS
hautes cimes avoisinantes, se précipite en char-
mantes cascatelles.
« Le ravin est étroit, pressé de part et d'autre
« par la montagne et cependant rien de plus pitto-
(( resque. Des champs et des jardins montent en
<< étage sur ses rampes, des prés verts et ombreux
« en tapissent le fond. Des cives du torrent s'élan-
(( cent des frênes, des aulnes, des noyers et des ceri-
(( siers, des fentes de chaque roc s'échappent à pro-
ie fusion des rosiers sauvages, des bruyères aux
« fleurs empourprées, des campanules, des lise-
« rons... Cciic gorge pleine de charme et de rêverie
<< semble naître du pied d'une roche escarpée... où,
« du fond d'une vasque rocailleuse, tombe une des
« cascades les plus mystérieuses, les plus hautes et
« les plus curieuses. Elle forme deux jets... La pers-
(( pective de la première cascade fuit gracieusement
« entre deux blocs qui s'élèvent comme des pilastres
(( au-dessus de la seconde ; sa nappe blanche se des-
<( sine admirablement dans ce cadre grisâtre. A
(( peine ses eaux se reposent-elles dans le bassin
« qu'elles ont ciselé, qu'elles en sortent, reprennent
<( leur élan entre les deux promontoires et rebon-
« dissent de dix mètres de hauteur jusqu'au fond de
LES TROUBADOURS CANTALIENS -"»:>>
<( l'abîme. Le site entier de la cascade est aussi
« remarquable qu'imprévu. A travers les escarpe-
« ments qui le resserrent apparaît un nouveau ciel,
(( un nouvel horizon, l'œil devine un espace plus
<< large, plus aéré, un paysage moins tourmenté,
« plus tranquille, c'est en effet le val de Malepie
« dont les verdoyantes pelouses commencent pour
« s'élever vers de plus liantes régions. Tout ce mer-
(( veilleux ensemble laisse dans l'âme une impres-
(( sion que le temps et la distance ne parviennent
(( pas à effacer » (1).
Pierre de Vie devait garder toujours dans la
sienne le souvenir du riant tableau qui avait ébloui
ses yeux d'enfant et à qui était né dans cette plan-
tureuse et ravissante vallée Carladézienne, la vie
devait apparaître douce et facile. Il la trouvera
telle, en effet, saura garder toujours une impertur-
bable belle humeur, écarter de sa route toute cause
de tristesse, voire même tout souci d'ambition.
Revêtu du froc bénédictin qu'on lui a fait endosser
tout enfant, il le portera comme le portaient, de son
(i) H. de Lalaubie : « La cascade du Trou-de-la-Conche ».
Dict. Stat. du Cantal, T. V, P. 546.
254 LES TROUBADOURS CANTALIENS
temps, ses pareils, sera aussi peu Moine que pos-
sible, ignorera tout de l'ascétisme, chantera, en
revanche, sans se lasser jamais, les jolies femmes qui
daigneront lui sourire, les mirifiques vertus des-
flacons poudreux qu'il éprouvera plaisir toujours
nouveau à vider.
Pour juger équitablement Pierre de Vie, il faut
ne pas perdre de vue qu'il était un cadet de grande
maison jeté au cloître sans vocation religieuse
aucune, simplement parce que tel était l'usage, pour
les puînés de la Noblesse et de la Bourgeoisie, en
ce douzième siècle particulièrement fertile en scan-
da les ecclésiastiques et dont les moeurs étaient
effroyablement dissolues dans les hautes et basses
classes laïques aussi bien que dans le Clergé. En
vain, deux siècles plus tôt, notre génial pape Canta-
lien, Sylvestre II, l'austère Gerbert, aux mœurs si
pures, à la mentalité si haute, avait tenté d'endiguer
la dégoûtante simonie, l'incroyable corruption des
Evêques et des Clercs. En vain le concept autori-
taire de Saint Grégoire VII s'était appliqué, au
milieu même de ses luttes contre le pouvoir civil, à
réformer l'Eglise; les scandales persistaient plus
LKS TROUBADOURS CANTALIENS
{ «désolants que jamais. Nombre d'abbayes et de béné-
fices ecclésiastiques étaient encore aux mains des
seigneurs laïques qui les avaient reçus du roi en
récompense de services militaires ou obtenus par un
simulacre d'élection simoniaque. N'ayant d'ecclé-
siastique que la tonsure et l'habit (1), ils vivaient
urassement dans les monastères, comme en pays
■conquis, entourés de leur femme, de leurs fils et de
leurs filles, de leurs soldats et de leurs chiens (2). Si
les malheureux moines affamés tentaient quelque
réclamation, invoquant les obligations abbatiales
imposées par la règle bénédictine : « Je ne sais
pas lire », répondaient ces singuliers abbés en
repoussant dédaigneusement le Code monacal (3).
Si peu cléricale que nous apparaisse la vie de
{!) « Ecclesiastici tantum tonsurâ et habitù ».
(2) « Nunc, autem, in Monasteriis, Abbates laici, cum suis
uxoribus, filiis et filiabus, cum militibus morantur et canibus ».
Actes du Concile de Trosly en Bourgogne, année 903. Cf. Labbe,
T. IX, Col. 529.
(3) « Regulam quomodo léger, quomodo intelliget? Si, forsan,
oblatus fuerit hujusmodi Codex, respondebit: « Nescio litteras. »
Ibid. Ce ne sont pas les ennemis de l'Eglise, mais les Evêques de
France réunis en Concile qui tracent ce lamentable tableau de la
décadence Monacale. Les guerres perpétuelles, l'hérésie Albigeoise
n'avaient fait qu'accroître le désordre au XIIe.
256 LES TROUBADOURS I ANTA1.1 l'\s
Pierre die Vie. si étranger à la mentalité chrétien ne
et homme dG mœurs dissolues qu'il se révèle crû-
ment dans ses écrits, le Prieur de Montaudon n'était
ni meilleur ni pire que la plupart des dignitaires
ccclcsiasi iques de son temps.
L'Abbaye d'Aurillac. où il entra comme novice
Fers 1160 ou L165, n'avait connu aucun de ces
néfastes abbés laïques; la règle bénédictine s'y était
passablement maintenue et le révérend issime Abbé
Pierre Bruni qui La gouvernait depuis 1155, eanoni-
i incluent élu, s'efforçait d'en conserver de son mieux
le domaine spirituel et temporel. 11 avait fort à faire
pour v parvenir et il est bien à croire que ses luttes
à main armée contre les Bourgeois d'Aurillac qui
refusaient obéissance à son autorité, lui tirent négli-
ger plus d'une fois La surveillance des exercices de
piété de ses moines. Ce l'ut au milieu de constantes
échaulVnurées qui mettaient journellement aux
prises les troupes abbatiales et les belliqueux habi-
tants de la ville que Pierre de Vie fit son noviciat
et plus d'une fois les bruits de bataille durent ponc-
uier pour lui le chant des Heures Canoniques!
L'abbé de Saint-Géraud, héritier du saint Comte,
LES TROUBADOURS CAXÎ,\ LIIONS 257
fondateur de la ville et de l'Abbaye (1), entendait
être, « de par la grâce de Dieu », le maître absolu de
sa « bonne ville » d'Aurillac. Bourgeoisie et plèbe,
imbues de cet esprit républicain qui s'était conservé
dans nos montagnes, souvenir confus des libertés
gallo-romaines, qui forcera bientôt les seigneurs féo-
daux à l'affranchissement des Communes, arguaient
des privilèges immémoriaux de leur Consulat,
défendaient bravement, à main armée, leur liberté
contre Monseigneur l'Abbé, sans se laisser intimider
par la crosse qu'il brandissait contre eux, les ana-
tlièmes qu'il fulminait contre leur rébellion. Sentant
qu'il n'était pas le plus fort, l'Abbé appela à son
secours le Comte de Toulouse; celui-ci s'engagea
par un accord du 1er octobre 11S0 à prêter main-
forte à l'Abbé contre les gens d'Aurillac et ceux
d'Arpajon, la bourgade voisine de la cité abba-
tiale (1), mais reçut en échange de sérieux avan-
(i) On sait que Saint Géraud, Comte d'Aurillac, fils de Gé-
rald, Comte du Limousin, né en 856, au château de Saint-Etienne
d'Aurillac, fonda en 898, au pied de son manoir, l'Abbaye qui
a donné naissance à la ville d'Aurillac et l'institua héritière de
ses immenses domaines.
(1) « Cum guerra esset d'Arpoios et de Aurelhaco ». Sur
l'Abbatiat de Pierre Bruni, Cf. : Dict. Stat. du Cantal, T. I,
P. 133 et : « Mgr Bouange, Evêque de Langres : Saint-Géraud et
son illustre Abbave ».
258 LE8 TROUBADOURS CAKTALIEKS
tages en terres que lui donna l'Abbé à Toznac et
Puycelsi en Albigeois. Déjà en 11 TU, Pierre Bruni
avait dû offrir au puissant Comte Toulousain la
ville et le monastère de Cayrac, en Quercy, dépen-
dant d'Aurillac, pour obtenir un secours de troupes
contre ses vassaux révoltés.
On imagine Ce que (lui être, en des temps aussi
troublés, le noviciat de notre Troubadour; L'instinct
ancestral devait s'éveiller en lui au bruit de la
bataille et comme tant d'autres moines ses contem-
porains, il dut manier plus souvent la colichemarde
et la pique que la discipline ou le goupillon ! Mais
si sa formation monastique fut des plus rudimen-
taires et sa ferveur des plus tièdes, il est à croire
qu'il retira, au moins, de son séjour au cloître d'Au-
rillac, de sérieux avantages intellectuels.
L'Ecole du Monastère d'Aurillac, le « Secréta-
riat )) de l'Abbaye, comme on l'appelait, avait gardé
la réputation européenne qu'il avait déjà, au
dixième siècle, lorsque Gerbert y étudiait sous la
direction du savant écolâtre, Raymond de Lavaur.
Sa magnifique bibliothèque, enrichie par Sil-
vestre II, contenait la plupart des chefs-d'œuvre de
LES TROUBADOURS CANTALIENS 259
l'antiquité et grâce au fameux traité de la Rétho-
rique, envoyé jadis de Reims par Gerbert à son
ancien maître le moine Bernard, on y enseignait
encore, deux siècles après le génial pâtre de Belliae,
les Belles-Lettres et la Poésie avec un particulier
succès. Plus enclin, sans doute, à l'étude qu'à la
ferveur monastique, Pierre de Vie dut passer de
plus longues heures à la bibliothèque qu'au chœur,
lire les poètes profanes avec plus d'intérêt qu'il ne
mettait d'onction à psalmodier l'Office! A certaines
réminiscences, on le sent nourri des antiques; le
libertinage de plusieurs de ses productions n'en
exclut pas la valeur littéraire. On l'imagine volon-
tiers, à Saint-Géraud d'Aurillac, novice et moine
plus assoiffé de science que brûlé d'ardeurs mys-
tiques !
Les biens immenses, s'étendant des monts Canta-
liens jusqu'en Périgord, englobant la majeure par-
tie de la Haute- Auvergne, légués par le saint Comte
Géraud à son Abbaye d'Aurillac, s'étaient considé-
rablement accrus à travers les siècles. Le Concile
de Latran de 1224 n'avait pas encore interdit aux
moines le service paroissial ; l'abbé de Saint-Géraud
260 ■' BADQl Rfi I AVIWl.llAs
;i\;iii institué dans le domaine abbatial nombre de
Cures et Prieurés ou il envoyait un certain nombre
de Religieux assurer le service paroissial, acquitter
les fondations pieuses et administrer les biens. Ludéd
de toute surveillance, bien rente, menant grasse vie,
le Prieur était devenu vite wa dignitaire, tenu, peu
ou prou, a la résidence, passant plus volontiers son
temps a fréquenter les châteaux de son voisinage
qu'à prodiguer consolations et secours aux chau-
mières de s. »u Prieuré. Chaque famille seigneuriale
intriguai! auprès «le l'Abbé pour obtenir <|u'il nantît
<l*iin de ees plantureux bénéfices, son cadet entré
en Religion.
Notre jeune moine, que l'esprit bénédictin ne
paraît guère avoir jamais imprégné profondément,
fut vite las de la stricte observance à laquelle il
v;iii. extérieurement au moins, se plier au cloître
A mil lac. 11 harcelait l'Abbé, le faisait solliciter
par ses parents pour obtenir quelque riche pré-
bende. Aussi, pai-aît-il avoir reçu assez vite satis-
faction et obtenu, tout jeune encore, sa nomination
à l'important Prieuré de Montaudon.
En vain a-t-on fouillé les archives, en vain les
TIÎCI BÀD0UBS l AVIWI.IKNS 261
érudiis les jilus sagaces ont-ils compulsé chartes et
pouillès; il est impossible d'identifier 1<' Prieuré
dont l'ut investi Pierre de Vie, de déterminer, même
approximativement, avec quelque certitude, la
région ou il étail situé. Philippson tente, dans son
étude, à grand renfort de savantes déductions
étymologiques, de rechercher si ce ne serait pas
Montaud en Ferez (1) et Sabatiér, faisant sienne
cette opinion, déclare, sans plus de preuves, qu'il
était voisin de Saint-Etienne (2). Pour qui a étudié
l'histoire de l'Abbaye d'Aurillac, la supposition est
tout à fait invraisemblable. En dehors de l'immense
territoire Abbatial Auvergnat, le Monastère de
Saint-Géraud possédait de nombreux domaines,
bénéfices. Prieurés, biens et propriétés de toutes
sortes dans les diocèses de Saint-Flour, Clermont,
Cahors, Rodez, Albi, Mende, Saintes, Limoges, Péri-
gueux, Angoulème, Agen, Toulouse, Vence, Valence,
(i) Philippson : « Le Moine de Montaudon », Halle, 1873.
_ Sabatiér : « Le Moine de Montaudon ». Nîmes, 1879. Les
savants Allemands ont cherché, avec un grand luxe d'érudition
Latine, à établir le radical de Montaudon : « Monachus de
Monte-Dodonis » — Kalischer : Observationes in Poesim Roma-
nensem. — Monte AIdo> Aldonis, féminin : Aida, Français :
Aude (Bartsch). Monte-Albedone (Suchier).
262 LES l ROI BADOURS I AM'Al.HAS
Die, Viviers, Elne-en-Roussillon el jusqu'à Saint-
Jacques de Compostelle ; jamais on n'a relevé la
plus minime possession dans le diocèse de Lyon dont
Saint-Etienne el le Forez ont toujours dépendu au
spirituel. L'assertion de Philippson et Sabatier ne
parait pas Boutenable.
Il existe, dans le voisinage Sud-Est de Clermont-
Ferrand, un monticule isolé qui porte, de toute
ancienneté el encore aujourd'hui, le nom de Mon-
taudon ou Montaudou, << Moti8*Odonis » — Mont
d'Odon en souvenir, peut-être, d'Odon, Duc
d'Aquitaine en 688, dont la suzeraineté s'étendait
sur l'Auvergne. On distingue encore sur le versant
Nord-Est de ce monticule un reste de muraille
Gallo-Romaine <|iii a fait partie d'un grand édifice
el qu'on appelle « muraille des Sarrazins ». Un
manuscrit de la bibliothèque des Carmes Déchaus-
sés de <'lcrmont dit qu'il y avait là un temple dédié
à Mercure. Des fouilles entreprises en 1775 ame-
nèrent la découverte de pavés en mosaïque, de
fragments de marbre et de poterie, de médailles
Romaines il). Voilà en Auvergne un lieu de Mon-
ii) A. Tardieu : Grand Dict. Hist. du Puy-de-Dôme, 1877,
P. 221-222.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 263
taudon, remontanl incontestablement à une anti-
quité reculée. Une « celle » Monacale a pu fort bien.
là, comme en tant d'autres endroits, utiliser les
ruines Romaines, convertir en église chrétienne le
temple païen, fonder un Prieuré qui a disparu plus
tard, au cours des guerres Anglaises du XIVe ou
des luttes religieuses du XVI ', Les unes el les autres
si néfastes à notre province.
La proximité de la ville «le Clermont, centre intel-
lectuel, résidence de nombreux Troubadours, le
voisinage de Vodables où le Dauphin d'Auvergne
tenait sa cour, expliqueraient logiquement la noto-
riété acquise par le Prieur de Montaudon, sa popu-
larité auprès des seigneurs du pays, ses courses
faciles de château en château, nombreux dans un
périmètre restreint, ses relations, bientôt cordiales,
avec le Dauphin Robert qu'il a pu fréquenter assez
assidûment, en raison de la proximité de Vodables
et de la facilité des communications, pour se faire
apprécier de ce Prince.
Le Montaudon voisin de Clermont-Ferrand répon-
drait bien aux descriptions que nous avons du
Prieuré de Pierre de Vie et toutes les circonstances
-•'•1 lis I BOUBABDURS < ANTAI.lKNS
connuefl de fréquentations et situation lui sont, de
tous points, applicables. Une bulle du Pape Nico-
las I V de L28Ô, fiiiiiiiciani qnelques-unes, seule-
ment, «1rs possessions de l'Abbaye d'Auidllac, ainsi
que le remarque expressémeni le Souverain Pontife,
nous apprend que le Monastère de Saint-(iéraml
possédait an diocèse de Clermoart les Prieurés de
Dauzat, Fourvolet, Persac ou Sperchas (1). Il ne
répugne pas a croire que Montaudon pouvait égale-
ment faire partie «lu domaine Abbatial Aurillacois,
omis par le Pape dans son énumération du trei-
zième siècle ou déjà aliéné peut-être, alors, par voie
d'échange ou toute autre. Ou conviendra que l'Abbé
Pierre Bruni connaissant son fils spirituel Pierre
«le Vie, poète, mondain, amoureux de la bonue
compagnie et de la bonne chère ne pouvait lui
octroyer un bénéfice «pii comblât mieux ses désirs
qu'un Prieuré aux portes «le la capitale de l'Au-
(i) Dauzat-sur-Vodables, coin, du cant. d'Ardcs et de l'arr.
d'Issoire. Fourvolet parait avoir disparu plus complètement
encore que Montaudon. Aucun lieu habité du Puy-de-Dôme ne
porte plus ce nom. Il paraît en être de même de Persac, à moins
que ce ne soit Les Persats, com. de Charensat, cant. de Saint-
Gervais, arr. de Riom.
LES TaOUBABOUitS CANTAïaQEKS 265
vergue, riche alors eu poètes et leur rendez-vous
favori, dans une région peuplée d'une aristocratie
nombreuse et non loin de ce Dauphin Robert,
grand protecteur des Troubadours qu'il accablait
alors de largesses. Si rien ue rend, l'identification
de Montaudon-lez-Clermont péremptoirement prou-
vée, tout la fait supposer vraisemblable.
Notons, pour être complet, qu'il existait, au
temps de Pierre de Vie, une famille d'ancienne che-
valerie qui portait le nom de Montaudon. Ses
membres paraissent résider à Bordeaux et aux envi-
rons, y remplir des fonctions militaires impor-
tantes (1). Il est certain que Pierre de Vie a fait
(i) Les recherches sur les Montaudon du XII siècle et leur
lieu précis d'origine n'ont pas donné de résultats précis. En
revanche les pièces abondent sur eux aux XVIe et XVIIe ; cette
famille occupa toujours à Bordeaux un rang distingué. Le
21 août 1630, Menaud de Montaudon, Conseiller du Roi, Tréso-
rier Général des Finances en Guyenne, achète un hôtel sis à
Bordeaux, place du Palais (Biblioth. Nat., Pièces orig. 2007).
Le même donne quittance de ses gages et « du droit de bûches »
attaché à son office, le 16 novembre 1632. Oger de Montaudon,
Conseiller au Parlement de Bordeaux, donne quittance de ses
gages le 23 novembre 1657. Le 2~/ janvier 1676, M. de Cursol,
veuve de Menaud de Montaudon, donne une quittance de la
dernière année des gages de son mari.
Les Montaudon portaient : D'argent à un monde d'azur,
266 LES TROUBADOURS CANTALIENS
un séjour prolongé en Guyenne; nous verrons que
c'est fii cette province, alors Anglaise, qu'il connut
notamment l'Empereur Othon IV qui avait passé sa
jeunesse en Aquitaine, auprès du frère de sa mère,
Richard Cœur-de-Lion, roi d'Angleterre, dont notre
Prieur était fort apprécié. La supposition que
le bénéfice «le notre Troubadour éi.iit situé en
Guyenne, peut-être en Agenais où l'Abbaye d'Au-
rillac en possédait plusieurs (1), n'est certainement
pas dénuée de vraisemblance. Nous laissons à plus
et cintré de gueules, au chef d'azur chargé d'un croissant
d'argent ac osté de deux étoiles d'or.
Xnii- romettions beaucoup d'avoir découvert à Paris
un vieillard nonagénaire, dernier héritier de cette famille : M. de
Montaudon, ancien Directeur à la Foncière-Incendie, espérant
qu'il serait documenté sur le lieu d'origine de sa famille, l'époque
et les > mees de sa disparition. Il est mort en décembre
1910, avant que nous ayons pu l'aborder!
(1) La Bulle de Xicola; IV de 128g nous apprend que l'Abbaye
d'Aurillac possédait au diocèse d'Agen les Prieurés de Montsem-
pron, dont on s'est demandé si ce ne serait pas celui de Mon-
taudon, ceux de Montalzat, Ledat, Almayrac. Une commune voi-
sine de La Réole porte encore le nom révélateur de « Saint-
Pierre d'Aurillac ».
LES TROUBADOURS CaKTALIENS 267
habile et plus heureux chercheur le soin d'identi-
fier définitivement le Prieuré <le Montaudon (1).
Voilà notre Prieur tiré de u l'assujétissement du
cloître », respirant plus à l'aise! « Fort honnête
homme », dira-t-on, au dix-septième siècle, dans le
sens qu'on attribuait alors à cette expression, il
prend grand soin des intérêts matériels qui lui sont
confiés, administre avec scrupule et grande habileté
le temporel de son Prieuré. Ses moines le bénissent ;
jamais telle abondance, aussi grand confort n'ont
régné au couvent! Loin de drainer, à son profit on
pour enrichir les siens, les revenus du Prieuré, il les
accroît sans cesse, au contraire, de toutes les lar-
gesses dont le comble la Noblesse du pays. Le
Prieur de Montaudon est, de nature, bon vivant et
gai compagnon; l'austérité monacale, la gravité
sacerdotale ne sont pas son fait. Il lui faut rire,
(i) L'Abbé Four s'était demandé si Montidou en Carladez ne
cacherait pas le Montaudon du XIIe. Rien ne permet de croire
que ce hameau voisin du bourg de Vézac (cant. et arr. d'Au-
rillac) ait jamais eu, si près de l'église paroissiale, aucune impor-
tance civile ou religieu-c.
Le Montaudon près Clermont ou la localité dont les Mon-
taudon de Bordeaux tiraient leur nom, paraît remplir beau-
coup mieux les conditions.
368 - TROUBADOURS CANTALIENS
chanter, aimer après boire. Joyeux ancêtre de rim-
înnricl « "u i-i- dfe .Meudon, ce précurseur de Rabelais
garde bous le froc, <|u"il ne dépouilla jamais (1),
même pour les parties 1rs plus fines, les ataviques
instincts de ripaille et d'amour que lui ont transmis
les rudes barons Auvergnats, ses ancêtres. Ses
chansons a boire et ses chansons d'amour pro-
voquent 1<- bon et large rire chez les barons, cheva-
liers el nobles «lames des alentours de Montaudon,
tandis que ses spirituels « sirventés », ses cin-
glantes satires charment les plus délicats, Châte-
lains et riches bourgeois se Le disputent, vingt
lieues à la ronde! 11 c'est, sans lui, joyeuse réunion,
gai festin, 6ête carillonnée! Chacun le comble <le
cadeaux, acquitte en dons magnifiques les heures
charmantes qu'on lui doit ; le gaî Prieur de Mon-
taudon est la « coqueluche » de tous!
Parfaitement désintéressé ou, peut-être, scrupu-
leux observateur de son vœu monastique de pauvreté
(on ne saurait avoir toutes les faiblesses!) il apporte
lidelemeiii tout ee <|u'il reçoit à son Prieuré dont la
(i) « Portan tota via les draps Mongis », Chron. Anon. du
XI II« siède.
3\(TianucnCi
Pierre de Vie, Prieur de Montaudon
Déclamant ses poésies
Miniature extraite du manuscrit fr. 1247 1 de la Bibliothèque Nationale
LES TROUBADOURS CANTALIENS 269
richesse s'accroît et les domaines s'étendent (1). La
chronique médiévale, elle-même, en témoigne dans
sa sèche véracité :
« Lo Monges de Montaudo si fo d'Alvernhe, d'un
« castel que a nom Vie, qu'es près d'Orlac. Gen-
« tils hom fo ; e fo faitz morgues de l'abaia d'Orlac,
<( e l'Abas sil det lo Priorat de Montaudon. E, lai,
« el se portet ben de far lo ben de la maison. E
« fazia coblas, estan en la morgia e sirventes de
(( las razons que corion en aquela encontrada. Eill
(( cavalier eill baron sil traissen de la morgia e
« feiron li grand'honor e deiron li tôt so qu'el vole ;
« et el porta va tôt à Montaudon al sieu priorat.
a Moût crée e nielhuret la soa gleisa portan tota
(( via los draps mongils » (2).
« Le Moine de Montaudon était originaire d'Au-
« vergue, né au château de Vie, dans le voisinage
« d'Aurillac. Gentilhomme de race, il se fit Moine
(i) « E el portava tôt à Montaudon, al sieu Priorat. Moût crée
é melhuret la soa gleisa ». Ibid.
(2) Ce recueil de biographies des Troubadours, infiniment pré-
cieux pour leur histoire, a été composé, au milieu du XIIIe siècle,
par le poète Uc de Saint-Cire. Il a été publié plusieurs fois au
XIXe, notamment par Raynonard en 1820. Chabaneau l'a réédité'
Hist. du Languedoc, X, 209-323.
270 LES TROUBADOURS CANTALIEXS
(( à l'Abbaye d'Aurillac dont l'Abbé lui conféra le
« Prieuré de Montaudon. Il }r réussit admirable-
« ment à faire prospérer les affaires de son Cou-
ce vent, y composa des couplets, sirventes et contes
(( qui se répandirent dans le pays. Chevaliers et
« barons l'attiraient hors de son Monastère, lui
« faisant grande fête, le comblant de cadeaux. Il
<< portait fidèlement tout ce qu'il recevait à Mou-
ce taudon, améliora considérablement ainsi la
« prospérité de son Prieuré. De sa vie il ne
« consentit à dépouiller le froc monacal. »
Non seulement notre Prieur, peu assidu aux
exercices claustraux, résidait plus souvent dans les
châteaux voisins qu'à son monastère, mais faisait
des randonnées telles que ses Moines passaient de
longs mois, des années entières, même, semble-t-il,
dans le voir! Il est difficile de concilier l'affirma-
tion d'un de ses biographes qui veut qu'il voya-
geât : « sans perdre de vue pourtant le gouver-
nement de son Prieuré » (1), avec les propres
aveux de notre Prieur. Dans sa chanson XIV (2),
(i) Philippson : « Le Moine de Montaudon », P.
(2) D'après l'édi on Philippson.
LKS TROUBADOURS CAXTALTENS 271
composée en 1194, il nous apprend qu'il a visité
Toulouse, Carcassonne, parcouru Auvergne, Limou-
sin, Périgord, Quercy, Rouergue, Gévaudan, Viva-
rais, Provence, Gascogne, Albigeois, Catalogne. La
chanson I (vers 75) raconte son long séjour en
Poitou auprès de Richard-Cœur-de-Lion, la chan-
son III (vers 56) son intimité avec le vaillant
Comte d'Angoulême et la chanson XVII (vers 20)
la bienveillance que lui a témoignée le Comte de
Toulouse.
— « Comme chanteur ambulant, dit le même
« écrivain, il fut en relations avec les grands sei-
(( gneurs de l'époque. Il gagna ainsi, comme nous
« l'apprend la chanson XII, la faveur des roi*
« Philippe- Auguste et Richard- Cceur-de-Lion et se
(( réjouit tout particulièrement de la douceur de
(( ce dernier. Il lit également la connaissance du
« roi Alphonsell d'Aragon » (1).
Que le Prieuré de Montaudon fût au voisinage
de Clermont ou qu'on le situe en Agenais, il ne
faut pas oublier qu'en 1152, l'Aquitaine entière
(i) Ibid.
ST2 LES TROUBADOURS CAXTALIKXS
dont l'Auvergne faisait partie, avait été portée en
dot par EléonoTe de Guienae, femme répudiée de
Louis VII roi de France, à son second mari Henri
Plantagenet, l'Angevin, <iui était devenu en 115-1
roi d'Angleterre et que l'Auvergne était, de droit
et de fait, province Anglaise, du vivant du Prieur
de Montaudon. Ses relations avec les rois Anglais
Richard-Cœur-de-Lion et Jean-sans-Terre, ses sou-
verains Légitimes, sont donc toutes naturelles et il
n'esl pas étonnanl que ces rois se soient montrés
bienveillants à nu de leurs sujeis dont l'attache-
ment leur était d'autant plus précieux que son
dévouement pouvait s'exercer dans cette province
d'Auvergne qui multipliait les efforts pour se sous-
traire à leur domination et s'identifier à la France.
Philippe-Auguste avait d'aussi bonnes raisons de
traiter favorablement le Prieur-Troubadour qui
pouvait, par ses sirventés et ses chansons, servir
sa politique. L'habile monarque Capétien, excipant
de sa qualité de suzerain suprême de l'Auvergne,
était intervenu, comme son père, dans la querelle
entre les Dauphins et les Comtes d'Auvergne et
LES TROUBADOURS CANTALIENS 273
avait confisqué la province (1). Notre poète a pris
soin de nous renseigner lui-même sur ses préfé-
rences et de nous dire quelle intimité dévouée
l'unit toujours à son royal compère en poésie, le
chevaleresque Richard Cœur-de-Lion (2).
Dans ses courses multipliées, il n'avait eu garde
d'oublier un château voisin de l'Auvergne, véritable
école de poésie où affluaient les Troubadours dont
les nobles châtelains se déclaraient les protecteurs
et les confrères et où les plus célèbres aimaient à
prolonger leur séjour : Ventadour en Limousin où
trônait alors la belle Vicomtesse Marie (3).
(i) On sait que tandis que Guillaume VII, Comte d'Auvergne,
était en Palestine en 1147 avec le roi de France Louis VII, le
frère cadet de son père usurpa le Comté d'Auvergne et réussit
à s'y maintenir. A son retour, le Comte spolié dut se contenter
d'une infime partie de ses anciens Etats qu'on appela le Dau-
phiné d'Auvergne.
(2) Surtout dans la chanson V.
(3) Certains historiens ont cru que la Vicomtesse de Venta-
dour. aimée de Pierre de Vie, était la seconde femme d'Ebles V,
Marie ou plutôt Marguerite de Turenne. Sabatier, notamment,
parle de cette dame et de ses deux sœurs comme contemporains
de notre Troubadour : « Ces trois dames « las très de Torena »
— les trois de Turenne — ont été souvent célébrées par les
Troubadours de cette époque. La blonde Mathilde, dont les che-
veux avaient le reflet du rubis, reçut les hommages des plus
riches seigneurs et leur préféra Bertrand de Born. Elise était
renommée pour le charme de sa conversation et sa piquante
374 - TROUBADOl RS I ITALIENS
Fille d'Adhemar V, Vicomte de Limoges, et de
Barah de Cornouailles, cousine d'Henri II, roi
d'Angleterre, Marie de Limoges avait épousé
Ebles V, Vicomte <!»• Ventadour, chef de cette
illustre maison Limousine issue de celle de Coni-
born. La belle et sage Vicomtesse se consolait de
sa stérilité en tenant dans son château de Venta-
dour (1) une cour fastueuse où affluaient les poètes.
Son mari <|ui partageait ses goûts poétiques n'était-
il pas l'arrière-petit-fils d'Ebles II-le-Chanteur, à
qui ses chansons et ses « surventes » avaient valu
la réputation d'un des meilleurs Troubadours de
gaieté; elle fui par Raymond Jordan. Quant à .Marie.
la meilleure dame et la plus gracieuse de son temps, « la mcillor
donna e la plus avinens que fus en aqucla sazo », elle inspira les
chants de Gaucelm Faidit (originaire d'Uzerches près Venta-
dour). Elle composa des tensons et ses décisions dans les débats
poétiques furent tenues en haute estime ». L'étude des dates
porte à croire qu'il s'agit plutôt de la première femme d'Ebles V;
Pierre de Vie était trop âgé, lors du second mariage du Vicomte
de Ventadour, probablement même déjà retiré à Villefranche
en Roussillon.
(i) Ventadour, cant. d'Egletons, arr. de Tulle, Corrèze. Les
imposantes ruines de ce grand château se dressent toujours sur
leur roc, dominant de trois cents pieds la Luzège, dans le site
le plus sauvage.
LES TIMUBADOURS CAXTALIENS 275
son temps (1). Pons de Capdeuil, Troubadour Vel-
lave, était un des hôtes assidus de Ventadour, ainsi
que Guy d'Ussel qui y séjournait presque constam-
ment et avait célébré la belle Vicomtesse dans
presque toutes ses chansons. — « Malgré l'éclat de
<( sa cour, dit son biographe, Marie conserva sa
<( réputation intacte. Elle fut une des meilleures
« dames et des plus estimées du Limousin; sa
« sagesse intéressait autant que sa beauté. Jamais
<( sa gaieté ne l'entraîna dans des folies; simple
« dans ses manières elle n'abusait pas de sa gran-
« deur. Nulle dame, enfin, ne fit plus de bien et ne
<( se garda mieux de tout mal » (2).
Pierre de Vie, admis dans ce poétique cénacle,
put s'y perfectionner au contact des deux maîtres
célèbres qu'étaient Pons de Capdeuil et Guy d'Us-
sel. Ce dernier, Chanoine de Brioude et de Mont-
ferrand, rongeait son frein, se desséchait d'ennui
(i) On sait qu'Ebles II avait fait l'éducation poétique du fils
d'un de ses serviteurs, Bernard, connu comme Troubadour, sous
le nom de Ventadour. L'ingrat disciple gagna le cœur de la Vi-
comtesse: Agnès de Montluçon. Ebles enferma sa femme et chassa
le poète trop entreprenant.
(2) Hist. Littér., T. XVII. Marie de Limoges, Vicomtesse de
Ventadour mourut sans enfants entre 1215 et 1218.
276 LES TROUBADOURS CANTALIENS
depuis que le Légat du Pape lui avait arraché le
serment de renoncer à la poésie profane, de laisser
ses frères et son cousin continuer sans lui à courir
les (Oins d'Amour. Le Prieur de Montaudon à qui
l'abbé d'Auriliac avait été plus clément en lui per-
met tant de chanter à son aise sans quitter le froc
remplaça le désolé Chanoine dans sa passion offi-
cielle et déclarée pour la belle et vertueuse Vicom-
tesse de Ventadour.
Passion officielle est bien le terme qui convient
à ces sortes de liaisons célébrées à grand renfort
de poésie, s;ms que, pour cela, le Troubadour qui
déclarait à tous les échos se mourir d'amour, son-
geai a rien obtenir de sa belle. Peut-être ne fau-
drait-il pas. pourtant, généraliser à outrance; mais
il y a tout lieu de supposer que la brûlante passion
du Prieur de Montaudon resta purement plato-
nique. Les chansons que Pierre de Vie consacre
à célébrer son amour se ressentent, sans doute, du
caractère superficiel de ses sentiments et ne sortent
pas de la banalité courante. Notre Troubadour
n'est, au reste, ni un idéaliste ni un grand amou-
reux. Un de ses biographes observe avec raison :
— « Ses chansons manquent de naturel et de
LES TROUBADOURS CANTALIKNS 277
<( conviction il avait trop de bon sens pour répé-
<( ter ce que disaient les poètes d'amour de son
<< époque. Il paya son tribut à l'amour, à la beauté,
<( suivant l'usage des Cours; mais... ses armes pré-
« férées, qu'il manie de main de maître, sont la
« raillerie et la plaisanterie et ses traits sont diri-
« gés contre le plus sacré des sentiments chevale-
« resques : contre les femmes! » (1)
Au bout de quelques années de vie errante,
notre Prieur pris de lassitude, sans doute, de scru-
pules, peut-être, ou, encore, admonesté par l'Abbé
d'Aurillac, réintégra Montaudon (2). Il vécut un
an ou deux, nous confesse-t-il (3), dans la solitude
de son Monastère, renonçant à toute mondanité.
Sa retraite était si absolue que ses anciens amis,
ses bienfaiteurs l'oubliaient, le croyant entière-
ment perdu pour eux. Ce beau zèle cénobitique fut
de courte durée; il lui prouva seulement qu'il
n'était, décidément, pas fait pour le cloître et que
le désir se réveillait en lui, plus irrésistible que
jamais, de retourner à la Cour des Grands, de
(i) Philippson, loc. cit.
(2) Il le raconte dans sa chanson XII, vers 31-32.
(3) Chanson XII, vers 10.
278 LES TROUBADOURS OANTALÏENS
reprendre sa belle vie nomade. C'était en 1193,
peut-on affirmer, grâce à la chanson XII où il
annonce sa résolution. Ce poème porte, en effet,
daic certaine puisqu'on voit qu'il fut composé
pendant la captivité de Kichard-Cœur-de-Lion et
que L'auteur, mentionnant Philippe- Auguste, sous
le nom de Randon, exprime la crainte que Saint-
Jean d'Acre ne soii repris par les Sarrazins en
L'absence du roi Anglais et ne prive ainsi les Croi-
ses d'une importante place de guerre.
Notre poète, saturé de vie conventuelle, sentit la
nécessité de rompre avec les obligations, si béiii-
gnes fussent-elles, que lui imposait son Priorat. Il
s'en revint à Aurillae trouver le seigneur Abbé. Lui
rendant un compte détaillé de sa gestion, il lui
u 101 nia les accroissements considérables réalisés,
grâce à lui, à Montaudon, sous son Priorat, prouva
à son chef que s'il était un piètre moine il fallait
le tenir, en revanche, pour un administrateur émé-
rite. En récompense des brillants résultats obtenus,
il sollicitait la faveur d'être déchargé d'un béné-
fice que tant d'autres convoitaient et la permission
de courir le monde. C'était, en d'autres termes, sa
sécularisation qu'il réclamait. L'Abbé d' Aurillae la
LES TROUBADOURS CANTALIËNS 279
lui accorda et, le relevant des obligations bénédic-
tines, le dispensant de l'observance des prescrip-
tions monacales lui permit de mener désormais la
vie mondaine pour Laquelle il avait beaucoup plus
de vocation que pour l'existence conventuelle. De
cette décision Abbatiale on peut conclure avec
quasi-certitude que Pierre de Vie n'était pas prêtre,
n'avait même reçu ni les ordres majeurs, ni même,
probablement, les ordres mineurs, mais simple-
ment la tonsure et l'habit. En un temps où les
abbés laïques pullulaient, il n'était nul besoin
d'être engagé dans les ordres pour être fort canoni-
quement nommé à un Prieuré.
« E tornet s'en ad Orlhac al sieu Abat, nous dit
« Uc de Saint-Cirq, monstran lo melhuramen qu'el
« avia fach al Priorat de Montaudon e preguet li
<( queill des gracia ques degues régir al sen del
« rei N'Anfos d'Aragon e l'Abat laill det. »
(( Puis il revint à Aurillac, auprès de son Abbé,
« lui montrant les améliorations qu'il avait réali-
« sées au Prieuré de Montaudon et il lui demanda
<( l'autorisation de pouvoir régler sa vie d'après
« les volontés du roi Alphonse d'Aragon. L'Abbé
(( la lui accorda. »
L'><> LES "TROUBADOURS CANTAL1KNS
Son meilleur protecteur, Richard-Cœur-de-Lion,
était en captivité; Pierre de Vie s'était tourné vers
le « bon roi Alphonse » qui l'avait déjà traité avec
une spéciale bonté et convié à faire partie de la
poétique pléiade qui entourait le monarque Ara-
gonnais.
Quiconque taquinait la Muse, s'était essayé dans
Tari de bien dire, s'affirmait adepte du « Gay-Sça-
roir -), étail assuré de trouver bon accueil à la Cour
d'Aragon, Justifiant par ses largesses envers les
poètes le titre de Mécène de son temps que lui pro-
diguaient les Troubadours, Alphonse II prétendait
adorner sa couronne royale des lauriers poétiques,
plus lier de voir une de ses « cniizoïis », un de ses
<( .simiih's n applaudi par un aéropage de Trou-
badours que de srs éclatants succès militaires sur
le Comte d<- Toulouse (1 1. Esprit délicat, amoureux
du beau, auteur des poésies qui lui auraient valu,
(i) Né en 1152, de Raymond-Bérenger IV, Comte de Barce-
lone et roi d'Aragon, par son mariage avec Pétronille d'Aragon,
héritière de ce royaume, Alphonse II avait succédé, à peine âgé
•de dix ans, en 1162, à son père, sur le trône d'Aragon et au
Comté de Barcelone. En 1167, il chasse le Comte de Toulouse de
la Provence, dont ce prince s'était emparé, à la mort du Comte
Raymond-Bérenger-le-Jeune, cousin d'Alphonse II, et la donne à
son frère cadet, Pierre-Raymond-Bérenger.
LES TROUBADOURS CAKTALIEXS 281
même s'il eût été un simple mortel, un rang bril-
lant parmi les Troubadours, le roi d'Aragon s'appli-
quait à attirer auprès de lui les poètes. Contes,
chansons et sirventés du joyeux Prieur de Montau-
don lui avaient plu, sans doute, et il était bien aise
d'entendre, après les belliqueuses strophes de tel
de ses commensaux attitrés, les gais refrains d'une
Muse anacréontique. Mais il avait de particulières
raisons de se montrer spécialement bienveillant à
Pierre de Vie qui était son féal et presque son sujet,
circonstance que les biographes du Prieur de Mon-
taudon paraissent avoir ignorée. Alphonse II était,
en effet, le petit-fils de Douce de Milhau-Carlat-
Provence qui avait apporté, en 1111, à son mari
Raymond-Bérenger-le-Grand, Comte de Barcelone,
les Vicomtes de Cariât, Milhau, Gévaudan, Lodève
qu'elle tenait de son père Gilbert de Milhau-Carlat,
dernier mâle de sa race, et le Comté d'Arles et
Provence qui lui provenait du chef de sa mère
Gerberge d'Arles-Provence, héritière de ce véritable
Marié à Mafalde, fille d'Alphonse Ier, roi de Portugal, il n'a-
vait pas eu d'enfants de cette union, se remaria à Sancha, fille
d'Alphonse VIII, roi de Castille, dont il laissa trois fils et quatre
filles quand il mourut en 1196.
282 LES rROUBADOURS OANTALIENS
royaume il). Si Alphonse II avait cédé en 1167
tous ses droits effectifs sur Cariât à Hugues II,
Comte de Rodez, déjà possesseur du domaine réel
«l'une partie de la Vicomte Carladézienne, il avait
formellement stipulé par cet acte la suzeraineté
suprême de la Couronne d'Aragon sur rentière
Vicomte de Cariât, On voit donc que, non seule-
ment dans les siècles précédents et depuis l'origine
de la féodalité, les sires de Vie avaient été les vas-
saux des ancêtres maternels du roi d'Aragon, mais
• pie Pierre de Vie lui-même, si son froc ne l'eut
affranchi du devoir militaire, aurait pu être obligé
par le devoir féodal à répondre, sous la bannière du
Comte de Rodez, Vicomte de Cariât, à l'appel
d'Alphonse II. Le lien féodal, si fort encore au
(i) La primitive Maison de Cariât, qu'on disait d'origine Gallo-
Romaine, s'était éteinte dans les Vicomtes de Milhau qui n'en
étaient peut-être qu'un rameau. Gilbert, Vicomte de Cariât,
Milhau, Lodève et Gévaudan fut marié par son oncle, le Cardinal
de Cariât, Abbé de Saint-Victor de Marseille et Archevêque de
Narbonne, à Gerberge, héritière du Comté d'Arles et Provence,
véritable royaume qui s'étendait de Tarascon à Nice. Maîtres
du Centre et du Sud-Est de la Gaule, ces époux n'eurent que deux
filles: Douce qui apporta en mi, la presque totalité de ces biens
à son mari Raymond-Bérenger-le-Grand, Comte de Barcelone et
Etiennette, mariée au sire des Baux, qui présida, dans son fa-
meux château des Baux, près d'Arles, tant de Cours d'Amour et
fut, pendant le XIIe siècle, la grande protectrice des Troubadours.
LES TKOUBADOURS CANTALIENS 283
douzième siècle, l'évocation de la vassalité des
ancêtres de Pierre de Vie vis-à-vis des Vicomtes
de Cariât dont il était l'héritier, prédisposèrent,
sans doute, le royal poète Aragon ais à faire spé-
ciales largesses à son joyeux confrère Carladézien.
Ce n'est pas sans motifs personnels que notre
Troubadour range, dans un de ses meilleurs sir-
ventés, au nombre de ceux qu'il a en particulière
estime, les grands seigneurs généreux qui foat
larges présents aux poètes et qu'il affiche, en
revanche, le plus profond mépris pour les petits
présents et les cadeaux sans valeur. Si Alphonse II
l'avait comblé de bienfaits, un prince Auvergnat
devait se montrer tout aussi généreux envers lui.
Robert Ie1, Dauphin d'Auvergne, luttait de géné-
rosité et de magnificence, à l'égard des Troubadours,
avec le roi d'Aragon. Jeune, généreux, enthousiaste,
auteur de poésies d'un mérite réel, « le gentil Dau-
phin » était fort apprécié des Troubadours, non
seulement à cause de ses générosités, mais aussi
comme juge des tournois poétiques où son opinion
faisait autorité. Réduit à un assez maigre domaine
par la spoliation dont sa race avait été victime, ne
possédant plus que le Dauphiné d'Auvergne et le
2S-i LES TROUBADOURS CAXTALIKXS
Velay, il menait un tel train, entretenait auprès
de lui si nombreuse cour, était si prodigue de lar-
aefi, qu'il y dissipa plus de la moitié de son bien,
lue de ses plus belles générosités en faveur de la
raie science » avait été la fondation de la a Cour
de l'Epcrricr » au Puy-Sainte-Marie, comme on
appelait alors la ville du Puy-en-Velay, à cause de
sa basilique « angélique » (1) et de sa Vierge noire.
De même qu'à Lille-en-Flandres, avant de célé-
brer la fête de l'Epinette, ou élisait un roi chargé
d'organiser les juntes et les réjouissances de Tannée,
les fêtes périodiques <lu Puy comportaient même
dignité. Ce roi <>u seigneur de la Cour du Puy
u si ii/nrr de ht cort del Puai » était chargé d'y
organiser les fêtes de « FEpervier », à la fois che-
valeresques et poétiques. Les chevaliers y accou-
raient de fort loin, y entraient en lice pour rompre
des lances contre tous venants. Un épervier d'or
(i) Une pieuse tradition veut que la célèbre cathédrale dt
Puy ait été consacrée par le Christ lui-môme, assisté des anges,
pendant la nuit précédant la date fixée pour cette cérémonie; d'où
son nom de « basilique angélique ». Le culte spécial rendu à la
Vierge, au Puy, remonterait à une époque fort reculée. La Vierge
noire qui y est actuellement vénérée, aurait été rapportée de Pa-
lestine par Saint-Louis.
- HU MOINE DE MONTAUDON
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tmirin.x cvitgt.jm cm ce nop ftr.r.m Ici q~ l.iuol lacnqiiciî
-tninalirmjiirfn-.caririi b/ucArla mofà.cf ictiotiizona
njin ^pfri-^%^ nitruim p Cm (Miumir c tona crcraiiol vO
olapitvt-ib piuci na n»p ftwir.-z.» bôtor pjntoc-paftjrîc.
• i ciicia} p f-O-tnarccl-itviô pmne «.î-Ttimurf. e ot>» tUildrfl
™ vncartçt. r vir l«m ab ûitic vtcucl**: c foinepoaiT C*
" i ~#i4 r cnuCMtti fi -OTirtm'vaHr-loj'taiiUdbfacii
nxalli .-flpjfl wb m/if non lowf rafhï'T aufUrir j.rwn "©.Hio I m
U;.iijciinJjvihir<t>TOr-cfft» $njn tempe «n'plou fcer.-iémr'
xmiçy wûroK^tiirnucv-i cm fâ pico «r mcttr-oi Ctv â trntîf
a tut* toa-.ÇÇj "o<w»* -wo tj fer me nin- \nftbfl ouple cî
trop Cini-.i. r y.mUi foiitMîtvi:i ntt . c cojrl à û ciiiibafmiM .
1 emirutm v <»tir aô- xrnui amU^b nuciira- * fbnlxM^r
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xif plucu. e crti nop ab mo ou/il nmç\M • d" (à mÂgnltiua li
uiinj. reumj r nom ûp to-xr Ma cin atltti Ui^. c fiCur
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LES4ENNUIS» DU MOINE DE MONTAUDON
Ti'dnscnpt/.on lie. Jean Beck
Très vif
add mCn nuit'SI J° ~ se &-**; le vil lan -ga - ge
Jj-iJtI JTTrr-rrr^T |
dun beau si-re, Et son pro -cham qui veut dé -- Lrui'-re
i J J J i r r i Jaj i j j t 1 1' j 1 7^
Ifinnuie.et le che — val qui ti - re Et m'en- nui -e,
LES TROUBADOURS CANTALIENS 285
placé sur un perchoir au milieu du champ clos
était le prix du tournoi. Le vainqueur en faisait
hommage à la dame pour la beauté de laquelle il
venait de combattre, heureux de prouver ainsi sa
courtoisie et sa valeur car, disait-on : « Que celui
« qui ne sait se décider au moment opportun, ne
« se hasarde pas à prendre l'épervier à la cour
« du Puy ». La a Chanson de la croisade contre
les Albigeois » rend témoignage combien ce dicton
était alors répandu : « Joris, sa ditz lo Coms, non
(( detz espaventer. Qui non sap cosselh prendre
« Fora que Ta mestier ja à la Cort del Poï no
« prenga Fesparvier » (1).
« Jori, dit le Comte, ne m'épouvantez pas. Que
« celui qui ne sait se décider au moment critique
(( ne se hasarde pas à prendre l'épervier à la Cour
« du Puy. »
Nous savons encore par la soixante-quatrième des
« Cento Novelle antiche » (2) que : « Qui se sen-
(( tait riche de biens et de cœur prenait l'épervier
(i) La Chanson de la Croisade contre les Albigeois, publiée
par Paul Meyer, 2 vol. in-8, Paris 1875-1879, T. II, P. 399.
(2) Recueil de Nouvelles d'un anonyme Italien. Cf. Sabatier :
Le Moine de Montaudon, Nîmes, 1879.
- TB01 BADOUBS CANTALIENS
« sur le poing e1 avait, par la suite, à faire les frais
« de la Cour tenue cette année ». La même chro-
nique nous renseigne sur la cour d'amour et les
joutes poétiques qui succédaient aux passes
d'armes. Le <• seigneur >> était assisté de quatre
n approvatori »> qui examinaient les chansons que
les concurrents leur soumettaient, signalant les
bonnes, rendanl les autres à leurs auteurs pour être
corrigées
Une anecdote authentique montre quelle célébrité
avail acquise cet ie o Cour du Puy », l'affluence de
poètes et de Beigneurs qui y accourait, en même
temps qu'elle dépeinl la mentalité de cette société
féodale du XIIe siècle.
« i m chevalier troubadour, Richard de Barbe-
(i zieu, avait perdn les bonnes grâces de sa dame
« par suite d'une indiscrétion. En vain il avait
« sollicité son pardon, a Je ne lui pardonnerai,
« avait-elle répondu, qu'autant que cent barons,
« cent chevaliers, cent dames, cent demoiselles me
« crieront à la fois merci, sans savoir à qui leur
« prière s'adresse ». Le chevalier réfléchit que le
« temps approchait des fêtes de la Cour du Pur.
« Il se dit que sa dame y viendrait. Il composa
LES TROUBADOUKS CANTALIENS -v7
« une (( canson » et le matin de la fête, il monta
(( sur l'estrade et chanta devant l'assemblée une
« plainte si touchante, d'un accent si vrai, que
« toute la foule cria merci et Richard reçut le
« pardon de sa dame. »
Robert, dauphin d'Auvergne, conféra au Prieur
de Montaudon la « seigneurie » de la a Cour de
TEpervier du Puy » et notre troubadour conserva
cette charge autant que dîna l'institution, nous dit
la chronique précitée.
« E fo faitz seigner de la Cort del Puoi Santa
« Maria e de dar l'espar vier. Lonctemps ac la sei-
(( gnoria de la Cortz del Puoi, tro que la Cortz se
« perdet. »
Ce fut, sans doute, pendant son Priorat que
Pierre de Vie fut investi de cet honneur envié; il
dut jouir nombre d'aimées des privilèges et émolu-
ments attachés à cette fonction puisqu'il ne sortit
de charge que le jour où un besoin impérieux d'éco-
nomie en amena la suppression. A écouter ses
généreux instincts, le dauphin Robert avait gas-
pillé une bonne partie de son patrimoine; force lui
fut d'enrayer. Désormais aussi économe, avare
même, disent les Troubadours déçus, qu'il avait été
288 LES TBOUBADOUES CANTAL11NS
dépensier ei gaspilleur, notre dauphin ne prit plus
but le poing l'épervier «lu Puy qui ne trouva aucun
autre seigneur pour le recueillir; ainsi disparut
pour notre poète sa « seigneurie » de la Cour de
l'Epervier. Pierre «le Vie n'était pas homme à rester
longtemps sans protecteur effectif. Peut-être en
quelque << sirventés >>, qui oe nous est pas parvenu,
conta-t-il son infortune au roi d'Aragon; il est cer-
tain que celui-ci lui offrit de venir à sa cour et que
notre homme s'empressa de répondre a cet appel.
« El reis, lisons-nous dans Saint-Cire, li coman-
o (!•'( qu'el manges carn e domnejes e cantes e tro-
« bèfi; et el si fetZ. ))
« Le roi lui ordonna de manger de la viande, de
(( courtiser les dames, de chanter et composer des
« poèmes; ee qu'il lit. »
Les ordres du roi répondaient trop bien à ses
désirs pour douter de son empressement à s'y
conformer: Délaisser les abstinences multipliées
de l'ordre de Saint Benoît, abandonner le régime
quasi végétarien des moines pour de franches
lippées, ne plus éviter soigneusement le contact avec
l'être de perdition qui fit chasser notre premier
père du Paradis terrestre, s'adonner tout entier à
LES T&0UBAD01 BS CAKTALIENS -s'-'
l'inspiration poétique, était an programme des plus
conformes à ses goûts. Aussi mit-il tous ses soins à
le réaliser de sou mieux. A le voir vivre la vie des
cours, personne ne se serait souvenu que Pierre de
Vie avait porté le froc, si sa religieuse obstination
à conserver la sainte livrée d'un état dont il ne
pratiquait aucune des obligations, n'avait rappelé
à chacun que le plus « rabelaisien » des Trouba-
dours était d'Eglise (1).
Sa joie d'être délivré du joug Monastique, son
humeur vagabonde durent lui faire prendre par le
plus long, fractionner son voyage en diverses
étapes, pour se rendre en Catalogue auprès de son
royal protecteur. Il arriva, sans doute, à la Cour
d'Aragon en fin 1193 ou dans le courant de 1191,
paraît y avoir séjourné, au moins, jusqu'à la mort
d'Alphonse II survenue en 1196.
Ainsi privé brusquement du protecteur qui assu-
(i) Qu'on ne croit pas que le Prieur de Montaudon était un
type unique et que son froc fit scandale dans les sociétés fort
libres où il le compromettait ! Daude de Prades, Chanoine de
Maguelone (Montpellier) alla autrement loin ! « Au point de vue
« profane, très profane même, la palme appartient à Daude qui
« peut compter au nombre des ancêtres les plus immédiats de
« Rabelais ». Anglade, P. 29.
■290 LES TROUBADOURS CANTALIENS
rail sa vie, notre poète se mit en quête de trouver
qui se constituât sa Providence! Découvrir un
autre .Mécène aussi grandiose que le petit-fils de
Douer de Cariai < ] u i assuma, à lui seul, cette
charge, lui fut peut-être impossible ou bien son
humeur vagabonde lui lit-elle préférer s'adresser
successivement à plusieurs et courir le inonde? Son
biographe médiéval nous dit laconiquement :
<< E pois, e] se parti d'aquî e s'en anet en Espain-
<< gna e l'o li faitz grans honors e grands plasers
<( per totz les reis e per totz les barons els valens
<( homes d'Espaingna. »
(( Il partit de là (la cour d'Aragon) et alla en
« Espagne on il fut comblé d'honneurs et de gra-
<( cieusetés par tous les rois et tous les barons ainsi
« que par les grands d'Espagne. »
Il faut entendre, sans doute, que ses randonnées
en diverses Cours, auprès de plusieurs rois et de
quantité de riches seigneurs, lui firent parcourir la
partie de la péninsule Ibérique déjà reconquise sur
le Maure à la lin du XIIe siècle. Mais il ne serait
pas impossible que son humeur aventureuse l'eut
conduit en territoire islamique. Le même problème
>e pose, pour son illustre compatriote Gerbert qui
LES TBOUBADOUBS OANTALLENS 291
alla peut-être à Cordoue et à Séville apprendre des
savants Arabes les mathématiques, l'algèbre, l'astro-
nomie, la médecine où ils étaient passés maîtres (1).
Il est aujourd'hui pleinement démontré que si
fantaisie lui en prit, il put le faire sans le moindre
risque pour sa vie. ni pour sa foi catholique, sans
avoir même à quitter son froc bénédictin qu'il se
fit une gloire de ne jamais dépouiller (2).
(i) Les Arabes et les Juifs avaient seuls, au Moyen-Age, quel-
ques notions sérieuses de Médecine. Le roi Saint Louis, dont les
entrailles, fort mauvaises, s'irritaient aussitôt qu'il était en pays
chauds, était soigné par le Médecin Arabe du Sultan d'Egypte,
qui le sauva de la dysenterie qui décimait l'armée Chrétienne.
Malgré les prohibitions de l'Eglise, les Croisés ne voulaient que
des Médecins Arabes.
(2) « Portan tota via les draps Mongils » dit le Chroniqueur
anonyme du XIIIe siècle.
Au Xe, Jean de Vendières, Abbé de Gorzes, en Lorraine, Am-
bassadeur de l'Empereur Othon-le-Grand auprès d'Abdérame,
Kalife de Cordoue, se refusa à quitter son froc Bénédictin à la
Cour du souverain Arabe. Celui-ci avait envoj'é, en 955, à l'Em-
pereur Germanique une ambassade composée d'un Evêque Catho-
lique accompagné de nombreux Clercs. En 905, Alonzo, roi des
Asturies donnait pour précepteur à son fils Ordono, un savant
Arabe. Les traités d'alliance étaient fréquents entre les rois
Chrétiens du Nord de la Péninsule et les Emirs Sarrazins. A plu-
sieurs reprises on vit des troupes Chrétiennes combattre dans les
rangs des armées Musulmanes et le Wali (Gouverneur) de Sar-
ragosse prêter main-forte au Comte de Barcelone contre ses
voisins Chrétiens. (Rossceuw. Saint Hilaire, T. III, P. 416. San-
doval, P. 88 et les Chron. Espagnoles).
202 LES TROUBADOURS < WI'A
Le sort des chrétiens d'Espagne sous la domina-
tion sarrazine était tout autre, en effet, que certains
historiens nous le présentent Fort tolérants, se
contentant d'un impôt modique, les Maures vain-
queurs laissaient tonte Liberté religieuse à leurs
sujets catholiques. La hiérarchie sacrée se recrutait
en liberté, Les évoques espagnols tenaient des assem-
blées autant qu'ils le voulaient ainsi qu'en témoi-
gnent irrécusablement les actes des nombreux
conciles de Tolède et de Cordoue. Cette ville, capi-
i. le du Kalifat, possédai* un grand nombre
d'églises catholiques dont plusieurs étaient des
édifices d'une richesse inouïe. Les monastères étaient
nombreux et fort prospères. Les kalifes allaient
jusqu!à prendre leurs ambassadeurs parmi les
i vèques et les moines catholiques, à s'entourer de
rviteurs chrétiens. Le secrétaire particulier du
■ rand kalife Abdérame, Récémond, était chrétien
et la sultane Lobna qui exerça sur le fameux kalife
Al Hakem II une influence omnipotente, qu'il
consultait sur toutes les agaires de l'Etat, appar-
tenait au catholicisme (1).
Ci) Cf. Rosscemv. Saint Hilairc: Hist. d'Espagne, T. III, pas-
sim.
Une vie, actuellement sons presse, de Gerbert, qui passa plu-
LES TROUBADOUBS CANXALXENB 293
Ou serait tenté de supposer uue incursion de
Pierre de Yic en terre Islamique en raison des
contes et des nouvelles qu'il composa. Aucune de
ces œuvres ne nous est parvenue; mais on sait
qu'elles eurent un grand succès, contribuèrent
grandement à la réputation littéraire du prieur.
Or, le conte est une production très exclusive du
génie arabe et dont la paternité lui appartient sans
conteste.
Les Hispano-Arabes semblent bien avoir abordé
les premiers ce genre spécial où se complaît leur
fertile imagination et qui engendrera, plus tard,
chez nous, les nombreux fabliaux et les Soties où
s'exercera la verve de nos pères. Le conteur arabe
traduit daus sou œuvre imagina tive toutes les
aspirations de ce peuple ardent et sensuel. L'amour
et l'enthousiasme guerrier en sont les thèmes exclu-
sifs; à les célébrer, il s'enivre comme d'un trou-
sieurs années de sa jeunesse en Espagne, une étude, en cours de
publication à Barcelone, sur Douce de Cariât, Comtesse de Bar-
celone, nous a obligé à rechercher spécialement la situation des
Chrétiens Espagnols sous la domination Arabe, du IXe ait XIIIe
siècle. La situation des Catholiques sujets du Kalife de Cordoue
était indiscutablement préférable à celle de leurs coreligionnaires
Français, Portugais, etc., du XXe siècle !
294 LES TROUBADOURS CANTÀLIEXS
blant parfum, laisse son âme voluptueuse, sa sensi-
tive imagination flotter dans les rêves d'un sensua-
lisme effréné. Ce qui nous reste de l'œuvre de Pierre
de Vie porte à croire que ce genre dut le séduire et
que sa puissance créatrice, sa propension à une sen-
sualité extrême le poussèrent à lutter de hardiesse
licencieuse avec ses émules Sarrazins.
On | k-u t dire de notre plus ancien poète Gantalien
qu'il était un moine fantaisiste, mais on ne saurait
lui appliquer l'épithète de « mauvais diable »,
puisque chacun sait que « lorsque le diable devint
vieux, il se fit ermite » !
Or, quand vint l'âge pour Pierre de Vie, lorsqu'il
fut lassé de sa vie errante, il éprouva enfin le désir
d'une existence plus stable, le besoin de sociabilité
persista chez lui; et, bien loin de rechercher la soli-
tude, il souhaita reprendre cette vie conventuelle du
monastère de Saint-Géraud et du prieuré de Mon-
taudon qu'il avait délaissée pour les mondanités des
Cours. L'abbaye d'Aurillac possédait eu Cerdagne,
sur le versant aujourd'hui français des Pyrénées,
l'important prieuré de Villefranche-de-Conflent,
«cette antique capitale du a Pays de Confient » bâtie
LES TKOUBADOURS CANTALIENS 295
au confluent du Tet et du torrent de Fillols (1). Le
prieuré en avait été fondé et largement rente en
1095, par Guillaume-Raymond qui avait édifié la
belle église romane encore debout de nos jours. La
pieuse libéralité du seigneur pyrénéen, patron de
cette église, venu peut-être, comme Borel, comte de
Barcelone, vers 962, en pèlerinage au tombeau de
saint Géraud, avait fait entrer ce bénéfice Cerda-
gnais dans le patrimoine de l'abbaye d'Aurillac.
Pierre de Vie, prieur démissionnaire de Montaudon,
qui n'avait jamais cessé d'appartenir, au moins
théoriquement, au monastère d'Aurillac dont il
avait toujours porté l'habit, sollicita de l'abbé
collation de ce bénéfice qui lui fut accordée :
« E a net s'en à un priorat en Espaigna que a
« nom Yillafranca, qu'es de l'Abaia d'Orlhac; e
« l'Abas l'oill donet. »
« Et il se retira dans un prieuré en Espagne.
(i) Aujourd'hui commune du cant. et de l'arr. de Prades (Pyré-
nées-Orientales). Barthélémy : Etude sur les Etablissements
Monastiques du Roussillon, 1857, P. 32. Le Prieuré Bénédictin de
Saint-Pierre-de-Belloc, à Villefranche en Roussillon, paraît avoir
été cédé ultérieurement par l'Abbaye d'Aurillac à celle de Saint-
Martin-clu-Canigou. le fameux Monastère Pyrénéen, récemment
relevé de ses ruines par Mgr de Carsalade du Pont, Evêque de
Perpignan.
896 1 .1 9 TB01 BADOl RS c A.VI'ALIENS
« nommé Villefranche, dépendant de l'abbaye d'An-
H rillac. L'abbé Le lui donna. »
I>t' cette époqne de sa vie date, sans doute, un
de ses plus intéressants poèmes dont un fragment
seul nous esl paj verni. L'honneur revient a M. Fabre
d'en avoir identifié les personnages et fait ressortir
l'importance, caractéristique de la tournure d'esprit
de notre poète 1 1 i.
Cette « cobla », qui n'es! pas « esparsa » comme
l'a cru Philippson, mais plutôt un fragment de
chanson, a été écrite ou L212 ou 1213, prouve
C. Fabre donl nous allons résumer la démonstra-
tion :
I..' Prince auquel Pierre de Vie adresse sa
« cobla » n'est pas Frédéric TI, mais l'Empereur
oïlion IV (119S-1218), lequel triomphe partout
après 1208 et mérite ainsi les éloges que lui adresse
le Prieur de Villefranche. Il se fait couronner à
Saint-Pierre de Rome le 4 octobre 1209, reçoit les
hommages de l'Italie et de la Provence, du Dau-
phiné, du Comte de Toulouse, du roi de Castille. Le
(i) C. Fabre : « Le Moine de Montaudon et l'Empereur
Othon IV ». Annales du Midi, année 1908.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 297
Pape rêve de mettre l'Empereur à la tête d'une nou-
velle Croisade et les Troubadours font écho enthou-
siaste à ce projet. Notre poète connaissait de longue
date Othon qui, neveu par sa mère, MatMlde d'An-
gleterre, de Eichard-Cœur-de-Lion, avait passé sa
jeunesse en Aquitaine auprès de son oncle avec qui le
Prieur était en véritable intimité (1). Il n'est pas
surprenant qu'il adresse ses compliments au neveu
de son royal protecteur, le félicite de son élection
à l'Empire et de ses succès. Il est également évident
que la « cobla » est antérieure au 27 juillet 1214
date de la bataille de Bouvines où sombrera la for-
tune d'Othon ; elle se place donc entre 1212 et 1213.
Cette date justifie également ce que dit la « cobla »
du roi d'Angleterre. « Jean-sans-Terre, explique
« Fabre, a triomphé du Clergé d'Angleterre en
« 1209 et 1210, mais le Pape ne le laisse pas tran-
« quille et le dépose en 1212 comme il avait déposé,
« un an auparavant, Othon lui-même. C'est donc
« à ce moment suprême de la lutte que Pierre de
(( Vie, très indépendant d'esprit, comme on le voit,
(i) La « cobla » V (Philippson, P. 37-39) atteste la bienveil-
lance du roi Richard pour notre Troubadour.
298 LES TR0L15AD0URS OANTALIENS
« félicite son ancien ami Othon de gouverner contre
<< les conseils de ses « Baillos » et des « Servenz »
« et de soutenir énergiquement le roi d'Angleterre.
« .Mais il est évident que la « cobla » a dû être
« précédée ou suivie de l'exposé de la situation
(« politique et c'est pour cela surtout que je crois à
« la composition (l'une « lai-sou » (1).
Comme Gerbert, son prédécesseur au cloître de
l'Abbaye d'Aurillac, notre Prieur nous apparaît
déférent du pouvoir dogmatique du Saint-Siège,
mais sans épouser la politique du Pape contre
l'Empereur et les Rois.
«Mie/, notre Troubadour, les rêveries poétiques,
les facultés Lmaginatives, ne faisaient pas tort aux
qualités administratives et n'oblitéraient pas ses
instincts Auvergnats d'ordre, d'économie, de bonne
gestion des intérêts matériels qui lui étaient confiés.
A Yillefranche-de-Conflent comme à Montaudon, il
se montra administrateur hors pair jusqu'à son
dernier jour :
« E el lo crée l'enrequi, el meilloret, e lai el
« mori e definet. »
(i) C. Fabre, loc. cit.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 299
(( Il l'augmenta, l'enrichit, l'améliora et y ter-
ce mina ses jours » (1).
Ses cendres reposent sous les voûtes romanes de
la vieille église Pyrénéenne sans qu'aucun monu-
ment, aucune inscription rappelle, pas plus sur sa
tombe qu'au lieu de son berceau, le nom du premier
et du plus célèbre des Troubadours Cantaliens.
A lire ce qui reste de ses œuvres, on est pris de
sympathie pour ce « joyeux drille » qui n'entend
prendre de la vie que les roses qu'il peut cueillir au
passage, laissant à d'autres les austères et mys-
tiques joies de se déchirer aux épines. L'indulgence
naît aussi pour ce « parfait galant homme » qui
ne paraît avoir commis, de sa vie, aucune action
basse et vile. Sans les partager toutes, on comprend
ses amours et ses haines qu'il avoue ingénuement.
Il aime et apprécie grandement, nous dit-il : « Les
<( cours remplies de bonnes gens, l'homme qui a
<( honte et se repent de ses péchés, la joie, la bonne
« chère, les présents. Rien ne lui est plus agréable
« que se régaler d'un gros saumon à l'heure de
« Xones, d'entretenir sa maîtresse auprès d'un clair
(i) Vers le milieu dii XIIIe siècle, croit-on. Cf. Fauriel : Hist
de la Litt. Provençale, T. II.
300 LES TROUBADOURS OANTALIENS
et ruisseau, de l'aire la joie de sa mie, de lui prodi-
« guer les baisers et plus encore si possible. Eu
<■ revanche, il déteste, a en fort piètre estime : les
« petits présents, les jeunes gens bavards, le grand
« seigneur qui porte longtemps son écu sans y rece-
« \<>h- le moindre coup, le prêtre et le moine barbus,
« le mari <|iii aime trop sa femme, trop d'eau ou peu
(( de vin dans son verre, les critiques du jeu de dés
■ et ne trouver personne qui lui prête au jeu lors-
<< qu'il csi ;i sce et qu'il veut continuer la partie. Il
« englobe dans la même réprobation et tient en par-
« fait mépris, la courtisane pauvre et mal vêtue.
« l'homme qui épouse sa concubine, la femme qui
« s'abaisse jusqu'à prendre son valet pour amant. »
Qu' on ne se récrie pas sur l'étrangeté de certaines
préférences du Prieur et sur la trop rude franchise
de ses aveux. Nous confessons avoir dû les mutiler,
en taire toute une partie, vraiment par trop humo-
ristique, suivant en cela l'exemple du premier histo-
rien des Troubadours, l'abbé Millot, qui écrivait en
ce dix-huitième siècle, pourtant peu farouche :
(( Cette énumération dont j'ai omis quelques points
« obscènes est entremêlée de serments par Saint
« Martin, Saint Dalmas, Saint Sauveur, Saint Mar-
JJlflJJljjjJfl-J-JfttTjr
Voie quieuchan-tes de leys se - la — da
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^P
LES TROUBADOURS ( ANTALIENS 301
(( cel, Saint Ouen, Saint Martial, bien d'autres
<( encore! )) (1)
Il convient aussi d'observer que les chansons des
Troubadours n'étaient pas laites pour être décla-
mées, mais chantées. La musique atténuait singu-
lièrement la portée de certains passages et la
recherche de l'effet à obtenir par le chanteur devait
influencer le poète, le pousser à forcer la note pour
obtenir l'effet scénique.
Combien, parmi nos chansons en vogue du ving-
tième siècle, de couplets risqués, Gaulois même,
sont applaudis à l'audition qui font protester le
lecteur! Nous avons pu retrouver la musique an-
cienne d'une des chansons de Pierre de Vie; l'émi-
nent spécialiste J.-B. Beck, qui s'est consacré à la
reconstitution de la musique médiévale et dont les
travaux font autorité, a bien voulu transcrire en
musique moderne une des œuvres de notre Trouba-
dour. Nous lui exprimons tous nos remerciements
pour sa précieuse collaboration (2).
(i) Abbé Millot, (d'après les manuscrits de Lacurne de Saint-
Palaye) : Hist. Littér. des Troubadours, 3 vol., Paris 1774. T. III.
(2) J.-B. Beck a exploré, en philologue, les bibliothèques
d'Europe pour réunir toutes les chansons du XIe au XIVe siècle.
302 LES TROUBADOURS OANTALIENS
Grâce à un écrivain Italien du moyen âge, Fran-
cesco (la Barberino (1), il est possible de présenter
sous un jour moins défavorable le premier des
Troubadours Cantaliens. 11 est permis d'affirmer
qu'il ne fui pas un « fanfaron de vices », comme
porterait à le croire le ton licencieux de certaines
(h- ses productions, el que sous les « vices de
forme o de son langage moins que châtié, dont son
Sa thi'<ï <le Doctoral : « Die Melodien der Troubadours » à
l'Université de Strasbourg, ]<_>o8, donne l'exposé de sa méthode
scientifique, la démonstration de l'interprétation rythmique
laïc i et la transcription de plus de deux cents mélodies des
Troubadours. Le problème qu'il a résolu était de fixer le rythme
et la mesure musicale que la notation n'indique pas par elle-
même. Son récent livre « La Musique des Troubadours », Paris
1910, donne un résumé succinct de sa doctrine rythmique avec
un choix de transcriptions en notation moderne de nombre de
chansons des Troubadours.
M. Beck a eu l'amabilité de distraire de la précieuse collection
qu'il a formée avec un goût affiné, le portrait de Pierre de
Rogier et les délicieux petits personnages extraits des enlumi-
nures des divers manuscrits des Troubadours, nous autoriser à
les faire reproduire. Grâce à lui, nous avons pu entailler cette
étude de ces curieux échantillons de l'art du miniaturiste au
XIIe siècle, puisé- aux sources les plus authentiques.
( 1 | Ant. Thomas, de l'Institut, a fait paraître en 1883. dans la
Biblioth. des Ecoles Françaises d'Athènes et de Rome, Fascicule
35, une étude des plus érudites et des mieux documentées sur
" Francesco de Barberino et la Littérature Provençale en Italie,
au moyen âgé ". qui a révélé ces passages aujourd'hui perdus du
Prieur de Montaudon.
LES TROUBADOURS CANTALIEXS 303
siècle doit surtout être rendu responsable, il fut un
poète, amoureux du beau, appréciant le bon, niais
aussi un fort honnête homme chez qui la liberté
d'expressions n'étouffait ni l'élévation de la pensée,
ni le respect de la morale et de la conscience.
Barberino cite, en effet, de lui cette pensée qui
ne figure pas dans le recueil de ses œuvres aujour-
d'hui connues :
— « Si je te suis, Amour, c'est pour que tu me
« sois un frein contre les vices et un sentier char-
« niant vers les vertus et non parce que j'espère,
(( grâce à toi, arriver à la gloire. »
On chercherait aussi vainement parmi les poésies
de notre Prieur venues jusqu'à nous celle que Bar-
berino avait sous les yeux quand il écrit :
— « Le Moine de Montaudon dit : « Qui me
(( prouvera qu'il est illicite d'aimer une dame
« comme un vrai ami? Si j'aime mon ami pour
<( moi-même, je ne l'aime pas véritablement; si je
« l'aime et pour lui et pour moi, je l'aime encore;
« mais si je l'aime pour moi et contre lui, alors je
« le hais )>. — - « Ainsi, continue-t-il, j'aimerai ma
« dame pour moi, afin que, dans l'espérance de lui
« plaire, je m'écarte du vice et m'attache à la vertu
304 LES TROUBADOURS CANTALIENS
(( et puisse ainsi mener nue vie agréable. Je l'aiine-
« rai pour elle, c'est-à-dire que je l'honorerai et que
« j'exalterai son nom et sa réputation et que je
« serai le gardien de son honneur, comme si c'était
e l'honneur de mon ami. Et si, par hasard, la i'ra-
« gilité humaine l'ait naître en moi quelque désir
« déréglé, je triompherai de ce désir par la force
u de son amour et je crois que ce sera une plus
<« grande preuve de vertu d'avoir des désirs et de
<( les réprimer que de ne pas en avoir. »
Barberino nous révèle un troisième personnage,
également inconnu, de notre Troubadour à propos
d'une < | ues t ion d'étiquette; Pierre de Vie pose
comme un principe celle règle de délicatesse et de
savoir-vivre que : « Celui qui reçoit une marque de
« déférence de quelqu'un et surtout d'un égal est
(( tenu de lui rendre la pareille quand l'occasiou
« s'en présente. »
Le même écrivain médiéval supplée encore à la
perte des œuvres du Prieur de Montaudon, autres
que ses poésies lyriques qui seules nous sont venues
en nous résumant une Nouvelle faisant partie d'un
recueil de Contes écrits par notre Troubadour qui
a été perdu depuis lors :
LES TROUBADOURS CANTAL1EKS 805
— « Au temps où vivait le Comte de Toulouse,
« racontait Pierre de Vie, un de ses Chevaliers,
« nommé le seigneur Hugonet, fut surpris avec la
« femme d'un autre dans la ville de Montpellier et
« conduit en présence du Comte par les bourgeois.
« Interrogé à ce sujet, il avoua tout. Le Comte lui
« dit alors : « Comment as-tu osé compromettre
« ainsi et mon honneur et le tien? » — Le Cheva-
(( lier répondit : « Monseigneur, ce que j'ai fait.
<( tous vos chevaliers, tous vos écuyers le font ».
« Le Comte, alors, après avoir donné des ordres
« pour que justice fut faite, lui dit, en substance :
(( Un exemple coupable ne doit pas t'induire à fail-
« lir et tu ne dois pas couvrir ta faute de l'exemple
« d'autrui, car cet exemple t'accuse plus qu'il ne
« t'excuse. La vraie vertu consiste à rester bon au
« milieu des méchants » (1).
(i) Francesco de Barberino dit: « J'ai trouvé cette parole du
« Moine de Montaudon ainsi que beaucoup d'autres très belles
« du même auteur, au commencement d'un livre Provençal qui a
« pour titre Flores à'ictorum uobilium Provincîalium ». Ce texte
avait fait croire d'abord que l'ouvrage en question était tout entier
de Pierre de Vie et que Barberino l'avait pris pour modèle de ses
1 Fiori ai Novelle ». Le savant Allemand Bartsch a pleinement
démontré que les « Flores » étaient une sorte d'anthologie con-
tenant des œuvres du Prieur de Montaudon avec celles de ses
confrères Provençaux. Ant. Thomas donne, dans l'ouvrage précité
le texte latin des passages que nous avons reproduits.
306 LE8 TROUBADOURS CANTALIENS
Nous voilà bien loin du ton libertin, des chansons
qui ont tant nui à la réputation de notre Prieur, en
même temps qu'elles prouvaient sa valeur littéraire.
Il est permis d'en conclure que si l'œuvre entière
de Pierre de Vie nous était parvenue, il se révé-
lerait bon vivant à ses heures, sachant s'adapter
aux milieux où il vivait, faire siennes les mœurs
de ses contemporains, mais, en même temps, brave
homme, ayant un fond réel d'honnêteté, prisant la
vertu à son prix, s'efforçant de ne pas sacrifier tou-
jours à cette fragilité humaine dont il reconnaît le
tyrannique et détestable empire.
Pierre de Vie est surtout un satirique; son ima-
gination est de tournure singulièrement originale
et fantasque. Il est difficile d'imaginer idée plus
bizarre que sa supposition d'un voyage en Paradis,
non pas en esprit, mais en chair et en os, son froc
sur les épaules. Notre homme reste ébahi du
« plaid » que tient Dieu le Père et des singuliers
pluideurs qui lui exposent leurs doléances. Los
voûtes et les murailles des maisons de la planète
terrestre sont là , personnes animées, douées de la
parole, menant grand tapage et venant porter
plainte contre les dames. Elles reprochent aig e-
LES TROUBADOURS OANTALIENS 307
ment aux tilles d;Eve d'user tant et tant de peinture
pour embellir leurs visages qu'il n'en reste plus
pour badigeonner les voûtes, peindre à fresque les
murs ! Les dames se défendent énergiquement,
trouvent maints arguments pour s'innocenter. Saint
Pierre et Saint André, pacifiques cœlicoles, s'inter-
posent, ménagent une transaction. On tombe d'ac-
cord que les dames auront un délai de quinze ans
pendant lequel elles pourront peindre, farder et
émailler à leur gré leurs séduisantes personnes,
mais qu'elles devront ensuite y renoncer à tout
jamais. Sur ce, chacun se retire satisfait. Mais
Bêcliéance fatale arrivée, aucune dame n'a le cou-
rage de renoncer à l'usage qui lui est si cher. Elles
redoublent, au contraire, d'artifices, ne font plus,
du matin au soir, que composer des couleurs et des
pâtes dont le poète énumère les ingrédients. Elles
y emploient telles quantités de produits que ceux-ci
renchérissent dans de fantastiques proportions ! Ce
que Pierre de Vie ne saurait leur pardonner, c'est
qu'elles ont par là rendu presque introuvable le
safran si délicieusement nécessaire à la confection
de la bouillabaisse !
— « L'idée, plus qu'originale, a quelque chose
308 LES TROUBADOURS CANTALIENS
h d'Aristophanesque, dit un critique; la mise en
« a'iivre en est dure, sèche et grossière, mais vive
« et spirituelle. »
Sa satire contre quiuze Troubadours de >sa
connaissance ne le cède en rien, en vigueur et en
mordant, à celles de Pierre d'Auvergne. Bienveil-
lance et charité ne sont pas personnes qu'il fré-
quente; on le verra par ses appréciations sur son
cousin. Concluons pourtant que Pierre de Vie vaut
mieux que le portrait que trace de lui Pierre
d'Auvergne :
Ab lo setzesm' i agra pro;
Lo fais monge de Montaudo
Qu'ab tolz tensona e canten ;
E a laissât dieu per baco,
E quar ane fetz vers ni canso,
Degral om tost levar al sen.
Avec le seizième je m'arrête :
Le mauvais Moine de Montaudon,
Oui de tout fit tenson et canson
Et laissa Dieu pour Bacchus.
Médiocres sont ses vers et ses chansons,
Que l'on devrait aussitôt disperser au vent.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 309
On ne saurait, à notre avis, porter sur Pierre de
Vie jugement plus équitable et plus complet que
Sabatier : « Comme poète, nous ne voudrions pas
(( lui assigner la première place; il n'eut, en effet,
a ni le charme d'un Bernard de Ventadour, ni la
« fougue d'un Bertrand de Born, ni la pureté
« élégante d'un Guiraud de Borneil, le premier
(( des Troubadours, comme l'appelle la Biographie
(( Provençale. Il se fit surtout remarquer dans la
(( satire et si, comme les maîtres du genre, il ne
« s'est pas adressé aux vices de tous les temps,
« communs à tous les hommes, il sut, avec beau-
« coup de finesse, tourner en ridicule les travers
« de son siècle et nous devons regretter la perte
(( des poésies qu'il composa dans la première
« époque de sa vie, alors qu'il n'avait pas encore
« quitté Montaudon; elles seraient de précieux
(( documents pour l'histoire des mœurs et des cou-
« tûmes féodales. Mais ce qui le distingue surtout
(( et ce qui le rend intéressant à connaître, c'est
« qu'au milieu de la société chevaleresque de la fin
« du XIIe siècle, il représente cet esprit enjoué
« plein de bonhomie et en même temps de malice,
« cet esprit Gaulois qui, dans la Littérature Fran-
310
LES THOl'BA'» "i RS ' \MAI.IK.\s
« caise, jeta un si vif celât avec les conteurs du
« XVIe siècle, fut transmis par notre grand Lafon-
« taine aux petits poètes erotiques du XVIIIe et
« est parvenu jusqu'à nous avec le chantre <le
« Lisette et de Roger-Bontemps >> (1).
(i) Sabatier : « Le Moine de Montaudon »>. Nîmes, 1879.
Désireux de mettre en pratique le précepte de Boileau :
Le latin, dans les mots, brave l'honnêteté
Mais le lecteur Français veut être respecté
de ne gêner ni le lecteur ni le traducteur, nous avons prié
M. Lavaud de traduire en Latin tous les passages trop réalistes
de^ œuvres de Pierre de Vie et des autres Troubadours.
Guillaume Moisset de la Moissetie
(Guilhen Moysès)
XII'-XIII*
Il est intéressant de prendre une race à ses débuts,
de la voir surgir brusquement de la plèbe, grâce à
quelque coup de fortune, héroïsme ou génie de l'un
des siens, ou de suivre sa lente ascension à travers
les siècles, de constater son accroissement à chaque
génération, de compter, un à un, tous les chaînons
qui rattachent un puissaml seigneur du XIVe siècle
à l'humble serf qui fut son ascendant direct aux
alentours de l'an mille. — On se rend compte à cette
étude, de ce qu'il a fallu de patient labeur, de téna-
cité de volonté, d'efforts sans cesse renouvelés, aux
représentants successifs d'une famille, pour la libé-
rer d'abord du travail manuel, affiner chez les géné-
rations suivantes les facultés intellectuelles pour
que ses membres trouvent, dans l'exercice de profes-
sions de plus en plus libérales, le levier de leur for-
tune. Une stricte économie, de judicieux achats de
propriétés, des alliances suivant toujours une
gamme ascendante, ont fait le reste. Une race sortie
: : 1 * LES TROUBADOURS CANTALIENS
du peuple d/Aurillac fournit ce curieux et très
typique exemple.
Possesseur de l'immense territoire légué par
Saint Géraud à l'Abbaye < 1 11 " i 1 avait fondée, l'Abbé
d'Aurillac eut !«■ devoir d'assurer à ses sujets la
distribution de la justice et de châtier les crimes
commis sur ses domaines. A l'origine, quelques
Moines, commis a cet office par leur chef, consti-
tuaient le Tribunal correctionnel et civil qui jugeait
sans appel, Un homme choisi dans le peuple de la
cité abbatiale, en considération de la force de son
biceps et de son endurance à la marche, recevait mis-
sion de l'Abbé de rechercher les criminels, courir
après eux, les arrêter et les conduire devant les
Juges. L 'homme fut vite insuffisant à la tâche, sans
doute, dut chercher main-forte, prendre des aides,
et s'élever naturellement, ainsi, à la dignité d'une
manière de Brigadier de Gendarmerie, voire même,
petit à petit, de Lieutenant de Police. Mais, à
l'inverse de nos théories imodernes qui interdisent,
au moins virtuellement, le cumul, notre homme,
nous apprend le Baron Delzons, après avoir
recherché, arrêté, conduit l'inculpé à ses juges, était
encore chargé d'exécuter leur sentence. « Il pendait,
LES TROUBADOUHS CANTAL1ENS 315
mutilait, fustigeait <le sa propre main les cou-
pables » (1). L'office, producteur, sans doute, d'émo-
luments rémunérateurs, devint vite héréditaire. C'est
grâce à lui que la famille très plébéienne, à l'ori-
gine, des Moisset se hissa hors de la tourbe popu-
laire jusqu'au rang des notables, puis des bourgeois
de la cité abbatiale et arriva, lentement mais com-
plètement, à pénétrer dans les rangs de l'aristocra-
tie Cantalienne.
Cette famille Moysès ou Moyssetz, ainsi qu'on
orthographiait indifféremment son nom au Moyen
Age, avait déjà gravi plusieurs échelons de l'étiage
social au XIIe siècle. £es membres étaient mainte-
nant gens d'importance qui présidaient à l'arresta-
tion des criminels plutôt qu'ils n'y procédaient eux-
mêmes et portaient le titre pompeux de « Viguiers
de VAbhaye d'Aurillac ». Pourtant une enquête
publiée en 1849 par le Baron Delzons, dont l'érudi-
tion est toujours si éclairée et si sûre, semble dire
qu'ils infligeaient encore de leurs mains les peines
infamantes (2).
(i) Dict. Stat. du Cantal, T. I, P. 220.
(2) L'exécution des sentences capitales n'entraînait, au Moyen
Age, aucune déconsidération pour l'exécuteur. De même que les
316 LES TROl BADOUKS e A MALIENS
Les économies réalisées avaient, sans doute, per-
mis aux Moisset de se créer à Aurillac une demeure
confortable; très anciennement, fort probablement
dès le XII" siècle, au moins, ils y avaient joint le
luxe d'une maieofl de campagne aux portes mêmes
d'Aurillac. Ils avaient créé, sur la rive gauche de
la .7<»rdann<\ au delà de la Porte du Buis, une ferme
qu'on avait natureUemenj appelée du nom de son
propriétaire : la ferme, le domaine des Moissets.
« Boria 8vw affarnim quod voc&tur Bolet dels Moys-
seU », dii encore un aete du X I Ve siècle (1). Le nom
du possesseur s'incorpore pour ainsi dire à la terre
qui le fait sien en le Latinisant au féminin : « La
ferme de c la Moyssetia » dit-on au XIV" (2) et tan-
dis qu'au XVIe, le dialecte Cantalien l'appelle eneore
Moisset, les plus hauts barons remplissaient en personne sans
aucune répugnance leur office de Viguier, alors même qu'il les
obligeait à devenir exécuteur des hautes œuvres et bourreaux.
Ainsi, en 1264, Astorg d'Aurillac, baron de Conros, Viguier de
l'Abbaye de Saint-Géraud et l'un des plus grands seigneurs de
Haute-Auvergne, pend haut et court de ses aristocratiques mains
un voleur nommé Bertrand Nicholaï, condamné à la potence
par le Juge Abbatial.
(1) E. Amé, Dict. Topog. du Cantal. 1897. P. 316. Titre de
1392. Pièces de l'Abbé Delmas.
(2) Recon. à l'Hôpit. de la Trinité. Titre de 1445.
LES TROUBADOURS OANTALIENS MIT
(( Lo Moyssctio » (1), les actes rédigés eu français
disent déjà : « Le chasteau de la Moyssetie » (2) qui
deviendra « Lu Moyssetie » du XXe siècle.
La transformation des propriétaires avait été
aussi complète que celle de leur domaine rural. Tau-
dis que celui-ci passait de la ferme au château, ses
maîtres, déjà classés parmi les fonctionnaires laï-
ques les plus considérables de l'Abbaye d'Aurillac,
gravissaient le dernier échelon de la hiérarchie féo-
dale, entraient dans la noblesse, chaussaient l'éperon
d'or du Chevalier. Au temps même où cette famille
donnait à l'Ecole d'Auvergne un Troubadour, son
chef, Raymond Moisset, Chevalier, seigneur de la
Moissetie, père oti frère de notre Troubadour exer-
çait, antérieurement à 1224 et fort probablement dès
le troisième quart du XIIe siècle, la charge déjà
héréditaire dans sa famille, de Viguier de l'Abbaye
de Saint-Géraud. Il la transmit à son fils Savary,
également honoré du titre de Chevalier, lequel était
encore en fonctions après 1284.
Quelle était l'origine de la parenté absolument
(i) Titre de 1594, Pièces du Tab. Lacassagne.
(2) Titre de 1525, Arch. Municip., S. II, Reg. 8.
MS LES TR0UBAD0UB8 OANTALIEMS
certaine «Mitre les familles Moisset et de Vie? Le
Chevalier Raymond Moisset était-il fils d'une Vie,
ki femme «''tait-elle sortie de cette famille, on, au
contraire, la dame de Vie, mère du Prieur de .Mon-
taudon. était-elle une Moisset? Deux documents,
sans trancher absolument te question, donnent au
moins sur elle des renseignements précis. Le Prieur
de Montantion nous apprend de La manière la plus
positive «iue Ie Troubadour Guillaume .Moisset était
o son voisin et sou cousin o (1). Guillaume ou les
siens étaient donc possessionnés a Vic-sur-Cère ou
aux environs. Nous trouvons, en effet, Savary Mois-
set, Chevalier, Viguier de l'Abbaye d'Aurillac, très
probablement frère du Troubadour, ses frères et
neveux Géraud, Chevalier (2), Hugues et son tils
in Chabaneau dit.. P. 150: « Guilhem Moyaès (alias Lo Mar-
iuès, dans !<• Manuscrit C. seulement). Troubadour nommé par le
Moine de Mniitaudon comme son voisin et son cousin. Il était donc
Auvergnat ». Gr. numéro 224. Hist. Litt., T. XVII, P. 572.
Chabaneau signale ensuite en note un lieu de Moyssetz dans le
Var, tout en se gardant d'établir aucune corrélation entre ce lieu
de Basse Provence et le Troubadour qu'il constate être Auver-
gnat.
(2) Il serait intéressant de lire l'acte en original. On sait com-
bien y sont fréquentes les abréviations et souvent une simple ini-
tiale pour désigner les divers membres d'une même famille con-
LES TROUBADOURS CANTALIENS 319
Bernard, Damoiseaux, ces deux derniers co-sei-
gneurs de Boquenatou, paroisse de Marmanhac,
inscrits, tous, au nombre des vassaux nobles de la
Vicomte de Cariât, en raison de deux mas situés
dans les dépendances de Vie qu'ils possèdenl avec
droit de justice, haute, moyenne et basse (1). On les
retrouve faisant hommage au Vicomte de Cariât, en
1284, pour ces deux fiefs. Raymond Moisset, leur
descendant, renouvellera la même formalité en 1335
et Savary II en 1355 (2). Tout porte à croire que
ces propriétés Carladéziennes étaient advenues aux
Moisset du chef de leur mère sortie de la maison de
Vie et qu'elle les avait portées en dot à son mari le
Chevalier Raymond Ier Moisset, Viguier d'Aurillac.
Cette fille de la maison de Vie, sœur du père du
Prieur de Montaudon, ayant eu pour fils Savary,
Géraud (qui est peut-être notre Troubadour lui-
même), Hugues et Guillaume le Poète, ce dernier
courant à un acte. L'interprétation ou la distraction d'un copiste
a plus d'une fois transformé un Guillaume en Géraud! Il se
pourrait fort bien que le Géraud, frère de Savary et de Hugues,
paraissant tous fils de Raymond, fut notre Troubadour lui-même
(i) Dom Coll. Nobil. d'Auv. Xoms féodaux, P. 692.
(2) Bouillet : Nobil. d'Auv. : T. IV, P. 155.
320 moUBADOUR! 0ANTALIEN6
était bien le cousin germain de Pierre de Vie et son
sin en raison «1rs propriétés Yicoises qu'il tenait
de sji mère.
On constate à quel degré cette famille est parve-
nu»', dès l'aurore du XIIIe siècle, dans la hiérarchie
nobiliaire, en voyant Hugues Moisset, très probable-
ii Frère de notre Troubadour, épouser la fille
d'une des plus illustres races du voisinage d'Auril-
hic : X. de Roquenatou, fille de Guy de la Roque,
seigneur de Roquenatou dont elle hérita sa part
dans cette forteresse fameuse (1). Quelques années
plus tard, Bernard Moisset, fils de ces époux, co-
(i) Roquenatou, commune de Marmanhac, cant. et arr. d'Au-
rillac, était une des forteresses réputées du Haut Pays, couronnant
un rocher sur le versant de la vallée de l'Authre; Athon de la
Roque l'aurait construite au XIe et lui aurait donné son nom:
" Roque-Athon — Roque-Attou — ou plutôt : Roque N'Athou —
Roque du seigneur Athou ». Un Prieuré, dont la chapelle subsiste
encore, aurait précédé la i . déjà érigé au temps de Saint
éraud. Il est certain que cette famille de Roquenatou (.Rupenato)
r ait déjà riche et puissante, lorsqu'un de ses membres, Pierre de
Roquenatou. mort en 1129, après un Abbatiat de vingt-deux ans,
gouvernait l'Abbaye d'Aurillac, dont il fut le quinzième abbé.
La forteresse de Roquenatou fut assiégée plusieurs fois au XIVe
et XVe, par les Anglais. Les Routiers, qui en étaient maîtres, la
•.-endirent, en 1362, au Duc de Berry et d'Auvergne, moyennant
une rançon de 4.700 florins. Une partie du fort était taillée à même
le roc creusé pour recevoir les travées. Il ne reste aujourd'hui
que de faibles vestiges.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 321
seigneur de Roquënatou, transigeait avec ses cou-
sins et plus tard, son fils Raymond ajoutait à cette
possession féodale la terre d'Estang sur la même
paroisse de Marmanhac. Son descendant, Savary II
Moisset, Chevalier, seigneur de la Moissetie, Estang,
Requiran, co-seigneur de Etoqnenatou, qui rendait
hommage, en 1355, au Vicomte de Cariât pour ses
deux fiefs du voisinage de Vie et vivait encore dix
ans plus tard, avait épousé Jeanne de Tessières. Sa
fille, Marianne de la Moissetie, épousa bien un Ro-
quënatou, mais ne fut pas la dernière des Moisset
comme semble le croire le dictionnaire statistique
du Cantal (1). La race dont nous avons esquissé
l'histoire ne s'éteignit qu'à la fin du siècle suivant
en Antoinette Moisset de la Moissetie de Requi-
ran (2), héritière de sa maison, arrière-nièce de Guil-
laume le Troubadour qui épousa le 5 avril 1497 (3)
Guillaume de la Roque de Roquënatou avec qui elle
(i) T. IV, P. 138.
(2) Requiran, chat, de la commune de La Roquevieille, dont les
La Roquënatou étaient seigneurs dès le XIIe. Il avait dû être
apporté en dot à Hugues Moisset par sa femme, en même temps
qu'une partie de Roquënatou.
(3) Bouillet : Nobil. d'Auv. T. V, P. 455- Noms féodaux, P. 338.
L'Auvergne au XIVe, P. 321 à 329.
i-522 LES TROUBADOURS CANTALIENS
forma le rameau de la maison de Roquenatou qui
s'esl perpétué sous le aom <le La Roque-Montal (1).
Il serait particulièrement intéressant de recher-
eher dans les productions poétiques d'un Aurilla-
eois pur sang, comme Guillaume Moisset, eet esprit
«lu terroir, cette mentalité Cantalienne qu'on pour-
rait espérer y saisir sur le vif. l'as une seule de ses
strophes n'est venue jusqu'à nous et nous n'y per-
• l.iii^ guère à en croire le Prieur «le Montaudon !
Elo trezes es mus vezis
Guillem. lo marqués, mos cozis.
E non vuelh dire mon talen
Car ah los sens chantars frai ris
S'es totz peiuratz lo mesquis
Et es vielhs ab harba et ab gren.
Le treizième est Guillaume, le marquis (ou le
( i) Les La Roque-Montaî se fixèrent à ce château de Montai,
commune d'Arpajon, qui avait jadis donné son nom aux cadets
des barons de Conrcs devenus barons de Laroquebrou. Les La
Roque-Montal, héritiers des Moisset se perpétuèrent au moins
jusqu'au XVIIIe siècle. Leur sort actuel est ignoré.
LES TROUBADOURS CANTALIEXS 323
marqué) (1), mon voisin et mon cousin, je ne veux
pas dire ce que j'en pense. Le «liant sans âme de ce
malheureux est allé de mal en pis et aujourd'hui il
est vieux avec sa barbe et sa moustache.
Les portraits que trace Pierre de Vie de quelques
Troubadours, ses contemporains,, sont aussi peu
bienveillants que ceux de Pierre d'Auvergne; il
convient donc de faire la part de l'exagération, de
plaider, tout au moins, les circonstances atté-
nuantes en faveur de la vieillesse de Guillaume
Moisset dont les ans avaient, sans doute, refroidi la
(i) On a vainement cherché la signification et la cause de ce
qualificatif « lo marques », dont Pierre de Vie qualifie son cousin.
Ce ne peut être, en tous cas, qu'un sobriquet puisque si belle qu'ait
été l'ascension des Moisset, ils étaient fort loin de l'illustration
ft de la puissance des rares maisons princières et quasi souveraines
qui portaient, au XIIe siècle, le titre de Marquis (défenseur des
marches ou frontières d'un royaume), tels lej Comtes de Toulouse,
Marquis de Gothie ou les Marquis de Montferrat.
En langue romane, le mot « marques » n'a-t-il que l'unique
signification de Marquis et n'a-t-il pas été employé dans le
sens de « marque, poinçonné », pour indiquer tout simple-
ment l'écu de bon aloi dûment poinçonné, la bête achetée en foire
et marquée par l'acquéreur? Au moins, en dialecte cantalien mo-
derne, nous avons entendu dire couramment « Guiral ion morquat »
« Géraud Je Marqué ». qui signifiait fort prosaïquement que ledit
Géraud était marqué de la petite vérole, portait sur la figure les
mille traces de cette maladie si fréquente jadis. Guillaume Moisset
•urait-il été tout uniment « grellé » ?
I 1 v i i;,,[ BADOUBB I W l.M 1IAS
verve. Il oe parait pas. néanmoins, qu'il ail jamais
eu grande réputation <-i ses essais poétiques a'onl
pas dû dépasser le cercle restreint de son voisinage.
Ils sont tombés à l'éternel oubli, le « temps
vorace n ne nous en a rieii laisse et. snns la pointe
maiicieuBe de son cousin, nul n'eut soupçonné l'exis-
tence de ee T i < >u I «ai 1< tu r du liant Ta\ s dont, a défaut
de biographie, nous avons pu Identifier la person-
nalité r\ dire les origines familiales.
Jjeirc Ao^icr^
Pierre de Rogiers
Chanoine dr Clerinont
Miniature extraite du manuscrit fr. 12474
de la Bibliothèque Nationale
Pierre de Rogiers
Chanoine de Glermont
Moine h l'Abbaye de Grammont
XII-XIII
Aux confins de la Haute-Auvergne et du Quercy,
sur ces plateaux mamelonnés où la chaîne Canta-
lienne décroît en collines, sous un climat déjà plus
doux où le châtaignier abonde, non loin des coteaux
du Lot qu'escaladent de maigres vignobles, le petit
bourg de Rouziers (1) groupe ses maisons peu nom-
breuses autour de sa vieille église romane dédiée à
Saint Martin, à l'extrémité sud de la commune dont
il est le chef-lieu. L'orthographe de son nom a fré-
quemment varié à travers les siècles, depuis le
<( Rogerium » bas-Latin, les Rougiers, Routgier,
Rogiers du moyen âge, les Rosiers et Rougiers encore
usuels au XVIIe siècle, jusqu'à sa forme actuelle (2).
(i) Commune du canton de Maurs et de l'arrondissement
d'Aurillac, à 33 kilomètres de cette ville.
(2) Amé : Dict. topog. du Cantal, p. 438. — Rogerium (Pouillé
de St-Flour, XIVe). — Rougiers, 1575. — Routgier (Et. Civ.
Aurillac). — Rogiers (Coût. d'Auv.). — Rozier, 1662. — Rougiers
1669 (nommée au Prince de Monaco). — Avant 1789, Rouziers était
du diocèse de St-Flour et de l'Elect. d'Aurillac, siège d'une justice
seigneuriale régie par le Droit écrit.
328 LES TROl'BAPOl RS » \M U.II.NS'
Du château féodal qui joignait L'Eglise, il ne reste
plus trace. Il a été pourtant le berceau d'une illustre
race féodale qui le possédait dès le haut Moyen Age
et dont 1rs domaines s'étendaient sur les paroisses
de Rouziers, Saint-Julien-de-Toursac, Leynhac, Mar-
colès «'i Boisset. Le nom latin de cette famille : « dt
Hogerio et <h Rogerii >> se lit dans nos plus anciennes
chartes. 11 faut écarter la table qui voudrait ratta-
cher à elle Saint Robert, fondateur de l'Abbaye de
La Chaise-Dieu (1), mais citer le nom d'un de ses
plus anciens membres connus, de Guillaume Bogiers
qui lit, en 1067, des (huis considérables de terres au
Chapitre de Brioude (2). « Ce bienfait, remarque
« Bouillet, profita à sa descendance, laquelle
« compta, depuis, s. -pi admissions au dit Chapitre
« en L234, L260, L306, L498 et L500 » (3). Peut-être
( [) Bouillet : Nob. d'Auv., T. V, p. 287, explique très clairement
comment on a confondu le restaurateur avec le fondateur de La
Chaise-Dieu, pris un Rillac pour un Aurillac, un Rogier-Beaufort
Limousin (Clément VI) pour un Rogiers Auvergnat.
M. le Conseiller Boudet vient de donner dans son Cartulaire de
Saint-Flour la véritable origine de Saint Robert, aussi étranger
aux Aurillac-Conros qu'aux Rillac.
(2) Cartulaire de Brioude.
(3) Bouillet, T. V, p. 418.
LES TROUBADOl ):s CASTALIEXS 'A'I'f
ne fut-il pas étranger au titre ( 'anomal dout nous
verrous revêtu le Troubadour sorti de cette famille.
Millot, Renouard, Fauriel e1 les autres historiens
des Troubadours ne s'étaient pas préoccupés du lieu
d'origine de Pierre de Rogiers qu'on savait simple-
ment Auvergnat, Fauriel donne même une raison
péremptoire, à ses yeux, de sou indifférence : « Dans
(( les pièces amoureuses de Pierre Bogiers, je ne
« trouve rien d'assez saillant pour mériter d'être
« cité. Quant à sa vie, nous n'avons plus guère de
« motif de la connaître dès l'instant où nous négli-
« geons ses ouvrages » (1).
Les fables de Jean de Nostre-Dame (2), que le
Professeur Anglade appelle si justement « cet
impudent mystificateur » sont aujourd'hui entiè-
rement discréditées; il est oiseux de réfuter les
assertions fantaisistes de cet historien romancier. Il
constate, au reste, sans plus de détails que Pierre
de Rogiers est Auvergnat, mais le fait vivre un
(i) Fauriel : Hist. de la Poésie Provençale, T. II.
(2) Jean de Nostre-Dame ou Nostradamus, frère du Physicien
Astrologue, conseiller au Parlement d'Aix, « Vie des plus célèbres
et anciens poètes Provençaux ». Lyon, 1575.
M" LES TROUBADOURS CANTALIENS
siècle et demi après la date réelle de sa mort (1).
La seule excuse de Nostradamus serait d'avoir suivi
aveuglément peut-être, une copie fautive d'un ma-
nuscrit parisien qui confond notre Troubadour avec
un « Peire Rogier <!<■ Mirapeys » : Pierre-Roger de
Mirepoû (2), mentionné dans la biographie de Ray-
mond de Miraval et qui vivait au XIIIe siècle. Or,
il est indiscutable que notre Pierre de Rogiers,
contemporain de Bernard «le Ventadour, vivait au
XIIe siècle et que son activité littéraire s'est très
certainement exercée, tout entière, antérieurement
à l'année L191. Le plus récent biographe de notre
Troubadour a fait entière justice de cette confu-
sion (3); mais ce savant allemand s'attache beau-
coup plus a l'étude de l'œir : e littéraire de Pierre de
Rogiers qu'à son lieu d?origine qui est, pour lui,
sans grand intérêt. Après avoir réfuté l'erreur du
i i i II confond notamment, r< a que Mil'ot, llermengarde de
Narbonne, fille d'Aymeric IV, épouse en 1232 de Roger-Bernard
Comte «le Foix, avec -a grand 1 te, la véritable llermengarde
qu'aima Pierre de Rogiers, fait assister ce Troubadour, en 1330, à
Grasse, à une prétendue abdication de l'anti-pape Pierre de Cor-
bières, etc..
(2) Mirepoix (Ariège). Manuscr. Par. C.
(3) Appel : « Vie et chansons du Troubadour Pierre Rogier ».
Berlin, 1882. Introduction.
LES TBOUBADOUKS CANÏALIENS 331
copiste parisien (1), constaté péremptoirement qu'il
est bien Auvergnat, ne trouvant rien dans le Cartu-
laire de l'église de Clermont, à laquelle il a appar-
tenu, il renonce à pousser pins loin ses recherches
sur la famille dont il est issu, avouant : « Qu'il lui
« faut renoncer à trouver dans l'histoire quelque
« lumière sur la personne de ce Troubadour. De
(( même que les annales des endroits où il exerça
(( l'état Ecclésiastique ne paraissent pas avoir
« gardé son nom » (2).
Il n'est pas, sans doute, d'église en France qui
ait gardé complète la liste de tous ses chanoines,
Les registres de la cathédrale de Clermont, remon-
teraient-ils à cette époque lointaine, il ne serait pas
étonnant qu'ils n'aient pas conservé le nom de ce
jeune Chanoine qui ne fit que passer dans cette
église. Heureusement les témoignages multiples et
formels des contemporains suppléent à cette lacune.
Son identification à une race Auvergnate du Haut-
Pays, la découverte de son lieu d'origine étaient
(i) Sur la confusion avec Pierre-Roger de Mirepoix : « C'en
était assez, dit-il, pour qu'un copiste ajoutât ce qualificatif à notre
poète ». Appel., loc. cit..
(2) Ibid.
:i".- LES TROUBADOURS CANTALIENS
pins malaisées encore el ne pouvaient être deman-
dées qu'aux Chartes <lu XIIe siècle intéressant les
familles d'Auvergne. Qn érudit, attelé pendant de
longues années à un travail d'ensemble sur la pro-
vince, vérifiant îles milliers de pièces se référant
toutes à une même région, a pins de chances que
tout antre de faire inopinément nue insoupçonnée
trouvaille. C'est ce qui est arrivé pour Pierre de
Etogiers, an milieu du XIX1' siècle, sans que les
écrivains subséquents, comme Appel, pins occupés
-!<■ littérature que de généalogies, aient paru
connaître cette étude ni en l'aire état.
M. le Baron de Sartiges d'Angles, savamment
documenté sur la noblesse d'Auvergne et plus par-
ticulièrement, peut-être, sur celle du Haut-Pays,
berceau de sa mais. m, ou elle n'a cessé de résider
depuis le liant Moyen Age, en avait méticuleusement
fouillé les archives, en même temps qu'il étudiait,
vers 1830, les Troubadours Auvergnats (1). Il a fait
bénéficier du fruit de ses recherches accumulées
.M. Douillet qui a pu, grâce à cet énorme appoint,
(i) Annuaire du Cantal, année 1830.
LES TROUBADOURS CANTÀLIENS 333
donner en 1851 son « Nobiliaire d'Auvergne » (1).
Cet érudit, réduit souvent à n'employer que les
formules dubitatives, surtout pour ces siècles loin-
tains, est, au contraire, fort catégorique sur Pierre
Bogiers :
« S'il n'est pas très certain (pie Saint Robert
<( fut de cette famille (de Rogiers) on ne peut
u du moins contester à celle-ci d'avoir produit une
« autre célébrité qui, bien que plus profane, a laissé
<( également des souvenirs durables. Nous voulons
« parler de Pierre de Rogiers, fameux Troubadour
« du XIIe siècle ». La famille de Roger ou Rogiers,
« continue Douillet (de Rogerio et de Rogerii), sei-
(( gneurs de Rogiers, aujourd'hui Rouziers, de
« Leynhac, Rillac et autres lieux en Carladez, est
(( de noblesse très ancienne » (2).
Nous avons minutieusement vérifié les dires de
Rouillet, fait appel, pour cet examen, au bienveil-
(i) Clermont, 1851, 7 vol. in-8. Le Nobiliaire manuscrit de Don
Coll, bénédictin mort à Clermont pendant la Révolution, a été
largement utilisé par Bouillet. Ce Nobiliaire d'Auvergne, incomplet
pour quelques familles, faisant parfois des confusions, n'en est
pas moins une mine précieuse qui, soigneusement contrôlée, rend
de réels services.
(2) Nobil. d'Auv., T. V. P. 410.
334 LES rROUBADOURS CAMTALIENS
iani concours des sommités les plus réputées en ces
matières : rien n'est venu infirmer les assertions du
Nobiliaire d'Auvergne, toul les corrobore, au con-
traire.
11 n'a jamais existé dans toute L'étendue de lu
province d'Auvergne, non seulement au XIe siècle,
mais même jusqu'à nos jours, qu'une seule et
unique famille de Rogiers appartenant à la noblesse,
d'origine chevaleresque, déjà connue, richement pos-
jsionnée ans premières années du XI", celle qui
tirait son nom du bourg <le Rogiers, aujourd'hui
Bouziers, près Maurs, ou <|iii lui avait donné le sien.
A cette antique race s'applique, en effet, strictement
le brocart connu : « Famille si ancienne qu'on ne
sait si elle tire son nom de la terre qu'elle possède ou
si la terre a été dénommée du nom de son posses-
seur ». Toni semble indiquer pourtant, ici, qu'a
l'origine du système féodal, où les prénoms étaient
seuls en usage, un colon ou un guerrier du nom
de Eoger, Botgiers, Rogiers s'implanta dans cette
région ou la reçut des Vicomtes de Cariât, en récom-
pense des services militaires, qu'il la féconda et
LES TROUBADOURS CANTALIENS 335
attira des laboureurs. L'habitude naturelle prévalut
de donner à la terre le uom de son possesseur (1).
Pour trouver, au centre de la France, une autre
famille noble du nom de Rogier ou Rosier, il faut
aller en Limousin, au petit bourg de Rosier, en la
châtellenie de Maumont, entre Ussel et Tulle (2).
Encore n'est-ce que plus d'un siècle après la mort
de notre Troubadour que surgit, seulement après
1300, une famille que le népotisme jettera brusque-
ment au premier plan. Les généalogistes ont eu beau
tout tenter pour « faire des aïeux » au Pape
Clément VI, ils ne peuvent que supposer noble son
grand-père Pierre Rosier, natif du bourg de Rosier
en Limousin. Encore est-il plus probable qu'il était
de même extraction que Maître Jean Rosier ou de
Rosiers, son contemporain, juriste du lieu de Saint-
Brice (1). Quoi qu'il en soit, le fils de Pierre Rosier,
(i) En plein XXe siècle, si une maison se construit au milieu
des landes de certaines régions Cantaliennes, elle n'a d'autre nom
que celui de son constructeur. Xombre de hameaux, même anciens,
ne sont dénommés au cadastre que « Chez Pierre » « Chez Paul ».
La remarque s'applique surtout aux contrées les plus infertiles.
(2) Aujourd'hui Roziers d'Egletons, cant. d'Egletons, arr. de
Tulle (Corrèze).
(1) Xadaud, nobil. du Limousin, T. IV., p. ni.
:;:;; les i roi badoi rs i w iu.m \s
Guillaume, eut de Guillemette de la Monstre deux
tils. autre Guillaume qui continua cette lignée qui
devienl si brillante «'t Pierre Rosier dit Rogier,
remarquent ses biographes, successivement Abbé
de La Chaise-Dieu, archevêque «le Sens, puis de
Rouen, chancelier d<- France et finalement Pape en
L342 bous le i i de Clément VI. Grâce aux lar-
gesses <l<- ce Pape, ses neveux deviendront Cardinaux
<>u Comtes «le Beaufort et Vicomtes «le Turenne,
contracteront riches alliances, resteront jusqu'à leur
extinction, au XVIe siècle, «les seigneurs beaucoup
plus considéra Ides niais de race infiniment moins
ancienne que leurs homonymes Auvergnats (1).
Il est authentiquement prouvé que le Troubadour
Pierre de Rogiers appartenait à une famille noble
d'Auvergne et «pie son père était chevalier; ses
biographes eux-mêmes ont soin de le dire :
e Peire Rotgiers si f<> d'Alvernhe... e fo gentils
« hom ».
(i) Les Rogiers-Beaufort-Turenne s'éteignirent complètement,
151 1, dans les Montboissier qui ont relevé le nom de Beanfort-
Canillac. Sur les Rogiers-Beaufort, Cf. Nadaud, T. IV, p. 95 à
108. Bouillet, T. I, p. 171.
LES TROUBADOURS CANTALlENS 337
Pierre Rotgiers était d'Auvergne, gentilhomme
d'extraction.
Une seule famille chevaleresque de ce nom existe
dans toute l'étendue de la province; déjà ancienne
au XIIe siècle et richement possessionnée en Carla-
dez. Son chef peut, sans toucher à son principal
fief, faire des dons considérables au Chapitre de
Brioude. Pierre de R'ogiers, le Troubadour, ne peut
pas ne pas appartenir à cette famille puisqu'il n'en
existe pas d'autre de même nom dans l'Auvergne
entière et il ne peut en être qu'un puîné voué à
l'Eglise, que les siens ont nanti d'un bénéfice ecclé-
siastique auprès de l'évêque dont ils sont les diocé-
sains, tandis que son aîné reste sur le fief patrimo-
nial où sa descendance se perpétue. Regrettons
seulement que, dans sa vie errante, insouciante
cigale, amoureux rossignol, notre Troubadour n'ait
jamais eu à comparaître devant quelque tabellion
pour nous apprendre ainsi le nom de sa mère, nous
donner de plus amples renseignements sur son état
civil. Une de ses chansons, la neuvième, fait allusion
à un seigneur qu'il a dû connaître dès l'enfance,
Bertrand de Cardaillac, fils d'un Chevalier Croisé,
LES TROUBADOURS CAXTALIKNS
dont le château fameux était à faible distance de
Rouziers 1 1 >.
Une autre particularité très typique «les poésies
de Pierre de Rogiers montre très clairement que,
s'il est Cantalien de naissance, parce que son ma-
noir paternel esl situé dans les limites de la vicomte
de Cariât, il appartienl à la partie du Haut-Pays
<ini avoisine le Limousin et le Quercy, a reçu la
formation poétique limousine. Autant Rouziers est
encore aujourd'hui à grande distance de Clermont,
distance Infranchissable au XIIe siècle pendant
cinq mois de l'année, autant il est voisin du « Pays-
Bas », de Turenne où existait un groupement de
Troubadours <|ni se ramifiait à l'école de Ventadour.
Quoique pins éloigné de Rouziers que Turenne, Ven-
tadour (tait d'arecs facile en tons temps. Ce sont,
incontestablement, les poètes de ces deux centres
lyriques que Pierre de Rogiers a entendus dans son
enfance, leurs œuvres qui l'ont initié à l'art de
bien dire. Cette particularité n'a pas échappé à son
récent biographe qui montre comment la manière
de notre Troubadour procède sans conteste de celle
de Bernard de Ventadour.
(i) Cardaillac, cant. de La Capclle-AIarival, arr. de Figeac (Lot).
LES TROUBADOURS CANTALIEXS 339
— (( Nous sommes étrangement surpris, dit
(( Appel, dans les poésies de Pierre Rogiers par
(( le jeu de la réplique eu phrases courtes, pour
« laquelle il marque une vraie prédilection Ber-
« nard de Ventadour a usé de la réplique ou du
<< dialogue dans dix-sept chansons. Nous la trouvons
(( aussi chez Hugues de Saint-Cire (né à Thégra,
« entre Rouziers et Turenne, en Limousin) A
« l'exemple de Bernard de Ventadour,Pierre Rogiers
« ne la fait entrer qu'occasionnellement. Ce dialogue
« permet au poète de représenter la lutte des senti-
ce nients, des sensations que nous éprouvons. »
Si l'on veut bien se reporter au douzième siècle, à
la délimitation, par province, des groupes de Trou-
badours, on reconnaîtra que, né en Limagne, ou aux
limites du Velay, Pierre de Rogiers eut été imbu des
préceptes de l'Ecole Auvergnate. C'est précisément
parce que son berceau était aux frontières Limou-
sines que, bercé par les poésies de cette Ecole, il a
tout naturellement reproduit le genre du Trouba-
dour, sou contemporain un peu aîné, Bernard de
Ventadour.
Avant d'entreprendre la biographie du poète dont
les* vers ont mieux préservé de l'oubli le nom des
340 LES TROUBADOURS CANTALIENS
Bogiers que tous les exploits militaires de ceux de
sa race, notons que ses petits-neveux continuèrent à
résider au château de Bogiers, au moins jusqu'aux
dernières années <lu quinzième siècle. On voit Mare,
Baymond et Pierre de Bogiers, damoiseaux, petits-
fils, sans doute, du frère de notre Troubadour, tran-
Biger avec L'Abbé de Maurs, en L295, Guillaume et
Pierre rétrocéder en L298 à Géraud de Naucase un
allai- de la paroisse de Boissel il), Bernard, lils de
Bigaud, faire en 13311 hommage au Vicomte de Car-
Lai pour le repaire de <iiselme mouvant du château
de Toursac (2), Antoine accomplir semblable forma-
(i) Titres originaux cités par Bouillet, loc. cit.
i _■ ) Toursac, château aujourd'hui ruiné, de la commune de
St-Julien de Toursac, limitrophe de Rouziers. Cette place était plus
qu'un château, mais une véritable forteresse ceinte de murailles
dont plusieurs co-seigneurs se partageaient la possession sous la
suzeraineté des Comtes de Rodez, Vicomtes de Cariât. Le curieux
acte de 1317, où figurent Rigal et Martin de Rogiers, à titre de
co-seigneurs, délimita les droits réciproques des vingt-quatre co-
propriétaires. Au XIIIe siècle, Bernard de Rogiers avait un repaire
distinct dans l'intérieur de la forteresse. Dès le XIe, les Rogiers
paraissent avoir possédé une partie importante de la forteresse de
Toursac (Dict. stat. du Cantal, T. III, p. 500. Noms féodaux,
P- 377, 644, 704, 725, 836. Chabrol, T. IV, p. 715- Bouillet, T. VI,
P- 394)-
LES TROUBADOURS CAXTALIENS 341
lité pour Leynhac en 1490 (1). Il semble qu'à cette
époque, la maison de Rogiers se soit fondue dans
celle de Reilhac dont le château, situé sur la
paroisse de Rogiers, était tout voisin (2).
Pierre de Rogiers, probablement petit-fils de Guil-
laume, le bienfaiteur du Chapitre de Brioude, dut
naître à Rogiers, dans le second quart du douzième
siècle. Contemporain de Pierre de Vie, cadet de
famille, sans doute, comme le Prieur de Montaudon,
il fut destiné tout enfant à l'Eglise par ses parents
qui le firent instruire dans les Lettres Latines et lui
donnèrent une instruction des plus soignées, telle,
au moins, qu'on la comprenait alors. Hugues de
Saint-Cire, le biographe des Troubadours, nous
l'apprend et son témoignage est d'autant plus à
retenir qu'Hugues était natif de Thégra en Quercy,
(i) Leynhac, commune voisine de Rouziers, fief considérable
possédé par les Rogiers jusqu'à leur extinction. Noms féodaux,
p. 836.
(2) Le château de Reilhac, commune de Rouziers, aujourd'hui
ruiné, avait, dès le XIe siècle, des seigneurs de son nom. Ils possé-
daient encore ce château e* celui de Toursac à la fui du XVIe siècle.
Bouil'let observe qu'un rameau seulement des Rogiers a pu s'étein-
dre dans les Reilhac et un autre se transplanter dans le Midi où
des familles de ce nom se réclament de cette origine.
- TE0UBAD01 i;> i ANTALIENS
;i faible distance de Rogiers, el avait pu connaître
•nnellement notre Troubadour et sa famille.
— <« Peire Rotgiers si fo d'Alvernhe, «'unorgues
« de Clarmon; e Eo gentils nom, bels et avinens e
9avis de letras e de sen natural. »
Pierre Rotgiers était d'Auvergne, Chanoine de
Clermont; de noble race, bien fait et avenant, il
était instruit dans Les Lettres et avait beaucoup
d'esprit aaturel.
Au douzième siècle, L'Evêché de Saint-Flour
a'existait pas encore et l'évêque de Clermont ou
d'Auvergne, c me <»n L'appelait indifféremment,
étendait sa houlette pastorale sur le Haut et sur le
Bas-Pays. La munificence de l'aïeul de Pierre envers
l'église Saint-Julien de Brioude ou quelque autre
cause prédisposèrent Le prélat Clermontois à appe-
ler auprès de lui son jeune diocésain et a lui confé-
rer, malgré sa jeunesse, ce grand bénéfice si envié
d'un Canonical de sa Cathédrale. Voilà notre jeune
homme quittant Le manoir paternel aux frontières
de L'Auvergne et du Quercy pour aller occuper sa
stalle a L'autre extrémité de l'Auvergne dans la
capitule de la province. Il y trouva un centre intel-
lectuel, dut entrer en relations avec Troubadours et
LES TROUBADOURS CAXTALIEXS 343
Jongleurs qui y foisonnaient, être admis à la Cour
de Vodables, chez le Dauphin, alors au début de sa
passion pour la Gaie Science et ses interprètes. —
« Il était Chanoine de Clermont, dit l'historien des
« Troubadours, mais la force du penchant l'entraî-
nait ailleurs. Quoique savant dans les Lettres, il
« aimait le monde et les plaisirs plus que Pétude
« et la retraite. Ennuyé de son Canonicat, il se fit
« Troubadour et mena' .Jongleur. On ne résiste
« guère à l'impulsion du génie! D'ailleurs, à ne
« considérer que la fortune, les Cours offraient une
(( perspective riante aux Poètes » (1).
Plus laconiquement, Hugues de Saint-Cire nous
dit :
— (( E cantava e trobava ben, e laisset la Canorga
« et fetz se Joglars et anet per cortz e foron grazit
« li sieu conta r. »
Il chantait et composait fort bien. Il abandonaa
son Canonicat, se fit Jongleur et s'en alla en diverses
Cours faire entendre ses chansons.
(i) Millot: Hist. lhtér. des Troubadours, T. I.
L5-A4 LES TBOUBADOUBS CANTALŒNS
Plus méchamment, le satirique Pierre d'Auvergne
écrit :
D'aisso mer mal Peire Rotgiers
Per que n'cr encolpatz premiers
Quar chanta d'amor a prezen
I i -nvengra'l melhsus santiers
En la gleiz' o us condaliers
Portar ab grand candel' arden.
Pierre Rogner en a mal mérité
Car il en fut le premier accusé
Lui qui chante l'amour, à présent
II lui seyait davantage de lire les Psautiers
A l'église ou <le porter les chandeliers
Aux cierges ardents.
Notons au passage avec Appel que : << Lorsque
a Pierre d'Auvergne dans ses << Jeux et ris » com-
«( posa une chanson diffamatoire sur ses confrères,
a il ne ménagea, certes, pas les plus célèbres d'entre
u eux. Nous pouvons croire qu'il n'a pas voulu
u ouvi ir cotte liste avec un contemporain de peu de
« valeur. A ce titre, la place qu'occupe Pierre de
« Rogiers dans cette pièce remarquable mérite de
LUS TROUBADOURS CAXTALIEXS 345
« retenir notre attention sur la vie et les œuvres
« de ce dernier » (1).
Se sentant jeune, bien fait de corps, dispos d'es-
prit, d'humeur aventureuse, une fringale d'amour an
cœur, notre jeune Chanoine, tout comme son col-
lègue Yellave Pierre Cardénal, qui fut en situation
identique, reconnut qu'il n'avait rien des vertus
nécessaires à un dignitaire ecclésiastique. Honnête-
ment, il déposa camail et aumusse, abandonna sa
stalle, pour aller courir le monde, jeter à tous les
échos les gais couplets de ses chansons. Il marcha
droit à la « Méditerranée voluptueuse » et c'est dans
la plus vieille et la pins illustre cité Méridionale,
dans la capitale de la Narbonnaise Romaine, dans
cette Narbonne encore imprégnée de la sensualité
Sarrazine, qu'il alla chercher l'amour, trouva le
bonheur et le désespoir de sa vie.
Aymeric II, Vicomte de Narbonne, était tombé
glorieusement en Espagne sous le cimeterre Sarra-
zin, à la bataille de Fraga, en 1134. Il ne laissait
pour ceindre après lui sa couronne vicomtale qu'une
fille ; mais cette héritière de la Vicomte Narbonnaise
(-1) Appel: Pierre Rogier, loc. cit.
IUBADOUKS < ANTALIENS
avait prouvé déjà qu'elle valait un homme! Encore
squ'une fillette en 1 L28, elle s'était mis.' délibéré-
ment à l;i tête des troupes «1»' renforl qui allaient
secourir la ville de Tortose assiégée par les Barra:
zins. 1rs avait conduites à l'ennemi et pen<Jan1 la
mêlée, les excitait de la voix e1 de L'exemple. S
tation, la nouvelle Clorinde prit, à la mort di
son père, la direction des affaires qu'elle conduisit
en nomme d'Etat consommé, se jouant des diffi-
cultés, obligeant ses puissants voisins, comme les
('unîtes de Toulouse on de Montpellier, les vois eux-
mêmes, à compter avec elle. Elle épouse, en 1 L42, un
grand seigneur Espagnol <i"i ';l laisse veuve, sans
enfants, an bout de trois ans de mariage. Se refu-
sant désormais à une nouvelle union, elle se consa-
cra tout entière à la politique et an gouvernement
- Etats.
En il"», le roi de France Louis VII, le Jeune,
traversant la Narbonnaise, Ermengarde le reçoit
royalement. Su cour peuplée de damoiseaux, de
damoiselles, de Troubadours et de -Jongleurs déploie
un faste inconnu sur les bords de la Seine, multiplie
fêtes et divertissements en l'honneur du monarque
Français. Tout en remplissant avec une grâce sou-
LES TROUBADOURS CANTALIENS :-!47
veraine ses devoirs de maîtresse de maison, la
Vicomtesse de Narbonne réalise un plan mûrement
conçu, profite de la présence du roi de France pour
faire disparaître à son profit l'interdiction qui mar-
quait le mieux l'infériorité de la femme, même assise
sur un trône. La loi Romaine, toujours strictement
observée en Narbonnaise, interdisait expressément
à la femme de siéger comme juge dans aucun Tri-
bunal. L'Empereur Constantin avait renouvelé cette
défense dans un édit célèbre que Justinien, l'impé-
rial législateur, avait introduit dans son Code, édic-
tant les peines les plus sévères contre sa violation.
Sur toute Terre régie par le Droit écrit, aucune
femme, si omnipotente qu'elle fut et maîtresse héré-
ditaire du sol par droit de naissance, ne pouvait
exercer la prérogative si prisée des seigneurs, au
Moyen Age, de rendre en personne la justice à ses
vassaux.
Avec une habile générosité qui, au fond, ne lui
coûtait pas grand'chose; Ermengarde offre au roi de
France un cadeau princier bien fait pour séduire le
Capétien dont la suzeraineté était si fictive sur le
Midi des Gaules. Elle lui abandonne en toute pro-
priété tous les territoires que les Archevêques de
1.1 - TB01 BADOl BS CAKTALIEN8
Narbonne avaient asurpés sur les droits des
Vicomtes. Geste hardi pour l'époque, de la part
d'une femme surtout, et qui décèle déjà cette anti-
pathie Méridionale pour la théocratie, sou horreur
de \<>ir le pouvoir spirituel et la puissance tempo-
pelle concentrés dans les mêmes mains. Le puissant
Archevêque Narbonnais s'indigne, brandit les
foudres de l'Eglise; Ermengarde, Impassible, n'en
a cure, marche sans se laisser intimider au but
qu'elle peut atteindre. Enchanté de devenir seigneur
effectif dans la riche Narbonnaise où son autorité
nominale est a peine admise, le roi de France
accepte le cadeau h anticlérical >> de la Vicomtesse
mais «-H remerciement, il édicté en vertu de sa
puissance souveraine une Ordonnance royale par
laquelle il reconnaît expressément a Ermengarde le
droit absolu de rendre désormais elle-même la jus-
tice, de présider en personne les Tribunaux de ses
Etats. La galante réponse du roi Parisien à la
requête de la Vicomtesse mérite d'être rapportée
textuellement :
— « Chez vous les lois impériales ont gardé toute
(( leur inflexibilité; les coutumes de notre royaume
(< sont moins strictes. A défaut de mâles nous
LES TROUBADOURS CAXTALIENS 349
u admet tons les femmes à succéder et leur recon-
(( naissons le droit de régir et administrer leur
« héritage » (1).
L'énergique Vicomtesse de Narbonne donne an
Midi un bel exemple d'émancipation féminine qui
sera bientôt suivi dans le Nord où on verra Alix de
Montmorency conduire en personne une armée à
Simon de Montfort, Jeanne de Flandre vouloir
joindre à l'exercice du pouvoir le droit d'en revêtir
les insignes et porter l'épée nue. La femme du
XIIe siècle ne veut plus de la tutelle romaine; Che-
valiers et Troubadours, qui l'adulent de concert, lui
ont donné conscience de son empire; elle entend
l'exercer ailleurs que dans les tournois et les ('ours
d'Amour.
En 1162, le Pape Alexandre III (2) passe à Nar-
bonne; Hermengarde déploie pour Le recevoir un
faste inouï, donne au Pontife des fêtes d'une
(i) « Apud vos dccidentur négocia legibus Imperatorum; beni-
o gna longe est consuetudo regni nostri, ubi melior sexus defuerit,
« mulieribus succedere et hœreditatem administrai conceditur. »
Duchesne, T. IV.
(2) Roland Rainuce, 1159-1181. C'est ce Pape qui fit réserver par
le Concile de Latran, tenu en 1179, aux seuls cardinaux, le privi-
lège exclusif d'élire le Pape et au Pontife romain seul, à l'exclusion
des evêques qui l'avaient exercé jusque là, le droit de canoniser
les saints.
350 S I BOI BADOl RS I \N TALIENS
incroyable magnificence. .Mais ces pompes exté-
rieures ne lui tour jamais oublier ses devoirs de
Chef d'Etat qu'elle remplit toujours avec la plus
diplomate habileté. Le jeune Emeric de Lara (1), fils
aîné de sa sœur Ermeninde, mariée à Don Manrique
de Lara, qu'elle avait adopté pour héritier en 1177
et élevait auprès «relie, étant mort Tannée même
• le s<>n adoption, le comte de Toulouse invoqua ses
droits «le suzerain, déclara s'opposer a une adoption
nouvelle et entendre qu'à la mort d'Hermengarde la
Xailionnaise fit retour au Comté de Toulouse et y
tin incorporée. Informée «le cette prétention, la
Vicomtesse met en œuvre les ressorts de sa diplo-
matie, t'ait habilement comprendre à ses voisins : le
comte <le Montpellier, le roi d'Aragon, les vicomtes
de Nîmes el de Carcassonne tout ce qu'a de périlleux
pour eux-mêmes l'ambition Toulousaine. Une ligue
est conclue qui oppose an Toulousain un si formi-
dable bloc que celui-ci « doit renoncer a ses desseins
et se déchirer battu avant même d'avoir essayé de
combattre ».
Telle était la souveraine habile, intelligente et
(i) Pierre de Rogier en parle dans sa troisième chanson et l'ap-
pelle " Aimeric-lo-Tos » — le Jeune — . Appel fait remarquer qu'on
rtain par là que cette chanson est antérieure à 1 1 77.
LES TROUBADOURS GANTALIENS 351
ferme à, laquelle le jeune chanoine démissionnaire
de Clerinont, le Troubadour Cantalien Pierre de
Rogiers venait faire hommage de ses chansons et
demander un asile à sa ( Jour.
— « E venc s'en a Narbona, en la cort de
« madomma Ermengarda qu'era adoncs de gran
« valor e de gran pretz et ella l'aculhit fort e l'onret,
<< l'ill fetz grans bes ».
11 s'en vint à Narbonne à la Cour de dame Ermen-
garde qui y régnait alors, femme de grande valeur et
de haute intelligence. Elle lui accorda le meilleur
accueil, le traita avec honneur et lui fit grand bien.
Sous cette souveraine à l'intelligence si ouverte,
à l'esprit si affiné, lointaine aïeule d'Elisabeth d'An-
gleterre qui aura, au XVI0 siècle, plus d'un trait de
ressemblance avec la Vicomtesse médiévale, la Cour
de Narbonne était alors, non seulement la plus
fastueuse, mais la plus policée du Midi Grands
seigneurs et chevaliers y affluaient; Troubadours
et Jongleurs y rivalisaient de poétiques efforts pour
plaire à la princesse et capter ses bonnes grâces. On
a prétendu qu'Hermengarde n'était pas insensible à
ces adulations, n'aurait gardé qu'une froideur appa-
rente et, qu'en dépit de sa hautaine réserve, elle
352 LES TROUBADOURS CANTALIENS
avait connu, portes closes, à l'abri des épaisses
murailles <lu château Vicointal, les faiblesses de
cœur et 1rs défaillances féminines.
1 1 est certain qu'elle prit en goût Pierre de Rogiers
e1 que 1<- beau et aimable Troubadour Cantalien fut
bientôt en faveur marquée auprès d'elle. Ln bienveil-
lance pi incière Be traduisit par des Gadeaux el l'invi-
tation au poète de se fixer à Jïarbonne; mais rien
n'autorise h croire que Pierre ail été gratifié de pins
précieuses faveurs. « Attaché d'abord par les bien-
« i'aiis. «lit un de ses historiens, il le fut insensi-
(( blemenl bien plus encore par cette dangereuse
« passion dont les Troubadours ne savaient pas se
« défendre. Hermengarde devint l'objet <le son
« amour comme celui <le ses vers » (1).
< v fut dès lors pour Pierre <le Rogiers une vie de
fièvre et d'ivresse. Son souci unique était d'obtenir
un signe d'approbation, d'amener, par ses chansons,
un sourire sur les lèvres de l'idole. << Ver de terre
amoureux d'une étoile >> eut-il dit volontiers; sa
hardiesse n'allait pas jusqu'à Introduire le nom de
l'aimée dans ses strophes! C'est sons le voile discret
1 1 ) Millot, loc. cit.
LES TROUBADOURS OANTALIENS 353
du pseudonyme qu'il célébrait ses charmes (1).
<( Tort n'avez » est une expression de la langue
romane qui ne contient pas seulement une appro-
bation du passé et du présent, mais est encore nue
sorte de confiante affirmation que l'être adoré ne
peut se tromper, prendra en toutes circonstances la
décision la pins sage et la plus opportune. C'est par
ce mystérieux << Tort n'avez » qu'il désigne la
Vicomtesse Hermengarde dans les huit chansons que
nous connaissons seules de toutes celles qu'il consa-
cra il célébrer se dame.
Au contact de cette femme supérieure, nous dit
Pierre de Rogiers, les gens les plus frustes s'affinent.
Il se reconnaît indigne d'être aimé de cette grande
dame, si infiniment supérieure à lui, plus encore
par le mérite que par la naissance, niais l'Amour,
qu'il fait intervenir dans son poème, l'encourage à
se rendre digne par des qualités éminentes des bon-
ci) L'usage de ne désigner sa dame que par un pseudonyme,
un « senhal », — signal, — comme on disait, remonte au premier
Troubadour Guillaume de Poitiers, et fut constamment observé.
Bernard de Ventadour appelle la sienne « Bel-Vezer » (Belle-Vue)
ou « Magnet » (Aimant), Rigaux de Barbezieux « Miels de Dom-
na » (Mieux que Dame), Bertrand de Boni « Miels de Ben »
(Mieux que Bien) ou « Bel-Miralh » (Beau Miroir).
rROUBADOl RS CAXTALIENS
tés d'une femme aussi parfaite. Il craint de ne pas
être aiméj confesse n'avoir obtenu encore aucune
faveur; mais l'Amour lui montre l'Espérance, récon?
fort et soutien des amants fidèles et lui donne cefj
sages conseils :
— « Amants insensés! Trop d'empressement au-
« près de vos amies vous tourmente. Les querelles
a que vuiis leur faites, l'habitude de les épier avec
<< une curiosité jalouse vous font devenir insuppop-
<< milles. Ce n'esi poinl là de l'amour: Quand on
.. aime bien, eut-on entendu, eut-on vu quelque
« chose au désavantage de son amie, on ne doit
« croire ni ses oreilles ni ses veux. »
Faut-il s'étonner que la Vicomtesse ait témoigné
quelque bienveillance à un poète qui professait, en
tenues harmonieux, «les théories si bien faites pour
lui concilier la sympathie de toutes les femmes
ravies de n'avoir qu'adorateurs accommodants, tou-
jours pré; s a excuser leurs jures imprudences. Her-
mengarde lui ménagea, sans doute, d'autant moins
les marques de bonté, qu'elle étail probablement à
mille lieues de supposer qu'elles pussent tirer à
LES TROUBADOURS (ANTALÏENS 355
conséquence, encore moins donner matière à maligne
interprétation.
— (( Et el s'enamouret d'ella e'n fetz sos vers e
« sas chansons e ella los receup e'is près en grat e
(( el la clamava a Tort-n'avez ». Lonctemps estet
« ab ella en cort. »
Il s'énamoura d'elle, la prit pour thème de ses
vers et de ses chansons qu'elle agréa et auxquels
elle prenait plaisir. Il l'y nommait « Tort-n'avez ».
Longtemps il résida à sa cour.
Un pareil culte rendu à la Vicomtesse pendant
une longue période, ne pouvait passer inaperçu et
les gracieusetés dont la dame récompensait le poète
ne pas exciter la jalousie de ses rivaux. Ceux-ci,
experts en la science de médisance et calomnie,
chuchotèrent discrètement, colportèrent en grand
mystère réflexions et propos méchants, appelèrent
l'attention sur de menus faits démesurément grossis
à dessein et malignement interprétés. Le bruit finit
par se répandre et l'opinion s'accréditer que Pierre
de Kogiers était le plus heureux des hommes, n'avait
plus rien à désirer î
L'abbé Millot paraît bien croire que la belle Her-
356 LES TBOUBADOl RS i WTAI.IKNS
mengarde partagea les feux dont brûlait le pilant
poète! — « < les sentiments délicats, dit-il, touchèrent
« la Vicomtesse; elle ne dédaigna pas les feux de
" son Troubadour. .Mais, comment échapper aux
« regards malins <l»-s courtisans? Les soupçons, les
« bruits fâcheux se répandirenl de toutes parts. »
(< E si l'un crezal qu'el agues joï d'amor d'ella,
<• «Ion clla en l'o blasmada per las gens d'aquella
o encontrada. »
L'opinion s'accrédita qu'il avail eu joies d'amour
d'elle, »•(• dont on La blâma forl dans le pays.
I >e caractère allier, toul entière an jeu de la poli-
tique el a scs combinaisons ambitieuses, la Vicom-
tesse de Narbonne dut être outrée de la calomnie.
Elle prenait plaisir, certes, a hunier l'encens que le
Troubadour brûlait en son honneur; mais entre le
délassant passe-temps que lui était le poète et le
souci de sa réputation, elle n'hésita pas et trancha
dans le vif. Pierre de Rogiers reçut l'ordre de quitter
Immédiatement la Cour de Narbonne pour n'y plus
reparaître. Désemparé, le cœur meurtri, le pauvre
poêle s'éloigna tout chagrin et s'en fut demander
asile et consolation à l'un de ses plus illustres
confrères, le Comte Raimbaud d'Orange.
LES TROUBADOURS CAXTALIENS 357
— (( E per temor del dit de la gen s'il det conyat
« el parti de si et el s'en anet dolens e pensius e
« consiros e marritz an Raeinbaut d'Aurenga. »
Par crainte des méchants propos du inonde, elle
lui donna congé et ordre de s'en aller. 11 s'en fut,
en effet, tout dolent, en grande peine et souci, abso-
lument navré et se rendit auprès de Raimbaud
d'Orange.
Si Pierre devait garder au cœur jusqu'à la mort
l'inguérissable blessure, continuer à nourrir son
incurable et impossible amour, cet épisode ne paraît
avoir été qu'un incident tôt oublié et sans portée
dans la vie d'Hermengarde. Si tant est qu'elle ait eu
quelqu'attirance pour le beau Troubadour Cantalien,
elle réfréna vite cette faiblesse de femme pour se
donner plus que jamais, tout entière, à ses devoirs
de chef d'Etat. Elle continua à gouverner la Vicomte
Narbonnaise jusqu'en 1192 où, lassée du pouvoir, elle
abdiqua en faveur de son neveu Pierre de Lara, frère
cadet d'Aynieric, dont on a vu la mort prématurée,
et se retira à Perpignan où elle vécut dans le repos
et la retraite jusqu'à sa mort en 119(1.
Raimbaud, Comte d'Orange, seigneur de Cour-
358 LES TROUBADOURS CANTALIENS
thézon, près d'Avignon, el de quantité d'autres
terres 1 1 I, appartenail à cette phalange de Princes
lettrés qui se piquaienl <le poésie et n'entenr
daienl p;is se borner vis-à-vis des Troubadours,
à un simple rôle de .Mécène, niais égaler encore
les plus fameux dans l'art de bien dire. Les
poésies de Raimbaud ne sont, certes, pas dénuées de
mérite, mais ce qui choque en elles est le ton maniéré
qui v domine. Amoureux de la recherche el de
l'obscurité, le Comte d'Orange prend pour du génie
les artifices de la forme et se croit Pi -lace des poètes
parce qu'il a réussi a Introduire le même mol ou nu
de ses dérivés dans chacun des quarante-cinq vers
d'un de ses poèmes ou que dans un autre il répète la
même expression à chaque strophe. La modestie
n'était pas son forl el il écrit sans sourciller : « Dé-
fi puis qu'Adam mangea la pomme, le talent de plus
iii" Raimbauz d'Aurenga -i fo lo seingner d'Aurenga e dt
" Corteson e de gran ren d'autres castels », dit son biographe.
Raimbaud d'< frange était fils puîné de Guillaume de Montpellier
d'Omelas, cadet lui-même du comte de Montpellier et de Tiburge
d'Orange. Il quitta le nom de Muntpellier-Omelas pour celui
d'Orange, avait rec;u pour sa part une partie de la Principauté
d'Orange avec le château de Courteson dont il fit sa résidence. Il
y mourut célibataire ver-> 1173 (Hist. du Languedoc, T. III, p. 799).
LES TROUBADOURS CAXTALIEXS 359
(( d'un qui mène beaucoup de bruit ue vaut pas uue
« rave auprès du mien ». Vivante autithèse de
Pierre de Rogiers, autant celui-ci est sincère dans ses
louanges à Herinengarde, a des accents déchirants
pour dépeiudre son désespoir d'être séparé de son
idole, autant Raimbaut ne trouve que de banales
exagérations, (pie la recherche très apparente de la
difficulté achève de gâter, pour traduire à la Com-
tesse de Die son amoureuse passion. Comme Pierre
de Rogiers, celle-ci nous apparaît sincère dans
l'expression de sa tendresse et l'on regrette presque,
en lisant ses belles strophes, qu'un homme aussi
maniéré et superficiel que le Comte d'Orange en soit
l'objet.
D'Orange, le malheureux Pierre avait les yeux
sans cesse tournés vers Xarbonne où il espérait tou-
jours être rappelé. Son chagrin, nous dit-il, dans
deux chansons, n'était que proportionné à la perte
immense qu'il avait faite ; il était dévoré par le déses-
poir jusqu'à en perdre le boire et le manger.
— « Ah! je le sens; les chagrins, les pleurs et les
(( tourments d'amour ne font point mourir! Je ne
« puis croire à la mort d'André de France puisque
360 LES TROUBADOURS CANTALIENS
« je vis encore! Nul pénitent, nul martyr n'a souf-
« fert tes maux qne j'endure! Puisse- je être l'esclave
a de celle qui me les cause, plutôt que de régner
ci sur le monde entier! Si je pouvais la revoir encore
« cette beauté! Elle réunit toutes les perfections,
« tous les charmes comme la mer reçoit les eaux de
« tou8 les fleuves. Oui, je voudrais être 1»' dernier
«. de ses esclaves ! »
Son ai tenir fut vaine et son espérance déçue. Her-
mengarde fut inflexible et ne consentit jamais à
revoir le trop compromettant Troubadour.
Il semble que s'il quitte le seul thème qui lui tient
rraiment a cœur, s'il ne (liante pas la beauté d'Her-
mengarde ou son désespoir d'être séparé d'elle, sa
verve l'abandonne et sa .Muse reste sans inspiration.
Son <( sirveiitcs », très connu et cité par son biogra-
phe médiéval, au Conite d'Orange pour le remercier
de son hospitalité est loin de valoir ses chants
d'amour i 1 i. Son séjour sur les bords du Rhône
i i i M. l'abbé Four, curé de Saint-Saury, arrondissement d'Au-
rillac, vient de publier une traduction de ce « Sirventés » dans « La
Croix du Cantal » du 4 décembre 1910. Il veut bien y relater l'ap-
parition prochaine de cette étude sur les Troubadours Cantaliens.
en termes d'une bienveillance dont nous le remercions sincèrement.
LES TROUBADOURS CAKTALIENS 3G1
paraît avoir été assez long. — « Loin- temps estet al>
« en Raembaut d'Aurenga ». — Il séjourna long-
temps auprès de Raimbaud d'Orange, dit la biogra-
phie d'Hugues de Saint-Cire. Le cœur lui manquait,
sans doute, pour s'éloigner davantage de Narbonne
et peut-être ne s'y décida-t-il que vers 11T.*> à la mort
du Comte-Troubadour.
Il s'en alla vers cette Espagne si accueillante aux
poètes, à la Cour de Castille et à celle d'Aragon.
— « E puois s'en partie de lui et anet en Espanka,
(< al» lo bon rei N'Anfos de Castela et ab lo rei
« N'Anfos d'Arago. »
Il quitta (Orange) et s'en fut en Espagne auprès
du bon roi Alphonse de Castille et du roi Alphonse
d'Aragon.
Le monarque Castillan qui régnait depuis 1158,
Alphonse IX, le Noble ou le Bon (1), malgré des
revers que devait magnifiquement compenser, en
1212, la fameuse victoire de Tolosa, trouvait le temps
(i) Une erreur d'impression, sans doute, fait dire à Chabaneau
P..., Alphonse VIII :« Ce souverain régna de 1126 à 1157, tout
occupé de ses guerres perpétuelles avec le Maure. Alphonse IX,
au contraire (1158-1214), fut un réel protecteur des Lettres ». La
simple concordance des dates indique que c'est de lui dont il
s'agit.
362 LES TROUBADOURS CANTALIENB
de s'occuper des Lettres dont il était un fervent, de
protéger Savants et Poètes et de fonder à Palencia
la première Université qu'ait eue d'Espagne. Il est
impossible de préciser la durée du séjour que fit
auprès de lui Pierre de Rogiers ni à quelle date il
passa à la Cour d'Aragon. Comme Pierre de Vie,
notre Troubadour élait originaire du Carladez
puisque les Vicomtes de Cariât étendaient leur suze-
raineté sur la terre où il était né (1). Cette origine
Carladézienne ne put que contribuer à rendre bien-
veillant à son égard le petit-fils de Douce de Carlat-
Provence, Alphonse IL roi d'Aragon et Vicomte de
( !arlat.
La beauté de la Vicomtesse de Narbonne avait
beau mûrir, sa taille s'épaissir, sans doute, et sa che-
velure passer tort probablement du noir au bla c, il
semble que Pierre auquel le séjour de Narbonne était
interdit ait voulu se rapprocher, au moins, de la
contrée où vivait son idole. Il quitta, noms dit son
(i) Cette circonstance n'a pas échappé à l'auteur du Nobiliaire
d'Auvergne qui écrivait en 1851 : « Tous ces personnages (Raim-
baud, Alphonse IX de Castille, Alphonse II d'Aragon, Raymond V,
Comte de Toulouse) tenaient par les liens du sang à la Maison de
Cariât, ce qui explique la présence de Pierre de Rogiers à leurs
Cours respectives et ils régnaient tous entre 1130 et 1197 ».
LES TROUBADOURS CANTALIENS 363
biographe, l'Espagne pour Toulouse où il reçut du
Comte le meilleur accueil.
— « E puois estit al» lo bon comte Raimon de
« Toloza quant li plac et el vole ac grau onor el mon
« tan com el i estet. »
Puis, il alla résider auprès du bon Comte Ray-
mond de Toulouse autant qu'il eut désir et plaisir
d'y rester. Pendant toute la durée de son séjour il
fut traité avec grand honneur.
Raymond V régnait à Toulouse depuis 1148. Ses
longs démêlés avec Henri II, roi d'Angleterre et duc
d'Aquitaine avaient absorbé une partie de son règne.
Le roi de France, Louis le Jeune, venait à son
secours, obliger le roi Henri II à lever le siège de
Toulouse, quand nous l'avons vu s'arrêter à Nar-
bonne. Depuis le traité de 1169, la guerre avec l'An-
glais, sans cesser absolument, avait pris un caractère
moins aigu et le fastueux Comte de Toulouse pouvait
se livrer à ses goûts littéraires, s'entourer, dans sa
capitale amoureuse du bien dire, d'une cour de
poètes envers lesquels il se montrait magnifiquement
généreux. Guilhem Azémar, fils d'un Chevalier du
château de Méruyeis en Gévaudan, Giraud Lo Ros,
364 LES TROUBADOURS CANTALIRNS
dont le père était un Chevalier Toulousain au ser-
vice du Comte, Pierre Raymond, issu d'une riche
famille de la Bourgeoisie Toulousaine, le fameux
Pierre Vidal qui avait rimé ses premiers vers, non
loin du Capitule, dans la boutique paternelle où les
siens i enaient commerce de pelleteries, étaient les
Troubadours attitrés de la Cour de Raymond V
dont Pierre de Rogiers vint grossir la phalange.
Les talents poétiques très réels de l'ancien Cha-
noine de ( ÏÏermont, sa renommée littéraire suffisaient
à lui assurer accueil flatteur de la part de Ray-
mond V et cordiale estime de ses confrères. Mais
ses chagrins d'amom*, sa fidélité à la Princesse, qui
l'avait banni de sa présence, le deuil inconsolable
qu'il gardait de son bonheur perdu, étaient singuliè-
rement rares en ce siècle de mœurs faciles où ratta-
chement du Troubadour à sa dame était moins réel
et profond que de simple parade. Ils nimbaient
Pierre de Rogiers d'une sorte d'auréole, le rendaient
sympathique à toutes les femmes, prédisposaient en
sa faveur, éveil huent même la curiosité des seigneurs
et; mués de pareil exemple d'une fidélité sans espoir.
On manque de détails sur le séjour de notre Trou-
LES TROUBADOURS CAKTÀLIENS 365
badour Cautalien à la Cour de Toulouse, peut-être y
séjourua-t-il jusqu'à la mort de Raymond V surve-
nue en 1194. Il y mûrit certainement la résolution
qui allait fixer définitivement sa vie.
Assimilant le vasselage amoureux à la vassalité
féodale, le Troubadour s'affirmait Thomme-lige de
sa dame jusqu'à la mort. — « Je suis votre bien,
vous pouvez me vendre ou me donner », affirme l'un.
— (( Je vous appartiens, vous pouvez me tuer si c'est
voire plaisir », déclare l'autre. En matière politique,
le défaut de protection de la part du suzerain ou son
impuissance à faire jouir son vassal du fief inféodé
entraînaient la rupture du contrat, aussi bien que le
défaut d'assistance au seigneur, le refus de service
militaire ou des redevances stipulées de la part du
tenancier du fief. Les Troubadours estimèrent sou-
vent qu'il en devait être de même en amour, déliaient
des liens volontaires pour courir à un vasselage nou-
veau. Ame tendre, nature ardente qui ne sait se don-
ner pleinement qu'une seule fois, Pierre de Rogiers
entendit ne consacrer désormais qu'à Dieu seul ce
cœur dont la Vicomtesse de Narbonne ne voulait
plus.
Le Troubadour n'était pas religieux de tempéra-
366 LES TROUBADOURS CANTALIENS
ment, avons-nous dit, nombre d'entre eux ont fini
pourtant dans le cloître, consacrant désormais leur
talent à chanter les louanges de Dieu. — « Le poète,
« au déclin de la vie, dit Anglade, examine s'il a
« bien employé le temps qui lui a été accordé et il
« demande grâce sinon pour le mal qu'il a fait, au
(( moins pour le bien qu'il a négligé » (1). Un compa-
triote de Pierre de Kogiers, Pierre d'Auvergne, le
satirique à la moi-sure si dure pour ses confrères,
aux oraisons amoureuses si ferventes et si libres, se
réfugiera en Dieu, au déclin de ses jours, et ses
poésies ne seront plus désormais que véritables
hymnes d'Eglise et pieux cantiques. L'un des compa-
gnons de notre Troubadour à la Cour de Toulouse,
Guilhem Azémar de Merueys, avec qui il passa pro-
bablement les dernières années de sa vie mondaine
et mûrit la décision que l'un et l'autre devait pareil-
lement réaliser, s'en fut aussi se réfugier au
cloître (2).
Pierre de Rogiers voulut, choisir son suprême asile
(i) Anglade: Les Troubadours, p. 201.
(2) Guilhem Azéma si fo de Gavaudan d'un castel que a nom
« Merueis.... E cant ac long temps vescut el se rendet a l'Ordre de
« Grammon e lait mori. »
LES TROUBADOURS CANTALIENS 367
dans une maison de prière vraiment fervente, où
l'austérité de la Règle monastique eut gardé toute
sa vigueur. Elles étaient rares, autour de lui, à son
époque, où le grand ordre Bénédictin lui-même, était
en décadence. Les Prieurés de Montaudon, les Ab-
bayes de Thélème pullulaient, les Monastères de
Citeaux étaient rarissimes! Un Ordre, nouveau
alors l'attira qui venait précisément de s'implanter
dans la région Toulousaine grâce aux libéralités de
son bienfaiteur le Comte Raymond V, celui des
« Grands-Montins », « les Bonshommes de Grand-
Mont ou Grammont », comme le peuple appelait par
vénération ces Religieux venus, de leur berceau
Limousin, se fixer dans leur nouveau Monastère de
Saint-Michel de Grammont, près de Lodève (1).
Etienne de Thiers, fils du Vicomte de cette ville
Auvergnate, né au château de Thiers en 1046, avait,
à l'âge de douze ans, accompagné son père en Italie.
Milon, Archevêque de Bénévent, originaire d'Au-
vergne, voulut garder auprès de lui le jeune homme
qui se lia d'amitié avec le Moine Hildebrand. Quand
(i) Cf. Grande Encyclopédie, T. XIX. Larousse art. Grammont.
Hist. des Ordres Relig. en France.
368 LES TROUBADOURS CANTALIENS
celui-ci fut devenu Pape sous le nom de Grégoire
VII, Etienne de Thiers obtint du Pontife autorisa-
tion d'aller appliquer en France la Règle monastique
que suivaient les Moines de Calabre. Il rentra
d'abord à Thiers, puis se fixa en Limousin, d'abord
sous la conduite de Saint Gaucher, en 1076, sur la
montagne de Muret (1), près d'Ambazac, dans la
région de Limoges où il mourut le 8 février 1124,
entouré de nombreux disciples. Pourchassés par les
Moines d'Ambazac, les fils d'Etienne de Thiers se
réfugièrent à Grand-Mont ou Grammont (2), non
loin d<- Muret, d'où ils tirèrent leur nom de « Grand-
montins ». Les Constitutions de l'Ordre, codifiées
en 1141 par le quatrième Abbé ou « Correcteur >
furent approuvées, à diverses reprises, par les Papes
et notamment par Célestin II qui les modifia en
1191.
C'est à cette époque qu'une colonie de Grammont
en Limousin vint créer, au voisinage de Lodève (3),
(i) Muret, commune d'Ambazac, arrondissement de L'moges.
(_') Grand-Mont ou Grammont, commune de Saint-Silvestre,
canton de Laurière, arrondissement de Limoges.
(3) Lodève appartenait, en 1194, à Alphonse II, roi d'Aragon,
du chef de sa grand'mère. Gilbert II, vicomte de Cariât, avait
LES TROUBADOURS CANTALIENS 369
dans la montagne, le Monastère de Saint-Michel
qu'on appela de Grammont, du nom de ses habi-
tants. Son Eglise conventuelle, son cloître roman si
pur, ses bâtiments claustraux, avec leurs curieux
contreforts, leurs portes et leurs fenêtres géminées,
à plein cintre, disent encore aujourd'hui, malgré
l'usage profane auxquels ils servent, depuis la Révo-
lution, la splendeur de cette Abbaye, l'élégante
richesse de cette demeure à laquelle Pierre de
Rogiers vint demander, avec Guilhem Azémar de
Merueys, le calme, le silence et la paix (1). Les deux
épousé en 1020 Nobilie de Lodève, fille unique d'Odon, vicomte de
Lodève et héritière de la vicomte désormais unie à Cariât. Douce
de Carlat-Provence porta l'une et l'autre en mi à Raymond-
Béranger-le-Grand, comte de Barcelone, grand-père d'Alphonse II,
roi d'Aragon.
(1) Saint-Michel de Grammont abrita une nombreuse colonie
monacale jusqu'en 1789. L'Abbaye, vendue alors, est devenue une
ferme et une maison de campagne. Une porte grandiose conduit par
une allée séculaire aux bâtiments claustraux en bon état de conser-
vation. L'église convertie en grenier à fourrage est romano-gothi-
que ; son clocher est surmonté d'un dôme à huit pans. Son cloître
roman très pur est digne d'attention. Les bâtiments claustraux ont
conservé touf leur caractère. La longue salle capitulaire, voûtée
en berceau, est soutenue par des arcs à boudins ; la belle salle
ogivale dite « Chambre de l'Evêque » est d'une rare élégance. La
Lçade Romane donnant sur la cour est très curieuse avec ses
contreforts, ses portes et ses fenêtres bien conservées. La façade
occidentale et celle donnant sur le cloître avec leurs fenêtres à
g i ROI B LDOI R8 I ANT \UI\s
Troubadours durent faire partie de la première géné-
ration Monacale de Grammonl puisqu'ils y prirénl
le froc, au plus tard, en l L94.
— 0 Mas pois se rende! a l'Ordre de Grammon
■ lai cl fenic. »
il se retira ensuite au Monastère de Grammont
<•! v termina Bes jours.
Pierre promena-t-il longtemps ses tristes rêveries
nous les arcades «lu cloître Roman «le Saint-Michel de
Grammont que 1<* temps ;i respectées? — La vieille
"a l'on engrange aujourd'hui les recolles,
entendit-elle les sanglots étouffés de l'amant de la
belle Eermengarde ou, an contraire, jouit-il plei-
aemenl bous ses routes, aux heures d'oraison, de la
grande paix enfin descendue en lui. Si les bruits du
inonde expirenl au seuil «1rs Monastères, tristesses
<■! joies, sanglots el sourires, cris de révolte et
chants d'allégresse de ses reclus volontaires trans-
pirenl moins encore au delà des saintes clôtures!
Pierre de Rogiers, Troubadour amoureux, poète
aimé -les grandes dames et choyé des rois, devenu
.Moine d.- Grammont n'appartient plus à l'histoire.
meneaux ont dû être remaniée-. Tout l'ensemble est des plus
intéressants. L'église ou le cloître doivent fort probablement garder
sous leurs dalles les cendres de Pierre de Rogiers.
Ebles de Saignes
XII - XIII
Le Troubadour Ebles, Comtour de Saignes, por-
tait un titre féodal, aujourd'hui disparu, presque
spécial à l'Auvergne, et qui a donné matière aux
interprétations les plus erronées. La plupart des
historiens de notre province penchaient à croire
que les « Comtour s » ou « Comptours » étaient
des fonctionnaires Carlovingiens chargés par te
pouvoir central de contraindre les seigneurs d'une
région à remplir leurs obligations militaires vis-à-
vis de la Couronne, les villes, bourgs et commu-
nautés à acquitter ponctuellement les impôts et
tailles royales auxquelles ils étaient taxés. De leur
office, équivalant presque à une charge de finance,
serait venu leur dénomination de « Compteurs, —
Comptours ». Kien n'est moins exact.
La dignité de « Comtor », — « Comitor » est
d'origine Catalane, ainsi que l'a si clairement mon-
374 LES TB0UBAD01 RS CAKTALÏESS
tré le Conseiller Boudet il). Diminntive de celle de
( 'ointe, elle plaçait celui qui en était revêtu entre
le Vicomte et le seigneur ordinaire, sur lequel il
avait la prééminence. Elle se répandit, des régions
Pyrénéennes, dans les Etats des Comtes de Tou-
louse, Marquis de Gothie, et c'est ainsi (prou trouve
en Saute-Auvergne les Comtours d'Apchon, Sai-
gnes. Giou, Dienne, Pleurât, Valrus; en Basse-
Auvergne ceux de Gignat, Murol, Saint-Nectaire,
Aubières, Oombronde; ceux de Xam en Uouergue,
de Montferrand en Gévaudan, de Chamboulive en
Limousin.
[/ancêtre direct de notre Troubadour. Amblard
d'Apchon, est le premier seigneur Auvergnat qui
ait adopte vers 1010, le titre de Comtour.
I>c race vicomtale Carlovingienne, mais privé,
par Tordre de naissance, de la fonction de ses
ancêtres, le puissant sire d'Apchon chercha à se
décorer d'un titre qui le maintînt au-dessus des
(i) Le monumental ouvrage du Conseiller Boudet, « Cartu-
lairc du Prieuré de Saint-Flour », paru en iqio. donne, sur
l'Auvergne Carlovingienne et ses familles de cette époque, les
renseignements les plus précieux, entièrement ignorés jusqu'ici.
— Voir l'étude qu'il consacre à l'origine des Comtours et à la
maison d'Apchon, P. CX à CXXXV.
LES TROUBADOURS CANÏALIKNS 375
autres seigneurs de la région. A la longue, ce quali-
ficatif finit par devenir, pour les barons d'Apchou
et leurs cadets, les Comtours de Saignes, une sorte
de distinctif patronymique (1).
Bâtie dans une vallée fertile au pied des monta-
gnes de la Sumène, la petite ville de Saignes a tou-
jours prétendu à ce titre de cité, bien qu'elle n'ait
jamais été ville close. Une énorme roche basaltique
à l'extrémité du bourg servait d'assiette au château
dont la chapelle ogivale, en excellent état de conser-
vation, une tour en ruine, des souterrains et une
citerne subsistent encore. La forteresse était jadis
considérable puisqu'elle contenait, au XVe siècle,
outre le fort proprement dit, des logements et des
réduits assez vastes pour abriter, en temps de trou-
bles, toute la population voisine. On sait encore qu'à
la même époque les habitations du Commandeur
d'Ydes (2) pour l'ordre de Malte, du seigneur de la
(i) Dict. Stat. du Cantal et Nobil. d'Auvergne de Bouillet aux
articles Apchon, Giou, Saignes.
(2) Sur la paroisse d'Ydes, limitrophe de celle de Saignes, exis-
tait une Commanderie du Temple, puis de Malte.
376 LES TROUBADOURS CANTALIENS
Bachellerie (1) et do la famille de Chapiton (2)
étaient adossées à ses remparts.
Un rameau puîné des puissants Comtours
d'Apchon (3) avait reçu on apanage la terre de Sai-
gnes antérieurement au XIIe siècle; il s'y perpétua
avec le titre de Comtour, posséda les terres voisi-
nes du Châtelet d'Antignac, de la Daille, de Rignac,
Cheyrouse, Trizac, Lieuchy, Luc, etc., vaste et riche
territoire englobant plusieurs paroisses, qui était
habituellement désigné sous le nom de « Comtou-
rat » ou « Comtoirie » de Saignes.
Le premier Comtour de Saignes connu par titres
(i) Famille noble originaire du Bas-Limousin, dont un rameau
s'était fixé à Saignes.
(2) Famille dont l'origine et le sort nous sont inconnus.
(3) La légende fait remonter l'origine de la maison d'Apchon
à un lieutenant de César qui aurait bâti le château d'Apchon et
celui de Hauteclair, plus tard Nonnette. 11 est certain qu'Amblard
Ier, Comtour d'Apchon, était un des plus puissants barons d'Au*
vergne en 998 et qu'il s'en fut à Rome se faire absoudre par
Silvestre II (Gerbert) des crimes qu'il avait commis. Cf. Dict.
Stat. du Cantal, T. I, P. 76 et suiv. Nobil d'Auv. T. I, P. 40
et suiv. — M. le Conseiller Boudet démontre, dans son Cartu-
laire de Saint-Flour, comment Amblard Ier, Comtour d'Apchon
en l'an 1000, était le descendant puîné d'Armand Lr, fils de
Cunabert, premier Vicomte qu'ait eu l'Auvergne en 895. Les
Vicomtes de Polignac en Velay et les Vicomtes de Cariât
seraient de la même race Vicamtale.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 377
est le grand-père de notre Troubadour : Ebles, Eu-
des ou Odon Ier, Chevalier qui vivait encore en 1187.
On le voit faire don, à cette date, de la villa de Mon-
teil, près de Chastel (1), à l'Abbaye de Valette (2).
Son fils Archambaud, Cointour de Saignes, fonde,
à son tour, en 1200, un anniversaire dans le même
Monastère; il paraît être mort vers cette époque
laissant deux fils : Pierre qui assista en 1201 au
traité intervenu entre le Comte-Dauphin d'Auver-
gne et Edmond de Brossadol et Ebles, Eudes ou
Othon II, Cointour de Saignes, « Eblès de Sai-
gnas », comme l'appellent les chroniques médiéva-
les. (3)
(i) Chastel-Marlhac, commune limitrophe de celle de Saignes.
L'ancien « Castrum Meroliacum » dont parle Grégoire de Tours,
assiégé en 532 par Thierry, fils de Clovis. C'est le premier lieu
habité de Haute-Auvergne dont il soit fait mention dans l'Histoire.
(2) L'abbaye de Valette, située sur la Comtoirie de Saignes,
commune de Menet, canton de Riom-ès-Montagnes. Valette a été
distrait au religieux en 1857 et au civil en 1871 de la commune de
Menet pour former une paroisse et commune indépendantes. L'ab-
baye de Valette avait dans son voisinage immédiat une fil. aie,.
l'Abbaye du Broc. De l'une et de l'autre, il ne reste que de
faibles vestiges.
(3) On trouve encore Geraud de Saignes, chanoine de Cler-
mont, de 1292 à 1299, Ebles ou Odon III, Comtour de Saignes.
époux de Gaillarde de Murât qui vivait en 1304 père d'Ebles et
d' Archambaud, mineurs en 1328, sous la tutelle de Bernard de
378 LES TROUBADOURS CANTALIENS
Il existe sur le littoral Méditerranéen, aux envi-
rons de Toulon, un village de Signe possédé au
X 1 1 Ie siècle par une branche cadette Vicomtes le
Marseille (1). Les auteurs de l'Histoire Littéraire
avaient fort arbitrairement imposé cette localité
pour berceau à Ebles de Saignes qu'ils dénom-
maient Ebles de Signe (Ebles de Signa) allant mê-
me jusqu'à supposer qu'il pouvait bien être un sei-
gneur de la maison des Baux (2). Tous aussi faus-
sement, ils supposaient que le château de Signe
la Tour. Ebles \ivait encore en 1351. Son descendant direct, Pierre,
Comtour de Saignes, n'eut de Simone de Poit'ers-Saint-Vallier
qu'une fille unique, Isabelle de Saignes, héritière de sa maison, qui
a avant 1464 Artorg, baron de Peyre, en Gévaudan, puis,
après 1471, Gaucher de Brancas. De son premier mariage, elle lais-
sa nombreuse postérité et c'est ainsi que la Comtoirie de Saignes
passa aux barons de Peyre. Astorg de Peyre mari d'Isabelle de Sai-
gnes en avait vendu tout ou partie, avant 1464, à Bertrand VI de
la Tour qui la comprit dans la dot de sa fdle mariée en 1469 à Gil-
hert de Chabannes, baron de Madic. Les descendants de ces époux
vendirent Saignes au XVIP siècle, à la maison de Lévis-Charlus
d'où elle passa aux La Croix de Castries qui l'aliénèrent à la
famille de Caissac de Laroqueveille laquelle en jouissait en 1789.
< Bouillet : Nobil. d'Auv., T. VI, p. 12, donne les sources à consulter
sur les Comtours de Saignes. Cf. Dict. Stat. du Cantal, T. Y.
p. 167).
(1) Papon : Hist. de Provence, T. III, p. 463. Signe, canton de
Beausset, arrondissement de Toulon (Var).
(2) Hist. Lett. T. XVIII. p. 643.
LES TROUBADOURS OANTALIENS 379
avait pu être « le prétendu siège d'une des préten-
dues Cours d'Amour » (1). Le savant auteur des
Biographies des Troubadours a démontré l'erreur
manifeste que Kaynouard et Bartsch ont reproduite
et irréfutablement restitué à la Haute Auvergne ce
Troubadour qui lui appartient.
Les trois manuscrits (2) qui nous révèlent les
talents poétiques d'Ebles de Saignes, celui de la
Bibliothèque Nationale aussi bien que ceux du Vati-
can et d'Esté, disent tous, sans hésitation permise
dans leur lecture, « Ebles de Saignas » et non pas
« de Signa ». Cet argument est déjà décisif; mais
un autre s'y ajoute qui le corrobore singulièrement.
Le Troubadour Pierre d'Auvergne parle d'Ebles de
Saignes, dans sa satire, en homme qui le connaît
tout autrement que par ouï-dire. On sent qu'il est
son contemporain et son compatriote, qu'ils appar-
tiennent tous deux à cette Ecole des Troubadours
Auvergnats qui se différencie nettement de celles
de Provence, d'Aquitaine ou de Languedoc. Ils ont
communs amis, ont dû se rencontrer aux réunions
(i) Chabaneau : Biogr. des Troubadour?.
(2) Biblioth. Nat. : Ms Français, 1592 et 174Q. Vaticane, Ms 5232.
Ms d'Esté, du XIIIe siècle.
360 LES TROUBADOURS I .\M.\l.li:\s
mondaines, aux assemblées poétiques de la province.
Le fait est d'autant plus vraisemblable que la
demeure d'Ebles de Saignes est située dans la partie
de la Haute-Auvergne voisine de la liasse, dans
cette région de l'arrondissement actuel de Mauriac
qui confine au Puy-de-Dôme et à la Corrèze. Au
XIIIe, comme aujourd'hui, Clermont-Ferrand était
bien plus qu'Aurillac, la ville importante la plus
voisine, de facile accès en toute saison, sans aucune
barrière montagneuse comme est le Lioran entre
Aurillac el Clermont par Murât.
Les appréciations de Pierre d'Auvergne sur ses
confrères sonl généralement satiriques et mordan-
tes; mais aucun n'est plus maltraité peut-être que
notre pauvre Troubadour. L'égalité était absolue
entre poètes, nous apprennent les chroniques;
vilains et barons se traitaient réciproquement en
égaux, dès qu'ils étaient en joute aux Cours
d'Amour, et les rois eux-mêmes, s'ils ambitionnaient
les lauriers poétiques, affectaient vis-à-vis de leurs
confrères en Gai-Savoir un ton de parfaite cama-
raderie (1). Le Comtour de Saignes avait-il man-
( i) Rois et Princes Troubadours se faisaient un point d'honneur
de faire partie de toutes les confréries et sociétés de secours mu-
tuels poétiques, affectaient de s'y faire traiter en simples confrères.
LES TROUBADOURS CASTALIEXS 381
que d'urbanité envers le Troubadour Clermontois,
critiqué ses vers ou l'avait-il supplanté auprès de
quelque belle? On serait tenté de le croire à voir
comment il traite Ebles de Saignes, lui refuse toute
valeur intellectuelle, persifle sa petite taille et sa
vilaine figure, l'accuse de basse cupidité et lui dénie
tout sens moral.
E'n Ebles de Sanhal dezes
A cui anc ben d'amor non près
Sitôt se canta de coiden
Vilanetz es e fais pages
E ditz hom que per dos poges
Sai se logua e lai se ven.
Le dixième est Ebles de Saignes
Oui oncques n'eut beaucoup d'amour
Dont les chansons donnaient mal aux dents.
11 était petit, vilain, faux page
Homme qui pour deux pougeois (i)
Ici se logeait, ailleurs se vendait.
(i) La « pougeoise », monnaie française du temps de St-Louis,
équivalait au quart du denier et au double de l'obole. On l'appelait
aussi la « Pite » ou « Poitevine ». Sous St-Louis. le denier d'or
valait 10 fr. 58 cent. La « pougeoise » représentait donc environ
2 fr. 65 centimes.
382 LES TROUBADOURS CANTALIENS
Ainsi, à en croire Pierre d'Auvergne, que son
esprit de dénigrement el sou caractère grincheux
avérés, rendent, heureusement pour Ebles, des plus
suspects, notre Comtour, petit nabot, chafouin
et mal miné, n'aurait jamais inspiré « beaucoup »
d'amour. S'il était vraiment de physique aussi peu
avenant que le prétend l'acerbe critique, la chose
parai! croyable; il reste la consolation d'espérer
pour lui qu'il sut se contenter de peu et que cette
part modeste ne lui fut pas refusée, a Est joli qui
plaît » assure le proverbe! Le plus fâcheux pour
Ebles est, qu'ainsi disgracié par la Nature, ni l'es-
pril ni le cœur ne compensaient chez lui, toujours
au dire de Pierre (l'Auvergne, cette absence totale
de béante. En le traitant de (( faux page )), le peu
charitable poète entend-il indiquer qu'il n'avait
d'aristocratique que la naissance, mais rien de cette
affabilité empressée auprès des dames, de cette
joliesse physique et de cette courtoisie déférente
qu'on demandait aux pages avant qu'ils ne devins-
sent preux chevaliers et rudes batailleurs? Reproche
grave, à cette époque, Ebles n'aurait eu rien de cette
insouciante désinvolture, de ce mépris de l'or qu'af-
fectaient les grands seigneurs, ses égaux. Bien loin
LKS THOUBADOUltS CANTALIENS 383
de faire largesse à ses confrères eu poésie, de payer
leur écot dans 'les hôtelleries, le noble Troubadour
restait, dans ses déplacements, Auvergnat économe,
ennemi des dépenses somptuaires, avaricieux même,
limitant ses frais d'hôtel à la modeste somme de
cinq francs trente centimes par jour de notre mon-
naie actuelle! Evidemment il devait, à ce prix, igno-
rer les « Palaces-Hôtels » du temps, ne fréquenter
que les auberges de troisième ordre! Pierre d'Auver-
gne lui en veut, saus doute, de ne l'avoir pas convié
et hébergé dans le « Royal Hôtel » de l'endroit,
quand ils se rencontraient aux Cours d'Amour de
PEpervier du Puv, aux joutes littéraires qui solenni-
saient à Clermont la fête de Notre-Dame-du-Port !
Comment et à qui le noble Comtour de Saignes
vendait-il ses complaisances? Consentait-il peut-être
à célébrer les beautés mûres, à chanter la vaillance
du plus couard des chevaliers au prix d'une journée
de pension à son auberge? Pierre d'Auvergne n'a
pas cru devoir nous le dire et eut été probablement
fort en peine de préciser sa médisance ou sa calom-
nie. A son avis, chansons ou « sirventés >> d'Ebles
ne valaient pas, au reste, plus de cinq francs trente,
puisqu'il les entendre, on grinçait des dents au point
384 LES TBOUBADOUBS CANTALIEHS
d'éprouver ces rages terribles que la verve populaire
compare, par antithèse, à celles de la passion et
appelle le a mal d'amour o ! La violence même de la
diatribe démontre son exagération, sinon son entière
fausseté. Retenons seulement qu'Ebles de Saignes
n'était probablement ni un Adonis, ni un Hercule^
que !<• manque de taille et «le forces physiques l'em-
pêchail de manier la lourde épée à deux mains avec
l'aisance des preux de sa race, il avait fait autre-
ment sa de, donné le pas aux travaux intellectuels.
Snl.i»'. rangé, économe, il détestait, sans doute, les
« pique-assiette », ne déliait qu'à bon escient les
cordons de sa bourse, préférait à la société de cette
o langue de vipère >> de Pierre d'Auvergne le tête-à-
bête avec le aoble chevalier Guilhem Gausmar qu'une
parité de rang social et une absolue communauté de
-ouïs lui avait fait prendre pour intime ami et colla-
borateur.
Celui-ci est, du reste, tout aussi mal traité par
l'impitoyable censeur Olermontois :
El seize- X "Elias Gausmars
Qu'es cavaliers es fai joglars;
E fai o mal qui loi consen
LES TROUBADOURS CANTALIENS 355
Nil dona vestirs bel- e cars.
Ou'aitan valrials aguers ar>
Qu'enjoglaritz s'en son ja cen.
Le seizième est Elie Gausmar (i)
Oui de Chevalier se fit Jongleur.
Mal fit celui qui ne consentit
A lui donner beaux et riches vêtements
Un pareil vaurien méritait le feu.
On en trouve déjà cent dans le métier de Jongleur
Ce cadet sans fortune de la maison de Grimoard.
s'était lié d'amitié avec Ebles de Saignes qui n'était
guère plus riche, verrons-nous, et de ces amicales
relations était née une collaboration. Elle est attes-
tée par une chanson composée de concert par les
deux amis, unique production poétique d'Ebles de
Saignes et d'Elie-Guilhem Gausmar qui soit venue
jusqu'à nous. Elle n'a rien qui fasse grincer des
dents; bien au contraire et tout permet de supposer
que si notre Troubadour Cantalien avait été le détes-
(i) Nous avons dit qu'Elie-Guillaume Grimoard Gausmar, était
d'origine Gévaudanaise et appartenait à la maison de Grimoard.
LES TROUBADOURS I àNTALIENS
table poète que prétend Pierre d'Auvergne, les Trou-
badours Les plus fameux <lc la région n'auraieni pas
songé ;i lui «le. lier leurs œuvres.
Garin-le-Brun, le Troubadour Vellave, s'était
spécialisé, avons-nous dil «huis la « Tenson ». Elle
vraiment jolie, toute empreinte d'une douce phi-
elle qu'il dédia ;i son ami Ebles de Saignes
sur La modération ej la légèreté dont il écoute, tour
à tour les conseils :
Nueg e jorn suy en pensamen
D'un joi mesclat ab marrimen;
E no sai a quai pan m'aten,
< (u'aissi m'an partit egualmen
.M (./ura e Leujaria.
Mezura m ditz suau e gen
Que lassa mou afar ab sen;
E 1 .eu j aria la'n desmen,
1" m dit/, si trop sen hi aten,
Ja pros no serai dia.
Mezura m'a ensenhat tan
LES TROUBADOURS CANTU.TKNS 3ST
Ou'ieu m sai alques guardar de dan,
De fol e de datz et d'afan ;
E sai ben cobrir mon talan
D'aisso qu'ieu plus volria.
Leujaria no m prez un guan,
S'ieu no fau so qu'el cor me man,
E tuelha e do, e l'aver s'an ;
Ouar qui plus n'a plus pren d'enjan,
Quan ven a la partia.
Mezura m'fai soven laissar
De manh rir'e de trop jogar,
Et me veda quan vuelh mal parlar;
E mantas ves, quan vuelh donar,
Ella m ditz que no sia
Leujaria m toi mon pensar,
E m ditz que per trop castiar
Non dey ges mon talan laissar;
Ouar, si tan fauc com poirai far,
Non er la colpa mia.
3 rROUBADOUBB t.ANTALIENS
Mezura m ditz que non domney
Ni ja per domnas non folley,
Mas, s'amar vuc-lli, esguart ben quey;
Quar, si penre vuelh tôt quan vey,
Tost m'en \ enra folhia.
Leujaria m mostr' autra ley,
Ou'abratz e percol e maney,
I". fôssa so qu'ai cor m'estey ;
Quar, si no fat/ mas tôt quan dey,
I ntre m'en la mongia.
Mezura m ditz : « Xo siescas
0 Ni ja trop d'aver non amas,
\i non dar ge* tôt so que as;
(( Quar si dava tôt quan mi plat
(( Pueys de que servi ria? ))
Leujaria m'estai de las
E dit/, me, e tira m pel nas :
« Amicx, ben lcu deman morras ;
(( E donex pus seras mes el vas,
(« Avers pueys que t faria? ))
LES TROUBADOURS CANTAI.IF.XS 380
Mezura m ditz suau e bas
Qu'ieu fassa mon afar en pas;
E leujaria m ditz : (( Que fas?
(( Fai ades aitan quan poiras,
(( Qu'el terminis s'enbria. ))
Messatgiers, lo vers portaras,
N Eblon de Senhas, e il m diras
Garins Brus lo '1 envia.
Al partir lo m saludaras ;
E dignas me, quan tornaras,
Ouais dels cosselhs penria.
Nuit et jour suis en pensée
D'une joie mêlée de tristesse;
Et ne sais quel sort m'attend
Qu'ainsi m'ont également partagé
Modération et légèreté.
Modération me dit doucement et gentiment
D'agir avec réflexion ;
Légèreté, elle m'en détourne,
390 LES TROUBADOURS CA MALIENS
Et me dit que si j'en ai trop,
Jamais preux ne serai.
Modération m'a tant enseigné
Que je me sais garder de tout danger,
De fol, de dés ou d'ennui ;
Et sais bien dissimuler ma volonté
Sous un plus grand désir.
Légèreté fait peu de cas de moi
Si je ne fais ce que le cœur ordonne,
Prends et donne en échange :
Car qui plus a plus cherche tromperie
Quand vient l'heure du partage.
Modération souvent me dissuade
De rire souvent ou de trop jouer,
Et me reprend quand je veux mal parler;
Et maintes fois, quand je veux donner,
Elle me dit de n'en rien faire.
Légèreté me ravit ma pensée
Et me dit que devant les reproches
Xe dois pas renoncer à mon désir,
LES TROUBADOURS CANTALIENS 391
Car si tant fais comme pourrais faire.
Ce n'est pas ma faute.
Modération me refuse d'être galant
Ou de courir après les dames,
Mais si je veux aimer, à moi de voir qui;
Car si je veux prendre tout ce que je vois,
Bientôt folie me saisira.
Toute autre loi me montre légèreté,
Baisers et cœur fidèle;
Et fasse ce qui te tient à cœur;
Car si ne fais tout ce que je dois,
Je n'ai qu'à entrer dans les ordres.
Modération me dit : (( Xe sois pas chiche
(( Et n'aime pas trop posséder,
(( Et donner tout ce que tu as ;
(( Car si je donnais tout ce qui me plait
(( A quoi cela me servirait-il .' »
Légèreté m'ôte de là,
Me disant, en me tirant par le nez :
Ami, reste demain bien léger.
3.92 LES TROUBADOURS CANTALIEXS
Modération doucement me dit tout bas
De faire mon affaire en paix;
Légèreté me dit : (( Que fais-tu?
(( Fais tout ton possible,
(( Jusqu'à ce que la fin s'ensuive. ))
Messager, ces vers tu porteras
A messire Eble de Saignes et tu lui diras
Que Garin le Brun les lui envoie.
En partant, de ma part tu le salueras;
Et dis-moi, à ton retour,
Lequel de ces conseils il choisira.
Ebles, supposons-le, tout au moins, à son honneur,
dut choisir la modération, lui qui était si modéré
dans ses dépenses! Peut-être n'y avait-il pas grand
mérite et faisait-il surtout de nécessité vertu,
comme il nous le confesse lui-même !
Gausmar lui ayant posé cette question:
N'Eble causetz la meillor
Ades, segon vostr' essien :
LES TROUBADOURS CANTALIENS 393
Lo cals ha mais cie pensamen
De consirier e d'eror
Sel que gran re den paiar
Ni pot ni vol hom esperar,
Ho sel c'a son cor e son sen
En dona pauzat, e re no fai que ill plaia? (i)
Messire Eble qu'estimez-vous le mieux
Aujourd'hui, à votre escient :
Celui qui a le plus de pensées,
De soucis ou de peines
Celui qui doit payer forte somme
Mais ne le peut et ne peut compter sur personne,
Ou celui qui a placé son cœur et ses pensées
Dans une dame, qui ne fait rien pour lui plaire.
Ebles fait à son ami cette franche réponse :
Guilem Gaimar, quand li deptor
Mi van après tôt jorn seguen,
(i) Publié par Raynouard : Choix de poésies originales des
Troubadours, T. V.
39 I LES l ROI BADOl BS ( ANTALIENS
L'uns me tira, l'autre me pren,
Et m'apelon baratador;
: volgr' esser mortz ses parlai',
'ieu no m'aus eu j lassa baisar,
Xi vestir bos draps cK' color,
I >uar hom nu m ve que sa lengua no m traia,
F. s'ieu d'amor trac mal. be stanh que m plaia.
llaume Gasmar, quand le créancier
.Me poursuit toute la journée.
L'un me tirant, l'autre me saisissant,
Appelé par tous escamoteur;
Je désirerais la mort sans parler
Ou demeurer là, sur place,
Ne pas revêtir bons draps de couleur
Car homme ne vois qui en paroles ne me trahisse,
Et si je souffre d'amour, c'est à ma fantaisie.
Notre pauvre Troubadour estime, en définitive,
que, pour si tyrannique (pie soit l'Amour, ses exi-
gences ue sauraient égaler celles d'un créancier, la
blessure d'amour-propre d'être éconduit par une
LES TROUBADOURS CANTALIENS 395
dame, équivaloir à l'humiliation de se laisser récla-
mer en vain une dette légitime ! Ebles était-il si dis-
gracié de nature qu'il ne pouvait obtenir le moindre
sourire féminin qu'en prodigant à sa Dulcinée
cadeaux ruineux et divertissements continuels aux
dépens de son nécessaire? Cadet de famille ne vivait-
il que des miettes de la table de son aîné ou un vieux
père avare le traitait-il en enfant prodigue? Autant
de questions insolubles. Il reste acquis, de son pro-
pre aveu, que notre poète était souvent en mal d'ar-
gent, anxieux du paiement de sa note d'auberge,
n'ayant jamais pu goûter le délicat plaisir de faire
largesses. Si comme tant d'autres de ses confrères,
il avait été courir le monde, la libéralité de quelque
grand prince lui eut, peut-être, empli le gousset,
mais issu de la grande race des Comtours, il eut cru
déchoir, peut-être, à devenir le pensionné d'un de
ses égaux. Ce type de seigneur besogneux a persisté
bien au delà du moyen âge, en Auvergne, et Ebles
de Saignes fait songer à ces gentilshommes de la fin
du XVIIIe siècle qu'on rencontrait les jours de
marché sur le « foira il » d'Aurillac.
Vêtus de bure, chaussés de gros souliers, ils s'en
venaient « à la ville », guidant eux-mêmes, le pique-
LES tBOUBADOUKS CANTAL]
bœuf <-u main, les maigres vaches qui traînaient
une minée charretée de h<u"s de chauffage valant
bien juste un éem Rien «e les differeneiail en route
<lt-s laboureurs leurs voisins. Mais. arriTés au « Por-
tai] St-Etienne ») ou à celui « du Buis »». à la « bar-
rière d'Arpajon •) <>u a celle i< <!«■ Tulle » ils remet-
taient l'aiguillon aux mains d'un voisin complai-
sant, tiraient d'entre les huches leur antique rapière
qu'ils ceignaient avec solennité, er. désinvoltes,
l'épée «mi verrouil, paradaienl au faubourg des Car-
mes, confessanl négligemment a leurs égaux plus
fortunés qu'ils étaient venus surveiiler <ui personne
la vente d'une coupe de bois! Jamais pauvreté ne
fut \ i
I
Tta cafte Loza
Dame de Casteldoze
Miniature extraite du manuscrit fr. 854
de la Bibliothèque Nationale
La Dame de Casteldoze
(Dona Casteldoza)
Na Castellosa
XIIIe
Le (( Caste! d'Oze » (1) érigeait jadis son impo-
sante masse à la cime d'un roc escarpé que bai-
gnaient, presque de tous côtés, les eaux de la rivière
d'Oze. Une étroite bande rocheuse, seule, le reliait
à la terre ferme, hérissée de défenses qui interdi-
saient l'approche de la forteresse de ce côté, le seul
vulnérable. Du promontoire qui lui servait d'as-
siette, il dominait les gorges sauvages où la rivière
d'Oze et le ruisseau de la Planquette ont creusé
leur lit, dans cette partie méridionale de la Haute-
Auvergne, région déserte aux plateaux dénudés,
couverts de bruyères, creusés, çà et là, de ravins
(i) L'orthographe véritable « Castel d'Oze » est indiscu-
table, mais elle revêt force variantes dans les titres antérieurs
au XVIe siècle. On trouve simultanément les formes suivantes :
« Oze, Ozon, Ozou, Osa, Auzol, Auzon » et fréquemment en un
seul mot : « Casteldoze ou Castddauzc ». Dict. Stat. du Cantal,
T. V, P. 330. — Bouillet : Nobil. d'Auvergne, T. V, P. 435. —
Chabrol : T. IV, P. 830. — Noms féodaux, P. 843. — Cour-
celles : Dict. de la Noblesse, T. III, P. 18g. — Baron de la
Morinerie, Notice sur Cabanes-Carlat. — Abbé Peyrou : Revue
du Cantal, Mars 1846.
Caste! d'Oze ou Casteldauze, pour employer la forme la
plus usitée, est aujourd'hui un lieu ruiné dépendant de la com-
mune de Sénezergues, cant. de Montsalvy, arr. d'Aurillac.
400 I-KS TROUBADOURS CANTALIENS
profonds, <l(»nt d'épais fourrés recouvrent les pentes
el cachent les précipices.
lu journal Oantalien donnait, en 184G, cette
romantique description du château qui vit naître
dans sos murs la première poétesse connue de
Haute- Au vergue :
. La rjvière d'Oze et le ruisseau de la Planquette
« lui faisaient un rempart de la mobile et verte
« ceinture de leurs eaux. C'était une sombre
<< presqu'île. Si vous avez jamais parcouru la
« partie méridionale de la commune de Seuezer-
« gués, si vous avez longé les tristes rives de l'Oze,
(( vous avez du être frappé du saisissant spectacle
a qui se déroulait à vos yeux, alors que vous aviez
(( escaladé le rocher à pic sur lequel gisent encore
« les ruines du formidable donjon. N'avez-vous p;is
«( été saisi d'effroi, en contemplant dans le ravin
« ces chaînes de roc, qu'on prendrait de loin pour
(( de cyclopéennes forteresses? N'avez-vous pas été
(( ravi d'extase devant ce merveilleux faisceau de
« prismes qui semblent défendre l'abord de la val-
ci lée et que Ton appelle vulgairement, dans le pays.
« Les Portes de l'Enfer »? Et ces immenses forêts
« de chênes ou de châtaigners, étages avec confa-
LES TROUBADOURS CANTALIENS 401
<( sion sur la montagne, semblables à une armée de
« Titans en marche pour escalader le ciel, quel
(( effet ont-elles produit sur vous? N'avez-vous pas
<( cru voir une de ces créations sublimes devant les-
<( quelles on reste bouche béante, une de ces mor-
te veilles qui effraient et qui attendrissent, à la
« fois, qui vous arrachent des larmes d'admiration
« et vous font entrer dans l'âme une épouvante
<i inexplicable?
« C'était en face de ces horreurs de la nature
« que les seigneurs de la contrée avaient fait bâtir
« leur féodale demeure. Pour mieux fortifier cette
« place, ils avaient employé toutes les ressources
(( que le génie de la défense avait successivement
« inventées : double enceinte, fossés larges et pro-
<( fonds, murailles épaisses et crénelées, meurtrières
<"< nombreuses, issues souterraines, tout cela contri-
<( buait à effrayer l'audacieux qui eut osé tenter
« l'attaque.
(( Toutefois, cette habitation, à l'intérieur si
« triste, avait été, tour à tour embellie par ses opu-
« lents possesseurs de tout ce que le progrès da
<■ luxe permet d'acquérir avec de l'or. C'était (au
<( XIIIe siècle) la résidence préférée d'Henri Ier
40;> LES TROUBADOURS CANTALIENS
(( Comte de Rodez, Vicomte de Cariât, qui, pour
« complaire à son épouse, Aglayette de Scorailles,
« menait y passer la belle saison. Cette intéressante
« amazone trouvait dans les forêts et les bois de
« Servan de quoi satisfaire son goût pour la chasse;
<« elle était heureuse quand les sons bruyants du
« cor encourageaient son infatigable meute, quand
<< la forêt retentissait de joyeuses fanfares, quand
« les échos de la montagne répétaient les sauvages
« grognements d'un sanglier aux abois. Aussi, le
a château d'Oze se ressentait-il de sa triomphale
(( munificence. Plus tard, Eustache de Beaumar-
« chais, en devenant possesseur de la place d'Oze,
<( ajouta aux ressources et aux agréments de la
« force mobile. Une garnison de soixante hommes
« d'armes y fut établie et ne contribua pas peu à
« la rendre formidable à ses voisins. Le belliqueux
« Archambault de la Roque en hérita à la fin du
(( XIIIe siècle; il aimait le tumulte des combats et,
« soit désir de se distinguer, soit besoin de faire
(( des conquêtes, il osait braver les chevaliers les
(( plus redoutés de la contrée » (1).
(i) Abbé Peyrou : Revue du Cantal, mars 1846. — Cet écri-
vain, plus amoureux de la légende que de l'histoire, suppose que
Castel d'Oze disparut, au XIVe, dans un incendie allumé au
LES TROUBADOURS CANÏALIKNS 403
Il est certain que les Comtes de Kodez, en tant
que Vicomtes de Cariât et Barons de Calvinet
furent les possesseurs originaires de Castel
d'Oze (1). Mais, il est non moins douteux qu'à titre
de Capitaines-Châtelains ou plus probablement de
vassaux détenant cette terre en fief, une famille,
qui en portait le nom, jouissait de Castel d'Oze dès
le haut Moyen Age; peut-être, même, notre poétesse
en fut-elle la dernière héritière. Nous laissons aux
généalogistes le soin de décider si ces primitifs
cours d'un festin. Il est plus probable qu'il fut détruit, à cette
époque, par les Anglais ou les Routiers. — Dict. Stat. du Cantal,
T. V, P. 331-
Ci) Castel d'Oze. comme son voisin Sénezergues. relevait en
fief de la B?ronnie de Calvinet, membre elle-même de la Vicomte
de Cariât. Par un traité de 1268, Henri II, Comte de Rodez,
Vicomte de Cariât dut céder la Baronnie de Calvinet. dont
mouvait Castel d'Oze, à Alphonse, Comte de Poitiers et de
Toulouse, frère du roi Saint Louis. Celui-ci en fit don, en juin
1270, à son Sénéchal, Eustache de Beaumarchais, Bailly des Mon-
tagnes d'Auvergne, Sénéchal de Toulouse et Carcassonne. Sa fille
Marie la vendit, en 1323, à Pierre de la Vie de Villemur. C'est,
sans doute, ce dernier qui aliéna Castel d'Oze à la famille de
Trémouille qui le posséda de 1335 à 1490 où il passa aux
d'Escaffre du Trioulou et par eux au XVIIe aux de la Roque-
Sénezergues. — La Marquise de Durfort-Boissières. héritière de
cette maison, vendit, le 29 juillet 1780, les ruines de Castel d'Oze
en même temps que la terre de Sénezergues, à M. Verdier du
Barrât dont le Comte de Sarret de Fabrègues est le représentant
actuel.
404 LES TROUBADOURS CANTALIENS
possesseurs effectifs de la forteresse d'Oze étaient
race autochtone ou issus des La Roque-Sénezergues,
implantés dans le château voisin, puînés eux-mêmes
de l'antique maison de Roquenatou (Roche d'Atton)
aux environs d'Aurillac.
L'enfance et la première jeunesse de l'héritière
de Castel d'Oze, « Doua de Casteldoza », comme
l'appellenl les Troubadours, ses confrères, s'écou-
lèrent au milieu de ce site sauvage et mélancolique,
dans cette sombre forteresse où elle était née entre
119.") et L205. Son mariage la transplanta à l'autre
extrémité de la Haute- Auvergne.
Dans la paroisse de Venteuges en Gévaudan (1),
sur l'extrême frontière de l'Auvergne, était un châ-
teau féodal dont la justice s'étendait sur plusieurs
lieux de notre province vers les paroisses de Des-
ges, Charraix et Pébrac (2). Ce château qui relevait
de Mercœur (3) avait donné son nom de Meyronne
(i) Venteuges, aujourd'hui commune du cant. de Saugues, arr.
du Puy (Haute-Loire).
(2) Desges, commune du cant. de Pinols, arr. de Brioude. —
Charraix, commune du cant. de Langeac, arr. de Brioude. —
Pébrac, idem. — L'arrondissement actuel de Brioude faisait, avant
1789, partie de l'Auvergne.
(3) Grande baronnie auvergnate dont le chef-lieu était à Mer-
cœur, aujourd'hui commune de Lubilhac, cant. de Blesle, arr. de
'Brioude, non loin de Meyronne.
LES TROUBADOfRS CAXTALTKXS 405
à une famille de chevalerie connue dès le XIIe siè-
cle. Au commencement du XIIIe, vers 1210 ou 1220,
son seigneur s'était croisé et avait pris une part
glorieuse aux expéditions d'outre-mer. Eu raison
de quelque fait d'armes dont le récit n'est pas venu
jusqu'à nous il avait rapporté d'Orient le surnom
de « Turc », récompense de ses exploits contre les
Infidèles, qu'il portait avec fierté et transmit à ses
descendants (1). C'est très certainement avant 1230
que Turc de Meyronne épousa l'héritière de Castel
d'Oze, la dame de Casteldoza, comme l'appellent les
Chroniques.
Turc de Meyronne avait-il perdu en Orient une
partie de ses charmes, était-il revenu de Palestine
ou d'Egypte, couvert de gloire mais aussi de cica-
trices et quelque peu mutilé? Ce rude sabreur, plus
habitué à frapper d'estoc et de taille qu'à rimer
>une (( canzon » et à plaire aux dames, était-il de
caractère rude et d'humeur difficile? Avait-il
dépensé outre-mer ses belles années de jeunesse et
(i) Bouillet : Nobil. d'Auvergre, T. IV, P. 131-132. Les histo-
riens modernes, reproduisant les copies fautives des manuscrits,
écrivent souvent « Truc » pour « Turc ». C'est incontestablement
« Turc » qu'il faut lire. On disait : « lo Turc d'à Mayrona » et le
surnom finit par devenir, pour le mari de la poétesse et sa
descendance, comme un prénom ou vocable patronymique.
4i Hi il s TROUBADOURS ( Wl'MllNS
était-il déjà vieux barbon quand il convola en justes
noces? On voudrait, pour l'honneur de sa femme,
trouver quelque excuse, découvrir, au moins, des
circonstances atténuantes à l'infidélité conjugale
qui a rendu célèbre la dame de Casteldoze, légi-
time épouse, mais femme peu aimante de Turc de
Meyronne! (1)
Le Dauphin d'Auvergne nous apprend, dans ses
ùsirventéê >> contre l'Uvêque de Clermont, que
notre seigueur avait gardé la fougue et Fhumeur
combative qui L'avaient, jadis, poussé aux expédi-
tions d'outre-mer et qu'il traitait volontiers ses voi-
sins tout comme s'ils eussent été Sarrazins de Pales-
tine.
Mus vai guerr amesclan plus que Turcs de Mai-
(( rona » (2).
I i i Ses amours avec Armand de Bréon n'avaient pas empêché
la dame de Casteldoze d'assurer la descendance de la maison de
Meyronne. Son Mis, Antoine de Mcyronne, seigneur de Meyronne
et de Lempdes, vivait en 1284 et son petit-fils Beraud. dit « Le
Turc », en 1317. Deux fils de ce dernier étaient l'un, Guy, Abbé
de Pébrac en 1357 et Eustache, Doyen des Chanoines de Brioude
en 1366. La maison de Meyronne dut s'éteindre peu après et ses
biens passer à celle de Taillac. Les Meyronne portaient comme
armes une aigle éployée.
(2) Poésies de Robert, Dauphin d'Auvergne, citées par Chaba-
LES TROUBADOURS CANTALIENS 40*
« Il va guerroyant sans cesse, pis que Turc de
« Meyronne. »
Querelleur de tempérament, retenu souvent peut-
être hors du manoir par d'incessantes chevauchées,
toujours occupé à venger quelque injure, notre
« Turc » traitait par trop, sans doute, sa femme en
sultane de harem, la délaissant au logis, ne récla-
mant brutalement ses droits qu'à sa fantaisie.
Humiliée et déçue, la jeune châtelaine, au cœur
tendre, éprouvant l'impérieux besoin d'aimer, cher-
cha consolation aux brutalités conjugales avec le
bel Armand de Bréon !
Entre les deux antiques cités de Murât et de
Blesle, une vallée fertile se creuse, arrosée par
l'AUagnon qui contourne la base du vaste plateau
basaltique sur lequel se dresse encore, toute muti-
lée, l'unique tour qui subsiste du grand château de
Mardogne (1). L'infime bourgade de Joursac, blot-
neau : Biogr. des Troubadours par Schultz, « Les poétesses Pro-
vençales ».
(i) Chabaneau a ignoré l'existence de Meyronne et cru que
Mardogne était la résidence de la dame de Casteldoze. Sans
connaître la situation exacte de Meyronne en Gévaudan-Velay et
la généalogie des Turc de Meyronne, Schultz constate l'erreur de
408 LES TROUBADOURS CAXTALIEXS
tie au pied du rocher, autour de sa modeste église,
a gardé toute sa rusticité médiévale taudis qu'à
quelques kilomètres, un village de cette commune,
Neussargues, sera bientôt une ville grâce à son
importante gare, d'où les touristes admirent, chaque
été, par milliers, les ruines du vieux manoir se pro-
filant, tout là-haut, dans le ciel.
Cette vaste table basaltique, d'où la vue s'étend
sur la Planèze et embrasse la chaîne Cantaliennej
aurait supporté, dit-on, à l'époque Gallo-Romaine,
un temple consacré à Mars et à Diane d'où la forte-
resse qui lui a succédé, à l'origine même de la féo-
dalité, tirerait son nom (1). Certains de nos généa-
logistes veulent que l'illustre maison de Bréon,
originaire d'une grande terre voisine de Besse (2),
ne l'ait acquise par alliance qu'au treizième siècle,
tandis que d'autres assurent qu'elle la possédait
Chabaneau, dans son savant ouvrage « Les poétesses Proven-
çales » — Die Provemalichen Dichterinnen », Leipzig, 1888. —
Il cite une charte intéressant le véritable Meyronne. (Teulet,
Layette du Trésor des Chartes, T. I, 116 B.)
m <> .Martis et Diance templum », Mardogne.
(2) Besse-en-Chandesse, petite ville ancienne de 2.000 habit.,
chef-lieu de canton de l'an-. d'Issoire (Puy-de-Dôme), à faible
distance de Mardogne.
LES TROUBADOURS CAXTALIENS 409
dès le onzième, et que le mariage précité ne fut que
la fusion de deux rameaux d'une même race (1).
Qu'il habitât son château de Bréon ou résidât
dans celui de Mardogne, le bel Armand de Bréon
pouvait aller rejoindre facilement, au galop de son
destrier, la dame de Casteldoze, au château de Mey-
ronne. Les détails nous manquent sur cette idylle
amoureuse dont les Chroniques ne nous révèlent
aucune péripétie. Il semble bien, pourtant, que ce
soit l'héroïne qui y ait mis le plus d'enthousiasme
et qu'elle justifie l'opinion qui veut que la femme
reste victorieuse, aussi bien dans l'intensité de la
passion que sur le terrain de la coquetterie et dans
l'art de plaire.
Si, dans une heure de dépit amoureux, Fran-
(i) Bouillet (Nobil. d'Auvergne, T. I, P. 325), veut que ce
soit seulement Morin II de Bréon qui soit devenu seigneur de
Mardogne, au milieu du XIIIe, par son mariage avec Françoise
de Rochefort. M. P. de Chazelles assure, au contraire (Dict. stat.
du Cantal, T. III, P. 190), que les Bréon possédaient Mardogne
dès le XIe siècle et que Françoise, unique héritière de la branche
aînée, dame de Mardogne, épousa son cousin Morin, chef du
rameau puîné. La maison de Bréon s'éteignit à la fin du XIVe en
Dauphine de Bréon qui porta la terre de Mardogne à son mari
Pierre de Tinières. L'aïeul de notre Armand, Armand Ier de
Bréon, s'était croisé en 1102 et avait assisté l'année suivante au
siège de Tripoli.
41" LES TROUBADOURS CAKTALIENS
«;i lis Irr grava, aux vitres de Chambord, la boutade
fameuse :
Souvent femme varie
Bien fol est qui s'y fie
d'autres psychologues, tout aussi experts du cœur
féminin, assurent que L'homme sera toujours infé-
rieur à la femme dans l'art d'aimer. En vain, selon
eux. mettra-t-il dans sa passion tout l'emportement
de ses énergies masculines, toute la fougue d'une
sensualité exacerbée; il se lassera, à la longue, de
l'inutilité de son effort. Bien rares sont les tenaces
qui ont vraiment aimé sans espoir, persisté jusqu'à
la mort dans une immuable fidélité qui ne fut pas,
au moins, faite d'émotivants souvenirs. A la femme
seule, assurent-ils, appartient le privilège exclusif
de cette persistance inlassable que rien ne rebute et
ne décourage Epuré dans son essence, ennobli dans
son objectivité, cet indéfectible amour s'enveloppe
de mystère et de silence, ne s'alimente que de sacri-
fices; il produit, alors, les grandes mystiques, les
héroïnes du dévouement qu'aucun péril n'effraie,
que l'ingratitude la plus noire laisse toujours
LES TROUBADOURS CANTALIENS 411
compatissantes parce qu'il se vivifie sans cesse à
une source inépuisable d'énergie.
Il n'avait rien d'aussi éthéré, semble- t-il, l'amour
de l'unique poétesse qu'ait produit la Haute-
Auvergne, au Moyen Age, et c'est en amante pas-
sionnée, désireuse d'être payée de retour qu'elle
« dépeint sa flamme » au trop insensible Armand
de Bréon! Elle est, certes, une grande amoureuse,
et les trois chansons que nous possédons d'elle ont
un caractère passionnel des plus caractérisés; mais
pour ardente qu'elle soit, sa tendresse garde une
forme plutôt soumise et implorante que dominatrice
et hardie qui fait dire très justement à l'historien
des femmes Troubadours : « Les Troubadouresses
« font montre de sincérité, d'affection qui confine
« parfois à la passion ardente et à la hardiesse;
(( seule, la dame de Casteldoze nous donne comme
« un écho de la condition soumise de la femme dans
« l'ancienne constitution Allemande. Elle supplie
« toujours son amant d'une façon humble et res-
« pectueuse » (1).
Cette tonalité différencie, en effet, la poétesse
(i) Schultz : « Die Provenzalischen Dichterinnen » — Les
Poétesses Provençales. Leipzig, 1888.
412 LES TROUBADOURS CANTALIENS
Cantalienne de ses vingt émules du douzième et
du treizième siècles : Azalaïs de Porcairagues reste
dans la pénombre, Beatrïx, Comtesse de Die, la
Sapho Proi ençale, fille du Dauphin de Vienne, tient
la tête de toutes 1rs poétesses médiévales avec ses
quatre chansons si tendrement amoureuses pour son
ami le «'mule Raimbaud d'Orange. Alamanda à
peine connue. La Comtesse Garsende de Forcalquier
dont l'ardent besoin d'aimer lui lit épouser à la
mort de son mari : le Comte Alphonse II <le Pro-
vence, deux Troubadours : Elias de Barjol, puis le
Comte Guy <le Cavaillon. Marie, Comtesse de Ven-
tadour, l'amie de Pierre de Vie et de Guy d'Ussel,
souveraine des Cours d'Amour, aussi sage que belle
et savante. Doua Lombarda, l'amie de Bernard
d'Armagnac. Isabelle «le Palaviccini célébrée par
Elias Caire] et qui alla se marier en Roumanie.
Almuc «le Casteldon ou plutôt Almodie de Châ-
teauneuf-Randou el Yseult de Capion à peine
connues. Tibors de Séranon (( aimée de grand
amour, fort honorée par tous les hommes de bien,
vénérée par toutes les femmes d'élite ». Agnès ou
Alaïs de Vedallana. Gormonde de Montpellier, dont
la longue réponse au « surventes » de Guilhein
La Dame de Casteldoze
Miniature extraite du manuscrit fr. 12474
de la Bibliothèque Nationale
LES IBOUBADOUBS CASTALIEKS 413
Figueira est un poème de belle envolée. Clara d'An-
duze, aimée d'Hugues de Saint-Cire, le biographe
des Troubadours. Jalouse de sa voisine Ponsa, elle
aima et haït Hugues tour à tour et. finalement,
cou i] ne elle le dit elle-même :
— « Longues furent leurs amours; ils eurent:
« beaucoup de querelles et se réconcilièrent sou-
(( vent ». Guillelma de Rosers, la Languedocienne
aimée du poète Génois Lanfranc de Cigala avec qui
elle échangeait des chansons. Biéris de Romans.
Gaudairence de Blancliemain dont les noms seuls
ont survécu sans qu'on sache1 rien de leur vie. Les
vingt-deux « causons, câblas et toisons » qui nous
restent des poétesses médiévales, insuffisantes pour
permettre d'apprécier pleinement la valeur litté-
raire qui les différencie, suffisent, au moins, à prou-
ver t|ue les Troubadours trouvèrent souvent dans la
clame à laquelle ils adressaient leurs vers de dignes
partenaires et que les réponses étaient parfois supé-
rieures aux déclarations des poètes énamourés.
Tant par le nombre de leurs œuvres qui sont
venues jusqu'à nous que par la valeur de ces
poèmes, auxquels des critiques autorisés ont été
jusqu'à accoler l'épithète de chefs-d'œuvre, la Pro
414 LES TROURADOURS CANTALIEXS
vençale Comtesse de Die et la Oantalienne dame
de Casteldoze restent privilégiées. On s'accorde à
considérer leurs œuvres comme ce que la Poésie
féminine ;i produil de plus parfait au Moyen Age.
Nous avons dit le charme preneur, la sincérité
séduisante qui se dégagent des poèmes de Béatrix
de Die (1) ; ceux de l'épouse de Turc de Meyronue
ne leur sont vraiment pas inférieurs. Les trois chan-
sons de notre amoureuse Oantalienne, ou, plutôt,
les trois odes erotiques qui nous restent d'elle,
dépeignent tontes trois le même sentiment. Elle
prie, elle sollicite son amant et se demande, sans
cesse, à elle-même, quel nouveau sacrifice elle pour-
rait lui faire pour le mieux captiver. Reconnaissons
avec les auteurs de l'Histoire Littéraire que ces
chansons sont : « toutes les trois pleines de poésie
« parce que le cœur qui les a dictées était apparem-
« ment plein d'amour » (2).
Le biographe du treizième siècle, Hugues de
(i) Biographie de Pierre de Rogiers.
(2) Hist. Littér., T. XVIII. — « On placera incontestablement,
ajoute l'auteur, la dame de Casteldoze à côté de la célèbre Com-
tesse de Die. Leurs poésies sont, sans contredit, les chefs-d'œuvre
des dames Troubadours. »
LES TROUBADOURS CANTALIENS 415
Saint-Cire, trace de notre héroïne ce très succinct
portrait :
— « Na Castellosa si fo d'Alvergne, gentils
« donma, moiller del Turc de Mairona; et amet
(( N'Arman de Bréon, e fetz de lui sas cansos. Et
« era una domna moût gaia e moût' euseignada e
« moût bêla. »
— « La dame de Castellose fut d'Auvergne, noble
« dame, femme de Turc de Mairone. Elle aima le
<( seigneur Armand de Bréon et composa ses chan-
ce sous à son sujet. C'était une dame fort gaie, fort
(( savante et fort belle. »
Tenons pour acquis que notre poétesse avait un
agréable caractère, qu'elle était d'esprit enclin à la
gaieté et d'humeur joviale ; ne chicanons pas davan-
tage sur sa science et admettons qu'elle était
savante pour son temps. Mais précisons ce qu'on
appelait une femme instruite, « moût enseignada »,
au début du treizième siècle. Cette4 instruction n'a
rien de commun avec celle <les « Femmes
Savantes » ou des « Précieuses ridicules » de
Molière; la dame de Casteldoze ne risquait pas
41 6 LES TROUBADOURS CANTALIENS
d'être embrassée par amour du Grec (1) ! La culture
intellectuelle, même chez la femme, était, à cette
époque, des plus rudimentaires ; l'enseignement le
plus raffiné donné aux plus grandes dames ne con-
sista il guère que : « dans la lecture de quelques
a romans, dans l'art des vers et de la musique et
u surtout dans le talent de la conversation et le
« ton de la bonne compagnie (2). Nous sommes
mieux documentés sur sa beauté grâce à deux
miniatures conservées à la Bibilothèque Natio-
nale (3). L'une et l'autre représentent la dame de
Casteldoze debout, déclamant, sans doute, une.de
ses poésies, le bras gauche étendu, la main ouverte
dans un geste familier aux orateurs, tandis que
le droit est reployé, la main à demi engagée dans
une ouverture du vêtement, au-dessous de la taille.
Somptueusement vêtue d'une robe rouge à traîne,
au corsage ajusté, enrichi de broderies, elle se drape
dans un manteau d'étoffe bleue bordé de vair, cette
fourrure si appréciée au Moyen Age, dont les grandes
(i) « Pour l'amour du Grec, souffrez qu'on vous embrasse » —
Molière.
(2) Hist Littér., T. XVIII.
(3) Manuscrits Français, 854, folio 125, et 12.473, folio no.
LES TROUBADOURS CANTALIBKS 41 ;
dames agrémentaient fréquemment leurs costumes
cle cérémonie.
C'est en ces somptueux atours qu'elle aurait
paru, au dire du Dictionnaire statistique du Gan-
tai à la Cour d'Amour tenue au château de Pîer-
iœfeu, près de Saint-Remy en Provence (1) et s'y
serait consolée de la froideur et des dédains d'Ar-
mand de Bréon en agréant les hommages d'un
fervent adorateur de ses charmes, Pons de Mérin
dol. Ce Troubadour Provençal, dont rien ne nous
est parvenu, était seigneur de Mérindol au diocèse
dA.pt (2). Pierre de Chasteuil-Gallaup nous l'as-
sure d'après un manuscrit de 1307 dont il donne
cette citation :
(( Pons de Mérindol si f«> im gentils castelans de
« Proensa, seignier de Mérindol, que es en riba de
I Durensa, valens cavaliers, lares, bons guerriers,
« ben avinens e bon trobador. Enamoret se de Na
(( Castelosa, gentil douma cVAlvergne que era en
« la cort de la reina Beatritz de Proensa, que lo
(( amet et fetz de lui mantas bonas cansos; et era
(i) Arr. d'Arles.
(2) Cant. de Cadenet, arr. d'Apt (Vaucluse).
418 LES TROUBADOURS CANTALIENS
(( la domna mont gaia, moût enseignada et moût
« bella » (1).
Pons de Mérindol était un noble seigneur de Pro-
vence, possesseur de la terre de Mérindol sur les
rives de la Durance, preux Chevalier, généreux,
vaillant guerrier, d'extérieur agréable et bon Trou-
badour. Il s'énamoura de la dame de Casteldoze,
noble dame d'Auvergne qui était à la (Jour de la
reine Béatrix de Provence. Elle l'aima et fit sur lui
maintes bonnes chansons, ('ci le dame était fort gaie,
très savante et infiniment belle.
Qu'une invincible attirance ait entraîné la
femme du trop brutal Turc de Meyronne vers le
beau et doux Armand de Bréon, le contraste per-
met de plaider les circonstances atténuantes en
faveur de sa tiédeur conjugale; mais utiliser un
voyage littéraire en Provence pour y chercher un
nouvel amant, ce n'est plus excusable faiblesse de
cœur mais dévergondage tout pur! Elle descend du
(i) P. de Chasteuil-Gallaup : « Discours sur les arts triom-
phaux dressés en la ville d'Ai.x », 1731 P. 34. Cet écrivain
prétend avoir tiré cette citation d'une copie d'un manuscrit du
Louvre qui datait de 1307. P. Meyer la considère comme apo-
cryphe (Romania, T. XII, P. 404). Chabaneau qui l'enregistre,
P. 96, parait partager cette opinion.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 419
coup de son rang- de grande amoureuse pour se
perdre dans la foule vulgaire des passionnelles!
Heureusement pour elle, sa défense est facile et la
simple juxtaposition des dates suffit à démontrer
l'impossibilité matérielle de l'accusation et à la laver
de cette calomnie.
Il y a bien eu une Corn- d'Amour tenue à Pierre-
feu, mais un .siècle après la mort de Dona Castel-
doza et les noms qu'indique le grand mystificateur
Nostradamus ou Jean de Nostre-Dame, sont de
pure fantaisie tant pour la Cour d'amour de Roma-
ni n que pour celle de Pierrefeu. Un séjour de notre
poétesse Ointalienne à la Cour de Béatrix de Pro-
vence n'est pas moins controuvé. Il faudrait l'y
conduire quasi-centenaire !
Raymond-Bérenger V, Comte de Provence, der-
nier héritier mâle de Douce de Carlat-Provence,
Tomtesse de Barcelone, mourut sans laisser d'autre
héritier que ses quatre filles : Marguerite, femme de
Saint Louis, roi de France, Eléonore, reine d'Angle-
terre, Saneie, femme de Richard, empereur d'Alle-
magne, et Béatrix, héritière désignée par son père
des Comtés de Provence et de Forcalquier dont le
roi d'Aragon, le Comte de Toulouse et Charles
420 LES TROUBADOURS CANTAL1EXS
d'Anjou, frère cadet de Saint Louis, briguaient la
main. Blanche de Caatille, bien qu'elle rendit par-
faitement malheureuse sa belle-fille, sœur «le l'héri-
tière de Provence (1), réussit, par promesses, me?
(i) Saint Louis qu'on verra (Biographie d'Astorg d'Aurillac)
très ferme, entêté même, dans ses projets, resta toujours « très
petit garçon » devant sa mère dont l'esprit autoritaire le dominait
entièrement. Or, Blanche de Castille était, dans toute la force du
ttrme. «< une belle-mère » pour Marguerite de Provence. Il faut
lire dans Joinville les détails de la vie intime du saint roi terro-
risé par ^a mère !
— « Les duretés que la reine Blanche fit à la reine Marguerite
« furent telles que la reine Blanche ne voulait pas souffrir, autant
" qu'elle le pouvait, que son fils fût en compagnie de sa femme,
" si ce n'est le soir quand il allait coucher avec elle. A Pontoise,
" les appartements du Roi et de la Reine, placés au-dessus l'un
" de l'autre, communiquaient par un escalier tournant. Ils se
" donnaient rendez-vous dans cet escalier! Et ils avaient ainsi
« accordé leurs besognes (avaient pris telles dispositions) que,
" quand les huissiers voyaient venir la reine Blanche dans la
« chambre de son fils, ils battaient les huis (portes) de leurs
« verges et le roi s'en venait courant dans sa chambre pour que
« sa mère l'y trouvât. Et ainsi faisaient à leur tour les huissiers
« de la chambre de la reine Marguerite quand la reine Blanche
« y venait pour qu'elle y trouvât la reine Marguerite. Une fois,
« le roi était auprès de la reine sa femme, et elle étaît en très
« grand péril de mort parce qu'elle était blessée d'un enfant qu'elle
" avait eu. La reine Blanche vint là et prit son fils par la main
« et lui dit : « Venez-vous-en; vou: ne faites rien ici ». Quand la
« reine Marguerite vit que sa belle-mère emmenait le roi, elle
« s'écria : « Hélas vous ne me laisserez voir mon seigneur 'ii
« morte ni vive ! » Et alors elle se pâma. On crut qu'elle était
« morte, et le roi qui crut qu'elle se mourait, retourna et, à
« grand'peine on la remit en point. » — Joinville, cité par Charles
Roux : « Aiguës-Mortes », P. 183.
LES TROUBADOl KS ( \NTALIENS 421
naces et corruption, à séduire les Provençaux et à
créer un courant d'opinion en faveur de Charles
d'Anjou. Sous prétexte d'assurer la liberté de la
jeune héritière, le frère du roi de France passa en
Provence à la tête d'une armée et finalement,
épousa à Aix, en 1245, la jeune Comtesse Béatrix.
Ce ne peut donc être que postérieurement à cette
date que la dame <lo Casteldoze serait vomie à la
Cour d'Aix. La matérialité du voyage n'est pas
impossible; mais ce qui parait absolument impro-
bable, c'est que la poétesse < Jantalienne, qui frisait
alors la cinquantaine si elle ne l'avait même déjà
franchie, ait pu enflammer Pons de Mérindol, qu'elle
ait conservé elle-même, mieux que « la femme de
quarante ans » de Balzac, une incandescence vrai-
ment... exagérée. Il nous plaît de croire, plutôt,
que la peu enthousiaste mais très fidèle épouse du
Turc de Meyronne donna chastement à Armand
de Bréon tout son amour, mais qu'à son lit de mort,
elle put faire à son mari la très francité confession
qu'une grande dame de la cour de Louis XV avouait
au sien : « Monsieur, je ne vous aimai jamais,
vous ai toujours tenu pour un butor et un franc
imbécile. J'ai été fort courtisée, mais vous m'aviez
432
LES TROUBADOURS i ANTALIENS
dégoûtée de l'amour. Je ne vous trompai jamais par
l'unique crainte de voir s'évanouir derechef mou
beau rêve ».
Pierre de Cère de Cols
(Peire de Cols)
XIII
Lorsqu'on venant d'Aurillac, la capitale Carla-
dézienne apparaît, au détour du chemin, étagée sur
la pente au pied du roc sur lequel se dressai) le
Castel-Viel, une avenue de noyers séculaires arrête
l'œil à mi-côte, chemin ombreux conduisant de la
ville à une riante maison de campagne dont la façade
tournée au .Midi contemple de toutes ses fenêtres
le grandiose panorama de la luxuriante vallée de
Vie il» La moderne villa de Cols occupe l'emplace-
(i) Qu'on me pardonne un cher souvenir d'enfance. Cols
appartenait, vers 1868, à M. D..., juge de paix à Vie. Lorsqu'une
crise de goutte clouait sur son fauteuil ce patriarcal magistrat,
les plaideurs montaient à Cols où le digne homme rendait !a
justice dans son salon transformé en prétoire. Appelée à témoi-
gner en faveur d'un de ses fermier-, justiciable de Vie, ma
grand'mère, la Baronne de Pollalion de. Glavenas, née de Sales
du Doux, voulut attendre sur la terrasse son tour d'être entendue.
Adorant sa vallée natale, elle sut trouver, pour m'en préciser une
à une les beautés si diverses, des expressions faisant si bien image
qu'elles se gravèrent profondément dans mon esprit d'enfant.
Pour la première fois, j'eus, ce jour-là, la notion confuse des
sensations artistiques que peut faire naître la vue d'un beau
paysage, d'un site aimé. — Nature artiste, mon premier « cicé-
rone » avait été à bonne école. Son mari, élève de David, camarade
d'atelier de Gros, Gérard, Ingres, Delaroche, Girodet, était peintre
de valeur réelle, plusieurs fois médaillé au Salon. La manière du
baron de Pollalion de Glavenas était celle de l'Ecole de David
Girodet, un peu « pompier » peut-être, mais si consciencieuse,
426 LES TROUBADOURS CANTALIENS
menl d'un jK'tii château qui dressait, dès le dou-
zième siècle, sa fine tourelle au-dessus de la prairie
<|iii ondule à ses pieds jusqu'à la Cère. Discrète
demeure édifiée par un des seigneurs de Vie, a pré-
tendu la légende, sorte de pavillon où le preux che-
valier allait, peut-êt re, méditer sur ses tins dernières,
faut-il charitablement supposer. Respectons la
légende sans la suivre et constatons que ce petit fief
de ('ois avait été fort anciennement démembré de la
tern- de Vie, par les seigneurs de ('ère, pour servir
d'apanage a leurs cadets (pli en prenaient le nom.
(Mi a vu (pie les deux familles de Vie et de Cère,
sorties fort probablement de commune souche, se
partageaient le domaine féodal de Aric, résidaient
l'une <-i l'autre au Castel-Vicl qu'elles entretenaient
à frais communs.
On ne connaît (pie confusément quelques membres
isoles de cette famille de Cère avant Guillaume
de ('ère. Chanoine de Clermont, Jean son frère
• t Guillaume son neveu qui firent hommage en 1279
travaillant le moindre détail. Ses portraits, ses scènes militaires,
ses paysages surtout, très serrés de dessin, ont une valeur réelle
et un très chaud coloris.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 427
à leur suzerain, Henri II, Comte de Rodez et
Vicomte de Cariât, à cause de leur maison de Gère
située à Vie, de la coseigneurie de Vie et de
diverses possessions féodales situées au même lieu.
Le fief et le château de Cols étaient indubitablement
compris dans cet aveu ainsi que dans les homma-
ges rendus, pour les mêmes terres, par Renaud 1er
de Gère, fils de feu Hugues en 1333 et 1335, par
Pierre de Cère tils de Géraud en 1341, puisqu'ils
figurent dans l'aveu que Renaud II de Gère fit en
1353 au même Vicomte de Cariai pour la cosei-
gneurie de Vie, la maison forte de la Portarelle,
les domaines, cens, rentes, dîmes, partie de la
Viguerie de Vie, le fort de Valconeyre, le mas de
Brugbatj les cens et rentes de Condamine, Vialard,
Cols, Trémolet (1), etc., et que Cols est également
mentionné dans un acte de 1355 comme apparte-
nant à la famille de Cère (2). En réalité, le petit fiel'
( i ) Trémolet. petit château, commune de Thiézac, bât}: sur
un roc, dominant le fameux « Pas de Cère ». La rivière coule à
ses pieds, au fond d'un gouffre, à travers un entassement
cahotique de rochers.
(2) Bouillet : Xobil. d'Auvergne, T. II, P. 56. — Dict. stat. du
Cantal, T. V, P. 550 et 563. — Dans ce dernier ouvrage, le
LES TROUBADOURS CABTAUBNS
de Cols a fait partie, des l'origine des domaines de
la maison d<- Cère et n'en sortit qu'à l'extinction
de cette famille quand son héritière, au moins du ra-
meau principal, X. de Cère, épousa, vers 1355, le
seigneur de la Vaissière dont la postérité résidera
à ( lois jusqu'à la lin du XVI' siècle (1).
Pierre de Cère de Cols, connu exclusivement sous
ce dernier nom comme Troubadour (2), pouvait être
le frère ou l'oncle du Chanoine de Clermont précité
el de Jean de Cère, coseigneur de Vie. Aucune par-
ticularité de sa vie ne nous est connue; était-il
Damoiseau, vaillant Chevalier, ou d'Eglise, Moine
ou Dignitaire Séculier? Bien ne permei une sérieuse
conjecture. En d'autres temps, la tonalité amou-
Comte de Sartiges attribue le même hommage à deux Renaud
qu'il appelle tantôt de Cère, tantôt de Vie. Il s'agit, en réalité du
seul Renaud II de Cère, coseigneur de Vie. — Arch. de la Cour
des Comptes, Reg. 472 et 473.
(1) Cette famille de la Vaissière, d'origine chevaleresque, était
possessionnée dès le XIP dans la par. de Raulhae, d"où elle a
essaimé en Rouergue et à Vie. Un de ses membres épousa l'héri-
tière des de Cère. Leur fils se fixa à Cols. Sa descendance s'y
perpétua jusqu'au XVIe. Depuis lors, Cols a passé en diverses
mains.
(2) Chabaneau. P. 164 : Peyre de Cols d'Aorlhac (Cols, com-
mune de Vic-sur-Cère. arr. d'Aurillac). — Seulement dans
C.-Gr.. n° 337 — Hist. Litt., T. 19, P. 612.) »
LES TROUBADOURS CANTALIENS 429
î-euse do la seule de ses poésies venue jusqu'à nous
porterait plutôt à voir en son auteur quelque
galant damoiseau tout occupé de plaire aux dames.
Mais l'ère dos Troubadours a été trop fertile en
hommes d'Eglise des plus libres pour en tirer aucu-
ne documentation. Son parent Pierre de Vie, le Cha-
noine de Kogiers, cent autres, nous ont prouvé que
froc, çamail et mitre n'étaient pas incompatibles
avec une très grande liberté de langage et le souci
de la galanterie.
« Pierre de Cols, observe l'Histoire Littéraire.
« peut être cité avec Pierre Espagnol et Guillaume-
« Hugues d'Allii à cause de leur amour de la compa-
ct raison qu'ils poussent à l'exagération.
(( Pierre de Cols d'Aorlac. dans une pièce éro-
« tique do 19 vers, seul ouvrage de lui qui nous soit
u resté, emploie trois fois cette figure. Il compare
(( l'amour au soleil; il compare sa dame au gerfaut;
(( il se compare enfin à la salamandre, qui jouit
(( dans le feu comme dans un bain, et recherche
« d'autant plus la chaleur, son aliment, qu'elle en
(( est plus vivement pénétrée (1).
(i) Hist. L/ittér. T. XIX.
430 LES TROUBADOl RS I VNTALIEXS
Si nous oe pouvons rien dire de plus de ce Trou-
badour de la maison de Cère, nous ne résisterons
pas au désir de relater un fait d'armes d'un mem-
bre de ici te famille, arrière-neveu de notre poète.
Au déclin de la Chevalerie, aux dernières années
du XIVe siècle, où Chevaliers et Troubadours se
faisaient de plus eu plus rares, le dernier Chevalier
connu de cette vieille race Cantalienne accomplit
un beau t'ait d'armes qui a auréolé son nom. De ces
deux maisons quasi jumelles dvs de Vie et des de
Cère, La première doil à an poète la gloire de voir
son souvenir encore évoqué grâce au Prieur de Mon-
laudon, l'autre s'estompe dans le recul des temps
en laissant surtout l'impression d'une de ces races
qui n'avaient d'autre vocation «pie de brandir l'épée.
Il semble que du jour où la valeur individuelle ne
décide plus uniquement du sort des batailles, que les
gens de pied prennent à Poitiers, a Crécy, à Azin-
court leur place de combat, qu'apparaissent les pre-
miers canons, ces familles, pépinières de rudes ma-
nieurs de haches et de glaives, se sentent dépaysées,
désormais inutiles, et. disparaissent.
Renaud VI, sire de Pons en Saintonge, Vicomte
de Cariât, du chef de son aïeule Isabelle de Car-
LES TROUBADOURS CANTALIENS 431
làt-Rodez, héritière de la Vicomte, avait suivi la
bannière d'Angleterre. Il rentra en 1370 au service
de la France dont il devient, dès lors, un des meil-
leurs Capitaines, secondant puissamment le Conné-
table Du Guesclin, méritant les titres glorieux de
« Père, Protecteur et Conservateur des deux Aquî
taines » Mais à servir le roi de France en Poitou
Périgord, Angoumois et Saintonge, Renaud VI
n'avait pu défendre la forteresse Carladézienne qui
était tombée avant 1379 au pouvoir des Anglais. La
bannière au léopard flottait sur la Tour Noire de
Cariât et le Capitaine de Routiers, Gausserait de
Caupènes y commandait au nom du roi d'Angle-
terre. Son lieutenant, Jacques Breton, « de l'obéis-
sance du roi d'Angleterre », précise la chronique,
laissant à son chef la garde de la place, tentait
de fréquents coups de mains sur les châteaux du
Carladez. C'est ainsi qu'il était venu mettre, en 1388
le siège devant le château de Cronimières (1) à quel-
ques kilomètres de Cariât.
(i) Commune de Raulhac, limitrophe de celle de Cariât, toutes
deux du cant. de Vic-sur-Cère et de l'arr. d'Aurillac. Le château
de Crommières, dont eu a peine à retrouver quelques traces,
était bâti entre Raulhac et le château de Puech-Mourier. Il fut
plus tard confisqué sur Pierre de la Guiole et rasé. — (Dict. stat.
du Cantal. T. V, P. 87.)
482 LES TRODBADOUKS CANTALIEN8
Vézian Rolland de Crommières, seigneur du châ-
teau, ehef de cette antique race féodale, connue dès
le X' siècle, occupé sans doute dans quelqu'autre
le ses places, avait confié le soin de défendre Croni-
mières à Louis el Hugues de Cère qui en avaient
accepté la charge moyennant une solde de trois
.•ciits «Vus d'or. Le château était spacieux et pro-
tégé par une triple enceinte de remparts, nous ap-
prend un de nos anciens historiens (1). Jacques
Breton organisa-t-il an siège en règle ou risqua-t-il
un de ces hardis coups de main, tactique préférée
des Roui iers?
Oe qui esl certain c'esl que Orommières tomba en
son pouvoir et qu'il y lit prisonnier Louis de Cère,
• de l'obéissance du roi de France », qu'il emmena
ptif à Cariât. Jacques Breton estimait, en bon
[Soutier, qu'il vaut mieux profit que gloire et l'hon-
neur d'avoir capturé le défenseur de Crommières
.'intéressait beaucoup moins que la rançon qu'il
espérait obtenir de son prisonnier. A la demande
du Routier Anglais, Louis de Cère opposa un
énergique refus, affirmant que, lors de la reddition
(i) Manuscrit Murat-Sistrières.
LES TR01 BADOl RS I ASTALIENS 4:!:!
de Crommières, il n'avait pas donné sa foi aux An-
glais, n'avait t'a ii aucune promesse et n'étail tenu,
par conséquent, à aucune rançon. Pour solutionner
le différend, <>n eut recoins au procédé en honneur a
l'époque, cuire Chevaliers : le combat en champ-
clos.
Le 30 décembre 1 :iss, au dire des uns, ou le 2 jan-
vier 1389, selon d'autres, les deux adversaires en-
trèrent dans la lice, à Rodez, avec tout le cérémonial
d'usage, en présence du Comte d'Armagnac qui pré-
sidait à cette rencontre, entouré «l'une toute de Che-
valiers et d'Ecuyers friands de ce sanglant spec-
tacle. Tassons sur les préparatifs et les péripéties
du combat, donnons seulement le résultat final:
<( Et les partis se joignirent et l'Anglais tomba tost
« après et se rendit et fut désarmé au champ, gis-
« saut à terre et jette hors de la lice »
C'est sur ce beau geste d'apothéose que le nom de
Cère disparaît de nos annales Cantaliennes. il est a
croire que s'il avait pu être témoin de cette prouesse
d'un Chevalier de sa race, Pierre de Cols y eut
trouvé matière à un « sirventés » enflammé, à quel-
que claironnante chanson.
Faydit du Bellestat
XIII
Les horizons cou miniers à nos yeux d'en tant, le
paysage qui encadre la maison natale exereent,
affirment les psychologues, nue influence réelle sur
notre sensibilité. Ils impriment a nôtre nature une
orientation vers La joie ou la tristesse, nous prédis-
posent à une émotivité plus ou m uns intense, ont,
sur la formation de notre caractère, une pari impor-
tante, que l'éducation atténue nu développe. Prédis-
position a la rêverie que h- Breton puise dans La
monotone contemplation de ses landes arides, pro-
pension au rire, a la rie heureuse et facile du
Tourangeau né dans le .« Jardin de la France »,
expansivité et exubérance du Méridional surchauffé
par le soleil, énergie et âpreté à la lutte du monta-
gnard habitué à combattre les obstacles que lui
oppose la nature, calme placidité du Beauceron
habitant la plaine, fatalisme résigné des riverains
de la mer mauvaise A tenir cette théorie pour
exacte, Faydit du Bellestat devait être un mélanco-
lique et un concentré.
D'Aurillac à Mauriac, les plateaux granitiques
avec leurs parties élevées couvertes de céréales,
438 S IR01 BAD01 i:s « an rALIENS
leurs vallonnements herbeux, s'étendent jusqu'à
Ayrens où l'aspect change brusquement. Ce n'est
plus, au delà, dominant les gorges sinueuses de la
Maronne, aux escarpements abrupts, qu'une succes-
sion «le collines fortement ondulées où se creusent
• les plis profonds que dominent «mi promontoire des
plateaux comme celui de Saint-Illide et d'Albars (1).
Aujourd'hui, le labeur opiniâtre «lu laboureur a
réussi, a force de ténacité, a conquérir, ça ci la, <lcs
terres arables sur les hauteurs, a défricher les forêts
qui recouvraient les pentes ci. utilisant parcimo-
nieusement l.i plus modeste source, à créer des prai-
ries dans le moindre vallonnement où les pluies oui
recouvert d'une mince couche de terre dévallée des
sommets, le schiste et le sable primitifs. La lande
(i) Albars (turris alba) appartenait, ilè- le haut moyen âge,
à une des races les plu- anciennes d'Auvergne dont les immenses
il-miaines ne firent que s'accroître de siècle en siècle. Au Xe, le
sire d'Albar- obtint de son beau-frère Aldroalde de Saint-
Christophe, Abbé d'Aurillac. inféodation de la grande terre abba-
tiale de Clavières-Ayrens où il fixa sa résidence, laissant à Albars
un de ses puînés dont la descendance s'y est perpétuée jusqu'à
1760, sous le nom d'Albars-Barriac. Les sires d'Albars, Barons
d Clavières-Ayrens s'éteignirent au XVIe en une fille dont la
ndance leur fut substituée. La terre de Clavières-Ayrens
offre cette particularité d'avoir été transmise par alliances aux
douze familles qui s'y sont succédées, sans avoir jamais été alié-
née, du Xe au XX'' siècle.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 439
apparaîl encore infertile sur de castes étendues,
piquée de maigres bouleaux, donnant au site cette
mélancolique uniformité qu'égaienl seules In mauve
floraison des nappes de bruyères et les vertes touffes
des genévriers épineux. Plus sauvage encore el
autrement désolée «levai! être jadis cette région
Cantalienne Lorsqu'elle se présentait entièrement
couverte de bois a la seule exception des sommets si
rocailleux que le bouleau lui-même n'avait pu y
accrocher ses racines.
A mi-côte, face à Saint-Illide, à quelques centaines
de mètres du bas-fond où s'élèvera, un peu plus
tard, le château de La IJontat (1), une dépression
(i) Dès le XIIe, peut-être même à une époque antérieure, une
race, probablement surgie du sol, laborieuse et têtue, sans doute,
s'était constitué un domaine aux confins des paroisses d'Ayrens et
de Saint-Illide, dans ces forêts dont elle avait adopté le nom.
Cette famille de Selve (Silva, >ilvas, forêt) avait édifié son
repaire, aujourd'hui détruit, sur le plateau où subsiste le village
de Selve. Elle n'en disparut qu'au XVIe. lorsque son château fut
ruiné par les Huguenots, maîtres de Claviêres-Ayrens. Fort ancien-
nement, quelque puîné de cette race s'enfonça plus avant dans
la brousse, du côté de Saint-Illide, pour s'y tailler un domaine.
Il estima si heureux le défrichement réalisé, tout voisin du Bel-
lestat, qu'il l'appela « La Boutât ». Sa descendance s'éteignit en
1374 en Jeanne de Selve. dame de La Bontat, mariée à Armand
de Prallat. originaire du lieu de ce nom, commune de Saint-
Projet de Salers. La maison de Prallat résida à La Bontat jusqu'à
Il" LKS TBOUBADOUKS i .WT.U.l BSS
de terrain se creuse en vallonnement, verte clairière
ceinturée de bois qm- les hauteurs voisines pro-
tègent des rafales. La lande esl toul proche, inculte,
désolée; le contraste esl si forl entre Le gai tapis
vert du bas-fond et la bruyère voisine, grise et pelée,
qu'il justifie le nom du << Bcllestat >> donné au châ-
teau caché dans ce repli 1 1 (.
Sou fondateur^ l'aïeul, peut-être même, le père tic
cotre Troubadour, était-il venu chercher asile en ce
lieu désert, chasse de s<m foyer méridional par la
Croisade Albigeoise. Echappé, peu être, aux mas-
sacres de Béziers, de Lavaur ou de Muret, avait-il
fui jusque dans cette solitude pour y cacher sa foi
Cathare, y pleurer la ruine de la patrie Romane?
C'esl la pure supposition, risquée par les Roinan-
tiques, mais qu'il faut bien se garder de prendre
son extinction en 1616 où son héritière épousa Mercure de Jugeai
de Veilhan dont la postérité a conservé cette terre jusqu'au
XIX1 siècle. — (Dict. stat. du Cantal, T. I, P. 240, T. III, P. 470.
Bouille» : Nobll. d'Auv., T. V, P. 180.)
( 1 1 Ah XVe, le château du Bcllestat se composait de deux
vastes corps de logis défendus par deux grosses tours. — (Dict.
stat., '1'. III. P. 470). — C'est aujourd'hui un hameau de la com-
mune de Saint-Illide, cant. de Saint-Cernin, arr. d'Aurillac. Une
confortable maison bourgeoise, entourée d'un important domaine,
a remplacé l'ancien château.
LES TROUBADOURS CANTAMENS 441
pour de l'Histoire. Le thème se prête bien à la
légende puisque, d'après elle, le premier possesseur
connu du Bellestat était dénommé « lo Fat/dit
Crozat » — « le proscrit marqué d'une croix ».
On sait que l'appellatif méprisant de « Fui/dit »
servait aux Croisés vainqueurs à désigner les
malheureux Albigeois expulsés de leurs demeures,
traqués comme bêtes fauves, rejetés à la vie sau-
vage, animaux malfaisants, tout empuantis d'héré-
sie, disaient les soldats de Montfort! Lorsque, grâce
aux prédications de Saint Dominique on aux terro-
risantes menaces des envahisseurs, les Languedo-
ciens affolés, consentaient à rentrer dans le giron
de l'Eglise Romaine, à abjurer en masse l'hérésie
Albigeoise, les Inquisiteurs, se déliant de la sincé-
rité de ces nouveaux convertis, leur imposaient 3e
port continuel, sur le dos ou la poitrine, d'une
grande croix de drap jaune, d'où le nom de
« crouzat » qu'on donnait à ces brebis récalcitrantes
revenues au bercail Catholique. Ce signe distinctif
très apparent, permettait de veiller sur ces néo-
phytes, de contrôler leur ponctualité à s'acquitter
de la pénitence expiatrice qu'on leur avait imposée
au baptême. Cette croix, loin d'être, comme celle des
442 LES TROUBADOURS CAXTALIENS
pieux compagnons de Godefroy de ^Bouillon ou de
saint Louis, l'emblêane glorieux des méritoires expé-
ditions outre-mer, devient un signe de défiance et
d'opprobe, lorsqu'elle est appliquée de la main des
Inquisiteurs à la poitrine des malheureux Albigeois
vaincus. Elle est presque la sœur en ignominie de
la roue qu'on obligera les .Juifs à coudre sur leurs
vêtements pour les mieux désigner, en temps de
troubles ou d'épidémie, aux fureurs populaires.
Au temps où vivait notre Troubadour, le redou-
table tribunal de la Sainte Inquisition promenait
encore ses fureurs dans tout le Midi Français,
envoyant ses victimes au bûcher on les condamnant
au perpétue] silence de l'emimurement. Le Moine
libérateur Bernard Deliciosos n'avait pas encore
paru; aussi notre poète garde-t-il encore intact, fait-
on remarquer, son surnom aneestral de proscrit
« le Faydit du Bellestal » il). Tour vraisemblable
que puisse être la supposition, il faut constater,
litres en mains, nue le souvenir de l'humiliant signe
( i i Le prénom ou surnom de Faydit se rencontre au XIIIe ci
parmi les confrères contemporains de Faydit du Bellestat, on peut
citer, presque dans son voisinage, Gaucelm Faydit, originaire de
la ville d'Uzerche (Corrèze), auteur de soixante-dix pièces
lyriques qui nous sont parvenues.
LES TROUBADOURS CANTAI.I l)\S 443
distinctif imposé se serait oblitéré, peu à peu, à
la longue; « Crozat » se serait francisé en a Cro-
zet ». Il est certain que, dès le XIVe siècle, cette
famille portait le nom de « du Orozet de Bellestat ».
La personne même de notre Troubadour reste
aussi nébuleuse que ses origines; on ne sait rien de
sa vie et il n'est pas jusqu'à son berceau qui ne soit
enveloppé d'obscurité. Chalumeau l'appelle Paidit
de Bélestar et signale un lieu de Belestat en
Ariège, niais sans en inférer que notre Troubadour
en soit originaire (1). Un de nos compatriotes de
Basse- Auvergne, serrant de plus près la vérité (2),
constate qu'il est bien d'origine Auvergnate; mais.
découvrant, aux environs de Vodables (3), un
hameau de Bellestat, il se demande s'il faut l'assi-
gner pour berceau à notre Troubadour. L'un et
l'autre ne font que formuler une simple supposition
qu'aucun document n'est venu confirmer.
(i) Chabaneau, P. 141 : « Faydit de Bélestar (Belesta, Ariège,
arr. de Foix, cant. de Lavelanet). Deux manus. lui attribuent une
chanson de Richard de Barbezieux et la table d'un autre, une
chanson d'Arnaut de Mareuil. » — Gr. n° 146. Hist. Litt., T. XX.
•P. 592-
(2) Mége : Les Troubadours poètes et écrivains de la langue
d'Auvergne ». — Revue d'Auvergne, 1887.
(3) Vodables, comm. des cant. et arr. d'Issoirc ( Puy-de-Dôme V
Ht LES TROUBADOURS OANTALIENS
Des trois lieux de Bellestat connus, eu Ariège,
Puy-de-Dôme ef Cantal, ce dernier seul possède des
seigneurs de son nom, apparaît, au XIIIe siècle,
aux mai us d'une race féodale qui y est fortement
implantée ei s'y perpétuera jusqu'à son extinction.
La >iui]»le Logique oblige, à défaut de documents
contradictoires formels, à croire noire poète issu
de la seule et unique race qui porte de son tempe
le nom de Bellestat, d'autant plus qu'aucune autre
ne s'est même révélée postérieurement à lui. Ces
considérations, en présence, surtout, de l'absolue
inanité de toute preuve el même du plus léger
indice, nous font partager l'opinion de MM. le
Baron do Sartiges d'Angles, <le Ribier du Chatelet,
Bouillet, etc., qui ont toujours considéré Favdit de
Bellestat comme Cantalien, né au château de Bel-
lestat en Haute-Auvergne, de la famille de ce nom
dont la généalogie est établie par titres du XIIIe jus-
qu'à son extinction au milieu du XVIe siècle (1).
Le consciencieux auteur du dictionnaire statis-
tique du Cantal semblerait confirmer singulièrement
(i) Baron de Sartiges : Les Troubadours Cantaliens, Annuaire
du Cantal, année 1830. — Dict. stat. du Cantal, T. III, P. 470
et suiv. — Bouillet, T. I, P. 194 et T. II, P. 309.
LES TROUBADOURS CAÏS'TALIEXS 445
l'origine Méridionale des du Crozet du Bellestat
en affirmant qu'ils étaient puînés des Veyrac, sei-
gneurs de Paulhan, en Languedoc (1) ; nous ignorons
les bases de cette assertion. Mais, on connaît par
titres, certain Damien du Crozet, seigneur du
Bellestat qui vivait en 1249 et pouvait être frère
ou neveu du poète. Les généalogistes donnent toute
une série de membres de cette famille jusqu'à Jeanne
du Crouzet de Bellestat, héritière de sa maison,
mariée avant le 6 mars 1551 à Jean de Plaignes
qui devint ainsi seigneur du Bellestat (2).
Ci) Dict. stat. du Cantal, T. III, P. 470. — Xobil. d'Auvergne,
T. VII, P. 90.
(2) Esmerarde du Crozet de Bellestat, tille de Guérin et
femme de Pierre de Roquenatou, fait un hommage en 1337, Jean
du Bellestat transige en 1390, Naudin de Bellestat le 11 janvier
1404, Jean de Bellestat est inscrit à l'armoriai de 1450 (Ecartelé
au 1 et 4 de gueules au gonfanon d'or, aux 2 et 3 d"argent à la
tour de sable). Antoine, fils de Naudin, épouse en 1415 Louise de
Montdar-Montbrun. Rigal du Crozet du Bellestat épouse avant
1448 Leone de Ribier, fille d'Aymeric et de Guyotte d'Albars-
Clavières. Ces époux n'eurent qu'une fille, en qui s'éteignit la
famille de notre Troubadour : Jeanne de Crouzet du Bellestat,
mariée avant le 6 mars 1551 à Jean de Plaignes, seigneur de
Plaignes, paroisse de Sainte-Eulalie, non loin du Bellestat que
Bouillet croit appartenir à la maison de Ribier (Nobil. d'Auv.,
T. V, P. 126). Leur descendant, Jean de Plaignes-Bellestat, étant
sans postérité directe, donna, en 1619, le Bellestat à son voisin
Jean de Prallat de la Bontat. Marie de Prallat apporta cette terre
446
LES TROUBADOURS CANTAL1KNS
Le temps ne s'est pas montré moins dnr aux
œuvres poétiques de notre Troubadour dont nous
H»' possédons qu'un fragment de chanson; encore
lui est-il disputé par Richard de Barbezieux auquel
certaine catalogues l'attribuent. Résignons-nous à
im* ]>;is mieux connaître ce Cantalien qui fut peut-
être le chantre « «les bruyères roses et des ravins
gré ».
aux Leautoing qui en ont joui jusqu'à la Révolution. Le dernier
descendant authentique de notre Troubadour, par son aïeule
Jeanne du Crouzet de Bellestat : Jacques de Plaignes, employé
pendant de longues années comme ouvrier terrassier, par le Duc
de la Salle, au château du Doux, grand ami de la « dive » bouteille,
homme d'esprit, presque poète, est mort sans postérité vers 1905,
à l'abri du besoin, grâce à son mariage avec une femme de trente
ans plus âgée que lui !
Bernard Amouroux
(Bernât Amoros)
XIIIe
De toutes les cités Cantaliennes, Saint-Flour, « la
ville noire », est celle qui s'est le mieux gardée du
u modernisme ». Les trains, qui s'arrêtent à ses
pieds avant de franchir le pont fameux de Garabit,
ont transformé en bourgade sans cesse grandissante
autour de la gare, le faubourg Sainte-Christine,
mais la capitale religieuse du Haut-Pays, assise
sur son plateau de basalte prismatique, s'élevaur
à pic d'une centaine de mètres au-dessus de la vallée
qui l'entoure de trois côtés, a gardé l'aspect rébar-
batif du XIe siècle où le puissant sire de Brezons
érigeait sur le mont Indiciac (Il le Monastère qui
a donné naissance à la ville.
(i- Le mont Indiciac ne tirait pas son nom d'un phare (indi-
cium), mais plus simplement de son possesseur Gallo-Romain
Indicius. — « Indicii — acuin », le lieu d'Indicius. — Un petit
oratoire existait au Xe siècle sur le roc d'Indiciac où se conser-
vaient les reliques d'un Evêque Florus qui serait venu mourir
jadis en ce lieu. En 996, Astorg, le Taureau Rouge, seigneur de
Brezons, donne à son parent Saint Odilon de Mercceur ce qu'il
possède à Indiciac. Mais Amblard de Nonnette, Comptour d'Ap-
chon, se refuse à ratifier la donation de ce lieu dont il est suzerain.
Plus tard. Amblard de Brezons, petit-fils d'Astorg, décide son
cousin et suzerain Amblard de Nomnette, Comptour d'Apchon.
150 LES TROUBADOURS OANTALIENS
Bien que sou Eglise Abbatiale eut été consacrée
en 1095 pair le Pape Urbain II en personne, elle
était encore une cité des plus modestes quand Ber-
nard Amouroux (1), que les chroniques médiévales
appellent Bernai Amoros y naquit dans les pré-
dit le Mal-Hiverné, à ratifier la donation du mont lndiciac au
tère de Quny, en rémission de leurs crimes. Ainsi se fonde
ère qui abandonne le nom d'Indiciac pour celui de
Saint-Flour. Peu à peu, la bourgade grossit autour de l'Abbaye
et du château de Brezons.
La véridique et complète histoire de Saint-Flour n'a été écrite
que par M. iller Boudet dont on ne saurait trop admirer
l'ouvrage qui a débrouillé et mis au point tout c< intain :
« Cartulaire du Prieuré de Saint-Flour », publié en 1910. La
légende de l'Evêque Florus et les origines San FJoraines y sont
lumineusement exposées.
ouvrage, véritable monument d'érudition, montre avec une
ante clarté comment la région San Floraine, tout entière
aux mains laïques au Xe, a passé lentement par donations aux
mains du Clergé, le Monastère de Saint-Flour en ayant la plus
large part, mais les Abbayes rivales de Conques, Bonneval,
Sauxilanges, La Chaise-Dieu, Brioude, s'efforcent d'obtenir aussi
une part ! Finalement, les descendants des propriétaires primitifs
disparaissent ou ne sont plus que des vassaux des Moines. Le
tableau est des plus intéressants.
(m Le nom d'Amouroux, Lamouroux est assez fréquent à
Saint-Flour et dans le Cantal. Il était celui de deux récents
Evêques de Saint-Flour, tous deux natifs de la cité Sanfloraine :
Mgr Lamouroux de Pompignac, dont le frère était Président du
Tribunal, et Mgr Jean Lamouroux. Lm Amouroux, peut-être
originaire de Saint-Flour, professeur de dessin ou photographe,
résidait récemment à Aurillac.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 451
mières années du XIIIe siècle. Il vit peut-être, de
ses yeux d'enfant, le Comte de Toulouse et Amaury
de Montfort, tenir un conciliabule dans le monastère
San Florain en 1214, entendit publier, l'année sui-
vante, sur le parvis abbatial, les Lettres Patentes
par lesquelles le roi de France Philippe-Auguste
accordait des privilèges à la ville, put contempler
le fils de ce monarque, Louis VIII, pendant l'étape
qu'il fit à Saint-Flour, en 1226, revenant de sa
croisade contre les Albigeois pour aller mourir un
plus loin, à Montpensier, au delà de Clermont.
Bernard Amouroux appartenait-il à une famille
de la plèbe ou de la bourgeoisie San Floraine? Il est
impossible de le préciser. Saint-Flour n'était pas,
à cette époque, la cité épiscopale qu'elle deviendra un
siècle plus tard (1), daus son monastère se con-
centrait toute l'activité intellectuelle et ce fut sans
doute à son école, sous la direction du Prieur Foul-
(i) C'est en 1317 que Jean XXII (originaire de Cahors)
démembra l'immense Evêché d'Auvergne ou de Clermont pour
créer celui du Haut-Pays. Les Abbés d'Aurillac et de Brioude
ayant refusé cette dignité pour ne pas perdre leurs privilèges, le
nouveau siège fut établi à Saint-Flour.
Affl USi i MHJBASOO Kfi i AMAlli ns
ques (1) qu<- Bernard apprit le rudiment et les con-
ta issances élémentaires exigées de ceux qui voulaient
embrasser L'étal ecclésiastique. Endossa-t-il le froc
1><th-«i ici i h ou fut-il enrôlé dans les cadres du clergé
aider? Cette dernière hypothèse est la plus pro-
bable puisqu'il se qualifie lui-même de Clerc. Il ne
parait, en toui cas, avoir jamais rempli aucune
charge, ni j<»ui d'aucun bénéfice Ecclésiastique.
Moine gyrovague ou plutôt Clerc sans fonctions, il
fni pris de bonne heure du désir de quitter son
froid bercean pour s'en aller courir le monde.
Si Troubadours el Jongleurs escaladaient rare?
ment, sans doute, le sentier taillé dans le roc vif
qui menail du bas faubourg a La << ville noire», ils
devaient suivre nécessairemenl la route très fré-
quentée allant vers Clermonl et Lyon qui traver-
sai! Le faubourg où un pou! muni de portes barrait,
dès le XI' siècle, la petite rivière de l'Ander (2).
Notre jeune Clerc allait, peut-être, y guetter leur
passage, profiter de l'étape qu'ils y faisaient pour
(i) Le chef du Monastère de Saint-Flour portait le titre de
Prieur. Foulques est déjà Prieur en 1180 et son successeur, Del-
mas de Nepcher, n'apparaît qu'en 1252.
(2) Ce pont fortifié aurait établi par Saint Odilon, Abbé de
Cluny.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 453
s'initier aux mœurs de ces nomades dont l'aventu-
reuse existence le séduisit. Lui-même nous apprend
qu'il partit avec eux pour les contrées plus enso-
leillées ée Proveiu :e où il fit un long séjour. Le
soin qu'il met à uous dire qu'il y fréquentait les
meilleurs Troubadours, sa naïve fierté à ne pas lais-
ser ignorer qu'il vivait dans leur intimité et qu'il
y entendit nombre de fort bonnes chansons, ren-
dent presque certaine l'hypothèse qu'il se fit em-
baucher dans quelque troupe de Jongleurs et,
comnie tant d'autres de ses pareils, à déclamer et
chanter les poésies d'un maître en l'art de « trou-
Ter )>, paracheva sa propre formation littéraire.
<( Bernarz Amoros, Clergues, seriptors d'aquest
« libre, si fui d'Alvergna, don son estât maint bon
« trobador, e fui d'una villa que a nom Saint-Flor
(( de Planeza, e fui uzatz luenc temps per Proenza,
(( per las encontradas on son moût de bonz troba-
« dors e ai vistas et auzidas maintas bonas
« chanzos )>.
Moi, Bernard Amoros, Clerc, rédacteur de ce
livre, suis originaire d'Auvergne d'où sont issus
maints bons Troubadours. Je naquis dans une ville
qui a nom Saint-Flour de Planèze. Je séjournai
454 LES TROUBADOURS OANTALIENS
longtemps eu Provence, dans les contrées fréquen-
tées par les meilleurs Troubadours ; j'y ai vu et
entendu maintes bonnes chansons (1).
1/ habitude de paraître constamment en scène
devant les plus grands personnages dépouillait
vite le Jongleur de sa timidité native; avec elle, il
faut croire, s'enfuyait aussi la modestie! Content
de Lui-même, fier des progrès qu'il a réalisés, Ber-
nard noue déclare sans vergogne qu'il est devenu
un talentueux poète.
« E ai après tant en l'art de Irobar qu'en sai
« cognoisser e devezir en rimas et en vulgar e en
« latij per cas e per verbe, lo dreiz trobar del fais ».
J'ai fait de tels progrès dans l'art de composer
que je sais reconnaître et distinguer dans leurs
rimes (2), soit en langue vulgaire, soit en latin,
selon les cas et selon les verbes, les vers justes des
vers faux.
Tl est ;\ croire qu'ayant si bonne opinion de lui-
même, le Clerc San Florain, passé de l'humble office
(i) Traduction de M. Lavaud.
(2) C'est-à-dire dans le système de rimes dont ils font partie.
La correction de ces rimes est appréciée d'un coup d'oeil, en même
temps que la correction grammaticale, déclinaison et conjugai-
sons. — (Note de M. Lavaud.)
LES TROUBADOURS CANTALIENS \'ù>
de Jongleur à la noble maîtrise de Troubadour, dut
essayer ses talents poétiques en quelques produc-
tions, déclamer enfin ses propres œuvres. Aucune
ne nous est parvenue et nous ne connaissons Ber-
nard Amouroux qu'à titre de compilateur, comme
auteur d'un a Chansonnier » où il avait recueilli
les poèmes de ses contemporains qui lui avaient
paru les meilleurs. Qu'on ne l'assimile pas, pourtant
à un vulgaire copiste; notre Bernard ne compile pas
en aveugle, s'essaie à la critique littéraire. Les six
cent cinquante-trois à six cent quatre-vingt-deux
pièces, auxquelles il avait fait l'honneur de les
admettre dans son recueil, aujourd'hui perdu,
avaient été soigneusement choisies et revisées par
lui. Il nous contera lui-même sa manière de procé-
der, le soin respectueux qu'il prend de ne pas défor-
mer les œuvres des Troubadours.
« Per qu'en die que en bona fe en ai escrig en
« aqest libre drechamen lo miels q'ieu ai sauput
(( e pogut. E si ai moût emendat d'aqo qu'ieu trobei
« en l'issemple. Don ieu o tiein e bon e dreg segon
« lo dreig lengatge ».
C'est pourquoi, je déclare de bonne foi avoir écrit
ce livre du mieux que j'ai su et pu. Et, vraiment,
456 LLS TROL'BAOul'lïS ( ANTAUENS
j'ai beaucoup corrigé de ce que j'ai trouvé dans le
modèle, Par qu<»i. je tieafi ce « j u i suit pour bon et
légitime selon le Langage correct.
Bu grande préoccupation parait «"'tre qu'un autre
vienne après lui qui sous prétexte, de parfaire
i\t.'. l.i corrige encore et la défigure.
" Per qien prec chascun que non s'enfcrameton
de emendar «• granmen ; que, si ben i trobes cors de
I peana en alcuna letra, chascuns lionis si truep
o pauc ii" saubes, qo progra leumen aver drecha
■< l'entencio; el autres fa il non cuig que i sia bona-
jiien
Aussi je prie chacun de ne pas se mêler de corri-
ger el je l'en prie instamment. Car bien qu'il y
trouvai rapidité fautive de plume en quelque lettre,
chaque lecteur, s'il «mi savait trop peu, ne pourrait
aisément avoir l'exacte Intelligence du passage. Et,
d'autre faute, je ne crois pas qu'il y en ait véritable-
ment.
Notre critique entend ne pas nous laisser ignorer
combien son art de correcteur est ardu et délicat,
II y faut, selon lui, perspicacité déliée et subtile
intelligence; il va même jusqu'à justifier son opi-
nion d'un exemple probant.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 457
« Que granz faillir es d'orne que si fai euiendadur
« sitôt ades nom a Fentencion que niaintas vetz per
<< frackura d'entindimen veuon afollat maint bon
»( mot obrat primamen e d'avinen razo, si com dis
« uns saves
Blasmada ven per frachura
Déntendimen obra pura
Maintas vetz de razon prima
Per maintes fols que tenon lima.
Car c'est une grave erreur, celle d'un homme qui
se fait correcteur bien qu'il n'ait pas toujours l'in-
telligence. Car, maintes fois, par manque d'enten-
dement se trouvent gâtés beaucoup de textes tra-
vaillés délicatement et de sujet gracieux, comme l'a
dit un connaisseur :
Maintes fois vient blâmée par manque
D'intelligence une œuvre pure de forme
Et de sujet fin
Par force fous qui tiennent la lime.
Il proteste de son scrupule méticuleux à respec-
l"'v CB0U6AD0URB QANTALIENS
ter 1rs textes, montre le danger de vouloir les accom-
moder à sa façon, l'écueil où l'on tombe le plus sou-
\ciii de les rendre plus obscurs encore à tenter de
les améliorer dans le rain espoir de les rendre plus
intelligibles.
« .Mas. ieu m'en buî ben gardatz; qe maint luee
« son «l'en non ai Ihmi aiit l'entendimen, per q'ieu
«■ noi ai peu volgul niiidar, per paor q'ieu non peju-
<< res l'obra; qe truep volgra esser prims e sutils
« liom, (|i o pogues tôt entendre, speciaïmen de las
« chanzos d'En Giraut de Borneil, lo maestre, e son
« en a qest libre chanzo o sii-ventes e descort e ten-
<• son ».
Pour moi. je m'en suis bien gardé; car il y a beau-
coup d'endroits où je n'ai pas bien eu l'intelligence
du texte ci c'est justement pourquoi je n'y ai rien
voulu changer de peur que je n'allasse rendre l'œu-
vre pire. Car, il devait être homme extrêmement
fin et subtil celui qui pourrait comprendre tout ce
qui est ici, particulièrement parmi les chansons de
Giraut de Borneil, le « Maître »(1). Et il y a en ce
(i) Giraut de Borneuil, Troubadour, né à Excideuil (Dor-
dogne). Son biographe nous apprend qu'il fut « meilleur trouveur
« qu'aucun de ceux qui avaient été avant ou qui furent après lui;
« c'est pourquoi il fut appelé « Maître des Troubadours ». Tl
écrivait entre 1175 et 1220. On a de lui plus de 80 chanson-.
LES TROUBADOURS CANTALIENS
459
livre des chansons, des sirventés, des descorts et des
tensons.
Pour modeste que fut le rôle de Bernard Amou-
roux, sa compilation n'en aurait pas moins un prix
réel, si elle nous était parvenue entière. Son manus-
crit existait encore au XVIe siècle et appartenait
alors au Florentin Leone Strozzi. C'est la copie par-
tielle qu'en fit, en 1589, Jacques Tessier, de Taras-
con, qui seule a été conservée (1). A supposer que
le modeste Clerc San Florain n'ait jamais manié lui-
même la lyre, il fut, au moins, un fervent d'art, un
connaisseur en poésie dont le nom mérite d'être
sauvé de l'oubli.
(i) Stengel, Revue des Langues Romanes, T. 41, 1808, et 42,
1899, a étudié le Recueil d'Amouroux et publié les chansons et
autres poésies qu'il contient.
Chabaneau mentionne Amoros, P. 129 et 14 : « Bernard Amo-
ros, de Saint-Flour (Cantal), compilateur d'un chansonnier perdu
auquel il joignit une préface dont une copie nous a été conservée
en double ». — Gr. n° 39.
Cavaire
XIII
Cachée dans sa vallée herbeuse, derrière Le rein-
part de la chaîne du Cantal, éloignée de toute
grande voie de communication, la petite cité abba-
tiale d'Aurillac se tassait autour de sou Monastère,
enserrée daus sa ceinture de murailles dont les eaux
dérivées de la Jordanne baignaienl le pied. Pendanl
les quatre mois du gros hiver, elle était à peu près
séparée du monde, tout chemin rendu impraticable
par les amas de neige, au col du Lioran, frayés, à
grand'peine, vers Argentat et le Limousin ou à tra-
vers les âpres solitudes de Montsalvy, les landes de
Saint-Mamet qui la séparaient du Rouergue et du
Quercy. Elle devait se suffire à elle-même pendant
la période hivernale, devenait forcément un centre
minuscule d'industries rudimentaires et d'activité
intellectuelle.
Son Abbaye, fameuse depuis trois siècles, dont
les calligraphes et les enlumineurs avaient une
464 LES TROUBADOURS OANTALIENS
lutafion Européenne (1), ne connaissait pas
encore, au XIII siècle, les déchéances de la sécu-
larisation qu'elle subit au XVe. Ses .Moines par-
laient intael le patrimoine de science que lui
déni l'a'u les Geraud de Saint-Céré, les Raymond
de Lavaur, les Aldroalde de Saint-Christophe, les
■m* de Boquenatou, ses plus savants Abbés. La
tradition s'étail conservée, depuis Gerbert, an
Secrétariat » <lu Monastère d'y recueillir tout.
enfant dont l'intelligence précoce semblait offrir
[uelque promesse et l'Ecolâtre y veillait au déve-
loppement «le cette jeune pépinière d'où l'Abbaye
irait ses meilleure* recrues. Parmi ces enfants,
«nus la pluparl «1.' L'infime peuple d'Aurillac et des
•ii\ iruiis. tons n'entendaient pas, à l'aurore de l'ado
ence, le mystérieux appel qui les riverait désor-
mais à la vie religieuse, ne subissaient pas tous la
<j) Dès le X' siècle, les Moines J"Aurillac avaient la réputation
plus parfaits calligraphes conus. Les commandes de
manuscrits affluaient à l'Abbaye des régions les plus lointaines.
Calston, Abbé de Figeac, y fit exécuter un Hymnaire, d'après le
rite Romain, qui passait pour une pure merveille. (Mabillon, Ann.
III, Lib. XLVI, n° 84-86. — Act. V, 74I-VI, 32). Au XIIe siècle
encore, le plus bel éloge à faire d'un Monastère était de le compa-
rer à celui d'Aurillac pour l'érudition et la calligraphie.
LE3 TROUBADOUKS CANTALIENS 465
mystique attirance du ctoître. Plusieurs rentraient
dans le inonde, aptes aux travaux intellectuels,
allant chercher dans la basoeae l'utilisation des
connaissances acquises au Secrétariat de l'Abbaye.
A feuilleter les minutes des notaires Aurillacois du
moyen âge, an devine leur formation monastique, à
la particulière surabondance de réminiscences des
textes sacrés, de pieuses invocations, d'exemples
tirés de la Bible, d'imprécations comminatoires
dont ils émaillent leurs actes.
Il n'est pas téméraire de supposer que le Trouba-
dour Cavaire emt tels commencements, au début du
XIIIe siècle. (. — La façon dont il parle d'Aurillac
(.( et de ses habitants, dans sa << tentson » avec P>on-
« nafos, observe Chabaneau, donne lieu de sup-
« poser qu'il était né dans cette ville » il). Il
semble bien, en effet, un « gavroche » de la cité
abbatiale, surgi de quelque taudis de la rue Saint-
Jacques, de la Porte du Buis ou du faubourg- des
Tanneurs, cet enfant du peuple dont le nom révèle
(i) Chabaneau : Biographie des Troubadours, P. 136. —
« Cavaire : Jongleur peut-être Auvergnat qui parait avoir séjourné
en Lombardie dans le second quart du treizième siècle. Une tenson
avec Bonafos, une autre avec Folco. — Gr., n° ni. — Hist. Littér.,
T. XIX, P. 5.96. — Cavedoni, P. 300.
S TROI BADOl Un ( AN TAI.IKNS
le métier ancestral. Son père ou son aïeul avait dû
se faire une réputation d'habileté dans le forage des
galeries souterraines qui jouaient, au moyen âge,
un rôle si important dans la défense des forteresses.
l>«- sa spécialité professionnelle, il avait gardé le
nom de o Gobaïre », dirions-nous aujourd'hui, en
dialecte d'Aurillac, d'an a Cavaïre » renommé,
devait-on dire en Roman <\u XIIIe (1).
Il parait avoir nuis.-, des l'enfance, à travers nos
nies et nos carrefours, le poète infirme qui met en
scène, dans l'unique (< tervson » entière qui nous
peste de lui, les bourgeois d'Aurillac et rappelle si
apreineiii a son confrère la haine que ceux-ci lui ont
rouée. Cavaire s'en allant, boitillant, par les rues
de la ville, nourrissait, sans doute, une haine féroce
contre le cavalier de bonne mine qu'était Bonnafos,
envieux des bonnes fort unes de ce dernier auprès des
nobles dames et des jolies filles du pays.
(i) Ayant à faire exécuter récemment des travaux d'adduction
d'eaux en tranchées profondes, un ouvrier d'Aurillac observait :
« C'est l'affaire d'un « cobaïre », tandis que son camarade
Rouergat ou Limousin disait : Chai un cavaïre ». — Il faut un
homme habitué à creuser les souterrains. On dit aujourd'hui à
Aurillac, « uno cabo » — une cave. On écrivait au XIIIe, d'une
vallée Cantalienne. « E ribiera caraa'a ». — C'est une vallée
creuse. — Titres de la maison d'Apchon.
LES TROUBADOURS CAXTALIENS 467
Le Troubadour Bonnafos, dout le hasard d'une
poésie a uni indissolublement le nom à celui de
Cavaire, à travers les siècles, nous apparaît, en
effet, comme la vivante antithèse de son partenaire,
au physique aussi bien qu'au moral. Si Cavaire
venait du bas peuple, Bonnafos appartenait à une
noble maison féodale de la province voisine. Qu'on
ne s'étonne pas de la liberté d'allure et de langage
du plébéien Cavaire, fils d'un terrassier, avec le gen-
tilhomme, le Chevalier Croisé, peut-être, qu'étail
Bonnafos. L'observation stricte d'une égalité par-
faite entre poètes était précisément une des plus
nobles prérogatives des Troubadours. En champ
clos des Cours d'amour, les Princes les plus quali-
fiés : les Comtes de Poitiers, de Rodez, d'Orange, le
Dauphin d'Auvergne, les rois eux-mêmes : Richard
Cœur de Lion, Alphonse II d'Aragon, avons-nous
dit, affectaient de n'être que les égaux du poète,
issu de souche bourgeoise ou plébéienne, avec lequel
ils avaient voulu rimer une « toison » ou un « jeu-
parti ».
On disait cette race chevaleresque des Bonnafos
venue d'Italie, originaire de Florence où l'on trouve
une famille de Bonnafossas (bon fossé, bonne for-
LES IK"I BAD01 «S i ANTALIEW3
teresse) (1), Kll<- s'était en tous cas, implantée dès
le XII siècle, en La Vicomte de Torenne, aux
limites Auvergnates, près de la ville de Saint-Céré
<iui a loiij'Hirs été fa rapporte si <-<>nst;iuis de voi-
sinage avec Aurillae. Des 11S0, an moins, elle pos-
sédait La seigneurie de Presque», paroisse de Saint-
Médard, chatellenie «le Saini-Céré et en 1230, Ray-
mond I\' de Turenne donnait on fief noble la terre
• le Teysnes a Pierre ot Bertrand de Bonnafos,
Chevaliers, qui t'acoonipagnère&4 à la Croisade. A.
la même ëpoqwe, Bugnes de Bonnafos ainsi que
Deodal étalon! ou Palestine. En 1309 et 131*
Etienne et Pierre do Bonnafos étaient Chevaliers
du Temple (2). La concordance des dates voudrait
(i) De Bergues-la-Garde : Nobil. du Bas-Limousin, P. 22 et
striv. Le nom s'écrit indifféremment Bonafos ou Bonnafos.
(2) Une branche de la maison de Bonnafos, titrée barons dé
l'huteam icux, subsista en Bas-Limousin et Berry. Au XVIe, uu
rameau passa en Haute-Auvergne où il posséda les terres de
BeJïnay près Saint-Flour, Lamothe-Calvinet. Il est encore repré-
senté aux châteaux de Lamothe et de Viescamp (Cantal), de
Marège- (Corrèze). Le baron de Bonnafos, écrivain apprécié, a
donné récemment une excellente monographie du château de
Lamothe, des mieux documentées. — Bouillet, T. I, P. 252. —
Auriac et Acquier : Nobil. de France. — Pièces originales de la
Bibliothèque Nationale et du chartier La Panousse. — Dict. Stat.
du Cantal, T. I, P. 308. — Monographie de Lamothe, P. 15 à 30.
LES rjROTBÀDOURB ( ANTALII.NS 469
assez plausible l'identification du Troubadour Bon-
nafos a quelqu'un des membres précités de cette
famille, notamment à l'un des bénéficiaires de la
donation du Vicomte de Turenne. On sait que le
château de Turenne était un des centres littéraires
de l'époque ; le puissant Vicomte y groupait les
poètes en assez grand nombre pour que l'Ecole des
Troubadours de Turenne fut parmi les plus répu-
tés. Il est infiniment probable que c'est auprès de
son suzerain que notre Bonnafos s'initia à la
science du Gay Savoir et rima ses premiers vers.
Si la Haute-Auvergne ne peut le revendiquer
comme sien, il était né, tout au moins, à ses fron-
tières et il semble bien que ce soit à Aurillac que
cet aventureux cadet de famille, sans doute, ait
récolté de vrais succès poétiques et autres (1).
Apprécié des femmes, honni des maris, Bonnafos
paraît avoir connu tous les bonheurs dont Cavaire
était sevré. Celui-ci éprouve une joie maligne à
rappeler quelque formidable guet-apens que dix
(i) On ne possède absolument rien du Troubadour Bonnafos,
en dehors de la « tenson » avec Cavaire. Chabaneau dit de lui,
P. 135 : « Bonafos, une tenson avec Cavaire. On y voit que
« Bonafos n'aimait point les habitants d'Aurillac et que ceux-ci
« lui rendaient la pareille. Etait-il Auvergnat? » — Gr. n° 99.
-17'» ROI BADODRS OANTALIENS
bourgeois d'Aurillac, trompés el pas eoutents
auraient tendu au trop entreprenant Troubadour!
Notre don Juan grand seigneur le prend de haut,
promet aux pauvres maris une maîtresse correction
à les pendre aussi boiteux que Cavaire el nous
apprend dans sa colère que !«■ poète claudicani
était accusé «1rs pires méfaits, suspecté d'assassi-
nat et <lr vols!
« Les pèlerins racontenl même, dit-on, lui jette
■ Bonnafos au visage, qu'en vos courses vous
« étrangliez les passants. <>i-, qui marche avec les
o voleurs mérite qu'on le traite comme eux! »
Il va plus loin encore et paraît insinuer, que la
claudication de Cavaire n'était pas infirmité le
naissance, mais la marque <1<> la peine infamante
des fers aux pieds qu'il avait subie pour quelque
crime.
Ben aja selh queus ferit
Cavaire, del ferramen.
Béni soit celui qui vous frappa,
Cavaire, du ferrement.
Beaucoup de romanistes estiment que Bonnafos
LES TROUBADOURS OANTALIENS 471
n'aurait pas employé le mot de « ferra moi » s'il
n'avait entendu parler que de la claudication de
Cavaire, qu'il fait allusion aux entraves de fer
portées par le Troubadour Aurillacois pendant son
emprisonnement. Quoiqu'il en soit et en dépit des
compliments qu'il prodigue à ses compatriotes :
Del onrat poblc prezan
D'à Orlac
Le peuple honoré et respecté
D'Aurillac
Cavaire ne paraît pas y avoir fait fortune et alla
la chercher ailleurs, jusqu'en Vénétie à la Cour du
Marquis d'Esté.
Azzo VII, le Jeune, Marquis d'Esté (1205-1264),
avait succédé à peine adolescent à son frère
Azzo VI mort empoisonné (1). Toute la première
(i) La Maison d'Esté avait pour fondateur au VIIIe siècle
Adalbert, Marquis de Toscane. Son descendant Guy possédait
déjà des biens immenses au IXe et son fils Oberto Ier, Marquis
d'Esté, fut créé Comte du Palais par l'Empereur Othon-le-
Grand. Sa descendance a régné sur Este jusqu'en 1803 où le der-
nier Duc, Hercule III, ne laissa qu'une fille qui porta ses Etats
aux Habsbourg-Autriche. Le petit-fils de l'héritière d'Esté, Fran-
çois V d'Autriche-Este-Modène régnait encore à Este lors de
l'unification de l'Italie.
-i.l' LES rSOUBADOUBS CAKTALEENS
partie de son règue de 1212 à 1254 fut une longue
lutte contre Ferrare et Ancône, tantôt en guerre,
tantôt réconcilié avec l'Empereur Frédéric TI.
Gnelfe déterminé, il se vit enlever la presque tota-
lité de ses Etats par les Gibelins; les récupéra a
force de luttes h put enfin régner paisiblement à
partir de Î259« Malgré sa vie agitée, dès qu'il était
parvenu à l'âge d'homme, il avait témoigné un goût
vit pour la poésie, cherché a attirer à sa cour
les Troubadours Provençaux. Sa première femme
.Jeanne et, plus tard, leur tille Constance parta-
gèrent pleinement ce goût; aussi sont-elles l'objet
continuel des louanges les plus hyperboliques de
la part des nombreux Troubadours attirés à Este
par les libéralités du Marquis.
Par quel concours de circonstances le Trouba-
dour Aurillacois quitta-t-il les montagnes natales
pour aller s'implanter au pied des monts Euga-
néens? (1) Il ne faut pas plus demander au Trou-
badour médiéval quelles raisons le poussèrent de
Cour en Cour qu'au papillon d'où vient la brise
qui l'emporte de fleur en fleur ! Cavaire poussa
(i) La ville d'Esté, située au pied de cette chaîne, est en Véné-
tie, à 26 kilom. de Padoue.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 4'73
d'abord, sans doute, par Rodez, Lodève et Mont-
pellier, belles et sûres étapes pour le Guy Savoir,
jusqu'en Provence assister à quelque Cour d'Amour.
Les recruteurs du Marquis d'Esté y venaient,
savons-nous, proposer aux poètes large existence,
bon accueil et grand honneurs (1) auprès de leur
maître; notre Cavaire s'en fut, toujours claudicant.
vers l'Adriatique, chercher meilleur appréciateur
de son talent que ce damné Bonnafos. Si vraiment
il avait eu maille à partir avec la justice de Mon-
seigneur l'Abbé d'Aurillac ou celle du Bailly Royal
des Montagnes, peut-être ne fut-il pas fâché d'aller
faire peau neuve en pays étranger.
Le Marquis d'Esté semble avoir affectionné tout
particulièrement un des poètes qui vivaient à sa
cour, connu sous le nom du « Jongleur du Marquis
d'Esté » et du « Messongct Giiillare » (1) (( Le
gai menteur )). Ce personnage qui s'appelait en
réalité « Folco )) (( Foulques », était un ancien
(i) Cavedoni : « Accueil et honneurs réservés aux Troubadours
Provençaux à la Cour du Marquis d'Esté, au XIIIe siècle ». —
Memorie délie R. Acad. di Modena, T. II. 1858.
(2) Ibid.
474 l.i s TROUBADOURS eA.NTALIENS
.Moine chassé de son couvent (1), mauvaise langue
fieffée, qui B'étail t'ait Troubadour. On possède de
lui une " TensoD » composée en collaboration avec
Guy de Cavaillon. Cavaire qui apparaît fort (( mau-
vais coucheur », facilement jaloux de qui lui porte
ombrage, avait tenté, sans doute, de .supplanter
Folco dans Les bonnes grâces <lu Marquis, et le
jongleur, renseigné sur Le passé Louche <lu poète,
Oantalien, lui avait décoclié quelque sanglant épi-
gramme sous forme «le « cobîas » — couplet. — La
réponse de Cavaire à Folco nous est seule parvenue;
bout au moins son premier couplet, car il est à
croire que la verve plutôt méchante. de l'enfant
d'Aurillac ae s'en était pas tenue aux reproches
assez anodins «les six vers que nous connaissons.
On ae sait rien de plus de aotre caustique Trou-
badour perdu pour nous, dans les lointains Véni-
tiens où il termina, peut-être, paisiblement une
existence non dépourvue d'incidents dont plusieurs
n'apparaissent pas à son honneur et feraient hésiter
il lui délivrer un certificat de bonnes vie et mœurs!
(i) Raynouard, T. V, P. 146, i;_\ — Millot avait cru (T. III,
P. 37) que ce Folco était Bertrand-Folcon, Vicomte d'Avignon,
dont on a un « sirventés » en réponse à un autre de Guy de
Cavaillon pendant la guerre avec la France en 1239. Raynouard
avait d'abord adopté cette opinion : T. IV, P. 207-210. Cavedoni,
loc. cit.. l'a nettement identifié.
Astorg d'Aurillac
Baron de Conros
IAUSTAU D'AORLHAC
XIII
Louis IX, Roi de France, à Damiette,
entouré de ses chevaliers
Miniature extraite du manuscrit fr. 10148 de la Bibliothèque Nationale
Le saint Comte Géraud, fondateur, en 898, de
l'Abbaye et de la Tille d'Aurillac, avait une sœur,
Avigerne, épouse d'Hervé, Comte de Nantes et
d'Herbauges. Le fils de celle-ci, Reynaud, Comte
d'Herbauges, aurait été, au dire des généalo-
gistes (1), père de Géraud d'Aurillac, seigneur de
Conros (2), qui vivait en 1040 et aurait eu pour
fils Astorg Ier, baron de Conros et Saint Robert,
fondateur, en 1043, de l'Abbaye de La Chaise-Dieu
en Velay. Le nom d' Astorg devient, désormais,
patronymique chez sa descendance; elle y joint
celui d'Aurillac, non comme seigneurs de la ville
Abbatiale, mais à titre de Viguiers du Monastère.
Le château de Conros, au voisinage immédiat d'Au-
rillac, qu'elle tient en fief de l'Abbaye, est sa
résidence. Sans rechercher jusqu'à quel point la
légende se mêle à l'Histoire dans les origines des
(i) Baluze, du Bouchet, de Luguet, Baron Delzons : Dict. Stat.
du Cantal, T. I, P. 96 et suiv. — Bouillet : Nobil. d'Auv., T. I,
P. 101 et su;v.
(2) Conros, château de la commune d'Arpajon, à 5 kilomètres
d'Aurillac.
-17V LES TROUBADOURS OANTÀLIENS
Astorgs d'Aurillac-Gonros, il est incontestable que
cette antique race, issue ou non de la sœur de
Saint Géraud, Comte d'Aurillac, était une des plus
illustres et des plus puissantes du Haut-Pays.
Astorg II et Astorg III avaient accru leurs
domaines par leurs alliances, Astorg IV avait
assisté, en 1204, il titre de parent, au mariage de
Pierre II, roi d'Aragon avec Marie, héritière du
Comté de -Montpellier. Astorg V, avait pris pour
femme, Marie de Carlat-Kodez et s'était ainsi appa-
renté aux plus illustres maisons féodales, au temps
où son frère Guillaume était Evêque de Paris (1).
(e Guillaume d'Aurillac-Gonros, ou Guillaume
d'Auvergne, comme on l'appelle communément, est
un de nos premiers écrivains Cantaliens qui mérite
d'arrêter l'attention au passage.
(i) Saint Robert, fondateur de La Chaise-Dieu, était en réalité
Robert de Turlande, fils de Géraud, seigneur de ce château de
Turlande, commune de Paulhenc, canton de Pierrefort, arr. de
Saint-Flour, au bord de la Truyère, sur les confins du Carladez
et du Rouergue. M. le Conseiller Boudet a établi péremptoire-
ment la filiation du fondateur de La Chaise-Dieu, « Saint Robert
de Turlande, ses origines et sa famille», Bulletin de l'Académie
de Clermont 1906, P. 47-72 et 82-113. Cartulaire de Saint-Flour,
P. XXXV et passim.
LE3 TROUBADOURS CANTALIENS 479
« Guillaume, soixante-quinzième évêque de
« Paris, dit un vieil historien Cantalien, qu'on
« appelle ordinairement « Cfuillelmus cVAlvembi-
« ou Alvernen&is », non pas pour en avoir esté
« Evesque, mais pour estre né de la maison des
« barons d'Aurillac, comme lui-mesme Ta laissé
« par écrit dans un tiltre par lequel il a fondé
« un hospital dédié à la Sainte-Trinité aux faux
« bourgs d'Aurillac » (1).
Elevé au Monastère d'Aurillac, nous dit le Comte
de Eésie (2), Guillaume fut l'ami, le confident et
le conseil de Saint Louis. Très instruit dans les
Lettres sacrées et profanes, il surpassait les doc-
teurs de son temps par sa science, son éloquence,
sa piété et la variété de ses connaissances. Il avait,
reconnaissent ses contemporains, sur toutes les
matières qu'il touchait, une sagacité et une péné*
tration qui l'ont distingué entre les plus grands
maîtres. Son ouvrage le plus connu est « La
(i) Le P. Dominique de Jésus, Géraud Vigier, Carme Dé-
chaussé, né à Aurillac à la fin du XVIe, mort en 1638 : « Hist.
parœnetique de^ trois saints protecteurs du Haut-Auvergne »,
Paris 1635, P. 781.
(2) Comte de Résie, Hist. de l'Eglise d'Auvergne, T. III, Cler-
mont 1855.
480 LES TROUBADOURS CANTALIEXS
Rhétoriqm divine des causes de l'Incarnation et
de l'univers >> (1), mais il a laissé, nous dit son
savant biographe moderne (2), des Sommes, Com-
mentaires et Serinons qui forment douze ouvrages
distincts imprimes, sans parler de onze encore
inédits e1 de plusieurs antres qu'on lui attribue
sans preuves certaines. Nommé à l'Evêché de Paris
en L228 il a occupé vingt ans ce siège jusqu'au
•'!ii mars 1 1_* 4 î » , date (le sa mort (3).
Ses Mémoires et Commentaires sur les événe-
ments de son temps, sans avoir l'ampleur et le
piquant des Chroniques du sire de Joinville, sont
• 1rs plus précieux pour l'Histoire. Nous empruntons
a l'un de nos éininents collègues en Majoralat (4)
I.- récit très typique d'un épisode de la vie de Saint
Louis * 1 1 1 ï met bien en relief le caractère de
i ï ) Edité à Venise par le P. J.-D. Trajane.
(2) Noël Valois : « Guil. d'Auvergne, Evêque de Paris (122S-
1249), sa vie, ses ouvrages », Paris 1880.
(3) Fondateur de la Maison des Filles-Dieu à Paris pour les
repenties, il fut inhumé dans la chapelle Saint-Denis de l'Abbaye
de Saint-Victor.
('4) M. J. Charles-Roux, ancien Député de Marseille, Président
des Messageries Maritimes, etc., auteur de nombreux ouvrages
de haute érudition sur la Provence.
LES TROUBADOURS CANTALIEXS 481
Louis IX en même temps qu'il montre les rapports
de Guillaume d'Aurillae avec le saint roi.
« C'est uniquement par piété que Saint Louis
« voulut entreprendre une nouvelle croisade. Il ne
« savait rien de l'Islam et espérait sincèrement
« pouvoir convertir les Infidèles. Pour accomplir
« ce dessein, il dut résister à tous les avis de sa
« mère et de ses Conseillers. Lui, très doux, très
« humble devant Blanche de Castille, cette régente
« dans l'âme, lui que nous voyons, dans Joinville,
« réunir à tout moment son Conseil pour exami-
(( ner, peser le moindre mot, montra, au sujet de
« la Croisade un véritable entêtement. Il prit la
(( croix, véritablement par surprise ainsi que nous
« le raconte Guillaume d'Auvergne, Evèque de
« Paris, et la garda, comme un enfant dans un
« caprice. En 1244, étant gravement malade, il fit
(( vœu de prendre la croix; on la lui donna espé-
« rant bien que, la fièvre tombée, il voudrait se
« souvenir des tristes expériences accumulées dans
« les précédentes expéditions. Sa mère et les
<( Grands du royaume ne les oubliaient pas. Dès
« son rétablissement, tous se concertèrent pour lui
(( faire abandonner son projet; le Pape, lui-même
482 LES TROUBADOURS OANTALIENS
« lui écrit dans le même sens. Eu 1247, au milieu
« du Carême, devant une grande assemblée de
(. seigneurs et de prélats, L'Evêque de Paris (Guil-
« Laume d'Aurillac) lui dit : u Sire, déposez la
« croix pour ne pas bouleverser la France; vous
« étiez dans le délire, vous n'aviez point l'usage
o de vos sens. h. Louis IX parut ébranlé, u Que
<. votre volonté se tasse >> dit-il, en remettant sa
<■ croix entre les mains de Guillaume; mais L'on
« fut bien vite détrompé. « Suis- je en délire, à
« présent? » s'écria-t-il. « — Eh bien! rendez-moi
<< la croix de Notre Seigneur Jésus-Christ, Celui
.. qui sait tout m'est témoin que je n'accepterai
« pas de nourriture tant que je ne l'aurai pas
(« reprise » (1). Devant l'obstination royale, Guil-
laume d'Aurillac dut s'incliner et, tout attristé,
rendit la croix au roi. Sa perspicacité et sa recti-
tude de jugement lui faisaient prévoir tout ce
qu'avait d'impolitique le départ du roi de France,
a luis que le Midi, encore tout pantelant de la
Croisade, n'était soumis qu'en apparence.
(i) Charles-Roux, « Aiguës-Mortes », 1910, P. 160 et suiv. —
Sur Guil. d'Auvergne, Cf. Noël Valois, loc. cit.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 483
Le frère aîné de l'Evêque de Paris, Astorg VI
d'Aurillac porta à sou apogée la puissance et la
richesse de sa maison et paraît être, de tous ses
prédécesseurs et successeurs, celui qui a joui des
domaines les plus étendus. Viguier de l'Abbaye
<i'Aurillac, mais non pas, comme d'aucuns l'ont
prétendu, Vicomte de cette ville dont l'Abbé était
seul et unique seigneur, Baron de Conros, dont la
juridiction englobait les paroisses d'Arpajon, Au-
rillac, Vézac, Vie, Boanne, Prunet, etc., il était
également seigneur de la Bastide (1), La Roque-
vieille, chatellenie considérable dont mouvaient les
paroisses de Laroquevieille, Saint-Cernin, Saint-
Martin et Girgols (2), de Carbonnières, vaste terre
Limousine qui lui venait de son aïeule Dia de Car-
bonnières (3) et possesseur, en outre, d'une énorme
quantité de fiefs englobant tout ou partie des parois-
ses de Thiézac, St-Cirgues-de-Jordanne, Lascelles,
(i) Le château de La Bastide, par. d'Arpajon, était situé entre
les villages de Maussac et de Carbonnat. On en voit encore
quelques restes dans un taillis, assure le Dict. Stat. du Cantal,
T. i, P. 102.
(2) Cant. et arr. d'Aurillac.
(3) Carbonnières, aux limites du Cantal et de la Corrèze, cant.
d'Argentat, arr. de Tulle.
484 LE3 TROUBADOURS CANTALIEXS
Saint-Rémy-de-Jordanne, Viescamp, Saint-Etienne,
Saint-Gérons, Ayrens, Crandelles, Ytrac, Omps, etc.,
le tout situé eu Haute Auvergne (1). Il possédait
également, du chef maternel, la grande baronnie
de Ténières en Rouergue, l'une des plus considé-
rables de cette province qui comptait plus de trente
seigneurs importants au nombre de ses vassaux et
qui jouissait des plus insignes privilèges depuis que
le vaillant baron de Ténières avait sauvé, en 1210,
la ville de Rodez des Albigeois (2). Son mariage avec
.Marguerite de Malmort avait ajouté encore à ces
immenses domaines.
Lorsqu'en 1247, son frère, l'Evêque de Paris, dut
rendre la croix à Saint Louis, Astorg VI suivit
l'exemple royal et fut de ceux qui s'embarquèrent
avec Louis IX à Aiguës-Mortes, le 28 août 1248. On
sait le long séjour des Croisés dans l'île de Chypre
(i) Dict. Stat. du Cantal, T. I, P. 96-97. — Nobil. d'Auv.,
T. I, P. 105.
(2) De Barrau : Docum. hist. sur le Roiuergue, T. I, P. 719
et suiv., donne une étude très ample de la baronnie de Ténières
et de ses seigneurs. Ténières, aux limites de l'Aveyron et du
Cantal, fait partie du cant. de Saint-Amans, arr. d'Espalion, avec
des parties dans les cantons de Sainte-Geneviève (Aveyron) et du
Mur-de-Barrez (Cantal).
LES TROUBADOURS CANTALIENS 485
où les barons Français arrivaient un à un, lente-
ment, sans enthousiasme, l'embarquement le 13 mai
1249, l'arrivée en terre Egyptienne, la prise de
Damiette, l'ignorance si complète des Croisés qu'ils
prenaient Le Caire pour Babylone, enfin le désastre
de la Mansourah, le 11 février 1250, et la captivité
du roi fait prisonnier avec ses frères et tous ses
barons le 6 avril, rendu à la liberté le 3 mai moyen-
nant une énorme rançon. Louis IX ne rentra à
Paris qu'en septembre 1254.
Aucun détail n'est venu jusqu'à nous du rôle
d'Astorg VI durant cette malheureuse expédition.
Il semblerait qu'il dut en revenir puisqu'un acte
postérieur d'un an à sa mort nous apprend laconi-
quement qu'il confirma par acte authentique et fit
ratifier par son fils en 1258, les libéralités que son
père et son aïeule, Dia de Carbonnière, avaient faites
à l'Abbaye de Bonneval, en Eouergue. On sait
encore qu'il testa en 1259. — « Il partit ensuite
« pour la Croisade, dit le baron Delzons, et mourut
(( en Afrique en 1260 » (1). Si cette assertion est
(i) Dict. Stat. du Cantal, T. I, P. 96. — Cf. sur Astorg VI :
Bouillet T. I, P. 105; Barau, T. I, P. 722.
4m; les troubadours cantaliens
rigoureusement exacte, il faudrait supposer qu'il
aurait tente une seconde expédition à un âge déjà
mûr. Nous verrons que c'est à lui qu'on attribue
aujourd'hui la poésie dont son fils passait jusqu'ici
pour être l'auteur. Il est, au moins, surprenant que
l'homme désabusé et aigri, si violemment courroucé
contre le Clergé et le Pape, que décèle le « sirven-
tés >>, se soit embarqué une seconde fois pour une
nouvelle Croisade, sans caractère général aucun, a
cette date. Nous laissons aux généalogistes la solu-
tion de ce problème que la totale absence de docu-
ments paraît rendre bien difficile à élucider.
Il est en revanche absolument certain qu'As-
torg VI était bien mort en 1200 et que le 24 juin 1261
ses deux enfants mineurs, Astorg VII et Aymeric,
sous la tutelle de leur mère, abandonnèrent aux
exécuteurs testamentaires de leur père la moitié de
leurs revenus pendant trois ans pour payer les frais,
dettes et aumônes de la succession paternelle. La
veuve d'Astorg VI, Marguerite de Malmort, élevait
avec sollicitude ses deux fils au château de Conros.
C'était une austère demeure et le site qui l'entoure
ajoutait encore à la tristesse du manoir. Construit
LES TROUBADOURS CANTALIENS 487
sur un escarpement dominant à une grande hau-
teur la Cère qui coule encaisse au sortir de la
plaine d'Arpajon, la vue est bornée par la forêt qui
couvre le ravin opposé et fait au château une mélan-
colique ceinture. De l'extrémité de l'esplanade, seu-
lement, une échancrure de la montagne permet à
l'œil de se reposer sur la riante vallée d'Arpajon,
d'admirer la vaste et riche plaine où se réunissent
à la Cère la Jordanne et le ruisseau de Mamou, de
suivre l'ondulation de ces coteaux parsemés d'élé-
gantes villas, de riches villages coquettement jetés
dans les positions les plus délicieusement choisies.
Tout occupé à devenir un féal Chevalier, le jeune
Astorg s'aguerrissait, à Conros, aux exercices phy-
siques, sous la direction du Capitaine du château,
énergique combattant des luttes Africaines contre
le Maure, en même temps que les plus savants
Moines de cette Abbaye d'Aurillac, dont il était le
Viguier et le défenseur héréditaire, l'initiaient aux
Belles-Lettres, lui apprenaient à rimer « sirventés »
et « tensons ». Sept années furent employées à cette
double formation si peu commune alors, même pour
les plus grands seigneurs. Quand Marguerite de
4SS LES TROUBADOURS CAXTALIEXS
Malmort estima achevée son œuvre maternelle, elle
envoya son tils aîné à Taris, solliciter du roi Loya-
le-Saint, sous les yeux duquel Astorg VI avait
combattu à la Mansourah, l'honneur pour le jeune
baron de Conros, qui avait accompli ponctuellement
son stage d'Ecuyer il), de recevoir de sa bouche
l'accolade et d'être armé Chevalier de sa royale
main.
— « La Chevalerie est pour les modernes ce que
1rs temps héroïques étaient pour les anciens », a dit
.Mme de Staël. 11 faut reconnaître avec Chéruel
qu'elle a exalté le sentiment de l'honneur à un degré
inconnu des héros de l'antiquité, et prendre à Am-
père cette ingénieuse définition : « Elle est le roman
(( de la féodalité, mais son roman vécu ». Son
objectif, a-t-on dit encore, était l'exaltation dans la
générosité, exaltation qui poussait les Chevaliers à
réaliser des prouesses invraisemblables si l'Histoire
(A) A l'âge de sept ans, le fils d'un noble entrait comme page
au service d'un Roi, Prince ou grand Baron, y accomplissait son
service au moins pendant sept années. Il pouvait être admis alors
aux fonctions d'Ecuyer, entretenait les armes de son seigneur,
surveillait les chevaux, ayant le privilège de porter l'épée au côté.
11 devait faire comme Ecuyer un stage de sept années au moins,
nul ne pouvant être armé Chevalier avant vingt et un ans.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 489
ne les attestait indéniablement, exaltation dans
le sentiment de l'amour, mobile de tontes les actions
d'un vrai Chevalier. Une institution qui exacerbait
et faisait dévier à ce point les sentiments les meil-
leurs devait fatalement glisser à l'exagération, à la
corruption et au ridicule. Mais, au XIIIe siècle, elle
était encore en pleine efflorescence, exclusivement
guerrière, imprégnée d'un culte tout mystique pour
la femme à laquelle elle vouait un amour plus idéa-
liste que sensuel.
Selon l'usage qui faisait coïncider toujours la
solennelle investiture des nouveaux Chevaliers avec
une des grandes fêtes religieuses, ce fut le jour de
la Pentecôte 12G7 que le jeune Baron de Conros fut
fait Chevalier. La veille au soir, il dut s'enfermer,
en compagnie de ses parrains, deux Chevaliers choi-
sis parmi les plus réputés, et d'un Prêtre, dans la
chapelle du château i'03'al de Vincennes, y passer
la nuit en prières, préparation sacramentelle appe-
lée « la veille des armes ». Au matin, Astorg se
confessa et communia, vêtu d'une sorte de robe
brune, sans aucun autre ornement. Puis, selon le
rite, il alla au bain, abandonna, après ses ablutions,
490 LES TROUBADOURS CANTALIEXS
la robe brune pour revêtir des habits blancs, de
forme particulière, taillés dans l'étoffe la plus riche.
En cet accoutrement, il dut s'étendre sur son lit
pour y recevoir les visites de cérémonie de ses amis,
des compagnons d'armes de son père, de tous ceux
qui désirèrent lui marquer leur sympathie. Cette
formalité accomplie, deux ou trois seigneurs, des
plus qualifiés parmi ses intimes, vinrent l'aider à
revêtir le costume de Chevalier. Ce fut d'abord une
chemise brodée d'or au cou et aux poignets; par-
dessus cette chemise une « jacque » de mailles,
sorte de camisole faite de petits anneaux de fer
entrelacés qu'on appelait aussi « haubert ». Elle
était recouverte par un pourpoint de buffle sur
lequel on passait une cotte d'armes et sur le tout
on jetait un grand manteau semblable au manteau
des Pairs.
En cet équipage, Astorg se mit à genoux et fit
serment de n'épargner ni sa vie ni ses biens pour
la défense de la Religion, de faire la guerre aux infi-
dèles, de protéger les veuves, les orphelins et les
opprimés. Après ce serment, les seigneurs les plus
qualifiés lui chaussèrent les éperons dorés; d'autres
LES TROUBADOURS CANTALIENS 491
lui présentèrent le ceinturon où pendait une longue
épée dans un fourreau couvert de toile et semé de
croisettes d'or. Il passa cette épée à son cou et se
rendit en cortège à l'Eglise où il se présenta après
la Messe chantée. L'Evêque officiant prit l'épée que
lui remit Astorg, la bénit et la porta procession-
nellement au roi. Louis IX n'était plus, à cette
époque, « long et grêle, avec un air angélique, un
« visage plein de grâce, des yeux pleins d'âme, de
« douceur et de rêve, des yeux de colombe » (1). Il
avait perdu cette taille fine et élancée, cet aspect
plus élégant que vigoureux, son abondante cheve-
lure blonde; <( à la suite des austérités et des macé-
(( rations auxquelles il se soumit avec une rigueur
(( toujours plus étroite, il était devenu chauve et
« un peu voûté » (2). Ce n'était plus l'imposant
Chevalier de la journée de la Mansourah dont Join-
ville dit : « Jamais si bel homme armé ne vis, car il
(( dépassait ses chevaliers de toute la tête, un
« heaume doré sur son chef, une épée d'Allemagne
« en sa main. »
(i) « Subtilis et gracilis, convenienter et longus », dit le Fran-
ciscain Salimbene qui avait vu le roi à Aiguës-Mortes en 1248.
(2) Ch. Roux : « Aiguës-Mortes ». P. 180.
! '■'- LES TROUBADOURS CANTALIENS
Assis sur son trône, méditant, sans doute, les pré-
paratifs de la nouvelle Croisade qu'il avait officiel-
lement annoncée depuis deux mois et dont il portait
déjà les insignes, le saint roi vit le jeune baron de
Conros s'avancer vers lui, a pas comptés, les mains
jointes, et, parvenu au pied du trône, s'y mettre à
genoux. Le r<»i lui demanda alors ce qu'il voulait,
s'il souhaitait la Chevalerie par amour des richesses
pour se reposer ou pour se faire honneur à lui-même.
— « C'est dans l'unique désir d'honorer la Cheva-
lerie >». répondit Astorg, et il renouvela entre les
mains du monarque le serment déjà prêté à ses par-
rains. Alors, Louis IX, debout, le frappant par trois
fois sur L'épaule du plat de l'épée: « Au nom de
Dieu, de saint Michel et de saint Georges, je te fais
Chevalier ». Et tandis que trompettes et hautbois
jouaient leurs plus éclatantes fanfares, le pieux
monarque attacha Fépée à la ceinture du nouveau
Chevalier et lui donna l'accolade.
Désormais, le nouveau Chevalier était « adoubé »
(adopté) ; on lui remit immédiatement un casque, un
écu, une lance; un cheval attendait sur lequel il
s'élança pour parcourir les rues de Paris, montrer à
LES TROUBADOURS CANTALIENS 493
tous sa nouvelle qualité. Au retour de cette chevau-
chée, il s'assit au banquet royal que Louis IX donna
en son honneur au Donjon de Vincennes.
« Messire » Astorg, ainsi qu'il avait le droit de
se qualifier désormais, rentra à Conros où on le
voit tout occupé pendant trois ans de l'administra-
tion de ses domaines. Le 20 juillet 1269, il fournit
à l'Abbé d'Aurillac l'aveu et dénombrement de tout
ce qu'il tenait de lui et le 27 du même mois il recon-
naît tenir d'Alphonse, Comte de Poitiers, de Tou-
louse et d'Auvergne, frère de Saint Louis, quantité
d'atïars situés dans les paroisses de Saint-Cirgues
et Saint-Kéiny de Jordanne, Lascelles et Thiézac.
Le 3 août de la même année, il rend hommage à
Guillaume, abbé de Saint-Géraud, et remet entre
ses mains son château de Conros. La bannière Abba-
tiale est hissée au sommet du donjon et par trois
fois le héraut d'armes du Monastère jette aux échos
l'appel guerrier de l'Abbé d'Aurillac: « Ourlhat,
Ourlhac, per Sent Guiral é per l'Obbat » — « Auril-
lac, Aurillac, pour Saint Géraud et pour l'Abbé ».
Le 12 septembre suivant, il obtient d'Alphonse de
Poitiers et d'Auvergne des lettres au Sénéchal de
494 LES TROUBADOURS CANTALIENS
Rouergue pour se faire restituer la terre de Tinières
et le 28 octobre il reconnaît tenir de l'Evêque de
Clermont son château de La Bastide et ses dépen-
dances. Par ces actes multipliés d'administration,
il incitait ordre à toutes les affaires que la mort
soudaine de son père avait laissées pendantes pour
se préparer à suivre lui-même son vaillant exemple
ci aller guerroyer, à son tour, sur la terre Africaine.
La cruelle expérience qu'il avait pu acquérir en
Egypte, les désastreux résultats de sa première
expédition n'avaient pu faire abandonner à Louis
IX le chimérique espoir de convertir les Sarrazins.
Son illusion esl si enracinée qu'il fera, deux ans
plus tard, aux envoyés d'El Mostanssir, Sultan de
Tunis, cette explicite déclaration: « Dites à votre
« maître que je souhaite si vivement le salut de
<< son âme que je consentirais volontiers à être dans
<( les prisons des Sarrazins tous les jours de ma
« vie, sans jamais voir la clarté du ciel, pourvu
« qu'il se convertisse » (1). Les barons Français
étaient fort éloignés de partager ce pieux enthou-
siasme, le « Dieu le veut » clamé par le roi restait
(i) « Dummodo rex rester et gens sua fièrent Christiani ».
LES TROUBADOURS CANTALIENS 495
sans écho et les plus braves Chevaliers, ceux-là
même qui approchaient de plus près le saint mo-
narque, se montraient navrés de cette obstination
à vouloir tenter une nouvelle expédition. Rien ne
saurait donner une idée plus exacte de l'état des
esprits qu'un pasage de Join ville; on y voit pris sur
le vif le dégoût général, la répugnance de tous à se
lancer dans une nouvelle aventure sans résultat
profitable possible. Cet état d'âme de la Chevalerie
Française que le jeune Astorg d'Aurillac devait par-
tager expliquera que, parti sans enthousiasme,
aiguillonné seulement par le point d'honneur, sa
poétique indignation se soit traduite en termes
d'une violence qui étonne moins lorsqu'on connaît
l'ambiance dans laquelle vivait nécessairement notre
Troubadour.
C'était en fin mars 1267, donc quelques semaines
avant la Pentecôte où Astorg fut armé Chevalier.
« Il advint, dit Joinville que le roi manda tous ses
<( barons à Paris pendant un carême. Je m'excu-
<( sai près de lui pour une fièvre quarte que j'avais
« alors et le priai qu'il me voulût bien dispenser et
« il me manda qu'il voulait absolument que j'y
496 LES TROUBADOURS CANTALIENS
<( allasse, car il avait de bons médecins qui savaient
(( bien guérir de la fièvre quarte.
« Je m'en allai à Paris. Quand je vins le soir de
(( la Vigile de Notre-Dame, en Mars, je ne trouvai
« personne, ni la Keine ni autre, qui me sut dire
« pourquoi le roi m'avait mandé. Or, il advint, ainsi
« que Dieu le voulut, que je m'endormis à Matines
« et il me fut avis en dormant que je voyais le roi
« devant un autel, à genoux, et il m'était avis que
« plusieurs Prélats, en habits d'Eglise, le revêtaient
« d'une chasuble vermeille en serge de Keiins.
« J'appelai, après cette vision, Mgr Guillaume,
« mon Prêtre, qui était très savant et lui contai
« la vision. Et il me dit ainsi: « Sire, vous verrez
« qne le roi se croisera demain ». Je lui demandai
(( pourquoi il le pensait et il me dit qu'il le pensait
(( à cause du songe que j'avais songé, car la cha-
« subie de serge vermeille signifiait la croix,
(( laquelle fut vermeille du sang que Dieu y répan-
(( dit de son côté et de ses mains et de ses pieds.
<( Quant à ce que la chasuble était en serge de
« Reims, cela signifie que la Croisade sera de petit
« profit, ainsi que vous verrez, si Dieu nous donne
« vie.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 497
(( Quand j'eus ouï la inesse à la Magdeleine, à
« Paris, j'allai à la Chapelle du Roi et je trouvai le
« roi qui était monté sur l'échafaud des reliques et
(( faisait apporter la Vraie Croix en bas. Pendant
<( que le roi venait en bas, deux Chevaliers qui
(( étaient de son Conseil commencèrent à parler l'un
« à l'autre et l'un dit : a Ne me croyez jamais si le
« roi ne se croise ici ». Et l'autre répondit : « Si
« le roi se croise, ce sera une des douloureuses jour-
ce nées qui jamais fut en France. Car, si nous ne
« nous croisons, nous perdrons l'amour du roi et si
« nous nous croisons nous perdrons celui de Dieu
<( parce que nous ne nous croiserons pas pour lui,
« mais par peur du roi. »
« Or, il advint ainsi que le roi se croisa le lende-
« main et ses trois fils avec lui et puis il est advenu
« que la Croisade fut de petit profit, selon la pro-
(( phétie de mon Prêtre.
(( Je pensai que tous ceux-là firent un péché mor-
(( tel qui lui conseillèrent le voyage, parce que, au
« point où il était en France, tout le royaume était
(( en bonne paix au dedans et avec tous ses voisins
« et depuis qu'il partit, l'état du royaume ne ut
« jamais qu'empirer. »
498 LES TROUBADOURS CANTALIENS
La dernière Croisade de Saint Louis fut, on le
voit, moins que populaire. L'enthousiasme du Baron
de Conros paraît avoir été fort modéré, lui qui
s'attarda si bien à ses préparatifs qu'il ne put s'em-
barquer avec le roi. 11 estima, sans doute, cette
expédition obligatoire pour lui, crut ne pouvoir
mieux témoigner sa gratitude au saint roi, pour
l'honneur insigne reçu de lui, qu'en tirant sous ses
ordres, contre les Infidèles qu'il s'était engagé à
combattre par son serment de chevalerie, cette épée
que le monarque Français avait attachée à sa cein-
ture. .Mais, un grand seigneur comme le baron de
Conros ne partait en expédition d'outre-mer qu'en
entraînant à sa suite nombre de ses vassaux, et les
frais d'une telle entreprise étaient des plus dispen-
dieux. Les barons féodaux étaient plus riches de
terres que d'espèces sonnantes; pour se procurer le
viatique indispensable, il leur fallait nécessairement
engager ou aliéner quelque domaine. C'est ainsi que
le 22 août 1270, Astorg VII vend, au prix de treize
mille soixante sous de Clermont, à son oncle Durand
de Montai (1), tout ce qu'il possédait dans les
(i) Durand, fils cadet d'Astorg V et de Marie de Carlat-Rodez,
auteur des Aurillac-Montal, plus tard barons de Laroquebrou. Il
LES TROUBADOURS CANTALIENS 499
paroisses de Viescamp, Saint-Etienne, Saint-Girons,
Ayrens, Crandelles, Ytrac et Omps. Ainsi lesté, il
quitta Conros dès les premiers jours de septembre.
On sait rembarquement de Louis IX à Aigues-
Mortes, en juillet, son arrivée à Tunis dont il espé-
rait convertir le Sultan, la dyssenterie et la peste
qui décimèrent l'armée campée dans les ruines de
(1artkage, la mort du saint roi le 25 août. Quand le
baron de Conros débarqua sur la côte Africaine, il
trouva Farinée des Croisés dans la plus inexprimable
confusion, ses chefs en proie au plus complet décou-
ragement. Deux mois s'écoulèrent en incessantes
escarmouches avec le Sultan de Tunis. Charles d'An-
jou, roi de Sicile, frère de Saint Louis, réussit à
signer avec ce chef Musulman un traité de paix et
les Croisés purent enfin se rembarquer, emportant
comme unique et funèbre trophée de cette lamen-
table expédition, les ossements du saint roi.
Il s'en revint, tout dolent, à Conros, retrouver sa
avait épousé l'héritière du château de Montai, par. d'Arpajon,
au voisinage de Conros. La descendance de ces Astorg-Montal-
Laroquebrou ne s'est éteinte, au moins dans un rameau légitimé,
que sous Napoléon III, en M. de Montai de Salvanhac, Maire
d'Ayrens.
500 LES TROUBADOURS CANTALIENS
jeune femme, Alix de Calmoiit d'Olt, et semble avoir
tourné désormais contre Henri II, Comte de Eodez
et Vicomte de Cariât (1), suzerain d'une partie de
ses domaines, le besoin d'action qu'il n'avait pu
dépenser contre les Maures d'Afrique. Meurtres,
déprédations, injures, violences et dommages furent
commis, de part et d'autre, avec la plus déplorable
abondance. Aymeric d'Aurillac, sire de Montai,
frère puîné du baron, Bertrand de Viescamp, Pierre
de la Broha, Raymond de Séverac, Adhémar de h
Vaissière, Amblard Vascon (le Gascon), llaymonc
Périès, dit Terrisse, ces deux derniers chefs d(
bandes à la solde d'Astorg, avaient chaudement
épousé sa querelle contre le Comte de Kodez que
soutenaient: Henri de Bénévent, Géraud de Sco-
railles, Guibert de Boni et nombre d'autres sei-
gneurs. Ce déplorable état de choses, dont pâtis-
saient surtout les tenanciers de Cariât et de Conros,
se prolongea jusqu'en 1281 où, le jeudi après la fête
des apôtres Saint Philippe et Saint Jacques, les
(i) Henri II, Comte de Rodez et Vicomte de Cariât (1274-
1302) fut lui-même poète. On a de lui deux « tensons » avec
Giraut Riquier. Troubadours et Jongleurs affluaient à la Cour
de Rodez. Cf. Chabaneau, P. 140. — De Barrau : Doc. hist. du
Rouergue, etc..
LES TROUBADOURS CANTALIENS 501
belligérants se réunirent à Aurillac, dans Lé Couvent
des Frères Mineurs. Hugues de Collas, Chevalier du
roi de France, Pierre Bosc, Sénéchal du Rouergue,
Jacques Laumosnier, Baillv royal des Montagnes
d'Auvergne, avaient été choisis comme arbitres. Ces
trois juges reçurent, avant tout, serment du Comte
de Rodez et du Baron de Conros qu'ils se soumet-
traient pleinement à la sentence arbitrale qui inter-
viendrait. Durand de Montai, Pierre de Brezons,
Guillaume d'Estaing, Henri de Bénévent, Guil-
laume, Vicomte, de Murât, Pierre de Mascon,
Hugues de la Roche, Guillaume de Cardaillac, qui
étaient parmi les seigneurs les plus qualifiés de
Haute-Auvergne et de Rouergue, se portèrent
garants de la promesse des deux adversaires de tenir
pour définitif le jugement qui serait rendu.
Notre Troubadour ne devait pas voir la pacifique
issue de cette querelle à laquelle mit fin la sentence
du 3 mars 1290. Il se trouvait à Toulouse en 1285,
lorsque, probablement malade et considérant qu'il
était sans héritier direct, n'ayant pas d'enfants
d'Alix de Calmont d'Olt, il dicta son testament en
faveur de son frère cadet Aymeric, qu'il instituait
son héritier universel. Mourut-il dès cette époque
502 LES TROCBADOUKS CANTALIENS
ou survécut-il à cet acte? On ne saurait le dire. îl
esl ccita in qu'il avait trépassé avant le 1er septembre
L292, date à laquelle sa veuve se remariait à Ray-
mond Pelet, seigneur d'Alais.
Jusqu'aux premières années du XXe siècle, il
avait été unanimement admis qu'Astorg VII était
l'auteur incontesté d'une élégie, d'un « planh », sur
la mort de Saint Louis. Le manuscrit de la Biblio-
thèque Nationale qui, seul, nous a conservé cette
poésie, n'a gardé que les quatre dernières lettres
<( rlac » du nom de l'auteur; mais les deux tables
en tête du volume le donnent tout entier: « d'Aor-
lhae ». Pour qui a lu nombre de nos chartes Canta-
liennes on le nom des « Austau d'Aorlhac » —
Astorg d'Aurillac — revient si fréquemment, aucun
doute n'effleure même l'esprit. Le souvenir du
« Troubadour de Conros » est resté aussi vivace
que celui de Pierre de Vie chez les vieilles races du
Haut -Pays et il y a moins d'un siècle que les vieux
Chevaliers de Saint Louis, échappés à la Révolution,
îtstés Voltairiens impénitents, citaient par tradi-
tion le poème du « Troubadour de Conros » comme
preuve des critiques que le moyen âge formulait
déjà contre le Clergé et son esprit dominateur. T(vs
LES TROUBADOURS CANTALIENS 503
les historiens Auvergnats du XVIIIe siècle et au
XIXe Pérudit Baron Delzons, M. Bouillet affir-
maient catégoriquement les talents poétiques d'As-
torg VII. Le premier, croyons-nous, le savant Cha-
baneau, qui n'a pas plus songé, probablement, à
consulter nos chartes ou nos nobiliaires pour
Astorg d'Aurillac que pour Pierre de Rogiers,
Astorg de Segret ou Faydit du Bellestat, propose,
sans justification aucune, de faire d'Astorg d'Au-
rillac le haut baron Cantalien si connu, un Astorg
d'Ornac, Consul de Montpellier (1) ! En 1906, Féru-
dit romaniste Fabre, écrivant dans la Revue de
la Société Littéraire de la Haute-Loire (2), a
démontré Terreur de Chabaneau, mais veut faire
de notre poète un Troubadour du Velay, origi-
naire d'Orlac, près Pébrac. Il a été amené à
(i) « Peut-être le même ou tout au moins de la même famille
qu'Austorgus de Orllaco (Ornac, commune de Mons, canton
d'Olargues, arr. de Saint-Pons, Hérault) qui fut Consul de Mont-
pellier en 1251. » Teulet, T. II, P. 205, b. — Gr. n° 40. Hist. Litt.
T. XIX, P. 605. Chabaneau, P. 127.
(2) C. Fabre : « Austorc d'Orlac, Troubadour du Velay au
XIII* siècle. Etude sur sa vie et son œuvre ». Le Puy, 1906. Ex-
trait des Mémoires de la Société Agricole et Scientifique de !a
Haute-Loire. T. XVIII.
501 LES TROUBADOURS CANTALIENS
dénier à Astorg VII d'Aurillac-Conros la pater-
nité du « sirventés » connu, parce que, suivant lui,
ce poème ne se réfère pas, comme on l'a cru jusqu'ici,
à la croisade de Tunis en 1270, mais à celle d'Egypte
de 1248 à 1254, et qu' Astorg VII était trop jeune
pour avoir pu y prendre part. En 1007, le distingué
Professeur de Sorbonne Jeanroy a victorieusement
démontré que l'attribution à Orlac en Velay était
aussi arbitraire que celle d'Ornac, près Saint-Pons,
«Hic la graphie seule, sans parler des autres argu-
ments, établissait péremptoirement qu'il ne s'agi
sait que d'Aurillac et des Astorgs qui portaient 1
nom de la ville Abbatiale (1). Ces discussions, trop
arides pour les reproduire ici « in extenso », ces
analyses méticuleuses ont eu, au moins, l'excellent
résultat de démontrer surabondamment que l'auteur
du « sirventés » en question était bien un Aurillac-
( 'onros.
Jeanroy penche à croire comme Fabre que cette
poésie date de 1250 et non de 1270, se réfère au
désastre de la Mansourah et non à la mort de Louis
l
(i) Jeanroy : Mélanges Chabaneau parus en 1907, P. 86 et suiv.
LES TROUBADOURS CAJSTALIENS 505
IX il Tunis (1). Ce n'est donc pas, selon ce critique,
Astorg VII qui en est l'auteur, mais son père
Astorg VI que nous avons vu participer à la Croi-
sade d'Egypte et y mourir en 12G0
Pabre veut encore attribuer à Astorg un « sir-
ventés » connu jusqu'ici sous le nom de « Sirventvs
du Chevalier du Temple » et cherche à démontrer,
par d'ingénieux rapprochements de textes, qu'il
offre de frappantes analogies avec le « planh »
d'Astorg. L'érudit Professeur Vellave n'est pas plus
heureux dans cette supposition que dans celle qui
lui faisait vouloir faire un Astorg d'Orlac en Velay,
de notre Astorg d'Aurillac-Conros !
Le Professeur Italien Giulio Bertoni vient de
démontrer, avec un luxe de preuves qui ne laisse
plus aucune place à la critique, que le « surventes »
de 1265, relatif à la prise de Césarée par les Turcsr
est authentiquement l'œuvre de Ricaut Bonomel,
Chevalier du Temple, à qui elle ne peut être dis-
cutée et qu' Astorg d'Aurillac y est parfaitement
étranger (2).
(i) Ibid.
(2) Giulio Bertoni: Il serventese di Ricaut Bonomel (1265). —
506 LES TROUBADOURS CANTALIENS
Si l'attribution d'Astorg d'Aurillac au Velay et
celle du ce Sirventés du Chevalier du Temple » au
Troubadour Oantalien doivent être entièrement reje-
tées, la question de la date du a planh » d'Astorg
reste plus indécise.
Le débat est d'ordre trop technique pour être
exposé en détail; disons seulement que, d'après
MM. Fabre et Jeanrov, il n'y avait pas, en 1270,
d'Empereur, ce monarque étant mort en 1250; or, le
quatrième couplet du « sirventés » semble en parler
comme d'un être vivant et souhaiter que son fils
lui succède à l'Empire. La ville d'Alexandrie men-
tionnée à la deuxième strophe ne peut que désigner
l'Egypte et non pas Tunis. Lorsque l'auteur maudit
« les Turcs qui nous ont retenus », il fait une allu-
sion manifeste à la captivité du roi et de ses barons
faits prisonniers à la Mansourah. Si Fauteur se
montre si irrité contre le Clergé et le Pape lui-
même, c'est qu'Innocent IV, après avoir excommu-
nié l'Empereur Frédéric II au Concile de Lyon, en
Sonderabdruck aus der Zeitschrift fur Romanische Philologie
Herousgegeben von Dr Grôber Professor der Universitât Strass-
burg, I. R. Halle. — 1910.
LES TROUBADOURS CASTALIENS 507
1246, et l'avoir traité d'Anté-Christ, prêchait contre
lui la guerre sainte, et, « insensible aux malheurs
de la Terre-Sainte et du roi de France », « envoyait
« ses Légats jusque en Palestine, au milieu de l'ar-
« mée des Lieux-Saints, débaucher les soldats et
« dégager de leur serment les Chevaliers qui
<( s'étaient voués au rachat du tombeau du Christ »
pour les faire marcher contre l'Empereur Frédé-
ric II (1).
Que le « sirventés » d'Astorg d'Aurillae-Conros
ait été composé en 1250 ou en 1270, par Astorg VI
ou Astorg VII, « il est, dirons-nous avec M. Fabre,
« d'une très forte inspiration, apprécie la politique
« mondiale du temps et prend une belle place dans
« la superbe collection de satires ou de chansons
« émues que, vers la même époque, les Cardinal, les
« Guilhem Figuieire, les Aymeric de Péguilhon, les
<( Sordel, etc., composaient contre le Clergé ou en
« l'honneur de Frédéric II et de Saint Louis » (2).
Il offre encore, en dehors de sa valeur littéraire, l'in-
térêt spécial de nous révéler la mentalité de l'aristo-
(i) Fabre, loc. cit.
(2) Ibid.
508 LES TROUBADOURS CAMTALIENS
cratie du XIIIe siècle sous uu jour tout autre que
certains historiens n'ont voulu la dépeindre. A
croire certains d'entre eux, on imaginerait volon-
tiers le moyen âge comme une ère de piété où le sei-
gneur ne songeait qu'à courir à la conquête du
Saint Sépulcre, à élever des églises ou à enrichir
les monastères, tandis que la dévote châtelaine,
retirée dans son oratoire, lisait son livre d'heures
ou récitait ses patenôtres.
Nous avons dit que les Troubadours se faisaient
de la vie un concept plus païen que chrétien. Dans
le monde où ils vivaient, chez les princes et les
grands seigneurs, les préoccupations religieuses
tenaient une place très secondaire. Les femmes elles*
mêmes avaient souvent une liberté d'esprit qui
étonne, telle la Vicomtesse Hermengardti de Nar-
bonne.
— « La religion tenait peu de place dans la
(( société, observe Anglade Il semble bien que les
(( sentiments religieux furent assez tièdes et que
« la religion y fut une affaire privée, la vie exté-
(( rieure étant tournée vers des sujets plus pro-
u fanes Les doctrines de l'amour courtois parais-
« sent avoir tenu plus de place dans ses occupations
LES TROUBADOUR CANTALIENS 509
« que l'étude de l'Evangile et celle plus austère de
« la Théologie Les divorces sont innombrables et
« scandaleux. On trouvait facilement des prétextes,
(( mais le vrai motif était à peu près toujours le
(( même : se débarrasser d'un premier lien pour une
« union nouvelle plus profitable et plus utile (1)
« Les chefs de l'Eglise étaient, eux-mêmes, d'une
« remarquable tolérance et aussi indulgents que îa
« société laïque (2) Le sentiment religieux n'était
(i) Louis VII n'hésite pas à répudier Eléonore de Guyenne
malgré les calamités effroyables que ce divorce devait attirer à
son royaume.
(2) La nécessité s'imposait à de grands Papes comme Inno-
cent III de réagir, de faire rechercher par des « Inquisiteurs »
les Clercs indignes. L'institution dévia, alla aux atrocités que l'on
sait. « Abyssus abyssum invocat ! » On ne saurait trop dégager
la grande mémoire d'Innocent III, comme l'a fait si lumineuse-
ment Luchaire, Professeur de Sorbonne, peu suspect de « roma-
nisvie » exagéré. Ce Pape ne voulut ni les horreurs de la Croisade
Albigeoise, ni les exécrations de l'Inquisition, ne Tes sanctionna
jamais. Il faut rappeler en quels termes virulents Innocent III
incrimine Montfort, lui reproche ses atrocités : « ... Non content
« de vous être élevé contre les hérétiques, vous avez tourné les
« armes des Croisés contre les peuples catholiques, vous avez
« répandu le sang des innocents et envahi à leur préjudice les
« terres des Comtes de Foix et de Comminges, de Gaston de
« Béarn... Vous exigez le serment de fidélité des peuples, fai-
« sant donc aveu tacite qu'ils sont catholiques, puis vous les
« attaquez!... Nous vous ordonnons de restituer ». Innocent III,
I, 15, Epist. 213, Potthast n° 4653. La lettre est du 17 janvier 1213,
510 LES TROUBADOURS CANTALIEXS
(( pas tout à fait mort dans cette société; il soni-
« meillait dans l'âme de plus d'un Troubadour et s'y
« éveillait sous l'influence de circonstances spéciales
« ou par suite des leçons de la vie » (1).
Les Chevaliers partaient pour Jérusalem. L'objec-
tif du voyage était bien la délivrance de la Cité
Sainte, mais les Croisés entendaient aussi s'amuser
en route! Chacun, comme le Comte Guillaume de
Poitiers: « y fait vaillamment son devoir, mais s'y
« amuse encore davantage et surtout amuse ses
« compagnons de route et de bataille par des facé-
(( ties de tout genre, par des paris ou des proposi-
(( tions fantastiques où l'esprit religieux n'a aucune
« part » (2). Ce Croisé de marque, observe très
justement le même historien (3), a, par plus d'un
a côté> l'âme d'un païen. Sa muse est aussi païenne
« que celle d'un Grec ou d'un Latin. S'il invoque
« Dieu ou quelque saint, c'est pour les mettre en
« assez mauvaise compagnie et il leur rend, en les
Innocent III ordonna formellement de suspendre la Croisade.
D. Vaissette, Hist. du Lang. T. Vi, 4, XXII, XXXVI, P. 400.
Lettre à Arnaud, Arch. de Xarbonne. Cf. L. Palauqui : Esclar-
monde de Foix, 191 1.
(1) Anglade : Les Troubadours, P. 196-201.
(2) Ibid.
(3) Ibid.
LES TROUBADOURS CAKTALIENS 511
(( nommant, à peu près le même hommage qu'il leur
« rendrait par un juron ! » (1)
Guillaume de Poitiers est loin d'être une excep-
tion; pour un Godefroy de Bouillon, un Adliemar
de Monteil (2), un Saint Louis vraiment imbu
d'esprit mystique, de mœurs pures et de convictions
indiscutables, il y avait des milliers de preux « fort
honnêtes gens )), certes, mais voyant surtout dans
les expéditions d'outre-mer un beau et gai voyage
d'aventures (3).
Les Troubadours satiriques, et c'est le plus grand
nombre, exercent surtout leur verve contre le
Clergé, ne reculant souvent même pas à s'attaquer
aux sommets de la hiérarchie sacrée. Même pieuse-
(i) Ibid.
(2) Evêque du Puy ; le grand Aumônier de la Croisade.
(3) La Critique moderne exercée sans aucun esprit anticatho-
lique par de vrais érudits comme le Comte Riant (Invent., crit.
des lettres hist. des Croisades, Arch. de l'Orient Latin, T. 1, 881),
ou très respectueux du Catholicisme comme J. Harthung (Les
Préliminaires de la première Croisade, 1877) ont montré que les
historiens des Croisades ont eu une ignorance à peu près com-
plète de ce qui touche à l'histoire de la Terre Sainte et qu'à part
les grands faits comme la prise de Jérusalem, l'historien Michaud
par exemple présente un vrai roman dont le Comte Riant montre
les erreurs. Leur humeur naturellement batailleuse, le désir de
voir du pays, l'espoir de fructueux établissements, furent, pour
beaucoup de Croisés des facteurs plus puissants que le mystique
« Dieu le veut ».
512 I.KS IKOUBADOUBS CANTALIKXS
ment élevés dans une école canoniale et destinés
à porter le camail, comme Pierre Cardinal;, ils sont
violemment anticléricaux. Le Troubadonr Vellave
est un croyant sincère; sa profession de foi ne per-
met pas d'en douter :
— « Je crois que Dieu naquit d'une mère sainte
« par qui le monde fut sauvé. Il est Père, Fils et
« Sainte Trinité, il est un en trois personnes. Je
(( crois qu'il entr'ouvrit le ciel et qu'il en fit choir
« les anges... je crois à Rome et à Saint Pierre à
« qui il fut ordonné d'être juge de pénitence » (1).
Quel anticatholique mettrait plus de violente
passion que ce croyant dans ses attaques contre les
Moines de son temps! Leur relâchement, en ces
siècles si tristes, donnaient sans doute matière à
critique, mais la satire est certainement exagérée;
le Tribunal de l'Inquisition qui fonctionne, les
domaines que se sont taillés les Moines dans le
Midi hérétique et vaincu allument certainement la
colère de Pierre Cardinal.
— « Rois, Empereurs, Ducs, Comtes et Cheva-
(i) Nous avons utilisé pour les citations de Pierre Cardinal la
traduction du Professeur Anglade.
LKS TKÛUBADoUKS L'ANTALIEXS 513
« liers gouvernent d'ordinaire le moude ; niainte-
<( nant ce sont les Clercs qui ont le pouvoir. Ils
« l'ont gagné en volant ou en trahissant, par
« l'hypocrisie, les sermons et la force Je parle
« des faux Prêtres qui ont toujours été les plus
« grands ennemis de Dieu.
«... Si Dieu veut que les Moines noirs (1) se
(( sauvent par la bonne chère, les Moines blancs
« par leur refus de payer, les Chevaliers du
« Temple et de l'Hôpital par leur orgueil et les
« Chanoines par leurs prêts à usure, je tiens pour
« fous Saint Pierre et Saint Adrien qui souffrirent
« pour Dieu grand tourment si ces gens-là par-
ce viennent à leur salut. »
« Je vois les Clercs, dit-il ailleurs, essayer de
« toutes leurs forces de mettre le monde en leur
« puissance et ils y arrivent en prenant ou en
(( donnant, par hypocrisie ou pardon, par le boire
(( ou le manger, avec l'aide de Dieu ou avec l'aide
« du Diable. »
Un des Ordres nouveaux imposés au Midi par
la Croisade, les Jacobins, lui est en spéciale hor-
(i) Les B,
i) Les Bénédictins.
514
I,ES TROUBADOURS CANTALIENS
reur. Après leur avoir reproché leurs longs repas,
leurs discussions sur les meilleurs crus, il s'écrie:
— « Leur pauvreté n'est pas une pauvreté spiri-
« tuelle; tout en gardant leurs biens ils prennent
u celui des autres; ils laissent pour de belles robes
« tissées en laine anglaise le ciliée qui leur est
<< trop rude Vêtus de vêtements fins, souples,
(< amples, Légers en été, épais en hiver, avec de
(( bonnes chaussures, semelles à la Française et
" quand il fait grand froid en bon cuir de Mar-
« seille bien cousu, ils vont prêchant et disent
« qu'au service de Dieu ils mettent leur cœur et
« leur avoir. »
Ses attaques vont crescendo contre les Minimes:
— (( Les Moines sont si cupides, si pleins d'or-
« gueil et de mauvais désirs qu'ils connaissent
« cent fois plus de ruses que voleurs et malfai-
(( teurs. S'ils peuvent causer avec vous de vos
(( secrets, vous ne pourrez pas plus vous en défaire
« que s'ils étaient vos frères. Voilà comment ils
« bâtissent leurs maisons et créent leurs beaux
<< vergers; mais ce ne sont pas leurs sermons qui
(( convertiront Turcs et Persans, car ils ont trop
« peur de passer la mer et d'y mourir; ils aiment
LEi, TROUBADOURS CANTALIENS 515
« mieux bâtir ici que de se battre là-bas! Pour de
(( l'argent vous obtiendrez d'eux votre pardon.
« quelque mal que vous ayez fait; pour de l'argent
(( ils sont tellement ingénieux qu'ils donnent la
« sépulture aux usuriers, mais ils ne visitent ni
« n'accueillent ni n'ensevelissent le pauvre. Ils ne
(( font que quêter toute l'année; puis ils s'achètent
« de bons poissons, beau pain blanc, bons vins
« savoureux, bons vêtements chauds contre le
« froid. Plût à Dieu que je fusse de tel ordre, si je
« pouvais être sauvé » (1).
Il deviendrait fastidieux de le suivre comparant
les Dominicains, l'Ordre nouveau où se recrutaient
les Inquisiteurs, à des vautours sentant la chair
puante. On voit que nos modernes critiques ont eu
de lointains aïeux, avec cette circonstance atté-
nuante pour les Troubadours qu'au lieu de no*
Ordres austèrement réformés, vivant une vie terri-
blement cénobitique et rude, tout occupés d'apos-
tolat et de prières, le XIIe siècle pullulait de ces
Moines girovagues, de ces piètres Monastères que
flétrit avec tant d'indignation Saint Bernard (2).
(i) Traduction d'Anglade « Les Troubadours ».
(2) « Qui me donnera, disait-il, de voir, avant de mourir,
l'Eglise de Dieu comme elle était dans ses premiers jours? »
516 LES TROUBADOURS CANTALIENS
Astorg d'Aurillac-Conros est contemporain de
Pierre Cardénal, son quasi-compatriote, dont il a dû
certainement connaître les œuvres. L'anticlérica-
lisme qu'on peut reprocher au baron de Conros est
bien pâle à côté des diatribes de son devancier ! Il
était nécessaire de montrer que l'état d'esprit du
Troubadour Aurillacois n'est pas anormal pour son
temps et qu'il pourrait presque être classé parmi les
modérés. Les auteurs de l'Histoire Littéraire font
remarquer, néanmoins, le caractère vivement sati-
rique du « planh » d' Astorg:
— (( Ce poète paraît un homme très religieux et
« cependant peu de Troubadours se sont permis
« des satires aussi violentes que la sienne contre
(( le Pape et le Clergé Dans sa douleur il s'en
(( prend à Dieu lui-même! » (1)
L'Abbé Millot cherche, avec sa douce philoso-
phie, à analyser l'état d'âme qui a rendu notre
Troubadour aussi violent:
— « Cette poésie, dit-il, annonce un homme
« furieux des calamités produites par les Croi-
« sades. Il pleure la mort du roi Saint Louis si
(i) Hist. Liltér. T. XIX.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 517
(( ardent à servir Dieu, il maudit les Croisades et
« le Clergé promoteur de la guerre sainte, il mau-
« dit Dieu lui-même, qui pouvait la rendre lieu-
« reuse. Il voudrait que les Chrétiens se fissent
« Mahométans puisque Dieu est pour les Infidèles!
(( Il oppose la voie droite que tenait Saint Pierre
« aux mauvaises ruses que pratique le Pape. Il
(( invective contre le Pape et les Prêtres qui font
« tout pour de l'argent; enfin il voudrait que
« l'Empereur se croisât avec les Français pour
« combattre le Clergé qui a fait périr la Chevale-
« rie et ne songe qu'à dormir !
« Une pareille invective mêlée d'impiétés gros-
ce sières prouve jusqu'à l'évidence combien les abus
(( en fait de religion sont funestes à la Eeligion
« même. Si Austau était tombé avec sa pièce dans
(( les mains de l'Inquisition, il ne pouvait échapper
(( au feu! Les Inquisiteurs auraient cru glorifier
« et affermir la Foi par son supplice! » (1)
Ricaut Bonomel, Chevalier du Temple, est, dans
ce « sirventés » qu'on a voulu attribuer à Astorg
d'Aurillac, tout aussi violent que notre Troubadour.
(i) Millot : Hist. Littér. des Troubadours. T. II.
518 LES TROUBADOURS CANTALIENS
« C'est dans le Chevalier du Temple et Astorg
« d'Aurillac, dit l'Histoire Littéraire, qu'il faut
« chercher l'expression de la douleur et de l'indi-
ce gnation » (1). — « Des calamités de toute espèce,
« continue le même écrivain, fondent sur les Chré-
« tiens dans la Syrie et la Palestine. La ville de
« Césarée était tombée au pouvoir des Mameluks,
« la forteresse d'Assur venait d'être prise (1265) )).
Dans son navrement, le Chevalier du Temple dépasse
de beaucoup les hardiesses du Troubadour Canta-
lien. On croirait presque entendre Luther se scanda-
liser du trafic des indulgences !
Nos Légats; ceux-ci je vous l'affirme hautement
Vendent Dieu et les indugences pour de l'or.
Rendons à l'auteur cette justice, qu'après avoïjj
exprimé son doute, quasi blasphématoire, sur le
Christ qui semble se désintéresser de voir son tom-
beau retomber aux mains des Turcs:
Et puisque le Fils de Marie qui devrait en être affligé
(i) Ibid.
LE3 TROUBADOURS CANTALIENS 519
Veut cela et que cela lui plaît, nous devons en éprouver
[de la joie à son exemple.
Le poète est aussi cinglant pour ses compagnons
et pour lui-même que pour le Pape :
Ce Pape prodigue les indulgences avec grande largesse
Contre les Allemands, parmi les Arlésiens et les Fran-
çais
Et ici, entre nous, nous montrons une grande convoitise
Car, nos croix se transforment en croix de livres tour-
[nois
Et vont vers ceux qui veulent sacrifier la Terre Sainte.
C'était donc bien l'opinion accréditée parmi les
Croisés que traduisait Astorg d'Aurillac, père ou
fils, en 1250 ou en 1270.
En dehors même de leur verve poétique, ces deux
barons de Conros, Viguiers de l'Abbaye de Saint-
Géraud d'Aurillac, Chevaliers croisés, contempo-
rains et amis, peut-on dire, de Saint Louis, roi de
France, frère et neveu du pieux et savant Evêque
de Paris, arrière-neveux, dit-on, de Saint Géraud,
520
LES TROUBADOURS CANTALIEXS
fondateur de l'Abbaye et de la Tille d'Aurillac,
grands seigneurs terriens de Haute- Auvergne,
constituent par leur mentalité, très pieuse mais
fort libre d'appréciations, un intéressant échantil-
lon de cet esprit public du XIIIe siècle si finement
représenté par leur contemporain, le sire de Join-
ville.
Astorg de Segret
XIII«
La vallée du Vaulmier, qu'on appelait, au temps
d'Astorg de Segret, « la rïbeyra cavada del Val-
mietg », « la vallée caverneuse du Vaulmier » (1),
est une des plus pittoresques et des plus impres-
sionnantes du Haut Pays. Elle tirait son nom du
château situé au milieu du val (Val-mietg, Val-
miès), chef-lieu d'une grande baronnie dont la juri-
diction s'étendait sur plusieurs paroisses et qui
était, de temps immémorial, aux mains de la puis-
sante maison d'Apchon. On l'appelait aussi parfois
« vallée de Saint Vincent », du nom de l'unique
église paroissiale qu'elle contint au XIIIe siècle (2).
Cet édifice, de style roman primitif, est certaine-
ment le même, au moins dans ses parties essen-
tielles, qu'au temps où notre Troubadour y fut
baptisé. On peut juger de la profondeur de la vallée
et de son inclinaison par la différence d'altitude
(i) Anciens titres rapportés par le Dict. Stat. du Cantal, T. V,
P. 600. Dans le dialecte actuel, l'habitant de la vallée l'appelle
« lou Bamiès » « le Bas-milieu ».
(2) La création de la commune du Vaulmier, démembrée de
Saint-Vincent, est de 1837.
524 LES TROUBADOURS CANTALIENS
entre ses deux points extrêmes, le « Suc-Rond »
qui a 1.581 mètres et Longevergne 551, soit une
différence de plus de mille mètres sur un parcours
de peu d'étendue. Aussi, la rivière de Mar qui
l'arrose, grossie du ruisseau du Marlhiou, n'est-elle
autre chose qu'un impétueux torrent qui descend
du Puy-Mary.
On tenterait vainement de chercher à reconsti-
tuer le site qu'Astorg de Segret contempla dans
sou enfance, tant les changements ont été, ici,
brusques, rapides et nombreux.
— « Au lieu de ces pentes nues, déchirées par les
« ravins, dit E. Delalo, étaient, il y a moins de
« deux siècles, des champs fertiles. Ce rocher a
(( occupé la place de l'ancien presbytère de Saint-
ce Vincent qu'il a écrasé sous son poids, un autre a
« remplacé une grange; d'autres parties du haut
« de la montagne se sont arrêtées sur ses flancs et
(( menacent d'achever leur course. Les ruisseaux
« ne coulent pas, ils se précipitent en cascades,
« bondissent de rochers en rochers jusqu'à ce qu'ils
« viennent confondre leurs eaux avec celles de la
« rivière de Mar qui n'est elle-même qu'un torrent
« faisant retentir au loin le bruit de ses ondes
LES TROUBADOURS CANTALIENS 525
« tumultueuses. Tout est contraste dans cette val-
(( lée. Le ravin, comme un ver rongeur, déchire la
(( prairie; la plus magnifique végétation est à côté
(c d'un rocher ou d'une côte stérile. On conçoit,
« mieux qu'on ne saurait le décrire, tout ce qu'il
« y a de pittoresque, d'imprévu, dans ce paysage
(( bordé sur toute sa longueur par de hautes mu-
a railles de basalte et qui a pour lointain le Pur-
ce Mary.
(( Le fond de la vallée est d'une grande fertilité;
« des eaux de source très abondantes arrosent ses
« prairies, les pentes à l'aspect du Nord sont cou-
(( vertes par des bois qui protègent les terres culti-
« vées contre les ravages des eaux pluviales, celles
a au Midi sont nues et décharnées. Les ravins qui
(( se sont formés ont pris les proportions d'im-
(( menses précipices et servent de lit momentané à
u des torrents destructeurs qui rongent l'escarpe-
(( ment et entraînent des avalanches de débris de
« toute sorte. Cependant si la nature est infati-
« gable, l'homme ne l'est pas moins; à peine un
(( éboulement s'est-il opéré que bientôt ces débris
« divisés, triés, pulvérisés, se transforment en
(( terre végétale, deviennent un sol fertile... C'est
526 LES TROUBADOURS CAKTALIENS
(( le travail de Sisyphe!... Seulement quelque
(( rocher qui, par sa masse, a bravé tous les efforts,
« demeure là comme un impérissable témoin des
« révolutions que le sol a subies » (1).
Quantité de villages et de hameaux de la vaste
paroisse de Saint- Vincent ont disparu depuis le
moyen âge (2), détruits par les avalanches, aban-
donnés par les habitants, après les maladies conta-
gieuses qui décimèrent la population au XIVe siècle
ou ruinés, à la même époque, par les dévastations
des Anglais et des Routiers. Du nombre est le châ-
teau de Segret qui s'élevait sur la crête de la côte,
dominant, au Midi, le gros bourg de Saint- Vincent
et dont il ne reste que de faibles vestiges (3). C'est
dans ce manoir que naquit, vers 1240, Astorg de
Segret dont les parents possédaient ce fief de toute
ancienneté. Aucun acte les concernant ne nous est
(i) Dict. Stat. du Cantal, T. V., P. 6oi.
(2) Une liéve du Prieuré de Saint- Vincent de 1332 donne les
noms d'une vingtaine de villages aujourd'hui disparus. Du nombre
est la fameuse et très problématique ville de Cotteuge, objet de
tant de légendes, dont les ruines récèlent des trésors, notamment
une table en or massif ! Il est certain que Cotteuge, si elle fut
jamais une ville, n'était au temps de notre Troubadour qu'un
pauvre village ainsi que le prouve une charte de 1268.
(3) Bouillet : Nobil. d'Auv., T. VI, P. 212.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 527
parvenu, mais on connaît, en revanche, Raymond
de Segret, fort probablement frère de notre Trou-
badour, qui s'intitule seigneur de Segret dans un
acte de vente qu'il consentit en 1277 à Eustache
de Beaumarchais, Bailly royal des Montagnes, ainsi
que dans un contrat qu'il passa en 1298 avec
Hugues, Doyen du Monastère de Mauriac, et Alasie
de Segret, qu'on croit sœur des précédents, appa-
raît dans un acte de 1301 (1). Le fief de Segret
devait être tenu par eux en mouvance des sires
d'Apchon, barons du Yaulmier, suzerains de toute
cette région (2).
Astorg II de Segret, petit-fils ou neveu de notre
Troubadour, semble avoir hérité de ses qualités
intellectuelles. Il est, en 1317, Secrétaire du roi de
France. Son fils, Etienne de Segret, abandonna, en
1357, son château qui menaçait ruine, vendit le
fief au baron de Salers et se retira dans une de ses
(i) Bouillet : Nobil. d'Auv., T. VI, P. 212.
(2) On a vu (biographie d'Ebles de Saignes) que les sire?
d'Apchon se prétendaient modestement issus d'un Lieutenant de
César ! Il est certain que dès le Xe siècle cette race était une des
plus puissantes du Haut Pays et que toute la dominance de la
contrée montagneuse lui appartenait dans un vaste rayon autour
de leur forteresse d'Apchon.
528 IIS TBODBADOUBS < ANTALIENS
terrée du voisinage, a Navaste, paroisse de Saint-
Bonnet <!<• Salera (1). La famille de Segret s'éteint
bientôt après <lans les barons de Salers, déjà pos-
sesseurs du château de Segret et qui lf deviennent
aussi de Navaste par cette alliance (2).
Le savant auteur des biographies des Trouba-
dours, Ch&baneau, n'a pas songé à venir chercher
en Bante-Auvergne le berceau d'Astorg de Segret
ni a consulter, <>u les chartes originales ou le nobi-
liaire d'Auvergne qui l'eût mis sur leur trace.
Découvrant en Velay un Monastère dont le nom
francisé a quelque analogie avec celui de notre
Troubadour, constatant que le titulaire de cette
Abbaye, <!<■ L266 à L298, porte le prénom d'Astorg:
« Astorgius, Abbas Secureti », qu'il traduit par
Astorg «le Seguret, il se demande, avec la plus pru-
(i) Bouillet, loc. cit. — Dict. Stat. du Cantal, T. I, P. 277.
(2) Navaste, village de la commune de Saint-Bonnet, canton
de Salers, arr. de .Mauriac. 11 passa des Salers aux Fontanges,
puis aux Dienne, aux Valens-Nozières et aux Jarrige d'où il
advint aux Ty5sandier d'Escous qui le possédaient encore en 1850.
Mon oncle Ernest Tyssamlier d'Escous, le grand agronome
Cantalkn, mort en 1S90, dont le buste a été érigé par souscription
sur la place de Salers, pouvait fort probablement se réclamer,
par ses aïeules, d'une lointaine parenté avec Astorg de Segret,
le Troubadour.
LES TROUBADOURS OANTALIENS 529
dente circonspection, il faut le reconnaître, si cet
ecclésiastique ne serait pas le poète Auvergnat, au-
teur du « Sirventés » contre Philippe-le-Hardi (1).
Si Chabaneau avait feuilleté les nobiliaires du
Eouergue, il y eut trouvé aussi une famille de
Seguret (2), aussi étrangère que l'abbé Vellave à
notre Troubadour Cantalien.
Partant de cette donnée Chabaneau, un Eoniani-
sant érudit auquel nous avons déjà rendu hommage
à propos d'Astorg d'Aurillac, C. Fabre, a fait sur
Astorg de Segret et son œuvre l'étude la plus fouil-
lée, dont la partie analysant le « sirventés » de
notre poète est vraiment digne de toute admiration.
Ecrivant au Puy-en-Velay, auquel il souhaite ratta-
cher Astorg de Segret, M. Fabre se livre aux recher-
ches les plus ardues sur Astorg, Abbé de Seguret,
(i) « Austorg de Segret. — Peut-être le même que « Astor-
gius Abbas Secureti (Seguret, au Puy-en-Velay) de 1266 à
1298. (Titres de la Maison de Bourbon n° 1503). Un sirventés
contre Philippe-le-Hardi et Charles d'Anjou, composé peu après
la mort de saint Louis.
Gr., n° 41, Hist. Littér., T. XIX, P. 606. Ce surventes est adressé
à « Monsenher N'Oth de Lomagna », c'est-à-dire Arnaud-Othon II
qui ne vivait plus en 1274 ». Chabaneau, P. 127.
(2) Notamment les « Documents hist. et gcnéal. sur les familles
du Rouergue » par M. de Barrau, 1860. T. IV, P. 156.
580 LES TROUBADOURS CAXTALIENS
qu'il croit être son personnage, arrive à découvrir
qu'il s'appelle, en réalité, Astorg de Montaigu, origi-
naire de Montaigu-le-Blanc-sur-Champeix, arrondis-
sement d'Issoire, qu'il a pris part à la réunion de la
Bigorre à la France, sous la suzeraineté de l'Eglise
du Puy. Mais il se heurte à des contradictions;
l'attitude, les sympathies politiques d'Astorg de
Montaigu, Abbé de Séguret, sont diamétralement
opposées aux sentiments d'hostilité exprimés dans
le « sirventés » d'Astorg «le Segret. Fabre le recon-
ii;iit loyalement, s'efforce de chercher explications
plausibles et doit, finalement, conclure que l'identi-
fication de l'auteur du « sirventés » à Astorg de
Montaigu, Alibi- de Séguret, est loin d'être satisfai-
sante. Reconnaissons qu'on ne saurait mettre érudi-
tion plus scrupuleuse au service d'une thèse dont
le point de départ était erroné. Il était bien inutile
de torturer le nom de (( Séguret » pour lui faire
donner inutilement la contraction injustifiée de
« Segret », alors que la famille de Segret, d'origine
chevaleresque, était possessionnée de toute ancien-
neté dans les monts Cantaliens où elle n'a pas donné
que notre Troubadour comme personnage qui ait
LES TROUBADOURS CANTALIENS 531
laissé trace. Bien qu'elle se soit éteinte dès le
XVe siècle, les documents sur elle sont assez nom-
breux, son nom parfaitement invariable, pour ne
laisser subsister aucun doute (1).
Astorg de Segret avait pour suzerain Guillaume
IV, le puissant Comtour d'Apchon, baron du
Vaulmiers, Saint- Vincent, Le Falgoux, Allanche,
Vicomte de Combronde, dont les immenses domaines
englobaient toute une partie de la région monta-
gneuse des arrondissements actuels de Mauriac et
de Murât, s'étendaient sur la Planèze et vers les
Monts Dore. Sa femme, Flandrine d'Escole, qu'il
avait épousée avant 1263, accueillait avec empres-
sement les Troubadours au château d'Apchon où
elle tenait cour ouverte, généreuse et bienveillante,
aux Jongleurs. Il est fort à croire que ce fut aux
pieds de sa suzeraine qu'Astorg de Segret rima ses
premiers vers, dans les salles du château d'Apchon
( i ) C. Fabre : Annales du Midi, oct. iqio, publie le texte
amélioré de l'unique sirventés connu de Segret qu'il fait suivre
d'une remarquable critique. Nous avons suivi la chronologie
tracée par ce savant Romaniste dont la sûreté de documentation
est de tous points d'une rigoureuse exactitude.
(3) M. Fabre a publié sa belle étude sur Astorg de Segret
dans « Les Annales du Midi », nos d'octobre 1910 et janvier 191 1.
532 LES TROUBADOURS CANTALIENS
qu'il fréquenta les maîtres eu Fart de bien dire,
toute cette pléiade de poètes Auvergnats encore
brillante au commencement de la seconde moitié
du XIIIe siècle, mais déjà sur son déclin. Tandis
que la châtelaine d'Apclion et sa fille Isabeau se
délectaient aux chansons et aux « sirventés », le
Comtour menait rude guerre contre un Capétien,
le frère puîné de Louis IX : Alphonse, Comte de
Poitiers et d'Auvergne. Ce Prince avait reçu en
apanage toute la « Terre » ou Comté d'Auvergne,
enlevée jadis par Philippe- Auguste aux Comtes;
plusieurs de ces possessions confinaient à la. Com-
toirie d'Apclion. Guillaume IV, à la tête de ses
montagnards, dont ses vassaux du Falgoux et du
Vaulmier sformaient l'avant-garde (1), commandés
peut-être par quelque Chevalier de la maison de
Segret, envahit les terres du Capétien, saccage,
pille, brûle villes et villages. Il fallut qu'Eustache
de Beaumarchais, baron de Calvinet, Sénéchal du
Prince et Bailly royal des Montagnes, livrât de
vraies batailles pour arrêter le Comtour d'Apchon
qui fut finalement condamné à une amende de trois
(i) Dict. Stat. du Cantal, T. I, P. 78. Nobil. d'Auv., T. I, P. 43-
LES TROUBADOURS I ANTALIENS 533
mille livres répartie entre les populations les plus
éprouvées par les déprédations du terrible Comtour.
Les sentiments peu tendres que Guillaume IV
devait nourrir pour les Capétiens le tirent-ils se
refuser à participer à la dernière Croisade, au lieu
de suivre l'exemple de son aïeul le Comtour
Armand, qui assistait en 1103 au siège de Tripoli,
ou, au contraire, Saint Louis, en quête d'adhérents
pour son expédition qui soulevait si peu d'enthou-
siasme, lui lit-il une obligation, en expiation de ses
méfaits, de l'accompagner en Afrique? Astorg de
Segret fit-il, sous la bannière de son suzerain,
comme il est logique de le supposer, la courte cam-
pagne Tunisienne, mardia-t-il à la suite du baron
de Conros ou de quelqu'autre seigneur Auvergnat?
A la manière dont il critique le traité de Tunis,
parle des principaux Croisés, il semble bien qu'il
ait été témoin des événements antérieurs à cette
paix qui mit fin à la dernière Croisade. Peut-être
avait-il quitté déjà son nid Cantalien pour les pays
Méridionaux, plus propices aux Troubadours, et
s'embarqua-t-il avec ce Vicomte de Lomagne auquel
il semble profondément attaché par l'affection et
534 LES TROUBADOURS CANTALIENS
la gratitude. Kien ne vient jeter le moindre jour
sur cette partie de sa vie.
On sait qu'une lourde part de responsabilité
Incombait au i'rère cadet de Saint Louis, Charles
d'Anjou, dans la détermination de la dernière Croi-
sade. Tandis que le pieux roi ne nourrissait que le
mystique espoir d' « induire » le sultan de Tunis à
se <( chrétienner », son ambitieux puîné avait des
vues pins politiques que religieuses. Vaillant
homme de guerre, fort pieux, mais ambitieux.
avide, dur, implacable, c'est une figure peu sympa -
thi [ue que ce huitième fils de Louis VIII, marié en
\-'.\\ ;i l'héritière de Provence, créé roi de Naples
en 1265 par le Pape Urbain IV. On s'explique l'anti-
pathie d'Astorg de Segret pour ce Prince Français,
devenu roi Italien, qu'il devait accuser, non sais
raison, de tontes les calamités contre lesquelles la
vaillance française avait été impuissante. Après
avoir écrasé son compétiteur Manfred, à la bataille
de Bénévent, et envoyé au supplice le jeune Conra-
din, malheureux rejeton de la Maison de Souabe,
Charles d'Anjou, maître du royaume de Naples et
de la Provence, convoitait l'Empire d'Orient. Le
Pape Martin IV, bien qu'il dût, dit-on, la tiare à
LES TROUBADOURS OANTALIENS 535
l'Empereur Paléologue, avait excommunié ce mo-
narque, sur les instances du roi de Naples. Son
frère mort, l'ambitieux souverain de la Napolitaine
et de la Provence se préoccupait beaucoup moins
de réaliser les pieux desseins de Saint Louis ou
d'assurer une retraite honorable aux Croisés que de
décider le sultan Tunisien à se reconnaître son vas-
sal et se frayer ainsi le chemin de l'Empire. Son
neveu, le nouveau roi de France, Philippe-le-Hardi,
était un jeune homme de vingt-cinq ans, nature
médiocre, écrasé, du reste, par la douleur, ne son-
geant qu'à ramener en France les ossements de son
père et les quatre cercueils de ses plus proches,
morts devant Tunis. Si notre Troubadour s'insurge
contre ce traité qui terminait par une paix hon-
teuse, aux yeux des barons venus pourfendre le
Sarrazin, une expédition désastreuse, s'il accable,
dans son indignation, Philippe et Charles des pires
invectives, le brave Cantalien ne devait faire,
somme toute, que traduire la réprobation générale
des survivants de la Croisade. Personne n'ignorait,
sans doute, les vues secrètes du roi de Naples qui
le poussaient à devenir, lui, monarque chrétien :
(( un chef et un guide pour les Sarrazins, les Turcs
536 LES TBOURADOURS CANTALIENS
u et les Arabes », le tout: « outrager la loi que
a Dieu nous a donnée par son Fils conduire les
« affaires a rebours, ainsi que le roi Français et
u l'aire que l'Eglise soil honnie » (1).
Ce fameux traité signé a Tunis, le 30 avril 1270,
ne stipulait quelques minées avantages qu'au profit
du roi de Naples auquel le sultan de Tunis s'enga-
geait a payer tribut. Charles avait en Sicile et dans
les Pouilles des sujets Musulmans auxquels il lais-
sait \>>\\{<- liberté de pratiquer leur religion; en
retour, le sultan promettait la tohVance du culte
chrétien dans ses Etats. La France ne recevait, en
revanche, aucune compensation, si minime fût-elle,
aux énormes sacrifices d'hommes et d'argent que
lui avait coûtés cette dernière expédition de
Louis IX. Il est vrai que la peste s'était chargée de
faire au nouveau roi de France un splendide héri-
tage des dépouilles des Princes atteints du fléau.
Le Poitou, le Comté de Toulouse, l'Auvergne, la
Touraine, le Kouergue, l'Albigeois, l'Agenais, le
Comtat Venaissin (2) entraient définitivement dans
le domaine direct de la Couronne de France par
(i) A. de Segret: Sirventés, Strophes II, IV, VI.
(2) Philippe-le-Hardi le céda en 1273 au Pape Grégoire X.
LES TROUBADOURS CAXTALIENS 537
décès de leurs possesseurs; Philippe-le-Hardi deve-
nait le premier Capétien vraiment roi du Midi de la
Gaule.
Astorg de Segret, imbu des traditions des Trou-
badours, évoquant le souvenir des temps antérieurs
à la Croisade Albigeoise où la poésie régnait eu
souveraine, de Limoges à Marseille, de Bordeaux à
Nice, voyait probablement d'assez mauvais œil la
mainmise du roi de Paris sur ces contrées Méridio-
nales, patrie de ses prédécesseurs, terre classique
du « surventes » et de la chanson. Peut-être ce sen-
timent entrait-il pour une bonne part dans sa
méchante humeur et son jugement si sévère sur le
monarque Français à qui il ne saurait pardonner
(( de guider à rebours » et que par lui et son oncle,
« si grande armée soit morte et disparue, que le
« roi Louis ait, par eux, perdu la vie, ce qui est
« grande tristesse » (1).
La Noblesse Auvergnate n'avait pas au trei-
zième siècle cette horreur qu'elle éprouvera après
la Guerre de Cent ans pour les rois d'Angleterre,
Ducs de cette Aquitaine, dont elle avait, elle-même,
(i) Sirventés d'A. de Segret, strophe II.
538
LES TROUBADOURS CANTALIENS
fait partie jadis. Le monarque Anglais, que notre
Troubadour convie à se substituer à Pkilippe-le-
Ilardi, à la tête des expéditions d'outre-mer, était
bien fait pour inspirer la Muse des poètes que sa
nature chevaleresque, son amour de la justice, son
beau caractère devaient séduire. Fils d'Henri III
Plantagenel et d'Eléonore de Provence (1), il avait
d'abord gouverné la Guyenne. Fait prisonnier avec
son père par les barons Anglais révoltés, il avait
réussi à s'échapper, avait vaincu les rebelles, en
lui;.") et rendu la liberté et le trône à son père. La
soif «les aventures, l'amour du danger lui avaient
fail prendre la croix et arriver à Tunis, au môme
moment que le baron de Conros, au lendemain de
la mort de Saint Louis. C'est là, sans doute,
(i) Les quatre filles de Raymond-Bérenger, dernier Comte de
Provence de la Maison de Barcelone-Provence-Carlat avaient
épousé, Tune Saint Louis, roi de France, l'autre Henri III Plan-
tagenet, roi d'Angleterre, la troisième Richard de Cornouailles,
frère d'Henri III, élu Empereur d'Allemagne et enfin la qua-
trième, héritière de la Provence, Charles -d'Anjou, roi de Naples.
On sait que la dynastie des Plantagenet, rois d'Angleterre était
d'origine Française. Geoffroy, Comte d'Anjou, dit Plante-à-genêt
parce qu'il portait toujours à sa toque une fleur de genêt, avait
épousé Mathilde, unique héritière du roi Henri Ier, troisième fils
de Guillaume le Conquérant. Henri II, fils de Geoffroy et de
Mathilde fut le premier roi Anglais de cette dynastie.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 539
qu'Astorg de Segret avait pu l'approcher et avait
été séduit par sa belle vaillance, son haut carac-
tère. Le fameux traité si maudit par notre poète,
ne permettant pas à l'héritier de la couronne
Anglaise l'espoir de s'illustrer sur la terre Afri-
caine, il était passé en Orient d'où il ne revint que
pour recueillir en 1272 la succession paternelle.
Lorsqu'Astorg de Segret écrivait san « sirventés y>
en 1273 (1), Edouard Ier tenait à ses barons ce beau
langage : « J'observerai la Grande Charte et vous
« l'observerez comme moi; je serai juste envers
(( vous et vous le serez envers vos vassaux ». Sa
modération, sa justice et sa vigilance lui méri-
tèrent, à bon droit, le surnom de (( Justinien
Anglais » (2).
(i) Fabre, loc. cit., expose très clairement les raisons péremp-
toires qui permettent d'assigner la date de 1273 au « sirventés »
d'Astorg de Segret. Remarquons simplement qu'il est sûrement
postérieur au traité de Tunis (octobre 1270) et à l'avènement
d'Edouard Ier (1272), antérieur à la mort d'Arnaud-Othon II,
Vicomte de Limagne (1274), donc, nécessairement, de 1273.
(2) C'est Edouard Ier qui donna à la Chambre des Lords le
droit de voter l'impôt, institua la Chambre des Communes et les
Juges de Paix. Au prix d'une sanglante campagne, il conquit le
pays de Galles resté libre jusque là, donna à son fils le titre de
Prince de Galles que l'héritier présomptif Anglais a toujours
porté depuis.
540 LES TROUBADOURS CANTALIENS
Il était un autre Prince Anglais, aussi sage que
brave, que noire Astorg avait dû connaître aussi
sous les murs de Tunis, dont il déplore la mort
violente et somme le roi d'Angleterre de venger le
meurtre; c'est Henri de Cornouailles, appelé aussi
Henri d'Allemagne, à cause de l'élection de son
père à l'Empire (1).
Fils cadet de Jean-Sans-Terre et frère puîné
d'Henri 111, Richard de Cornouailles avait épousé
une Princesse de Provence, sœur de la femme de
son frère aîné, Chargé par celui-ci du gouverne-
ment de la Hiivi iine, Richard agrandit quelque peu
la province Anglaise, malgré les victoires de Saint
Louis. Croisé en 1240, il s'était vaillamment com-
porté en Palestine. En 1257, ayant acheté les voix
d'un certain nombre d'Electeurs, il avait réussi à
se faire élire Empereur d'Allemagne. Bien qu'il
n'ait pas été couronné, n'ait presque jamais résidé
en Germanie, il exerça, quinze ans durant, tous les
droits impériaux. Son fils aîné, Henri, était ce
(i) Fabre examine minutieusement s'il peut s'agir de quel-
qu'autre Prince et démontre que c'est bien d'Henri d'Allemagne,
seul, qu'a pu vouloir parler Astorg de Segret.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 541
Prince accompli dont Astorg de Segret déplore si
amèrement la mort.
On sait que Simon de Montfort, iils cadet du
chef fameux de la Croisade Albigeoise, était passé
en Angleterre où il avait épousé la sœur du roi
Henri III et reçu de son royal beau-frère le Comté
de Leicester. Bien qu'il eut gouverné avec autant
de cruauté que de rapacité la Guyenne qui lui avait
été confiée, Montfort-Leicester avait réussi à se
mettre à la tête des Barons Anglais en révolte. On
a vu la défaite du roi fait prisonnier avec son fils
Edouard, l'évasion de celui-ci et sa victoire sur les
révoltés à Evesham, en 1265. Son cousin ger-
main (1) Henri l'avait puissamment secondé et ce
fut le jeune Prince qui, le soir de la bataille, fit
décider la mort nécessaire de Simon de Montfort-
Leicester, chef des révoltés, fait prisonnier, qui fut
en effet écartelé, séance tenante. Henri avait,
ensuite, accompagné son cousin Edouard à Tunis;
puis, taudis que ce dernier allait en Orient, il s'était
(i) Henri de Cornouailles-Allemagne et le roi Edouard Ier
étaient doublement cousins germains. Leurs pères étaient frères,
leurs mères étaient sœurs.
542 LES TROUBADOURS CANTALIENS
rendu en Italie. Il avait épousé la plus belle Prin-
cesse d'Europe, au dire des chroniqueurs, Cons-
tance, fille de Gaston de Béarn, la jeune veuve
d'Alphonse, fils du roi d'Aragon. Henri d'Alle-
magne se rendait à Rome pour obtenir du Pape la
reconnaissance el le couronnement de son père,
connue Empereur d'Allemagne, et se trouvait à
Viterbe en mars L271, où il entendait, un jour, devo-
te ni la messe dans l'église Saint-Laurent. Au
moment précis, nous apprend Dante Alighieri, où
le Prêtre élevait l'hostie consacrée, la présentant à
la vénération des fidèles, Guy de Montfort-Leicester,
tils du Comte Simon dont Henri avait fait décider
la mort le soir de la bataille d'Evesham, se jeta sur
lui et le tua à coups d'épée.
< "est contre ce meurtre resté impuni que le poète
Cantalien crie vengeance, sommant le roi Edouard
d'en obtenir réparation. La chose était plus aisée à
conseiller qu'à réaliser! Devenu roi, trois ans après
ce forfait, Edouard demanda au Pape Grégoire X
de punir le meurtrier qui avait perpétré son crime
dans les Etats Pontificaux. Le Pape lança l'excom-
munication sur Guy de Montfort-Leicester; mais
celui-ci, soutenu en sous-main par Philippe-le-
LES TROUBADOURS CANTALIENS 543
Hardi, passa dans les Etats du roi de Naples.
Charles d'Anjou, qui avait réussi alors à être l'ar-
bitre de la Péninsule et à imposer ses volontés au
Pape lui-même, déclara se charger de la garde du
prisonnier et de son châtiment.
Au lieu de livrer le meurtrier à son justicier
naturel, le roi d'Angleterre, Charles d'Anjou
biaisa, tergiversa, et, finalement, Edouard Ier ndu-
tint qu'une satisfaction toute platonique (1).
Les acteurs du drame ainsi mis en pleine lumière,
les ressorts cachés de la politique Napolitaine dévoi-
lés, le « sirventés » du Troubadour Cantalien, véri-
table pamphlet politique, prend toute son ampleur.
Son auteur y apparaît Chevalier féal, tout féru de
justice, énergiquement fidèle à ses amitiés, consa-
crant ses courageuses strophes à poursuivre la ven-
geance du crime, y inciter le monarque Anglais,
stigmatiser la duplicité tortueuse, l'égoïste ambi-
tion de Charles d'Anjou, la médiocrité et la fai-
blesse de Philippe-le-Hardi. On ne saurait regretter
que le temps des amoureuses chansons du XIIe soit
passé et l'unique poésie que nous connaissions
(i) Fabre, loc. cit.
544 l.r.s TROUBADOURS CANTALIENS
d'Astorg de Segrel nous documente mieux sur l'his-
toire de son temps, nous apprend davantage sur les
personnages et La politique du XIIIe siècle que
maints « coblas » de Pierre de Rogiers ou du Prieur
de Montaudon.
Puisque le roi de France et son oncle le roi de
Naples se constituent les protecteurs du meurtrier,
Astorg presse Le monarque Anglais de reprendre
l'offensive en Guyenne. Lui que « jamais nous ne
« vîmes subir une perte, mais, au contraire, gagnei
« par les armes tout ce qu'il voulut jusqu'ici possé-
« der ou conquérir sans crainte pourchassera
o les méchants Guy de Montfort et Charles
« d'Anjou, connaîtront, enfin, leur égal.... forts châ-
« teaux bien bâtis tomberont au pouvoir d'Edouard
(( et devant ses troupes, les soldats de Philippe
« crieront: « Sauve qui peut! » (1). Notre poète
n'avait guère, on le voit, le sentiment des nationa-
lités et l'unification Française était problème in-
soupçonné pour lui. On ne saurait lui faire grief de
m a m | ucr de patriotisme, dans le sens que nous atta-
chons aujourd'hui à ce mot, l'idée n'en existait
(i) A. Ce Segret : Sirventès, Strophes IV et V.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 545
même pas eu germe de son temps; elle n'apparaîtra
que deux siècles plus tard avec la grande héroïne
Française, Jeanne d'Arc, et fort imprécise encore.
Il semble peu probable qu'Astorg de Segret ait
composé son « surventes » dans la solitude de son
manoir héréditaire et l'on serait plus porté à croire
que menant, à son retour d'Afrique, la vie errante
des Troubadours, il séjournait peut-être en Guyenne,
en terre Anglaise, à l'abri de la colère de Philippe-
le-Hardi et de son oncle qu'il malmenait si rude-
ment. Il charge son confrère Cotellet (1) de pré-
senter sa poésie au Vicomte de Lomagne auquel il
paraît profondément attaché et dont il escompte
même la générosité en faveur de son messager. « Il
(( te donnera un cheval à ton départ », écrit-il à
son confrère.
Située en Bas-Armagnac, au cœur de la Gascogne,
cette Vicomte de Lomagne dont Lectoure était la
capitale appartenait, au moins depuis le Xe, à une
famille dont le Vicomte Odoart vivant en 960 est ie
(i) Cotellet, le Troubadour, à qui Astorg de Segret envoie son
sirventés, est peut-être le même que le Troubadour Codelet, Codo-
let ou Codolens (Chabaneau, P. 137). Il y avait également à la
même époque, à Narbonne, dit Anglade, un Raymond de Codolet.
546 LES TROUBADOURS CANTALIENS
premier auteur couuu. Il portait le titre de Vicomte
de Gascogne avant d'adopter celui de Lomague,
tiré, croit-on, de quelque château aujourd'hui dis-
paru. Son descendant, Arnaud-Othon Tl avait suc-
cédé <'ii 1238 îl son père, dans les Vicomtes de
Lomagne <-t d'Auvillars qui englobaient une partie
des départements actuels du Gers, de la Haute-
Garonne »'i du Tarn-et-Garonne. D'un premier ma-
riage avec la tille du Comte Géraud IV d'Armagnac
il n'avait en qu'une tille qui mourul sans alliance.
Il se remaria à Marie Bermond de Sauve, tille de
Pierre-Bernard Bermond, seigneur de Sauves et
d'Anduse (1), Vicomte de Gévaudan et de Millau,
<|iii le rendit père de Vezian et de Philippine de
I. agne qui héritèrent successivement de la
Vicomte (2). Peut-être n'est-il pas téméraire de
supposer que c'est par sa seconde femme qu'Aster,^
de Segret fut introduit auprès du Vicomte de
Lomagne. Le Gévaudan et le Rouergue, peuplés
(i) Terres voisines, l'une d'Alais, l'autre du Vigan, dans le
Gard.
(2) Vezian, Vicomte de Lomagne, fut le dernier mâle de cette
lignée. Sa sœur et unique héritière, Philippie, porta la Vicomte à
son mari Elie de Talleyrand, Vicomte de Périgord. Celui-ci la
vendit en 1305 au roi Philippe-le-Bel.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 547
de Troubadours, étaient des centres d'attraction
assez voisins de la Haute-Auvergne pour que notre
poète y ait fréquenté et rencontré à Millau !e
Vicomte de ces deux régions; Sauve et Anduse
étaient assez sur le chemin d'Aigues-Mortes, où il
dut s'embarquer pour Tunis, et il put y connaître,
avant son mariage, la seconde femme du Vicomte
de Lomagne dont il célébrait avec tant de conviction
la vaillance et la générosité.
Espérons que Maître Cotellet eut son cheval en
quittant Lectoure, mais désespérons d'en savoir
davantage sur le poète Cantalien dont l'existence
semble avoir été aussi bouleversée que les ravins de
sa vallée natale.
PÈLERIN D AURILLAC
à SAINT JACQUES DE COMPOSTELLE
(Musée d'Aurillac. — Tableau de Chapsal)
Anonyme
Chant des Pèlerins de St-Jacques de Compostelle
XIII
< l'était un Troubadour, lui aussi, ce pèlerin ano-
nyme parti d'Aurillac pour Saint-Jacques de
Compostelle, en Galice, trompant l'ennui de l'inter-
minable voyage, cherchant à faire oublier à ses
compagnons les fatigues du chemin par ses pieuses
chansons. Il disait, au retour, à ses compatriotes,
avec un naïf et saint orgueil, les péripéties et les
joies de sa méritoire pérégrination pour les exciter
à l'entreprendre à leur tour.
Plus idéalistes que nous, nos pères affrontaient
gaiement les fatigues et les périls des plus lointains
voyages pour satisfaire à ce sentiment, hérité peut-
être de nos aïeux les Celtes. Dès les temps les plus
reculés, bien avant que la Péninsule Ibérique eût
secoué le joug Arabe, les gens de Haute-Auvergne
étaient attirés vers cette Espagne mystérieuse et
troublante. Une dévote curiosité, l'espoir de la
rémission de leurs péchés, voire même de leurs
crimes, que le Clergé leur affirmait certaine, décida,
tout porte à le croire, les premiers pèlerins; mais
à cet objectif très surnaturel, au début, l'Auvergnat
pratique et avisé mêla, à la longue, l'alliage d'atti-
rances toutes terrestres, séduit bientôt par l'appât
552 LKS TROUBADOURS CANTALIENS
du lucre et les tentations d'un déplacement rémuné-
rateur. C'est fort probablement à cette pieuse ori-
gine qu'il faut attribuer le courant continu et sans
cesse grandissant, à travers 1rs siècles, de l'émigra-
tion Cantalienne en Espagne.
Elle était bien faite pour enthousiasmer les
pieuses Imaginations médiévales, la légende de
(( Monseigneur le Baron Saint Jacques » qui prit
naissance an IX" et atteignit, an X II", sa pleine
efflorescence. L'Histoire nous apprend que Jacques,
fils du pêcheur Galiléen Zébédée et de Marie
Salomé, quitta, un jour, sa barque et ses filets, à
la voix «le .Jésus de Nazareth, et suivit le Maître
dont il devint l'un des douze apôtres, sous le nom
de Jacques-le-Majeur ou l'Ancien (1). Après la
résurrection, il revint prêcher à Jérusalem, fut
dénoncé par le Sanhédrin au Tétrarque Hérode-
Agrippa qui le fit mettre à mort vers Fan 44. La
Légende espagnole se refuse tout net à suivre. l'His-
toire, et prétend, malgré ce que cette assertion a
(i) Il avait dans le Collège apostolique un homonyme, Jacques,
cousin de Jésus par sa mère Marie Cleophas et frère des apôtres
Simon et Jude, dit Jacques le Mineur, le Jeune ou le Sage, qui
fut le premier Evêque de Jérusalem et mourut martyr.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 553
de peu conforme aux Actes des Apôtres (XII, 2),
que Jacques-le-Majeur serait venu évangéliser l'Es-
pagne et y sciait mort en Galice. Cette version
aurait pris naissance au IVe siècle, d'après certains
historiens, et se serait accréditée surtout au VIIe.
En tous cas, chacun reconnaît que le souvenir de
l'Apôtre s'était entièrement aboli et que le lieu de
sa sépulture était parfaitement ignoré jusqu'au
IXe siècle.
En 835, un soir d'été, Théodomir, Evêque d'Iria-
en-Galice (1), contemplait le ciel tout scintillant
d'astres, lorsqu'il vit une étoile particulièrement
lumineuse dominer une colline inhabitée. Guidé par
cette clarté étincelante, le Pontife se rend sur la
montagne que l'étoile irradiait, en fait creuser le
sol et découvre en cet endroit le corps de l'Apôtre
Saint Jacques. Alphonse II, le Chaste, roi des Astu-
ries, grand bâtisseur d'Eglises et de Monastères,
qui devait mourir quelques mois plus tard, accourut
d'Oviedo, sa résidence, à l'annonce du miracle, et
fit ériger une chapelle sur le « Champ de l'Etoile »
(i) Iria, aujourd'hui El Padron, ville des Asturies, l'Iria-
Flavia antique.
55 1 I ES 1 ROI BADOl RS I ITALIENS
. — Campus Stellœ — Compostelle. Les maisons qui
s'élevèrent autour du sanctuaire de Siiinl .Jacques
(Santiago) donnèrent vite naissance à la ville de
(« Santiago </< ComposteUa » et, cinq ans plus tard,
la ciie nouvelle était déjà si importante que le Tape
Léon III autorisai! l'Evèque d'Iria à y transférer le
Siège Episcopal. Le roi Alphonse [II, le < Jrand (86fr
910), avait converti la chapelle primitive en un
somptueux édifice de marbre 1 1 1 mais, en î)î>7, appa-
raît en Galice Al-Manzour, le laineux conquérant
Maure, qui détruit Santiago, l'ait raser la basilique,
mais aurait laissé inviolé le tombeaii de l'Apôtre,
alors i|ii*il en emportait le trésor et les cloches à
Cordoue. Santiago et sou sanctuaire restent déserts
jusque vers L030 où Le dernier descendant de
Pelage, Bermude II i. roi de Léon, releva les ruines,
lii tracer des routes à travers les Asturies et la Cas*
lille pour faciliter le pèlerinage déjà fréquenté (2),
(i) Alp] I ir el d'une h aile immense,
i de la nou-
velle Eglise. I.' de Galice y tinrent un
pour élire I .que de Tarragone, élection que l'Arche-
vêque de Narbonne, alon Métri ie, se refusa
à admettre.
(2) Cresconius, Evêque d'Iria et Compostelle, présida en 1056,
LES TROUBADOURS CANTALIENS 555
Enfin, en 1078, à la prière de l'Evèqne Diego Ier
Pelaez, le roi Alphonse VI (1065-1109) fait élever
sur le sanctuaire primitif, qui lui sert de crypte,
l'immense cathédrale actuelle, remarquable édifice
en granit, du pur Roman primaire, mesurant quatre-
vingt-quatorze mètres de long, rappelant à ce point,
dans l'ensemble et les détails, Saint-Cernin de Tou-
louse, qu'aucun doute ne subsiste qu'il soit l'œuvre
d'architectes Français. Sa construction prit tout le
XIIe siècle et sa consécration eut lieu en 1211.
A cette époque prit corps une autre légende, aussi
peu historique que la précédente et moins merveil-
leuse, mais qui heurte moins de front, en revanche,
les « Actes des Apôtres », l'un des Livres Saints de
l'Eglise Catholique. Saint Jacques le Majeur n'esl
pas venu en Espagne et n'y est pas mort, puisqu'il
a été martyrisé à Jérusalem, l'an 44; mais ses
reliques y ont été apportées, avec celles de deux de
ses disciples, à une date inconnue. La ville où repo-
sent ses ossements ne tire pas son vocable du pré-
tendu « Champ de l'Etoile », mais bien du nom
dans la nouvelle basilique, un Concile où il rit décider que les
Prêtres seraient tenus de dire chaque jour la Messe et les Clercs
de porter un cilice chaque jour de jeûne, en expiation des péchés.
556 LES TROUBADOULS CANTALIENS
contracté de son protecteur « San Jacome Apos-
tol ». Sous l'une el l'autre de ses formes, la légende
jacobinienne, flatteuse à l'amour-propre Galicien,
s'v accrédita an point de devenir, suivant l'expres-
sion d'un écrivain, « un dogme national ». En vain
]<s autres Eglises Espagnoles et, notamment, celle
(U- Tolède, protestèrent-elles contre cette croyance;
1rs armées chrétiennes de la Péninsule crurent voir
Saint Jacques, armé de pied en cap, combattre
coi i(rc 1rs .M aines. Le fameux Ordre militaire de
Saint Jacques se développa rapidement, arrivant a
posséder jusqu'à quatre-vingt:sept Commanderies et
des biens immenses (1). « Santiago, Santiago »
devint le cri de guerre de l'Espagne chrétienne,
comme << Montjoye Sadnt-Derm » celui de la France;
«1rs le commencement du XIIIe siècle, d'innom-
brables théories de pèlerins affluent par milliers à
la basilique reconstruite de l'Apôtre protecteur offi-
ciel de l'Espagne (2). De toutes les nations, la
(i) Les Chevaliers de Santiago portaient pour armoiries : d'or
à l'épée de gueules, avec cette devise : « Rubet ensis sanguine
Arabttm » — « Notre glaive est rouge du sang .Arabe ». Cet
Ordre militaire, devenu trop riche, fut supprimé en 1504 par
Ferdinand et Isabelle-la-Catholique.
(2) L'affluence des pèlerins fut véritablement immense à San-
LES TROUBADOURS CANTALIENS 557
France, en raison, sans doute, de sa proximité, tient
la tête par le nombre de ses pieuses cohortes et, soit
que les Arvernes connussent déjà les chemins d'Es-
pagne, avant l'ère chrétienne, comme le veulent
certains, soit que les Abbés d'Aurillac poussent
leurs sujets à cette pérégrination rédemptrice, les
bandes de pèlerins quittent nombreuses et fré-
quentes la Haute-Auvergne, se dirigeant vers Com-
postelle. Ils adoptent pour le voyage un manteau
tiago pendant le moyen âge et principalement au XIIIe siècle. Il
alla s'affaiblissant peu à peu, déjà fort restreint au XVIIIe, alors
même que le sanctuaire s'enrichissait de si précieux ornements.
Il n'aurait fait que décroître depuis. Nous laissons à M. E. Guillon
la responsabilité de l'aveu que lui aurait fait, en 1906, un Cha-
noine de Compostelle (Guillon, « Sur les Routes », P. 65).
— « Les Pèlerins, dit le vieux Chanoine, deviennent de plus
« en plus rare.;. Des paysans Portugais, parce que Notre Saint-
« Père a décidé que le pèlerinage à Santiago équivaudrait pour eux
« au voyage de Rome, ce qui est plus court et plus économique,
« des paysans de Galice parce que les fêtes religieuses du 25 juillet
« coïncident avec une foire de bestiaux qui dure trois jours, de
« telle sorte que nous ne savons pas si ces pauvres gens viennent
« ici pour l'Apôtre ou pour leurs vaches, quelques-uns de nos
« frères d'Espagne parce que notre bienheureux Apôtre reste le
« patron de notre pays si éprouvé, quelques Irlandais, nobles reje-
« tons de la terre où brilla Saint Patrice, quelques Français.
« dignes enfants de la grande nation dont les rois furent géné-
« reux pour notre sanctuaire. Et voilà tout!... Les récentes splen-
« deurs de Lourdes ont éteint la vieille gloire de Compostelle. »
553 LES TROUBADOURS CANTAI.IENS
court, dit « pèlerine », qu'ils ornent là-bas, ainsi
que leur chapeau, de ces coquillages si communs
sur les côtes de Galice qui out gardé le uom de
« coquilles de Saint-Jacques », arborent aiusi avec
une pieuse fierté, sur le chemin du retour, cette
preuve manifeste du long et périlleux voyage
accompli.
Mieux «pic aotre poète Oantalien, un prêtre Poi-
tevin du -\ 1 1 siècle, Aimeric Picaud, nous a laissé
mi itinéraire fort détaillé du pèlerinage de Compos-
telle avec une intéressante description de la ville
de Santiago, ainsi que des pays traversés. Le che-
min suivi par les pèlerins d'Aurillac concorde de
tons points avec celui qu'indiquait, un siècle aupa-
ravant, le Prêtre de Poitiers. Il fallait se rendre à
Bayonne ou plus exactement a Ostabat, point où
l'on traversait la frontière et où l'on devait, nous
apprend noire Aurillacois, << échanger bel argent
pour de la monnaie fort mauvaise ». Les rois d'An-
gleterre, alors Ducs d'Aquitaine, se montraient fort
bienveillants aux Ordres .Monastiques et aux pèle-
i ins qui foisonnaieni en Guyenne. L'embarquement
aux environs de Bordeaux, Blaye ou quelqu'autre
port, et le trajet maritime jusqu'à Bayonne faisait
LES TR0UBAD01 RS < INTÀLIKNS 559
éviter à la pieuse cohorte, Rouergue, Albigeois,
Toulousain, en proie à l'hérésie et ensanglantés par
les guerres religieuses. Au delà des Pyrénées, la
concordance d'itinéraire est absolue entre Ainn rie
Picaud et l'auteur de notre complainte.
Le chemin suivait Le col de Roncevaûx, au débou-
ché duquel se trouvai! une Abbaye, et, par le Pays
Basque et la Navarre, atteignait Vittoria, encadrée
de verdure, nous dit noire poète, toute parfumée de
lavande et de thym. On descendait la vallée le
l'Arga jusqu'à Logrono où l'Ebre opposait une ter-
rible barrière. Notre homme nous dit bien qu'il
franchit le fleuve sur un petit pont qui tremblait
sous ses pas et qu'il crut mourir là: mais il se garde
bien, en Auvergnat madré, de nous avouer la véri-
table cause de ses alarmes! Le lecteur du vingtième
siècle l'attribue bonnement au mauvais état du pont,
à la vétusté de ses matériaux. Point du tout, con-
fesse le Prêtre Poitevin plus franchement expansif.
Le passage de l'Ebre était une première épreuve
ménagée par Monseigneur Saint Jacques aux pèle-
rins qui se rendaient à son sanctuaire. Etaient-ils
en état de grâce, la conscience pure; ils franchis-
saient allègrement le fleuve . Si quelque faute
560 3 TROUBADOURS CANTALIEKS
rénielle, quelque mauvais désir troublait leur cœur,
le ponl tremblait sous eux et comme notre Auril-
lacois ils criaient: « Paix! Paix! » en invoquant
l'Apôtre. .M;iis a tous ceux dont les âmes étaient
chargées de méfaits <-i de souillures, le pont refu-
sai! Bes services. Il tremblait si fort sous eux qu'ils
perdaient l'équilibre el tombaient dans le fleuve.
Ob s'explique maintenant que notre Cantalien, ravi
d'en avoir été quitte pour la peur que lui avaient
valu ses fautes vénielles, consacre une strophe
entière de sa complainte an fameux pont de l'Ebre.
De Logrono, déjà bien au-dessous de la ligne
droite de Navarre en < !astille, nos pèlerins gagnaient
Najera (Navarette), <>u le Prince Noir devait battre
notre Connétable l>u Guesclin, et par Santo Do-
mingo de la Calzada, atteignaient Burgos, capitale
de la Vieille-Castille, à la cathédrale fameuse. S'ils
avaient été rançonnés dans les haltes précédentes
par des hôteliers peu délicats, nombreux, en Espa-
gne, paraît-il, au XIIe siècle, nos pèlerins trou-
vaient à Burgos gîte confortable et bon accueil, à
l'hospice édifié à leur intention et desservi par une
Confrérie sous le vocable de Saint Jacques, insti-
tué*' dans ce but spécial. Aux douceurs et aux soins
LES TROUBArOURS CANTALIENS 561
qu'ils leur prodiguaient aux pèlerins, les pieux
Confrères ajoutaient encore la joie religieuse de les
pendre témoins d'un miracle! Le Christ de la cha-
pelle de la Confrérie « suait sa sueur », nous dit le
poète d'Aurillac. Il a seulement négligé de nous
apprendre si cet étrange miracle était permanent
ou ne se produisait qu'à des dates fixes, annoncia-
teur de calamités publiques.
Au départ de « Bourges » ou « Purges », comme
les Français appelaient Burgos, ils n'avaient que
l'étape des « Quatre-Souris », nom défiguré par eux
de la Tille de Castro-Jeriz avant d'atteindre Saha-
gun. Son célèbre Monastère Bénédictin, dont ils
dénaturaient le nom en « Saint Sagon », entrete-
nait un hospice célèbre où les vassaux de l'Abbaye
d'Aurillac étaient particulièrement bien reçus.
Encore une halte à Mansilla, qu'ils dénommaient
« La Mycelle », et nos pieux voyageurs faisaient
leur entrée dans la ville de Léon, la capitale du
royaume Asturien qu'ils étaient presqu'excusables
de transformer en « Lyon d'Espaigne » pour la
distinguer de la cité Rodanienne. L'hospice fameux
de San Marcos, bâti aux portes de la ville, leur
ouvrait ses portes, leur procurant, non seulement le
vivre el l«- couvert, mais encore d'agréables distrac-
tions. Les belles dames de Léon, aous apprend notre
complainte, vinrent eu masse fêter les pèlerins
d'Aurillac, les écouter chanter les chansons de
France, peut-être même < l< chansonnier né l«' dit
. les \<>ii- danser lu bourrée d'Auvergne au son
de la <• '*//;
La tra des monts Asturiens n'allait pas
sans encombre et, si habitués que fussent nos unis
a < !antaliennes, ils eurenl grand froid
• Lins cette contrée montagneuse. Pontferrada et
Astorga, baptisés par eux « Pont ferrai » el << As-
ils eurent la consolât Ion <le
vénérer, jour et nuit, a Salvador, un clou de la
vraie croix dont, Bans notre complainte, on ignore-
. peut être, l'existence en Espagne. Cet acte de
piété les prépara sans doute à l'épreuve <pii les
attendait un peu pins loin, a Rivedière (1). Traités
de vagabonds, de voleurs, et bandits de grands che-
mins, ils furent tous traînés devant le juge auprès
de qui il leur fut aisé de se justifier. Le magistrat,
■s n'avons pu identifier ce nom évidemment francisé,
ablement Ribadiera. M. Delzangles traduit par Ribadavia
(«liants populaires, P. 50).
LES TROUBADOURS CANTALIENS 563
vite convaincu qu'aussi saintes gens n'étaient capa-
bles d'aucun crime, les congédia en leur souhaitant
bon voyage. Ils purent enfin atteindre, sans autre
encombre, Villafranca del Bierzo, ville frontière du
royaume de Léon et de la Galice.
C'est par cette cité que passait la rouie de
Compostelle qu'on appelait « h chemin Français •■,
tant les pèlerins de cette nation étaient les pins
nombreux qui suivaient cette voie assez peu hospi-
talière, pourtant, à en croire un vieux proverbe
Galicien qui l'appelle: << Le chemin tramais où le
chat se vend pour de la viande ». Ainsi, loin des
grands centres, à proximité de Santiago et sans
craindre le courroux de Monseigneur Saint Jacques,
les hôteliers peu scrupuleux du XIIIe siècle con-
naissaient déjà les secrets de la gibelotte de lapin
de gouttières ! (1)
Aimeric Picau 1, dont la verve, plus vieille d'un
siècle, supplée si heureusement au laconisme poé-
tique de l'anonyme Cantalien, nous dit de la Galice:
(i) Nous n'avons pas voulu nous associer à la rancœur de
E. Guillon qui, dans son volume « Sur les rouies », fait suivre
le proverbe Galicien de cette réflexion : « Ce îrest donc pas d'hier
que date la mauvaise réputation des aubergistes d'Espagne. »
- TBOl BADOI BS I an i AI.ILNS
C'est une région boisée avec <les fleuves, <lcs prai-
ries ei d'excellents vergers, riche en fruits et en
laires fontaines, avec peu de villes et <le \il-
o lage8. Peu « 1 < - moissons, un peu de froment et de
p \in. beaucoup de seigle et «le bière, beaucoup <le
« bétail «m de chevaux; «lu lait, du miel, du poisson
« de mer i n abondance ». Cette description <lu dou-
zième Biècle est encore exacte aujourd'hui.
Après avoir traversé Lugo et Apeua, nos pèlerins
d'Aurillac se sentaient chez eux et retrouvaient
l'ambiance uatale dans cette hôtellerie-hospice du
mont Ebroarius en Galice que la paternelle charité
de l'Abbé d'Aurillac avait créé à l'usage des habi-
tants du territoire Abbatial de passage à Compos-
telle. Cette philanthropique fondation <1< >iH l'au-
teur de la complainte loue << Monseigneur l'Abbé,
lequel nous a tous rassasiés dans sm maison sur la
montagne ». prouve, à elle seule, que le nombre
• 1rs voyageurs Cantaliens était continuellement
assez considérable pour la justifier. Cette dernière
étape franchie, les pèlerins apercevaient enfin, sur
la colline où elle es; assise, l;i cité suinte avec ses
murailles et 1rs clochers de ses églises. Le cœur
LES TROUBADOURS ( INTALIENS 565
plein d'émotion, ils y entraient par la « Porte de
France » et allaient droit à la basilique.
Le bel édifice Roman se dressait alors dans toute
sa pureté originelle, sans les exubérantes et baro-
ques adjonctions donl L'a disgracieusement alourdi
le XYIII0 siècle. Les portes surchargées de « L'Assa-
bacheria » et a Puerto. Santa >> ne détruisaient pas,
au XIII0, la belle simplicité du transept et
« UObradoiro », avec son immense escalier a quatre
rampes, son formidable pignon, ses lourdes tours
de soixante-dix mètres, ne masquait pas l'admirable
portique de « La Qloria », seule entrée de l'Eglise,
alors, avec sa jumelle en beauté, « La Puerta de
Platerias », œuvre d'une incroyable hardiesse ter-
minée en 1116, soutenue tout entière par cette sur-
prenante console sculptée en forme de coquillage,
« La Coucha », véritable tour de force architec-
tural.
Le poète Aurillacois, dont la verve avait su tirer
quinze couplets des incidents du voyage, aurait
trouvé ample matière à exercer son talent descrip-
tif au récit de son séjour à Compostelle. Il est per-
mis de se demander si son œuvre nous est parvenue
complète et si ce que nous possédons est autre
- i ROI km r.u.ir.xs
chose que la première partie d'une trilogie dont le
Béjour ;i Santiago <-\ 1<- retour en Auvergne for-
oiaienl la Buite. Complétons, au moins, grâce aux
documents contemporains, une esquisse <!«• la Corn-
postelle du XIII siècle que notre compatriote avait
écrite, peut-êt re.
Avant de franchir le seuil de la basilique, les
pèlerins, eeux-là Burtout «pii menaient implorer le
pardon de quelque lourde faute, allaient se laver
a mu' fontaine don! Aymeric Picaud nous donne la
description. Ils suspendaient a nu pilier, érigé dans
ce bul auprès de la vasque, leurs vêtements pou
dreux <•! fatigués par !<• voyage, endossaient une
robe neuve, emblème de la rénovation <!•' leur âme
<t de leurs dispositions Intérieures uouvelles. Aux
indigents, le < ' 1 1 m j ► i 1 1-« • fournissait cet habit. Quel-
que Prêtre 1 1 i leur expliquait alors le sens mythique
in On peut se faire une idée de la multitude de Prêtn
il résider à Santiago au temps de la splendeur du pèlerinage
par le nombre énorme qui s'y maintient, malgré la pénurie
de pèlerins. < m ne saurait vraiment accuser ces ecclésiastique di
r une vie trop large ! 1 and
noml m, P. 66, aux soutanes râpées,
sont en familles pour deux reaux (cinquante
centimes) par jour! Pour cette somme quotidienne, on les loge,
on les Manchit et raccommode, on leur fait la cuisine, mais ils
LES TR01 BADOl RS I ITALIENS 567
du portique fameux de « Iji Gloria » dont le soleil
de Galice mettail en valeur, en ce temps, le moindre
détail. Pendant vingt années, le Maître tailleur
d'images, Mateo, avait surchargé de sculptures ce
porche divisé en trois corps correspondant aux
trois nefs de l'Eglise.
Jusqu'en 1188, il avait travaillé à traduire la des-
cription du ciel que donne le chapitre IV de l'Apo-
calypse, dans le splendide portail double, dont le
trumeau portait La statue assise de l'Apôtre en cos-
tume de pèlerin, et aux portes latérales, d'égale
richesse. Le Sauveur assis an tympan de l'arcade
centrale est entouré d'anges, de vingt-quatre vieil-
lards, des patriarches, des prophètes, des apôtres
et des saints. Quarante-deux élus eu prière y
figurent l'Eglise triomphante, tandis que le Purga-
toire et l'Enfer, représentés par des monstres per-
sonnifiant les passions et les péchés, se détachent
au-dessus des deux portes secondaires. Il y a là uue
profusion de figures d'une richesse et d'une vigueur
d'expression extraordinaires qui fout de l'œuvre de
doivent rpporter leur poisson (jnerlusa) et leurs pois chiches
(garbanzos) dont, à de très rares exceptions près, ils se nour-
rissent exclusivement !
kLlEXS
Mateo • un des plus beaux fleurons de l'art chré-
i îen
L'âme mystique il«- uotre poète Cautalien, s;i t'«»i
plus :' et plus naïve, le souvenir même des
traverse*! essuyées des rives de !;i Jordanne à cri les
• lu Sar ili devaient lui faire éprouver une émotion
plus intense encore qu'au croyant du XX siècle,
en pénétrant dans l'immense nef séparée de ses
deux sœurs latérales par de lourds piliers suppor-
tant les tribunes aux si curieux triforiums. Dévote
ment, il dut faire les Btations obligat tires ;i chacune
des vingt trois chapelles, en B'attardant spéciale-
ment à celle du Saint-Sauveur, «lit»- des r<»is de
France, < j i h * nos Souverains avaienl comblée <!•' la:--
l'uis il alla 8e prosterner devant la « Oapilla
mai érigée exactement au-dessus «lu tombeau
de l'Apôtr< . gravit la première des plate-formes qui
permettait, en ces temps <l<- foi, aux foules d'appro-
cher la statue <lu saint, modeste effigie de l»<»is peint,
que les fidèleSj ouvrant les bras, tenaient un instant
« abrazada ■< embrassée — et baisaient dévotieu-
(i) Santiago est bâti sur le versant du Mont Pedroso, au con-
fluent du Sar et du Sarela.
LES TROUBADOURS OANTALIENS 569
Bernent (1). lu escalier latéral conduisant les pèle-
rins à la crypte, seul vestige «lu sanctuaire détruit
par Al Manzour, située exactement au-dessous du
maître-autel où reposent aujourd'hui, comme alors,
le corps de Sainl Jacques et relui de ses deux dis-
ciples.
Auprès de la porte «lu Sud, nos pèlerins allaient
faire une dernière prière à l'Apôtre devant l'an-
tique bas-relief qui le représente a cheval, l'épée
d'une main, l'étendard de l'autre, foulant aux
pieds des Sarrazins. c'est aujourd'hui la seule effi-
gie du Saint, existant à Compostelle, dont on
puisse dire qu'elle a reçu les pieux hommages de
l'auteur de notre complainte.
Nos dévots compatriotes se gardaient de quitter
la basilique sans avoir vénéré, une a une, les
insignes reliques dont leur foi profonde ne discutait
pas l'authenticité. C'était le bras d'un géant qu'on
(i) La vieille statue médiévale a été remplacée au XVIIIe par
celle actuellement offerte encore à la vénération des fidèles. Cette
statue, d'une richesse inouïe, représente le saint assis, habillé en
pèlerin. Le manteau court est en argent, les autres parties en or,
le tout couvert de pierres précieuses d'un prix inestimable. L'autel,
sur lequel est placée la statue, pèse, à lui seul, cinq cents kilo-
grammes d'argent. Lampes et candélabres sont de même métal.
Le retable, immense échafaudage de jaspe, d'albâtre et d'argent,
est du style « churrigueresque >> le plus extravagant, déconcertant
toutes données esthétiques !
."•7" rs < \\r\i il \s
assurait être s;i int Christophe, le chef de Saint
Victor, des ossements <lr la chaste Suzanne el de
Sainte Ursule, une épine de La couronne du Christ
qui se couvrait de sang chaque Vendredi-Saint, et,
enfin, In relique insigne entre toutes : une fiole
contenant du lait de La Vierge demeuré blanc et
pur a travers Les siècles, i«-l qu'au jour ou Jésus
enfant s'en abreuvait au Bein maternel.
Au XIII siècle comme aujourd'hui, nombre
d'autres sanctuaires sollicitaient a Santiago la
piété des |' èlerins. Ils allaient vénérer Saint Fran-
çois dans Le grand couvent bâti en son honneur au
\li siècle, invoquer dans Bon église, érigée a la
même époque, Sainte .Marie Salomé, unie de Saint
Jacques, prier Sainte Suzanne dont Le sanctuaice
était depuis îinr» en particulière vénération. Ils
ii même de la ville pour visiter Saint Lau-
renl dans son église «lu Faubourg San Lorenzo,
construite «ai L216, vénérer La .Madone de grand
renom <1<- Santa Maria de Sar qu'un miracle opéré
dans Le XII siècle avait rendue célèbre. Réconfortés
par ces pieux exercices, nos pèlerins Aurillacois
revenaient saluer une dernière lois Monseigneur
Saint Jacques, faisaient bénir a son autel les
Ils TR01 HADOURS OANTALIENS 571
coquilles dont ils se paraient comme de pieux
insignes et refaisaient, étape par étape, la longue
route qui les ramenait à la cité natale a la ville
qu'on nomme Anrillac près Jordannc ».
L'auteur de notre complainte est mort depuis des
siècles et l'on ne saurait rien deviner de sa vie. Tout
est perdu de lui, son nom même. Sa mémoire est
toml>ée en poussière dans la poussière universelle.
Seule survit la poésie naïve qu'il imagina, et qui
s'est perpétuée d'âge en âge, de récit en récit pour
l'édification d'arrière-neveux auxquels il ne son-
geait pas. Tout ce que nous pouvons espérer, au
sujet de ce poète que l'oubli recouvre, c'est que son
pieux lyrisme, les mérites de son lointain pèleri-
nage lui ont valu le Paradis où Monseigneur Saint
Jacques Fa introduit.
M. l'Abbé Four a publié dans la Croix <ln Gantai
du 9 octobre 1910, le texte de cette complainte que
nous avions inséré dans un volume de notes de
voyage sur l'Espagne paru en 1905. Nous lui em-
pruntons son excellente traduction qu'il fait précé-
der de ces réflexions :
Au temps où le monastère d'Aurillac était dans toute
B01 BADOI RS < WTM II KS
splendeur, possédait routes et domaines jusque dans
la I nombreux étaient les Auvergnats qui, par
dévotion, se rendaient à Saint- Jacques de Compostclle.
La route était longue, et les pèlerins n'avaient guère,
r rompre la monotonie du voyage, d'autre ressource
que celle de chanter.
La complainte qu'on va lire, pour être l'œuvre <lc
l'un d'entre eux, poète anonyme, qni n'eut ni la culture,
ni les haut. ntions des troubadours, n'en reste
pas moins l'un de nos plus curieux monuments vieux-
lang ns; elle vaut, à ce titre, d'être précieuse-
ment conservée dans les archives de notre passé litté-
raire.
Nous en empruntons le texte aux Impressions d'Es-
pagne et ,/<• Portugal, de M. le duc de la Salle (p. 106),
en lui faisant subir de sérieuses retouches, car le texte
a été manifestement interpolé par endroits.
Guillaume Borzatz
Guilhen Borzatz
XIV
— (( Que la Croisade contre les Albigeois, dit un
« historien, ait détruit la civilisation du Midi et
« changé la face des belles contrées où elle porta
« le ravage, c'est un fait reconnu de tout le monde
« et sur lequel il n'y a pas, je crois, à revenir. —
« Les barons de Montfort remplacèrent les sei-
« gneurs du pays, apportant de nouvelles mœurs
« et une nouvelle langue, tandis que le Clergé
« catholique proscrivait, de son côté, les éléments
« de cette civilisation hostiles à son pouvoir » (1).
Il est, en effet, incontestable que le mouvemeat
littéraire, dont les poésies du Comte Guillaume de
Poitiers restent le plus ancien monument, est frappé
de mort par la Croisade qui lui enlève ses protec-
teurs, ses foules admiratrices, sa liberté et jusqu'à
son sol natal. A mesure que la redoutable institu-
tion de l'Inquisition s'étend, de proche en proche,
sur le Midi tout entier, le chant des Troubadours
s'assourdit et peu à peu leur voix devient muette.
(i) Cambouliu : « Renaissance de la poésie provençale à Tou-
louse au XIVe siècle. » T. III. (Jalirbûcle fur Romanische und
Englische Literatur. Berlin 1861).
57C LKS TROUBADOURS CASTALIENS
De Nice il Bordeaux, de Limoges à Marseille,
T « amour courtois » est mort; si quelque rare
poète ose se risquer encore a chanter, c'est unique-
ment en l'honneur <le « Madame .Marie, la henoite
Vierge >> à laquelle il adresse, en les démarquant,
Les expressions enflammées donl ses prédécesseurs
étaienl contnmiers pour traduire leur amour à leur
dame.
Bientôt même, la dernière corde élimée de la der-
nière lyre eusse aux doigts du poète malhabile qui
n'y risque plus qu'une main apeurée et le silence
se fait lugubre des collines Limousines aux Pyré-
nées, «les Cévennes aux Alpes.
Bannie des contrées où elle avait régné en souve-
raine, la Poésie Romane (1) trouva un refuge en
Catalogne. Encore était-il précaire; si Pedro
Nolnsco (Saini Pierre Nolasque) (2), parent de
(i) Nous continuons à employer, suivant l'usage, l'expression
« Langue Romane » ; mais nous rappelons qu'elle est rejetée par
la Critique moderne. Il n'y a pas eu spécialement une « Langue
Romane » ; l'idiome des Troubadours était la langue Limousine. -
Auvergnate-Provençale. Comme toutes les langues d'Oc, elle était
dérivée du Latin, ni plus ni moins que le Français, l'Espagnol,
l'Italien, etc..
(2) Pedro Nolasco né à Saint-Papoul en Languedoc vers 1189,
mort à Barcelone en 1256. Il fut précepteur du roi Jacques d'Ara-
LES TROUBADOURS CANTALIENS 577
(( faydits » Albigeois, apportait, dans l'exercice de
sa charge de Ministre du roi d'Aragon, une stricte
orthodoxie, elle était tempérée vis-à-vis des héré-
tiques, par cette tendre pitié pour la misère
humaine, sous toutes ses formes, qui lui fit fonder
l'Ordre de la Merci pour le rachat des captifs. Son
confesseur, en revanche, Saint Kayniond de Pena-
fort (1), Général des Dominicains en 1238, établit
l'Inquisition en Catalogne et y réduisit au silence
les derniers Troubadours.
Ce serait, au dire d'un écrivain Espagnol, un
poète Catalan, qu'on a longtemps cru Cantalien.
Raymond Vidal de Bézalu (2) qui aurait sonné le
gon. Sa sœur, Na Bernarda Nolasco de l'Olio, avait épousé
Berenger de Lavelanet. Ce seigneur intrépide défenseur de la foi
Calhare fut pris à Montségur avec sa femme, son fils et ses deux
filles dont l'aînée avait épousé Imbert de Sales Donzol de Cordes
en Albigeois. Tous comparurent en 1244 à Carcassonne devant les
Inquisiteurs et furent condamnés au bûcher, sauf Imbert de Sales
sauvé par son oncle Bertrand de Sales, alors évêque de Béziers.
(1) Né en 1175 au château de Penafort en Catalogne mort
centenaire à Barcelone en 1275. Parent des rois d'Aragon, grand
Pénitencier de Grégoire IX puis Général des Dominicains établit
l'Inquisition en Catalogne et dans le Midi de la France.
(2) Raymond Vidal de Bézalu qu'on avait cru originaire du
château de Bezaudun, commune de Tournemire, canton de Saint-
Cernin, arr. d'Aurillac ou de la localité de Bezaudun, arr. de
Grasse (Alpes-Maritimes). Nous dirons en tentant sa biographie
578 LES TROIHU" i BS > ANTALIENS
réveil du « Gay Savoir ». — « La réunion de la
« Gaie Science, «lit le Marquis de Santillane, prit
<< oaissance en France, en la cité de Toulouse, sur
«< l'initiative de Raymond Vidal de Besalu » (1).
Ce Berait un peu avanl L323 que le Troubadour
Catalan anrail suscité cette résurrection.
En novembre loJ3 (2), en effet, sept Uourgeois
Toulousains (3) se réuniasenl dans an jardin de la
rue des Augustins, à Toulouse, pour tenter de sau-
ver d'une morl complète la Poésie Méridionale. —
Ils prennent le titre de « Très gaie compagnie des
Troubadours de Toulouse ■>. invitent tous les fidèles
comment nous sommes portés à croire, avec le savant Ulysse
Chevalier, qu'il y a eu bien antérieurement à Raymond-Vidal de
Bezalu, un Raymond-Vidal de Bczaudun qui pourrait bien être
vraiment Cantalicn.
(i) « El Consistoria de la Gaya Sciencia... ». La réunion de
la Gaie Science.... Lettre du Marquis de Santillane dans : Sanchez
« Poètes antérieurs au XVe siècle ».
(2) Dam Va;ssette : Hist. Gén. du Languedoc, T. VII. Liv.
XXX: Origine et établissement de l'Académie des Jeux Floraux
de Touloue.
^'3) Bernard de Panzac, Damoiseau. Guillaume de Lobra, Bour-
geois. Bérenger de Saint-Plancat. Pierre de Méjanasserre, Chan-
geur. Guillaume de Gontaut. Pierre Camo, Marchand. Maître
Bernard Oth, Notaire du Viguiqr. C'étaient tous personnages
importants et riches. Leur situation garantissait les pouvoirs
publics que l'institution littéraire qu'ils fondaient ne serait ni
« frondeuse », ni « bohème ».
LES TROUBAEOURS CANTALIENS 579
de la Poésie, tous les adeptes de la Gaie Science à
venir à Toulouse disputer, le premier dimanche de
mai de l'année 1324, une violette d'or fin qu'ils pro-
mettent de décerner à l'auteur du meilleur chant.
A l'échéance, nos sept Troubadours Toulousains
passent la journée du premier mai à écouter la lec-
ture des poésies présentées, le lendemain à les clas-
ser et à en discuter les mérites et enfin le trois mai,
ils décernent la a Joyu de lu rioletta a à Arnaud
Vidal, de Castelnaudary, pour son poème en l'hon-
neur de la Vierge. — L'institution prend corps, va
s'accroissant. les années suivantes; un Chancelier
et un Secrétaire choisis parmi les sept fondateurs
édictent des statuts et bientôt l'Académie des Jeux
Floraux de Toulouse, simple institution privée, à
l'origine, prend un caractère officiel. Les Magis-
trats de la cité assistent aux réunions, prennent à
la charge de la ville la violette d'or offerte au lau-
réat. Les érudits Toulousains ont fouillé les ori-
gines de cette fondation littéraire et longuement
discuté sur la réalité de Clémence Isaure, protec-
trice effective de ces joutes littéraires, au dire de
certains, tandis que d'autres historiens ne veulent
ÏSO LKS TBOl BADOI US < AM'M.ll.NS
voir en elle qu'une personnification emblématique
de la Vierge .Marie (1).
En L356, les troupes Anglaises liraient les fau-
bourgs «!<• Toulouse; le merveilleux jardin de la rue
des Augustins saccagé ae peul plus offrir l'abri de
ses ombrages aux poètes qui se réfugient au Capi-
tale "ii se tiendront désormais Leurs séances; mais
cette même année, L'Académie ajoute à la violette
d'or une églantine el un souci d'argent dont l'heu-
peux titulaire sera un Cantalien, Guillaume Borzat.
a Guillems Borzatz d'Aorlayach fets aquesta
« canso e fo coronada.
Guillem de Borzach da Orlach quazaynet la
(i) « L'éloge continue de la Vierge amena une étrange con-
« fusion et créa une légende qui, encore aujourd'hui a la vie
•< tenace. ...La mère du Christ était la Vierge Clémente... elle
evint la Clémence personnifiée-. Au XV0 siècle, on supposa
a qu'il avait existé une illustre famille Toulousaine du nom
« d'Isaure; on fit remonter à un membre de cette famille l'hon-
« neur d'avoir fondé les Jeux Floraux et le mythe de Clémence
« Isaure, qui ressemble étrangement à une mystification, fut
« créé. » Anglade, p. 300. Cf. Noulet « De dame Clémence Isaure
substituée à la Vierge Marie comme patronne des Jeux Floraux
de Toulouse ». Membre de l'Acad. de Toulouse 1852. Chabaneau :
Origine et établ. des Jeux Floraux, p. 1.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 581
(( flor de l'englentina per aquest sirventés à Tolo-
« za » (1).
Guillaume Borzatz d'Aurillac composa cette
chanson qui fut couronnée.
Guillaume de Borzach d'Aurillac gagna à Tou-
louse la fleur de l'églantine pour ce sirventés.
A quel milieu social appartenait notre poète du
XIVe siècle? Il est bien difficile de le déterminer
avec quelque exactitude. Probablement à la bour-
geoisie Aurillacoise. Peut-être était-il de souche
judiciaire et avait-il été, comme tant d'autres de ses
compatriotes, étudier le droit à Toulouse. Toutes les
recherches que nous avons tentées, soit dans les
archives Cantaliennes, soit dans les grands dépôts
nationaux, sur le nom de Borzatz sont restées
infructueuses. Les pièces originales nous ont seu-
lement révélé l'existence en Dauphiné d'une famille
de chevalerie du nom de Borzac à laquelle appar-
tenait Pierre de Borzac en faveur duquel le Dau-
(i) Mila y Fontanals : note sur trois manuscrits: Revue des
Langues Romanes 1876. Un Chansonnier Provençal. Chabaneau :
« origine et établissement des Jeux Floraux ». Toulouse 1885.
p. 29.
■'•M.' LES TROUBADOURS CANTALIENS
phin Viennois écrit en L343 une lettre au sujet des
châteaux de Bioreste] et de Castellamain apparte-
nant au dit Dauphin, où le dit Borzac commandait
m remplacement de Barthélémy de Korzac proba-
blement son père (1). Il est manifeste que notre
Troubadour ne parait Be rattacher par aucun lieu à
Borzac du Viennois.
Nous ayons été amenés à- remarquer que le nom
de Borzatz nous est révélé par an unique manuscrit
rédigé par an Bcribe entièrement étranger à l'Au-
vergne qui inscrivait avec plus ou moins d'exacti-
tude les Doms «1rs lauréats. Il a l'air si peu sûr de
l'orthographe du nom de notre poète qu'il l'écrit
tantôt ci Borzatz >> et tantôt « de Borzach ». Est-il
absolument téméraire de supposer que l'ignorance
ou la distraction du copiste a pu transposer une
lettre dans un nom parfaitement inconnu de lui et
• pi'il n'a eu à inscrire qu'une fois, mettre en troi-
sième la lettre R, après FO qu'elle précédait peut-
être, écrire << Borzatz » pour « Brozatz ». Si cette
supposition paraissait admissible, nous nous trou-
verions en présence d'une vieille famille d'Aurillac,
(i) Biblioth. Nat. Pièces origin. 421.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 583
les « Brosats » qui appartenait fort anciennement
déjà à la bourgeoisie, peut-être môme à la noblesse
de la cité Abbatiale, émule des Fortet, des Cambo-
fort, des Delzons, des Veyre, des Textoris chez les-
quels se recrutait le Consulat d'Aurillac.
Cette famille Aurillacoise des Brozat paraît tirer
son nom d'un village de la commune d'Arpajon
dénommé lias Brozatz en 1340 (1), Brozat en
1465 (2), Brouszact en 1629 (3) et depuis le XVIIIe
siècle Brouzac (4). Des recherches à l'état civil
d'Aurillac révéleraient fort probablement de nom-
breux membres de cette famille Brozatz ou de Bro-
zatz à laquelle nous sommes fort enclins à croire
qu'appartenait le lauréat des Jeux Floraux de
Toulouse du XIVe siècle.
La chanson et le sirventés de Guillaume Borzat
étaient, évidemment, parmi les meilleurs puisque
l'un et l'autre obtiennent les suffrages de l'Aéropage
Toulousain. Il faut bien se garder d'en conclure,
(i) Arch. de l'Hôpital d'Aurillac.
(2) Obit, de N.-D. d'Aurillac.
(3) Etat-civil d'Aurillac.
(4) E. Amé : Dict. topogr. du Cantal, p. 79. il existait dans la
commune même dAurillac un hameau du même nom et dont l'or-
tographe a subi les mêmes variantes.
.')34 LES TB0UBAD01 RS « w 1 ALIENE
néanmoins, que cea productions pouvaient rivaliser
avec celles des Troubadours antérieurs. La belle
initiative des sepl poètes Toulousains avait provo-
qué une Renaissance mais qui ne fui qu'un clair de
lune pâle reflet de la période antérieure. Les pro-
ductions qu'elle dous a Laissées aux archives des
Jeux Floraux, pour les années i:{"J-i a i;î:>:», sont
d'ordre tout fait inférieur.
« Le fond de ces pièces, dit un critique, est d'une
<i nullité souvent ni;iise et d'une monotonie insup-
<< portable. La même recette semble avoir servi
I i Les composer tontes : piller les vieux Trou-
<< badours et appliquer à la Vierge leurs formules
(( laudativee et admiratives. Aussi la langue serait-
« elle «l'une pureté irréprochable s'il y avait encore
« une langue là <>ù il n'y a plus d'idées » (1).
« I.< -h a d'amour », comme s'intitulait, a l'ori-
gine L'Académie Toulousaine, avant de prendre le
titre de « Collège de Rhétorique » et finalement
d' « Académie des Jeux Floraux » ne saurait être
rendue responsable de la pénurie et de la médiocrité
(i) Cambouliu: Renaissance de la Poésie Provençale à Tou-
louse. T. III.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 585
des poètes qu'elle a suscités. Ou croit que le recueil
de poèmes couteuus dans le chansonnier apparte-
nant à M. Pablo Gyl y Gil contient des pièces (3e
facture supérieure à celles des registres Toulou-
sains. Le soin jaloux que met son possesseur à en
interdire la lecture n'a même pas permis de s'assu-
rer si la chanson et le « sirventés » de Guillaume
Borzat y sont contenus (1).
Ces deux œuvres sont, en tout cas, les dernières
productions Cantaliennes en langue romane qu'on
puisse citer. Désormais, cette langue, exclusive aux
Troubadours, limousine ou provençale, comme on
l'a successivement appelée, tombe rapidement en
oubli. Les différences vont s'accentuant davantage,
chaque jour, entre les dialectes Occitaniens aux-
quels manque le lien puissant du bel enthousiasme
poétique du XIIe siècle. La langue des Trouba-
dours agonise après avoir produit, sinon d'immor-
tels chefs-d'œuvre, au moins quantité de poèmes
véhéments ou gracieux et assuré la suprématie
intellectuelle du pays où elle prit naissance. « Cette
(i) Mila y Fontanals : Revue des Langues Romanes 1826. Don
Pablo Gil était en 1876 Professeur à la Faculté des Lettres de
Saragosse.
586
KOL'BADOURS CANTAL1ENS
(( con « 1 1 1 «'• i < • «lu monde par la poésie, observe très
« justement !<■ professeur Anglade, esl un des plus
« beaux titres de gloire du .Moyeu Age français. »
IV
Troubadours
Cantaliens
d'origine incertaine ou erronée
Gavaudan-le-Vieux — Hugues de Brunet — Raymond
Vidal de Bezaudun
■
Gavaudan-Ie-Vieux
XII«-XIII«
Classifiant en quatre groupes littéraires princi-
paux tous les Troubadours du moyen âge, Baret, le
savant auteur d' « Espagne et Provence », déclare
positivement que Gavaudan-le-Vieux appartient à
l'Ecole d'Auvergne (1). Dans son étude sur « Les
Troubadours, Poètes et Ecrivains de la langue
d'Auvergne », Mège fait sienne cette affirmation
qu'il développe et affirme l'origine Auvergnate de
ce Troubadour célèbre il'). Ces deux écrivains ont
totalement négligé de nous renseigner sur les
motifs de leur opinion. Nous avouons avoir vaine-
ment cherché les raisons, les indices mêmes, sur
lesquels ils la fondaient. Peut-être quelque docu*
ment qu'ils ont négligé de citer et dont ils n'ont
même pas indiqué la référence leur avait-il permis
d'émettre si positivement cette affirmation. En son
absence, nous ne pouvons que constater les proba-
bilités qui inclinent à attribuer à Gavaudan-le-
Vieux une origine Gévaudanaise et non pas Canta-
lienne.
(i) Baret : Tableau des principales écoles des Troubadours,
Ecole d'Auvergne, p. 57.
(?) Mège : Les Troubadours d'Auvergne, p. 425.
- TH01 BADOUBS CANTALIENS
a Guillem A/.fiiiar si fo de Gavaudan ».
Garins d'Apchier si fo un gentils castellans de
Gavaudan ». g Perdigos... fo de l'Avescat de Ga-
\ audan
Guillaume Azémar étail de Gévaudan ».
(< Garin d'Apchier, seigneur «l'un château en
Gévaudan ». << Perdigos originaire de l'évêché de
( ; • • \ .1 1 n 1 . 1 1 1 ».
Nous avons uiuli iplié ;i dessein les extraits de la
biographie i\r* Troubadours, écrite au XIIIe siècle,
pour montrer que « Gavaudan » était bien, en
langue romane, le nom de la province de Gévaudan,
équivalant aussi à la dénomination de Gévaudanais,
natif, habitant «lu Gévaudan. 11 serait donc logique
de conclure que notre Troubadour dont nous igno-
rons le prénom était appelé par ses contemporains :
Pierre on Paul le Gévaudanais, précisément parce
qu'il était né dans cette province.
Il faut rappeler, à l'appui de la thèse de Mes-
sieurs Baré et Mège, l'usage constant, encore vivace
de nos jours, dans le peuple, de désigner du nom de
leur province natale les immigrés. Les surnoms de
<( Poitevin, Provençal, Auvergnat, Bordelais » sont
LES TROUBADOURS CANÏALIENS 593
fréquents; ils devenaient facilement, jadis, le déno-
minatif héréditaire d'une famille fixée par le tra-
vail ou le hasard des guerres loin de son pays origi-
naire. La région Cantalienne de Saint-Flour est
limitrophe du Gévaudan; rien ne s'oppose à ce que
notre Troubadour y soit né de parents venus des
monts Lozériens; nous n'en avons aucune preuve.
Bornons-nous doue à souhaiter que quelque heu-
reux chercheur découvre l'origine Cantalienne cer-
taine du poète qui sut troquer, à l'occasion, sa lyre
contre une épée, prendre part aux grandes batailles
de son temps tout en faisant sentir son influence
littéraire jusque sur les bords du Tage. Puisque
d'aucuns lui donnent la Haute-Auvergne pour ber-
ceau, esquissons, au moins, sa curieuse silhouette.
Gavaudan-le- Vieux portait ce qualificatif pour
le distinguer de son fils ou neveu, Gavaudan-le-
Jeune. Mais, tandis qu'une partie, au moins, des
œuvres du premier et quelques particularités de sa
vie sont venues jusqu'à nous, le souvenir seul du
second a survécu sans que le moindre fragment de
ses poésies uous soit parvenu.
Lorsque Saladin eut conquis Jérusalem et avant
que l'Empereur Frédéric Ier fut parti pour la Croi-
LKS TROl UM 01 KS ( ANTALIKNS
Bade organisée pour reconquérir Le Tombeau du
Christ, c'est-à-dire entre L187 et L189, les .Maures
d'Espagne, jugeant L'occasion propice, Les Princes
chrétiens, démoralisés par Les victoires de Baladin,
attaquèrent Le roi de Castille, Alphonse IX, annon-
çant leur espoir de franchir Les Pyrénées pour réoc-
cuper Narbonne et la Provence. Gavaudan lance
alors un appel aux armes d'une vigueur remar-
quable Sun (( airventés o débute par une Lamenta-
tion Bur Jérusalem gémissant sous Le joug des Infi-
dèles et une invective aux Barrazins auxquels il
prodigue Les pires injures. Avec une crudité
d'expressions qu'excuse Beule la grossièreté des
mœurs d'alors, il traite les Maures de chiens et de
charognes faites pour servir de pâture aux milans,
conjure Les rois < !hrét iens de se Liguer contre Alman-
sor, le redoutable Kalil'e du .Maroc. Dans cette
pièce, la plus importante que nous possédions de
lui. il fait appel tour à tour à la vaillance de l'Em-
pereur Frédéric 1er, du roi de France Philippe-
Auguste, du roi d'Angleterre, Comte de Poitou,
Richard Cour-de-Lion, leur enjoignant d'envahir
sans délai l'Espagne, s'ils ne veulent pas encourir
la damnation éternelle.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 595
A part quelques expressions grossières et hardies
<iui devaient choquer beaucoup moins ses contem-
porains que nous, il faut reconnaître à ce « sir-
r entés » une vigueur de style, une puissance de
souffle qui n'a guère été dépassée par ses émules.
Cette brutale franchise n'était pourtant pas le
lïenre exclusif de notre poète, ni même celui où il
paraît s'être complu. 11 se faisait volontiers gloire,
au contraire, d'une obscurité voulue, aimait à enve-
lopper si bien sa pensée que les plus habiles, seuls,
] mssent arriver à en suivre le fil, à démêler le sens
mythique de ses poèmes. Il entend, nous dit-il,
éprouver par une chanson <( close et couverte » ceux
qui ont l'esprit a ouvert ou bouché ».
— « Qu'on ne me blâme pas, s'écrie-t-il et qu'on
« ne se moque pas, jusqu'à ce qu'on ait séparé la
« fleur de la farine. Le sot se presse de condamner,
<( l'ignorant bâille et muse dans l'embarras où le
« jette ce qui est trop savant pour lui ». Il faut
convenir qu'il réussit pleinement dans ses vues et
que ses déclamations contre la décadence de la
vertu, la diminution de la saine et honnête joie sont
du style le plus énigmatique et le plus amphigou-
rique. Il a soin de nous avertir encore que telle de
9 TROlBADol 1!S < AMALIENS
ses chansons: « Vaut d'autant mieux, qu'entre
<< mille personnes, il n'.v en aura pas dix qui puis-
sent en comprendre Le sens; mie ce sens ne sera
« clair que pour ceux qui soin habiles en amour,
obscur pour qui ignore cette science ». On se
prend à déplorer que G-ayaudan n'ait pas suivi a la
lettre les préceptes qu'il pose e1 ae soit pas cent
fuis plus (.liseur : Il nous eut rendu ainsi plus sup-
portables les histoires scabreuses el grivoises qu'il
ne raconte qu'en termes trop clairs et parfaitement
..l.se. -II. - '
Il prend texte d'un crime dont sa maîtresse est
accusée pour s.- livrer aux pires invectives contre
les remines. On se garantirait plutôt des dangers
de l'eau, assure-t-il, de ceux du feu et de la mer, des
voleurs eux-mêmes, que des artifices féminins. Le
goût de la femme pour la débauche et le liberti-
nage esi le tond même de son caractère, prétend-il
effrontément.
Hâtons-nous de lui rendre justice, de déclarer ses
vers cent fois meilleurs, vraiment émot ionnants et
gracieux, lorsqu'il déplore, dans une complainte qui
est, peut-être, sa production la meilleure, la mort
de sa maîtresse. Son cri de douleur est vraiment
LES TROUBADOURS CAXTALIENS 597
beau et sincère quand il maudit la mort de ne pas
l'avoir pris lui-même plutôt que de le livrer à des
tourments, à une incontestable peine qui le vieil-
lissent à la fleur de l'âge et ont blanchi sa blonde
chevelure. — « Insensible désormais à toute joie,
« clame-t-il dans un sanglot, indifférent à toute
« autre impression que celle du désespoir, je passe-
ce rai le reste de mes tristes jours comme un tour-
« tereau qui a perdu sa tourterelle. »
On est ému de la douleur du Troubadour, on
doute qu'aucune consolation efficace puisse être
apportée à pareil déchirement. On se plaît à suppo-
ser qu'elles sont antérieures à la mort de sa mie, les
deux jolies chansons où il conte ses faciles triom-
phes auprès de bergères peu farouches. La première
qu'il rencontre lui est un instant cruelle, mais elle
donne de si bonnes raisons tirées des Ecritures!
L'amour a des inconvénients, déclare-t-elle, et à
l'appui de son dire elle cite le voluptueux roi Salo-
mon ! Gavaudan lui démontra aisément, sans doute,
qu'elle n'avait pas à courir les mêmes risques, à
redouter les mêmes ennuis que le royal fils de
David; la reine de Sabba eut été évoquée plus à
:•'.<- a TBOUBÀDOUM < \ M ai !
propos, Bemble-t-il. La bergère est vite convaincue
ci h linii par se rendre à Bes désirs ».
Une autre, moins farouche encore, ae tente même
pas un simulacre de résistance. A peine aperçoit-
elle < lavaudan qu'elle lui prodigue les plus chaudes
marques <l<- sa tend Le poète veut-il lui
dépeindre les tristesses <l»- la séparation j elle l'inter-
rompt ingénument: « •!<• connais cet état, dit-elle;
j'\ pense toutes les auits, en ai perdu le sommeil! »
Qu'on n'essaie pas «!<• La séparer de son bien-aimé,
ootre pastourelle \;i chercher dans la Bible de
déconcertants arguments: « Eve a bien transgressé
« les défenses qui lui furent faites; c'est donc
i perdn Bon temps que de me défendre de vous
• roir! »)
Convenons avec le digne Ecclésiastique qui a
analysé, un <1cs premiers, l'œuvre du Troubadour
Cantalien, que c'esl étrange abberration de la pari
de la bergère de s'autoriser de l'exemple de notre
coquette mère Eve qui lui n attiré un si effroyable
châtiment et concluons mélancoliquement avec lui
LES ritOUBADOUBS CANTALIEKS 599
que: « C'est là une de ces folies qu'on voit naître
du délire des amants! » (1)
Compatriote peut-être et sûrement contemporain
du Prieur de Montaudon, Gavaudan n'est pas plus
édifiant que Pierre de Vie et ses « cantons » effa-
roucheraient, de nos jours, les oreilles les moins
prudes. Il faut, en revanche, rendre pleinement
hommage à la sincérité de ses convictions et recon-
naître qu'il prêche d'exemple, met en pratique les
conseils qu'il donne et sait, à l'occasion, payer bra-
vement de sa personne. 11 a adjuré Empereurs et
Rois de voler au secours du monarque Castillan
écrasé par le Maure. Lui-même passe les Pyrénées
avec les soixante mille soldats de la Gaule Méridio-
nale qui se rangent sous la bannière Castillane
d'Alphonse IX. Il fit des prodiges de valeur et se
couvrit de gloire, assure-t-on, à la bataille de Las
Navas de Toloza gagnée par les Chrétiens en juillet
1212. Joignant ainsi le geste à la parole, « Gavau-
dan fut, selon l'expression d'un critique moderne,
un des héros de l'expédition dont il avait été ie
Tyrtée » (2) et prouve que le « marivaudage ». le
(i) Millot : Hist. des Troubadours, T. I. Paris 1774.
(2) Fauriel : Hist. de la Littér. Provenç., T. II.
'■."" . R0UBAD01 RS ' Wï M -IENS
constant sonci passionnel ae faisaient pas tort chez
lui ans mâles vertus guerrières.
6'
Il semble bien qu'à la suite de cette mémorable
victoire, notre Troubadour ait fait un assez long
séjour dans la péninsule Ibérique et ait poussé
jusqu'en Portugal. Il ,\ était attiré, Bans doute, par
sa quasi compatriote, La reine Lusitanienne Douce
d'Aragon-Provence, fille de Raymond-Bérenger IV,
Comte de Barcelone el de Provence, Vicomte de
Cariât et de G-évaudan et roi d'Aragon, qui avait
«•p.. us.-. .Mi L178, Sanche II. roi de Portugal. La
Princesse Aragonaise, qui régnait a Lisbonne, por-
tait le nom «le s.i grand'mère Douce de Carlat-
Provence, accueillant avec particulière laveur les
Troubadours protégés <!<• son royal frère, alors sur-
tout qu'ils pouvaient se réclamer d'une origine Pro-
vençale, Auvergnate ou Gévaudanaise.
Nous devons de mieux connaître Gavaudan à un
éminent professeur Portugais que la politique vient
de prendre tout entier <-t qui a abandonné la Litté-
rature pour détrôner les rois! M. Braga, qui a pris
un.' part si prépondérante a lu révolution de Por-
tugal et est actuellement un des chefs de la Repu-
LES TROUBADOUBS CANTALIENS (jOl
blique Portugaise, dit de notre Troubadour daus son
Histoire de la Littérature Lusitanienne:
— (( La nécessité de se défendre contre les pré-
ce tentions de Castille fit que le monarque Portu-
« gais s'allia avec le roi d'Aragon; aussi, les Trou-
ée badours qui fréquentaient cette cour ne furent-
« ils pas étrangers à ce rapprochement.
« Un de ces Troubadours qui poussait notre mo-
« narque à la Croisade contre les Sarrazins était
« Gavaudan. Ce chant de G-avaudan-le- Vieux avait
(( pour but d'inciter les nations chrétiennes à com-
« battre les troupes parties d'Afrique avec Maho-
« med-el-Nassir et qui arrivèrent à Séville en 1210.
(( Il était naturel que ces trois Troubadours :
« Marcobrus, Pierre Vidal et Gavaudan-le- Vieux,
« qui furent imités par nos Chevaliers, nous aient
« fait connaître les poèmes Bretons et Francs qui,
(( par la voie de la Provence, entrèrent dans la tra-
ce dition universelle. Pierre Vidal cite la romance
« d'Arthur de la Table Ronde, Gavaudan-le- Vieux
« l'admirable Chanson de Koland.
« La poésie Provençale devait se répandre en
« Portugal à cause du voisinage de la Galice où
S rBOl BADOURS < AMTALI] KS
<< accouraient lea Troubadours étrangers. L'alliance
« avec l.i Couronne d'Aragon à laquelle était réuni
(i le < Jomté de Provence était une cause permanente
■ pour L'extension de cette influence. La langue
Portugaise Be confondait avec celle de la Galice,
car entre ces deux contrées longtemps unies, il
i n'existait pas <!«• barrière naturelle et la langue
■ de la poésie Locale était analogue à la langue
« d'Oc
« C'est la première fois, observe Braga, à propos
■ de la bataille <1«- Las Navas «le Toloza, que nous
royons Les Troubadours Provençaux condamner
« les rois Portugais. Gavaudan-le-Vieux blâme
Banche V . montrant son peu de forces contre
« L'attaque de Mahomet-el-Nassir en 1210; en 1212
i Guillaume de Tudelle stigmatisa l'avilissement
« d'Alphonse II. » (1).
11 serait Intéressant, si cette étude ne dépassait
trop les limites d'une simple biographie, de recher-
cher l'influence réelle qu'exerça le Troubado-ir
Cantalieu sur la Langue dont devait se servir
Camoens et sur la Littérature Portugaise. Braga
Tu Braga: Hist. de la Littér. Portug., T. H. Pitto; Hist. de
la ville d'Aîx, Liv. I, chap. IV. Baret : Troubadours, p. 192.
LE3 TROUBADOURS CANTALIENS 603
reconnaît que si l'influence Galicienne fut surtout
décisive en Portugal et se révèle presque exclusive
dans les concioneiros », celle antérieure des pre-
miers Troubadours vomis de France, comme Gavau-
dan, laissa de profondes traces. Les « fidalgos » qui
émigrèrent vers la France, au temps des luttes de la
Noblesse et du Clergé contre le roi Sanche II, les
Valladarès, Porto-Carrero, Reymondos, Estevaos,
Aboins, Troubadours Portugais, en étaient impré-
gnés avant d'aller mûrir leur talent à la cour de
Saint Louis.
Il est à croire que notre Gavaudan n'avait pas
promené sa vie errante qu'en Espagne et en Por-
tugal; tout fait supposer qu'il connaissait aussi
l'Italie, au moins dans sa partie septentrionale.
C'est, en effet, entouré d'une véritable escorte de
poètes, que Rayrnond-Bérenger d'Aragon s'en fut
à Turin rendre hommage pour la Provence, fief
d'Empire, à Frédéric Barberousse, héritier des rois
d'Arles. Il semble bien que Gavaudan faisait partie
de la poétique pléiade qui entourait le royal fils de
l'héritière de Provence et de Cariât {!).
Si tous les autres détails de sa vie et les circons-
tances de sa fin nous restent inconnus, le temps a
LtS TRûl'BADOl'KS CAKTALIENS
moins maltraité l'œuvre poétique de ce Troubadour
que celle de la plupart de Bes confrères. Une dizaine
de pièces lyriques nous restent de lui qui mérite-
raient, mieux que bien d'autres, les honneurs de la
traduction. Nous regrettons que les limites de cette
étude, strictement circonscrite aux poètes Canta-
liens d'origine certaine, dous obligent à en exclure
les poèmes d'un d»-s pins intéressants Troubadours
dont la région Lozérienne fut sans doute le ber-
ceau 1 1 }.
r
=rj
■ habaneau. p. 144. " Gavaudan-le-Vieux 1195-1215. Une
dizaine de pièces lyriques. Gr. n° 174. Hist. littér. T. XV, p. 445.
T. XVII. p. 419. Fauriel T. II. p. 154. Mila
Hugues de Brunet
'UC BRUNENC)
xir-xnr
— (( Uc Brunenc si fo de la ciutat de Rodés qu'es
« de la seignoria del Comte de Tolosa e fo Olergues.
a E après be letras e saup ben trobar, subtils era
« mote de grau sen natural ; e fetz se Joglars e fetz
« motas de bouas cansos, mas non fetz sons. E anet
(( ab lo rei N'Anfos d'Arago e ab lo Comte de
u Tolosa e ab lo Comte de Rodés, lou sieu, seignor
« e ab en Berna rt d'Anduza e ab lo Dalfi d'Al-
(( vernhe. Et entendet en una borzeza d'Orlkac, que
« avia nom ma doua Galiana; mas ela non lo vole
« amar ni retener, ni far negun plazer en dreg
(( d'amor; e fetz son drut del Comte de Rodés, e
a donet conyat à N'Uc Brunenc. Et adonc, N'Uc,
(( per la dolor que el n'ae, messe en l'Ordre de Car-
ce tosa e aqui el inori » (1).
Hugues de Brunenc était originaire de la cité de
Rodez qui relève du Comté de Toulouse. Il était
Clerc. Il étudia les Belles-Lettres, sut composer des
poèmes, avait l'intelligence vive et beaucoup de sens
(i) Biographies des Troubadours. Chabaneau, p. 35 et 177.
Ugo Brunenc ou Brunet de Rodez (Aveyron). Vers 1 190-1200.
Biogr. Gr. ne 451. Hist. Littér. T. XVII, p. 552.
LES TROUBADOUBS CANTALIENS
naturel. 11 se fit Jongleur, rima nombre de fort
bonnes chansons, mais sans en faire la musique. Il
résida successivement auprès du roi Alphonse
d'Aragon, du Comte de Toulouse, du Comte de
Rodes, s.. h seigneur, «le Bernard d'Anduze et du
Dauphin d'Auvergne. Il prétendit à l'amour d'une
bourgeoise d'Aurillac qui avait nom dame Galliane.
Mais celle-ci ne voulut pas l'aimer, refusa ses hom-
mages, ae lui accorda ni faveurs ni droits d'amour.
Elle lui préféra le Comte de Rodez, et donna congé
a Bogues de Brunenc. Il en éprouva si grande dou-
leur qu'il entra dans l'Ordre de la Chartreuse et
y mourut
Eugues «le Brunenc <»u plus exactement de Bru-
net, clerc du diocèse de Rodez, était un cadet d'une
grande maison Rouergate, richement possessionnée.
le XII siècle, dans la mouvance de la baronnie
de Séverac on elle possédait «le nombreux fiefs.
Pierre de Brunet, probablement père ou frère de
notre Troubadour, rendait hommage le 30 juin 1165
à Raymond Trencabel, Vicomte de Béziers. Guilh<--
pon de Brunel prêtait serment de fidélité au même
Vicomte, dans le château de Carcassonne, en mai
1191. A la même époque, un autre Brunet contre-
LES TROUBADOURS CANTALIEXS 609
signait une donation de Bégon, seigneur de Cal-
niont, aux Religieux d'Aubrac (1).
Ce n'est qu'au XIVe siècle que cette famille quitta
le Rouergue pour aller s'établir en A gênais où
Arnaud de Brunet, époux de Béatrix de Nobilis
est seigneur de Montléal, Beauville, etc., en 1380 (2).
Un autre rameau s'était détaché, probablement vers
la même époque ou à une date antérieure selon
MM. de Chazelles et de Lalaubie, de la souche
Rouergate pour s'établir en Haute-Auvergne. < Je
n'est, en tous cas, qu'en 1342 qu'une alliance avec
les Vixouse, antique race Carladézienne dont un
Brunet épousa l'héritière, rendit ce seigneur pos-
sesseur du château de Vixouse, paroisse de Pol-
minhac, de celui d'Hauteval près La Capelle-Barrez
et des autres domaines de cette maison (3). C'est, à
(i) H. de Barrau : Docum. hist. du Rouergue. T. I, p. 709 à 718.
(2) La maison de Brunet avait encore pour chef en 1850 Henri
de Brunet, Marquis de Panât, Vicomte de Cadars et de Peyre-
brune, baron de Bournac, etc., dont le père avait été préfet du
Cantal en 1828. Un autre rameau avait pour représentant Armand
de Brunet de Pujols de Castelpers de Levis, Marquis de Ville-
neuve, etc..
(3) Le château de Vixouse, commune de Polminhac, cant. de
Vic-sur-Cère, arr. d'Aurillac appartenait dès le haut moyen âge
à une famille de son nom. Cette maison de Vixouse comptait
640 LKS TKOUBAI* >U<S I \NTALIENS
n'en pas douter, cette alliance du XVe siècle qui a
fa ii dire aux auteurs du Dictionnaire statistique du
Cantal que Hugues de Bruneinc était « un Trouba-
dour d'Auvergne » (1).
si la Baute-Auvergne ne peut le revendiquer
comme sien, c'esl au moins sur son sol et dans sa
capitale que s'est déroulé l'épisode amoureux qui
décida de sa vie. Comme Pierre de Rogiers, Pierre
de Vie et tain d'au lies Troubadours, hommes
d'Eglise, Hugues de Brunel portait, à titre tout
honoriliqui'. sa Oléricature. il est superflu de répé-
ter, une fois de plus, que les Clercs du XIIIe siècle
même revêtus de dignités ecclésiastiques, trouvaient
chose fort naturelle que de s'engager dans une
intrigue amoureuse. Notre Troubadour avait dû en
aouer »-t dénouer plus d'une aux Cours d'Aragon,
parmi les grands vassaux de Carladez. Plusieurs de ses membres
connus au XIIe et XIIIe siècles. La branche aînée s'éteignit
dans les Bruneinc, un rameau cadet fixé à Comblât eut même
l'héritière Antoinette épousa en 1541 Jean de Cabannes
La famille de- Bruneinc garda Vixouse jusqu'en 1595 où Ray-
mond de Bruneinc vendit cette terre à Marguerite de Chaumeil,
dame de Caillac.
(1) MM. de Lalaubie et de Chazelles citent la biographie en
langue Romane d'Hugues de Bruneinc, mais le classent néanmoins
parmi les Troubadours Auvergnats. Dict. stat. du Cantal, T. V,
P- 58.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 611
de Toulouse et de Rodez où il avait séjourné tour
à tour. Il dut accompagner, sans doute, son suze-
rain à Cariât et se trouver ainsi en séjour momen-
tané aux environs d'Aurillac.
Hugues II, Comte de Rodez et Vicomte de Cariât,
qui régna de 1156 à 1208 (1), aurait été le rival heu-
reux en amour d'Hugues de Brunet. On ne sait rien
de cette belle bourgeoise d'Aurillac qui fut si cruelle
au Troubadour, si facile au Comte de Rodez, sinon
qu'elle s'appelait Galliane. Hugues II était un don
Juan renommé ayant déjà fait, maintes fois, ses
preuves, aussi heureux en amour que vaillant à la
guerre et sage au Conseil. Il avait pris une part
active aux guerres contre les Anglais, réussi à pré-
server ses domaines de toute déprédation. De con-
cert avec son frère, l'Evêque de Rodez, il avait
(i) Nous ignorons pourquoi Chabaneau limite le règne d'Hu-
gues II à 1195. Barrau (Doc. hist. du Rouergue, T. I, p. 224)
donne la date de 1208. Il fut inhumé à cette date à l'Abbaye de
Bonneval. Il associa son fils Hugues III à son gouvernement en
1195. C'est, sans doute, ce qui aura trompé Chabaneau. Ce Prince
étant mort l'année suivante. Hugues II associa à sa place à son
gouvernement son second fils Guillaume qui mourut, lui même
sans postérité en 1208. La même année, Hugues II descendait au
tombeau et Henri Ier, son fils, de Bertrande d'Amalon, lui suc-
cédait.
612 ''.s TROUBADOURS OANTALIENS
établi sur toutes ses terres une taxe appelée « Com-
mun de paix o destinée à la solde d'une troupe spé-
ciale, équivalent de aotre Gendarmerie moderne,
dont la mission exclusive était de traquer les voleurs
«•! d'assurer la tranquillité des routes. Veuf d'Agnès
d'Auvergne, tille du Comte Guillaume, qui lui avait
laissé cinq entants, il consola son veuvage avec la
belle Bertrande d'Amalon, une «le ses vassales, à
laquelle il lit don, en 1171, du château de Trépa-
don sur les borda du.Tara et de vastes terres dans
les paroisses d'Amalon el de Saint-Symphorien.
L'épousa-t-il morganatiquement ou officiellement,
comme l'affirment certains historiens, ou fut-il sim-
plement heureux sans s'inquiéter de la Légalité de
>i»u union? Cette dernière hypothèse paraîtrait
vraisemblable à voir les difficultés qu'eut son fils
Benri, né de Bertrande d'Amalon, a ceindre la cou-
ronne comtale après le décès de ses deux demi-
frères, Hugues III et Guillaume, tous deux fils
d'Agnès d'Auvergne. Il est à supposer que c'est
après son veuvage et avant de devenir << l'esclave »
de sa jolie vassale Bertrande, qu'au cours d'une
visite dans sa Vicomte de Cariât, il se fit aimer
de la belle Galliane. La liaison aristocratico-bour-
LES TROUBADOURS CANTALIENS 613
geoise d'Hugues II serait donc antérieure à 1174.
date à laquelle il était déjà « enchaîné » aux pieds
de la séduisante Rouergate. Discrètement l'Histoire
a tu le nom du brave bourgeois d'Aurillac, époux
malheureux d'une trop jolie femme, dont l'honneur
conjugal n'évita recueil Brunet-Carybe que pour
tomber dans celui Sylla-Bodez où il paraît bien avoir
totalement sombré!
Précurseur du Vert-Galant, qui devait compter
Ilodez au nombre de ses fiefs héréditaires, avant de
devenir roi de France, Hugues II ne se douta peut-
être pas du désespoir mortel qu'il causait à son
féal, en lui enlevant l'amour de dame Galliane. Elle
se fut peut-être contentée du Troubadour si le
Comte ne s'était mis sur les rangs ! Evincé, rebuté,
humilié, notre Troubadour reporta sur Dieu cet
ardent amour que la belle et orgueilleuse Aurilla-
coise avait refusé. Il alla droit à l'Ordre le plus
sévère, où le renoncement est le plus absolu, la
séparation du monde la plus complète et se fit
Chartreux. Rêva-t-il, dans le grand silence de sa
cellule, à ses randonnées à travers les Cours Méri-
dionales, le cuisant souvenir de sa déconvenue sur
les rives de Jordanne vint-il hanter ses nuits? Le
614
LES TROUBADOURS CANTALIENS
saint Religieux esl mort au monde; laissons le
noble Troubadour Bouergat au silence de sa cellule
anonyme et <!»- sa tombe ignorée il).
(1) Il reste d'Hugues de Brunet huit pièces lyriques.
Raymond de Vidal de Bézaudlltl
XII'- XIII'
Dominant la vallée de la Doire, au voisinage du
château-fort de Tournemire, dont il relevait, Bezau-
dun (1) existait, peut-être, dès l'époque Romaine, a
en croire le résultat des touilles opérées aux envi-
rons (2). Son uom apparaît, tout au moins, dans un
acte de foi et hommage de 1284 et, quelques années
plus tard, dans le traité de 1298 (3). C'était alors
un « affar » ou « mas » assez important où exis-
tait déjà, probablement, dès cette époque, une tour
d e guet (4). C'est en ce lieu, disaient unanime-
ment les historiens d'Auvergne, que naquit, dans
(i) Cne de Tournemire, cant. de Saint-Cernin, arr. d'Aurillac.
(2) Communication de M. Delzangles.
(.3) Dict. Stat. du Cantal, T. V, P. 463-64. De bonne heure,
Tournemire se composa d'un véritable groupe de forteresses
disséminées autour du château principal, eut de nombreux cosei-
gneurs. La tour de Chaliers, Le Fortanier, la tour de Mazerolles,
la tour Golbrand, la Jordaine, la Golhère, Anjonny ou Larman-
die, seul debout, Bezaudun, tous édifices isolés, avaient des sei-
gneurs particuliers dont l'acte de partage du traité de 1298 régla
les droits respectifs.
(4) Au XVe siècle, Bezaudun échut de nouveau à un puîné des
Tournemire, Louis, qui épousa, le 3 juin 1485, Catherine de la
Tour de Juzis, en Laugarais, de cette maison qui porte actuelle-
ment le nom de La Tour d'Auvergne-Lauragais. Le château qu'y
firent construire ces époux, à la fin du XVe, aurait été la réédifi-
cation agrandie de l'édifice primitif, simple tour de guet. On sait
ii|S - I ROI BADOUR ; ' WTM.n N8
le dernier tiers <1 u XII" siècle, l'exquis et savant
poète dont l'abbé .M il lot dit : << Si les Troubadours
i. ri les Jongleurs avaient en souvent à débiter «les
« contes semblables, il faudra il moins s'étonner de
i< leur prodigieu \ Buccès » (1).
hiius l'Annuaire «lu Cantal de 1830, l<- Baron de
Sartiges d'Angles expose longuement les raisons qui
lui font croire le Troubadour Raymond de Vidal
de Bezaudnn originaire du village < îantalien voisin
• l<- Tournemire.
« \iill«»i ignore le lieu de naissance de ce Trouba-
dour el il suppose qu'il pouvait être îils d'un
«< autre fameux Troubadour nommé Pierre Vidal,
<< <l«' Toulouse, qui avait jadis séjourné ;i Bézaudun
« eu Provence; mais comme il a existé un château
(( <!<• Bézaudun, en Auvergne, près «le Tournemire,
<< et que li' nom de Vidal est assez commun dans
« cette partie de la province, il y a lieu de croire
(< que l<- Troubadour dont il s'agit ici était de ce
positivement qu'entre le château de Tournemire et Bézaudun, il
y avait un poste avancé : le fort de la Jordaine, figurant dans le
traité '1« i-''»s' Son nom rappelait certainement quelque souvenir
roisades.
( 1 1 Millot, Hist. des Troubadours, T 111
LES TItOl BADOl Lt3 I .Wl VLIËNS (11!)
« dernier lieu. Cette supposition est d'autant mieux
« fondée que, dans une pièce de sa composition, il
« parle d'aventures arrivées en Limousin, pays
« plus à portée d'être connu d'un Auvergnat que
« d'un Provençal. D'ailleurs, Nostradamus ne t'ai;
« nulle mention de Raymond Vidal et, certes, on
(< ne saurait accuser cet historien «les Troubadours
« de sa province d'avoir négligé un de ceux qui lui
« aurait t'ait le plus d'honneur par l'excellence de
« ses productions.
(( Quoi qu'il en soit, Raymond Vidal est connu
<( par plusieurs pièces remarquables et, entre autres,
(( par deux nouvelles.
u Dans la première, il raconte les amours d'un
<( Chevalier et d'une dame du Limousin qu'il ne
(( nomme pas; ceux-ci, d'abord heureux, puis brouil-
« lés par suite des intrigues d'une demoiselle,
(( finissent par soumettre, par ambassade, leur dif-
<( férend à l'arbitrage d'un baron catalan, qui les
u réconcilie.
(( Raymond Vidal vivait sous le règne d'Aï-
« phonse IX, roi de Castille, mort en 1214, à la
« cour duquel il avait séjourné. »
Dans le Dictionnaire statistique du Cantal, pu-
lisi ROI BAD01 RS < W l.M.ll NS
blié en L857, l'écrivaint précité constate que, depuis
L830, « rien D'est venu contredire sou opinion » 1 1 ).
Elle était, depuis, généralemenl admise el Raymond
de Vidal de Bezaudun classé parmi les Troubadours
< lantaliens.
Dès dos premières recherches sur les poètes de
Haute-Auvergne, nous avons été amené à douter de
l'exactitude de l'attribution au Cantal «le l'auteur
de « Las razos de trobar ». Le silence de Nostrada-
iniis. eei historien plus que fantaisiste, dont le
baron de Sartiges faisait un argument, De nous
apparaissait pas plus probant que celui tiré des
anecdotes Limousines racontées par ce Troubadour
qui avait pu fort bien les connaître sans être origi-
aaire d'une province limitrophe. Il existe en Basse-
Provence, dans l'arrondissement «le Grasse et le
canton de Toursegoules, une commune de Bezaudun
dont le château est mentionné déjà au XIIe siècle.
C'est là, qu'au «lin- de nombreux biographes, sérail
ne Raymond Vidal. Son nom fort répandu dans le
Midi, le désir <le se différencier de son homonyme
le Troubadour célèbre Pierre Vidal, avec lequel on
lict. Stat. du Cantal. T. V, p. 466.
LES TROUBADOUKS OANTALIENS (>21
l'a, néanmoins, souvent confondu, expliqueraient
sa constante habitude d'ajouter à son nom, celui
de son lieu d'origine. Lui-même, observaient les
partisans de cette thèse, a pris soin de nous parler
de son berceau:
Abril inic, Mays intrava
E cascus tlcls auzels chantava
Save in que fon moti adonex
En la plassa de Bezaudun.
Avril était à son déclin, on entrait en mai
Et tous les oiseaux chantaient.
C'était, il m'en souvient, un matin
En la place de Bezaudun (i).
Un savant critique Allemand avait ajouté encore
aux raisons qui militaient en faveur de l'origine
Provençale de Raymond Vidal: « L'Histoire Lit-
ci téraire et Eaynouard, dit-il, attribuent cette pro-
(i) Même, en appliquant ces vers à Bezaudun-Tournemire,
Raymond a pu dire la « place », la forteresse de Bezaudun. Aux
érudits qualifiés appartient de décider si ces vers sont de Vidal
de Bézalu vivant au XIIIe ou XIVe, ou du Vidal Provençal ou
Cantalien.
622 LES TROUBADOl ttS < INTALIENS
« duction (li au célèbre Pierre Vidal; mais, outre
« que le manuscrit 2701 nomme Raymond Vidal
<< comme sou auteur, il y a double coïncidence eu
« faveur de l'identité de ce dernier. Bezauduu était
m s;i Fille natale et le poète nous l'indique Comme sa
« résidence. Bu second lieu, l'œuvre en son entier
« révèle la manière de Ramon. » {'2)
Les auteurs de l'Histoire Littéraire avaient été
tout aussi affirmants: << Ce Troubadour né à lîe-
(i eaudun, petite ville de Provence, et connu sous
« la dénomination de Raymond Vidal de Bézau-
« d'un, est l'auteur de quatre pièces de vers )) (3).
I. historien des Troubadours Espagnols, Mila y
Pontanals est venu donner eu 1861, un troisième
berceau à Raymond Vidal dont il affirme l'origine
< 'atalane:
u La patrie de ce troubadour est Besalû: Bezan
« dun, Bezaudu selon la (orme provençale, Bisuldo
<< Matin Bisuldunum), antique capitale du comté.
<< La place de cette ville a conservé quelques arcs
(i) Un poème de 1850 vers en forme de récit.
(2) F. Diez: « La poésie des Troubadours », traduction du
Baron F. de Roisin, 1845, p. 218.
(3) Hist. Littér.. T. XVIII, p. 633.
LE3 TROUBADOURS CANTALIENS <>23
(( Byzantins qui furent, sans doute, témoins des
« promenades solitaires du poète. Que le Bezau-
(( dun des manuscrits ait été notre Besalu et non
(( l'une des agglomérations insignifiantes du midi
« de la France portant le même nom, c'est ce qui
(( paraît suffisamment démontré par la reeonnais-
« sa née que fit ce Troubadour du roi D. Pedro
« comme de son souverain et le grand nombre de
« notables Catalans qu'il énumère. »
(( Dans son ouvrage grammatical, il appelait
« Limousin la langue d'Oc et il fut, sans doute, le
« premier qui ait usé de ce nom qui depuis a pré-
ce valu en Espagne. £i R. Vidal n'usa pas de la
(( langue Catalane à la manière d'Albert de Siste-
(( ron, cela provient du désir naturel chez un
« rigoureux grammairien de présenter son œuvre
<( exempte de toute préférence provinciale. La
(( vraie manière de trouver, qui est indubitablement
(( son ouvre, forme bien plus une introduction
(( grammaticale à l'art de trouver qu'un véritable
« art poétique et acquit une telle autorité qu'H
« servit de modèle à nombre de traités analogues
<( écrits depuis, sans excepter les lois d'amour de
(( Molinier.
li-Ji LES TROUBADOURS CANTALIENS
(( Raymond Vidal vivait à la fin du XII8 et au
« début du XIIIe siècle. Dana sa chanson qui com-
«« mence ainsi : Unas novas, il suppose avoir assiste
h à la réception d'un jongleur par Alphonse VIII
«> »M sa femme Bléonore d'Angleterre.
« 11 visita les principales cours d'Espagne et du
«< midi de la France; mais sou principal .Mécène
a devait être Hugo de IVfataplana, donl le château
« ne devail pas être très éloigné de la patrie de ce
<• Troubadour » (1).
On ne samait être plus affirmatif. On remar-
quera néanmoins que les arguments de Mila y Fon-
fcanals ne sont pas des plus décisifs et il est à ob-
server que les historiens Espagnols eux-mêmes n'ar-
rivent pas ;i se mettre d'accord. Les uns font vivre
Raymond Vidal de Bezaudun à la tin du XIIe, les
autres au débul du XIVe! Torrès-Amat (2) en l'ait
en etict le fonda t cui' du Consistoire de la Gaie
Science à Toulouse en 1323 et apporte à l'appui le
témoignage de Don Henrique, Marquis de Villana,
(il Mila y Fontanals: « De las Trovadores en Espaîïa ». Bar-
celone 1861.
(2) Torrès-Amat : « Dict. des Ecrivains Catalans. 1836.
LES TROUBADOURS CAXTALIENS 625
qui vivait à la même époque, dans son livre de
« La (Jaya Scieur ia ».
Nous avons impartialement rapporté les diverses
opinions qui veulent faire de Raymond de Vidal de
Bezaudun un Provençal ou un Catalan. Citons
encore celle du très érudit Abbé Ulysse Chevalier,
dont on connaît la haute autorité dans le monde
savant :
D'après lui, il y a eu trois Troubadours du nom de
Vidal : Pierre, le Toulousain et le plus célèbre, Ray-
mond Vidal de Bezaudun, né dans cette ville de
Basse-Provence, en pleine efflorescence vers 1214,
et enfin Raymond Vidal de Bésalu en Catalogne,
originaire de la capitale du Comté Pyrénéen où il
vivait en 1323 (1)
Nous nous rangeons absolument à la manière de
voir du savant Français et croyons impossible de
ne pas admetre, le Toulousain Pierre Vidal hors de
cause, l'existence de deux autres Vidal, tous deux
prénommés Raymond, l'un Catalan, vivant au qua-
torzième ziècle, l'autre Français et de cent ans
plus ancien. Ulysse Chevalier, donne pour patrie à
(i) Ulysse Chevalier : Bio-bibliographie.
t'.lifi LES TR0UBAD01 BS CAMTALIENS
ce dernier le village de Bézaudun en Basse-Pro-
rence; aucune preuve, pas même le plus léger
indice, ne corrobore cette affirmation. Ce que nous
allons exposer la ruinerait entièrement, dès qu'on
aura pu contrôler les preuves authentiques dont
nous révélons l'existence certaine d'après un témoi-
gnage qui offre toutes les garanties de véracité et
de compétence e1 qui fixerait, sans contestation
possible, l'origine Cantalienne certaine de Raymond
de Vidal de Bézaudun.
Kn isss, M. l'Abbé Delmas, du Clergé de Saint-
Plour, prêtre d'une instruction solide, d'esprit très
ouvert et fort curieux des choses du passé, était
Curé de Tournemire (1). Son Eglise possédait une
(i) L'Abbé Delmas est mort vers 1903, à Aurillac, où il s'était
retiré. Il a rempli pendant les dernières années de sa vie les
fonctions hebdomadaires de Chapelain de Clavières-Ayrens. Il
nous a été ainsi donné d'apprécier son érudition, son goût d'in-
vestigations au profit de l'histoire locale. Certain jardin de Tour-
nemire, appelé « L'kort de la salvatiou », l'avait intrigué. Des
fouilles mirent à jour l'entrée d'un souterrain par lequel les
assiégés du château, réduits à l'extrémité, pouvaient trouver leur
« salvation » en déguerpissant par ce chemin de taupe. Deux
souterrains partaient du château de Tournemire; l'un, à l'Est,
communiquait avec le château de Bézaudun, avec issue sur la
maison forte de La Blatte et aboutissait non loin du village de
Tidarnac, commune de Laroquevieille. L'autre, à l'Ouest, débou-
chait dans les befls voisins du château de Marzes (Com. Del-
zangles).
LES TROUBADOURS CANTALIENS 627
épine de la Couronne du Christ qu'on disait avoir
été rapportée de Palestine par Kigal de Tourne-
mire. Le Curé, désireux de rendre absolument incon-
testable l'authenticité de cette relique insigne,
demanda au Marquis de Léautoing d'Anjonny
l'autorisation de faire des recherches dans ses
archives. Le château d'Anjonny-Tournemire, tout
voisin de l'Eglise, a recueilli une bonne partie des
archives de la maison de Tournemire, depuis que
Michel d'Anjonny (1) épousa, le 15 février 1643,
(i) On appelle très improprement « château de Tournemire »
le seul château encore debout, non loin de l'Eglise de Tourne-
mire. Il n'a rien de commun avec le château de Tournemire,
détruit, aussi bien que tous les autres forts avancés énumérés
plus haut. Ce lieu s'appelait au XIIIe siècle le Puy-de-Larmandie
et appartenait en 1298 à Eustache de Beaumarchais, Bailly royal
des Montagnes. Sa fille le vendit à Pierre de Lavie de Villemur,
lequel le revendit en 1350 à Pierre d'Anjonny, citoyen de la ville
d'Aurillac. Louis d'Anjonny, Garde des Sceaux au Baillage des
Mdntagnes, en fit hommage, le 17 mars 1390, à Jean de Tour-
nemire, son suzerain. Louis II d'Anjonny, fils du précédent,
Viguier de l'Abbaye de Figeac, obtint le 14 février 1439, de Jean,
Duc de Bourbon et d'Auvergne, l'autorisation de faire construire
sur le Puy-de-Larmandie une maison forte à laquelle il donna
son nom d'Anjonny, qu'elle a conservé. Le château actuel d'An-
jonny, improprement dit Tournemire, date donc du milieu du
XVe siècle et n'avait d'autre lien avec celui de Tournemire que
d'en relever à titre de fief. La maison d'Anjonny de Léautoing
s'est éteinte, au XIXe siècle, dans celle de Pélissier de Féligonde
qui en a relevé le nom.
628 LES TBOl BADOURS CANTALIEN8
G-abrielle de Pestels, héritière par sa mère, née
Tournemire, d'une part des biens de cette illustre
maison. L'Abbé Delmas a publié L'heureux résultat
de ses recherches entièrement favorables à la relique
Tournemirienne, en un opuscule intitulé « 1m Saintt
Epine de Toumemin » (1).
Au cours de ses investigations dans les archives
du château de Tournemire, l'Abbé Delmas aurait
trouvé deux rouleaux de parchemin, écrits partie
m mauvais latin et partie en Langue vulgaire du
moyeu âge, qui relateraient Les aventures du Trou-
badour Raymond «le Vidal de Bézaudun. Les deux
extrémités des rouleaux étant déchirées, on ne pou-
vait lire ni le titre ni la signature. L'écriture était
de forme ancienne, mais bien lisible, avec des enlu-
minures a La plume. Bien qu'étranger à ses recher-
ches, ces écrits intéressèrent Le Curé par le ton
piquant «le certaines aventures. On ne peut que
déplorer qu'il n'ait pas eu la bonne pensée de solli-
citer du Marquis de Leautoing l'autorisation d'en
prendre copie, ou, tout au moins, une analyse suc-
cincte. Au cours de ses travaux, l'Abbé Delmas
(i) Aurillac. Gentet, 1889.
LES TROUIADOURS OANTALIENS 029
racontait ses intéressantes découvertes â son parois-
sien et voisin, M. P. Delzangles, Fauteur des
« Chants populaires d'Auvergne », auquel nous
avons fait maints enprunts. C'est ainsi que cet
écrivain a bien voulu nous résumer le récit que lui
avait fait, en 1888, l'Abbé Delmas, du contenu des
deux rouleaux de parchemin racontant la vie et les
aventures du Troubadour dont le château de
Bezaudun-Tournemire serait bien le berceau. Nous
ne pouvons que reproduire fidèlement cette analyse,
telle qu'a bien voulu nous l'adresser M. Delzangles :
Raymond de Vidal de Bézaudun est né, dans le
dernier tiers du XIIe siècle, au château de Bézau-
dun (Bezoudu, en dialecte Cantalien), paroisse de
Tournemire. Ce fief, mouvant du château de Tour-
nemire, aurait été donné en apanage, au milieu du
XIIe siècle environ, à un cadet de la maison de
Tournemire usuellement dénommé, dès lors, sui-
vant la coutume du temps, du nom de son fief : le
seigneur de Bézaudun. Celui-ci épousa Ugualde de
Vidal du Cros, dame héritière du château de Cros
qui s'élevait dans le vallon entre Saint-Cernin et
Tournemire (1).
(i) Le village du Cros, commune et cant. de Saint-Cernin, arr.
630 LES TROUBADOURS CANTALIENS
Violent et débauché, le «seigneur de Bezaudim
maltraitait sa femme, lui imposant, jusque sous le
toit conjugal, l'humiliant spectacle de ses amours
ancillaires. A bout de forces, la malheureuse
Ugualde quitta Bezaudun avec son jeune fils Ray-
mond pour se refiler chez elle, au château de Vidal
du Cros, où elle mourut bientôt. Elevé par ses
grands-parents, puis il l'Abbaye d'Aurillac, dit le
manuscrit, l'enfant fut habituellement désigné du
nom de la terre qu'il habitait; ainsi s'expliquerait
que, sans renier le nom paternel qu'il porta ton-
jours, il l'ait fait précéder de celui du fief maternel :
Raymond de Vidal de Bezaudun.
Notre jeune homme, dont son père n'aurait eu
cure mort, peut-être, ou entraîné à de nouvelles
aventures de guerre ou d'amour, se joignit à un
groupe «le seigneurs de Haute- Auvergne, allant
prendre part à la troisième Croisade. Le manuscrit
donnerait menu» les noms de ees seigneurs Auver-
d'Aurillac. Son château se composait de deux tours (Dict. Stat.
du Cantal, T. III, P. 76). On dit encore aujourd'hui « Lo bouorio
de Vidaou » — La ferme de Vidal - - pour désigner le domaine
qui dépendait jadis du château.
Celui-ci a disparu, remplacé par une confortable maison bour-
geoise construite avec les matériaux de l'ancien château, actuelle-
ment hahitée par M. Bonhomme. (Communication F. Delzangles.)
LES TKOUBADOURS CANTALIENS 631
gnats dont il détaille longuement les qualités et les
défauts. Kayniond, d'humeur peu belliqueuse, pré-
férant les plaisirs et les femmes, abandonna en
route ses compagnons d'armes, séduit par la beauté
du ciel de Provence et le bon accueil qu'il recevait
partout. Il parcourut ainsi Provence et Languedoc,
Catalogne et Castille, voyant grandir sans cesse
sa réputation d'habile Troubadour.
On sent tout l'intérêt qu'aurait pour l'histoire
médiévale du Haut-Pays d'Auvergne la publication
des manuscrits du château d'Anjonny dont l'Abbé
Delmas donnait cette suggestive analyse.
Cette intéressante communication nous est par-
venue trop tard, à la fin de l'impression de cette
Etude, pour que nous puissions faire autre chose
que de l'y consigner. Le château d'Anjonny est
actuellement désert; son possesseur, le Marquis de
Léautoing retenu au loin par les exigences de sa
carrière militaire (1). Il est à souhaiter qu'il veuille
(i) M. le marquis de Léautoing a eu l'obligeance d'écrire à
M. le Lieutenant de vaisseau de Tournemire, actuellement au
Maroc. Cet Officier de Marine, qui consacre ses loisirs à de méti-
culeuses recherches dans les Archives Cantaliennes, avait étudié
avec un soin tout spécial celles du château d'Anjoiny en raison du
632
I.KS TROUBADOURS CANTALIENS
bien autoriser les recherches dans ses archives des
curieux documents qu'aurait entrevus le Curé Del-
m.is et leur publication qui pourrait, seule, tran-
cher le débat pendant et restituer à la Hante-
Auvergne un de ses plus délicats portes médiévaux.
haut intérêt qu'elles offraient pour l'histoire de la maison de
Tournemire. Il déclare qu'il n'a pas vu au château d'Anjo.iny les
deux rouleaux de parchemin dont parle M. le Curé Delmas, que
rien ne lui permet de croire à leur existence (Lettre du Marquis
de Léautoing du 3 mai 1911).
L'identification de Raymond Vidal de Bezaudun, un instant
espérée, apparaît, maintenant, de plus en plus incertaine!
V
Additions aux Biographies
DES
Troubadours Cantaliens
La dame de Casteldoze : recherches sur sa famille.
Les d'Escaffres. — Astorg d'Aurïllac : Les Auril-
lac-Conros et Saint Robert de Turlande. — Astorg
de Segret .-Nouvelles preuves de son origine Can-
ialienne. Critique des opinion* de Ch. Fahre. par
Jeanroy. — Anonyme : La complainte de Saint-
Jacques : Erection de VEvêché de Gompostelle
datée de l'Auvergne.
La Dame de Casteldoze
Nous avions dû, faute de documents, laisser à
de plus heureux chercheurs le soin de fixer le nom
patronymique des possesseurs du Castel d'Oze au
XIIe siècle dont est sûrement issue la première poé-
tesse Cantalienne. De persévérantes recherches,
continuées pendant l'impression de cette étude, ont
apporté quelques lumières et permettent de croire
que notre « troubadouresse » appartenait à une de
nos plus vieilles races Arverno-Rouergates, s'appe-
lait, en réalité, N. d'Escaffres du Castel d'Oze, ou,
plus exactement, N., fille de Pierre, Bernard ou
Hugues Escafred, seigneur du Castel d'Oze, du
Trioulou, Eonesques, Carègues, Peyroux, Crouzols,
etc., etc., fiefs de la même région. Elle pouvait être
fille, nièce ou sœur de Pierre, Bernard, Hugues,
Aymeric ou Izarn Escafred, Chevaliers, connus tous
par actes authentiques entre 1125 et 1153 (1).
(i) Bouillet, Nobil. d'Auv. T. II. P. 395.
636 LES TROUBADOURS CANTALIENS
('«•tic lignée des Escafred apparaît déjà puis-
sante, au Haut Moyen Age, en Languedoc. Son nom
<1" u Escafred » n'est autre, sans doute, que le pré-
nom de son premier auteur. Il se rencontre fréquem-
ment dans les chartes Catalanes du XIe, concurrem-
ntciii avec ceux d'Acfred, Séniofred, Wilfred, etc.
< Je n'est qu'après ]<• \ | Ve qu'il s'adoucira et se trans-
formera en celui d'Esca l'fres, (pli sera encore porté
brillamment dans notre province au XIXe siècle.
Dès 1010, Hugues Escafred, Chevalier, apparaît
dans une charte, est encore mentionné dans un autre
acte de L023. Pierre et Hugues, ses fils, figurent, en
1071. dans l'accord intervenu entre Guillaume,
Comte de Toulouse, et Raymond, Comte de Barce-
lone. Vicomte de Cariât et, à ce titre, suzerain du
Castel d'Oze. Jourdain Escafred, Chevalier, et
Hugues, son frère, souscrivent en 1089, la donation
faite par Ermengarde, Vicomtesse de Béziers, au
Monastère de Sainte-Cécile d'Albi (1).
I )es le XIe siècle, nous apprend le Conseiller Bou-
det (2), un rameau de cette famille s'était incontes-
(i) Bouillet. Ibid.
(2) « Saint Robert de Turlan&c » par M. Boudet. Bul. Hist.
de l'Auvergne, Mars-Avril 1906. P. 103.
LES TROUBADOURS CANTALIENS 637
tableuient fixé en Rouergue et en Auvergne. Le
Prêtre Bernard, Capiscol de l'Eglise d'Angers, écri-
vant, entre 1015 et 1018, « Les nouveaux livres des
miracles de Sainte Foy, de Conques », nous révèle
quelques particularités de la vie de Hugues Esca-
fred, Chevalier Rouergat (1).
Raymond de Turlande, cadet de cette race proba-
blement puînée des Vicomtes de Cariât, dont le
repaire de Turlande dominait le cours de la Truyère,
aux limites de l'Auvergne et du Rouergat ('-), avait
eu l'existence la plus accidentée qui lui valut le
surnom de Raymond-le-Naufragé. Abandonnant
femme et enfants, vers Tan 1000, l'aventureux Cheva-
lier avait voulu faire le pèlerinage de Jérusalem.
Jeté par un naufrage sur la côte Africaine, capturé
par les Sarrazins, il se fit forban avec eux. Les Ber-
( i ) Ce Prêtre Angevin, fort dévot à Ste Foy, fit par trois fois
au début du XIe siècle le pèlerinage de Conques en Rouergue,
malgré la distance qui séparait l'Anjou de l'Abbaye Rouergate.
Son manuscrit « Miracula S. Fidis » a été récemment découvert
dans la bibliothèque de Schelestadt. Voir : M. Boudet : La légende
de Saint Florus » P. 28. Abbé Servières : Vie de Sainte Foy.
(2) Turlande est aujourd'hui un village de la commune de
Paulhenc, canton de Pierrefort, arr. de Saint-Flour. Il reste
encore quelques vestiges de son formidable château construit
sur la rive droite de la Truyère qui en baigne le pied. Cette
rivière a toujours servi de limite à l'Auvergne et au Rouergue.
(WX LES TKOUBADOI RS CANTÀLIENS
bères, dont il est devenu le chef, sont vaincus à leur
tour par les Arabes de Cordoue qui font notre Che-
valier prisonnier. Celui-ci s'accommode vite de son
Borl el prend rang dans les batailles, aux côtés de
ses nouveaux maîtres. Capturé une troisième fois.
probablement à la bataille de Djebal-Quinto livrée,
en 1009, par Sanche. Comte de Castille, au Kalife
de < lordoue, son vainqueur < Jastillan, apprenant qu'il
est < 'hrétien, lui rend la liberté. Décidément guéri
de son goût des aventures, Raymond de Turlande
regagne le Rouergue. Mais sa femme, le croyant
mort, s'est remariée et se refuse tout net à recon-
naître son premier époux qu'elle veut même faire
assassiner. Sainte Poy, patronne du Rouergue,
couvre d'une protection spéciale le Chevalier qui
l'a toujours invoquée aux heures de péril. C'est elle,
sans nul doute, qui a inspiré ses généreuses résolu-
tions ;\ un seigneur du voisinage : Hugues Escafred,
resté l'ami dévoué de Raymond de Turlande. Quand
cet honnête seigneur a vu la femme de son ami
prendre un nouvel époux et spolier ses deux filles du
premier lit, il les a recueillies chez lui et mariées à
deux de ses fils. Au retour inopiné de Raymond, le
brave Escafred accueille son ami avec transport
LE3 TROUBADOURS CANTALIENS 039
et, devant les noirs desseins de l'épouse oublieuse
du passé, « il assemble ses fils, ses gendres, ses
fidèles, et rétablit son ami dans son château les
armes à la main » (1).
Pierre Escafred, fils d'Hugues, et probablement
gendre de Raymond de Turlande, nous apparaît en
grand propriétaire terrien aux limites Arverno-
Rouergates au temps de la Comtesse Richarde,
veuve de Raymond III, Comte de Rouergue, c'est-
à-dire vers 1060. On le voit juge, avec un autre
seigneur Rouergat, d'un plaid présidé par Oldorie,
Archidiacre de Conques, où se décide l'attribution
de terres du voisinage de Conques et d'Espalion (2).
Un autre Escafred (Hosfridus) et sa femme Ger-
trude apparaissent dans la même région vers
1090 (3).
Fort probablement, dès cette époque, mais incon-
testablement au siècle suivant, les Escafred étaient
possessionnés en Carladez où ils détiennent la terre
(i) Boudet: « Saint Robert de Turlande », P. 08 à 105. Appen-
dix miraculorum S. Fidis, cap. 2 : « De quodam Raimundo
naufragium passo et S. Fidis auxilio liberato, etc. ». Acta
S. S. III, Oct. P. 327-329.
(2) Cartul. de Conques: Chartes 15 et 566.
(y) Boudet: loc. cit.
6 fO LES TROUBADOURS CANTALIENS
de la Vinzelle, près Calvinet, le Castel d'Oze, la
terre et château du Trioulou, etc. (1). Ainsi, très
sûrement, un siècle au moins, avant la naissance
de « Doua Castehlozu » et de son vivant, les Esca-
fred, puissante race féodale déjà ancienne et
illustre, comptent parmi leurs domaines le Castel
d'Oze et quantité de fiefs du voisinage, sous la suze-
raineté des Comtes de Rodez, Vicomtes de Cariât et
Barons de Calvinet. On conviendra qu'il y a, sinon
absolue certitude en l'absence de titres péremp-
toires, au moins, très forte présomption et entière
vraisemblance à croire notre poétesse médiévale issue
de cette famille. Par l'antiquité et l'illustration de
sa race, la descendante d'Hugues Escafred, le Preux
vaillant et féal du XTe, est au moins, l'égale du Cheva-
(i) Boudet : loc. cit. P. 103, note 1. La Vinzelle près Calvinet.
Le Trioulou, chef-lieu de commune du canton de Maurs, arr.
d'Aurillac. Le château du Trioulou resta aux mains des d'Es-
caffres jusqu'en 1709 où Guillaume d'Escaffres le vendit â Louis
de la Roque de Sénezergues. Passant de mains en mains Le
Trioulou était récemment la propriété de Mgr Lacarrière, anc.
Evêque de La Basse Terre, Chanoine de St-Denis. Ronesque, La
Capelle del Fraisse, dans la même région appartiennent ultérieu-
rement aux d'Escaffres.
M. Boudet cite comme références sur les Escaffres et Castel
d'Oze : Nobil. d'Auv. II, 339-396. Boudet : Eust. de Beaumarchais,
P. 151 et suiv. Saige et Cte de Dienne : Doc. Hist. 1, XVI, 26.
Arch. St-Flour. L, Ch. II, Art. II. Arch. Aurillac, Ch. I.
LES TROUBADOURS CAXTALIENS 641
lier Croisé qui sera sou mari et du puissant seigneur
à qui elle donnera son amour. De son aïeul mater-
nel, Raymond de Turlande, le Naufragé, elle a hérité
le goût des aventures, la propension au rêve et à la
chimère. Cette soif d'idéal qui a poussé l'aïeul vers
l'Orient, Ta ballotté de naufrage en naufrage, de
prison en prison, des monts Arvernes aux rivages
de Naples, aux côtes Africaines et aux plateaux de
Castille, la poussera vers les délices d'un impossible
amour, lui inspirera ses strophes passionnées qui
feront d'elle une nouvelle Sapho.
Tout porte à croire que la lignée des Escafred,
connue pendant de longs siècles, au Haut-Pays, sous
le nom d'Escaffres, et qui compte, encore de nos
Jours, des représentants, peut revendiquer comme
sienne la première poétesse Cantalienne (1).
(i) Postérieurement à notre poétesse, on trouve Bernard Esca-
fred, servant sous la bannière de l'Evêque d'Albi en 1260.
Guillaume était, à la même époque, seigneur du Trioulou dont il
rend hommage au Vicomte de Cariât, en 1279. Sa descendance
fournit au XIVe un Bailly Royal des Montagnes et compte encore
au XIXe de nombreux représentants. Joseph d'Escaffres, Vicomte
de Ronesque, Major au régiment de la Sarre, Chevalier de Saint-
Louis, était en 1810, père de six fils qui ont tous laissé postérité.
Les d'Escaffres portent : Ecartelé aux 1 et 4 d'azur à la tour
d'argent maçonnée de sable ; aux 2 et 3, coupé d'azur au lion
d'argent et d'or au taureau de gueules.
Astorg dAurillac
Nous avons signalé l'erreur des généalogistes qui
onl attribué Saint Robert, Fondateur de La Chaise-
Dieu, à l.i famille d'Aurillac-Conros. Dans une étude
de haute érudition et d'une puissance singulière
de déduction, publiée dans le Bulletin Historique
de l'Auvergne en 1906, M . le Conseiller Boudet
dé otre que Saint Robert, Fondateur de la Chaise-
Dieu, <'st parfaitement étranger aux Astorg d'Au-
rillac-Conros ei à Saint Géraud, Fondateur de
l'Abbaye d'Aurillac. Il est fils de Géraud de Tur-
lande, seigneur féodal dont le château domine la
Truyère aux confins des arrondissements de Saint-
Flour et Espalion, et probablement puîné des
Vicomtes de Cariât. Si divers historiens ont attri-
bué Saint Robert aux Astorg-Aurillac, c'est qut
Géraud et Pons de Turlande, frères du Fondateur
de La Cha iso-Dieu, donnant, en 1060, l'Eglise
d'Orlhaguet en Rouergue (canton de Sainte-Gene-
LES TROUBADOUUS CANTALIENS (i i)>
viève, arrondissement d'Espalion), à l'Abbaye de
Conques, la charte de donation (n° 37 du Cartulaire)
dit (( Ecclesias nostras de Aureliaco », erreur de
copiste qu'on a traduit par « Aurillac ». La charte
38 corrige la faute et dit correctement « Ecclesia
<le AurèUageto — l'Eglise d'Orlhaguet ».
Autre cause de confusion, la belle-sœur de Saint
Robert, femme de son frère Géraud de Turlande,
s'appelait Avigerne, comme la sœur de Saint Géraud
d'Aurillac, aïeule des Astorg-Aurillac. Mais cette
dame de Turlande était Avigerne de Calmont d'Olt
qui avait reçu en dot, entre autres fiefs, « alodem de
Almonte, in pago Arvemico », le fief de Montai,
paroisse d'Arpajon, tout voisin de Conros qui pas-
sera par alliance à un cadet des Astorg-Aurillac.
fondateur de la branche des Astorg-Montal-Laroque-
brou.
Il a fallu la tenace sagacité du Président Boudet
pour démêler les fils embrouillés de ces généalogies
enchevêtrées et restituer à Saint Robert de Tur-
lande, fondateur de la Chaise-Dieu, sa véritable
origine.
Astorg de Segret
Nous nous sommes efforcés, en contredisant
M. ( 'h. Fabre, de garder dans nos appréciations toute
la déférence due à un érudit de mérite réel. Le
savant Professeur Vellave s'efforçait, à grand ren-
fort d'arguments plus ingénieux que solides, de rat-
tacher au Velay lis Troubadours Astorg d'Aurillac
ci Astorg de Segret (|iii appartiennent sans conteste
à la Haute-Auvergne. Dans les « Annales du Midi »,
n° 90, avril 1911, l'éminent Professeur de Sorbonne
Jeanroy fait une critique autorisée et absolument
probante des vains efforts de Ch. Fabre à faire
d' Astorg de Segret un Vellave. Puisant ses argu-
ments dans le texte même du « sirventés » d' Astorg
de Segret, il démontre que ce n'est pas d'Edouard
Ier. Roi d'Angleterre, que le poète Cantalien entend
parler, dans la troisième strophe dont Ch. Fabre a
arbitrairement fait la quatrième, mais incontesta-
blement de Charles d'Anjou, Roi de Sicile. De même
on peut se demander si l'Henri du « sirventés » est
LES TROUBADOURS CANTALIENS 645
- bien l'Henri d'Allemagne et non pas plutôt Henri
de Castille que Charles d'Anjou retenait prisonnier
depuis sept ans et « avait exposé dans une cage de
fer à la risée de ses ennemis ».
L'éniinent critique démontre encore que c'est sur
l'ordre d'Oth de Lomagne et pour servir la politique
de ce Prince qu'Astorg de Segret écrit son « sir-
ventés », et il déclare que, même après les explica-
tions de M. Fabre, « les raisons qui auraient pu
pousser un chanoine d'Anis, le haut dignitaire d'une
Abbaye de Velay (que Fabre veut avoir été Astorg
de Segret) à intervenir dans cette querelle lointaine,
restent obscurs ». Continuant sa critique, Jeanroy
rend hommage à l'excellente facture d'un vers que
M. Fabre a cru devoir composer et insérer dans le
« sirventés » pour combler un vide qui n'existe pas,
le vers étant tout au long dans le manuscrit! Il
conclut en louant la « merveilleuse habileté » de
M. Fabre, mais en déclarant : « Il est évident qu'il
n'y a pas là ombre d'un argument. » ■'
L'opinion si autorisée du savant Professeur de
Sorbonne Justine une fois de plus nos protestations
contre les tentatives d'accaparement Vellave par
Ch Fabre de deux de nos Troubadours Cantaliens.
Anonyme
Chants des Pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle
Nous avons mentionné l'assertion des historiens
Espagnols qui veulent que le Siège Episcopal d'Iria-
Flavia ait été transféré à Santiago de Compostelle
dès 840, cinq ans après la vision de l'Evêque Clodo-
mir. Un document précis vient détruire cette
légende et l'Auvergne se trouve mêlée à l'érection
de l'Evêché fameux de Compostelle. Ce n'est pas au
IXe siècle, mais seulement le 5 décembre 1095, que
le Pape Urbain II, après le Concile de Clermont qui
décida la Croisade, se rendant en Haute-Auvergne
et faisant étape à Brioude, data de cette ville le
Décret Apostolique qui transféra le titre Episcopal
d'Iria-Flavia de Compostelle.
L'Evêque d'Iria, désormais Evêque de Santiago
de Compostelle, Dalmas, qui avait assisté au Con-
LES TROUBADOURS CANTALIENS <"i7
cile de Clermont, obtint en même temps d'Urbain II
ce privilège insigne que ni lui ni ses successeurs ne
relèveraient désormais d'aucun Métropolitain, mais
directement du Siège Apostolique (1).
(i) Abbé Grégut. Le Concile de Clermont en 1095. Clermont,
Bellet 189s. P. 139.
TABLE DES MATIERES
PAGES
Première Partie. — CONFÉRENCE en dia-
lecte cantalien d'Aurillac, au profit de l'érec-
tion du Monument Vermenouze 7
Compte rendu de la Presse 119
Deuxième Partie. — LES TROUBADOURS.
Leurs origines. Leur développement. Leur
apogée. Leur décadence. L'Ecole auvergnate.
Ses ramifications. Troubadours de lînsse-
Auvergne et Troubadours du Velay 1G9
Guillaume-Robert 1% Dauphin d'Auvergne. . . 213
PAGES
Robert d'Auvergne, Evêque de Clermont 215
Pierre d'Auvergne 216
.-
Pierre de Manzal 217
Hugues de Peirols 218
Bertrand II, sire de la Tour 220
Michel de la Tour 221
Pons de Chapteuil 222
Pierre Cardénal 221
Garin-le-Brun 220
Elie-Guillaume Grimoard Gausmar 227
Guiihem de Saint-Didier 228
Gausseran de Saint-Didier 233
Troisième Partie, — LES TROUBADOURS
CANTALIENS. — Biographies XIP-XIV6
siècles 235
Pierre de Vie, Moine de Montaudon 217
Guillaume Moissel de la Moissetie 311
Pierre de Rogiers, Chanoine de Clermont. . . . 325
Ebles de Saignes 371
La Dame de Casteldoze 397
Pierre de Cère de Tols 123
Faydit du Bellestat 135
Bernard Amouroux 117
Cavaire 1G1
Astorg d'Aurillac.... ^
4To
Astorg de Segret ro
Anonyme {Chant des Pèlerins de ^-Jacques
de ComposteUe)
Guillaume Borzatz
573
Quatrième partie.— TROUBADOURS OAX-
TALIENS d'origine incertaine ou erroné,-.
Gavaudan-le-Vieux
CT a ÔSi)
Hugues de Brunet rr
Raymond Vidal de Bezaudun .' ' .' [ 61°3
Cinquième partie. - Additions aux Biogra-
phies des Troubadours Cantaliens 633
•=2#v<£zr
La Saille de Rocheraaure, Félix -
Les troubadours Cantaliens. v. 1
PONTIFICAL INSTITUTE
OF MEDIAÏV^l STUDIES
59 queen's park
Toronto 5. Canada.
2455 7-